Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 13 septembre 2010 à 15h00
Gestion de la dette sociale — Exception d'irrecevabilité

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Néanmoins, j’observe que ce texte consacre une rupture avec la gestion de la dette opérée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Souvenons-nous que l’adoption de l’article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 par la majorité avait autorisé l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, à emprunter 65 milliards d’euros afin de financer les déficits accumulés. Par cette manœuvre, que notre collègue Raymonde Le Texier qualifiait très justement de « politique de l’autruche », le Gouvernement, contre l’avis de la commission des affaires sociales du Sénat, avait signifié sa volonté de ne pas transférer cette dette à la CADES. Cette disposition est contraire à la loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui dispose que les plafonds des avances accordées à l’ACOSS doivent permettre de faire face aux écarts de trésorerie de la sécurité sociale et non de financer la dette. Nous nous sommes opposés à ce choix tant sur la forme que sur le fond.

Quant à la Cour des comptes, elle estime dans son dernier rapport que la situation de l’ACOSS ainsi créée « deviendra rapidement insoutenable », alors que « la réduction du déficit de l’assurance maladie obtenue en 2004 et 2008 et la possibilité d’un transfert de cotisation de l’assurance chômage à l’assurance vieillesse donnaient une certaine crédibilité à cette perspective de retour à l’équilibre qui est désormais caduque ». Comment pourrait-il en être autrement dans un contexte de crise sans précédent alors que ce mécanisme creuse les déficits via les taux d’intérêts ?

Dans les faits, il s’agissait bien pour le Gouvernement d’échapper à l’obligation de relever la CRDS. Je vous avais bien annoncé, monsieur le ministre, que je vous énerverais de nouveau…

Demeurer fidèle à une orthodoxie financière injuste et inopérante et ne pas relever les impôts restent les maîtres mots de l’action gouvernementale. Malheureusement pour le pays, la situation économique s’est encore détériorée et les effets négatifs de ce choix pèsent de plus en plus sur le financement de la sécurité sociale.

J’en veux pour preuve le fait que la charge supplémentaire transférée à la CADES sur 2021-2025 impactera le montant des intérêts dus de près de 30 milliards d’euros, soit l’équivalent des intérêts remboursés entre 1996 et 2010. Lorsque M. le rapporteur affirme qu’il est question « de préserver la crédibilité du processus de remboursement de la dette sociale tout en s'interdisant d'en reporter trop massivement le poids sur les générations suivantes », il ne nous convainc pas du tout.

Monsieur le ministre, nous sommes tous conscients que vous devez faire face à un dramatique bilan. Malgré vos dénégations, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bien de l’application d’un dogme, voire d’un fétiche !

Selon vous, mener de telles réformes serait faire preuve de courage et de responsabilité. Permettez-moi de vous renvoyer aux déficits abyssaux qu’enregistre notre pays, ainsi qu’à l’augmentation de la précarité et des inégalités. Le rapport de Gilles Carrez d’information préalable au débat d’orientation sur les finances publiques de juin 2010 et le rapport de MM. Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis sur la situation des finances publiques d’avril 2010 démontrent que, si la législation identique en matière de prélèvements obligatoires était demeurée stable depuis 1999, le taux de prélèvement aurait été supérieur de 3, 8 points de PIB, soit 45, 3 % contre 41, 5 % réalisés. Le manque à gagner structurel atteint donc 54 milliards d’euros.

Avec les effets cumulés de ces baisses de prélèvement, le niveau de la dette publique aurait été de 20 points inférieur au niveau actuel. Le déficit public se monterait à 4, 2 % du PIB contre 7, 5 % actuellement et la dette s’en trouverait diminuée de 10 milliards d’euros correspondant aux intérêts. Changer de politique est un impératif. Malheureusement, vous vous situez dans le continuum de cette politique du déficit chronique et du moins-disant social.

Venons-en aux ressources affectées à la CADES, qui est appelée à reprendre plus de 86 milliards d’euros de dette ainsi que les déficits futurs de la branche vieillesse. Ce sont donc 130 milliards de dette que nous devons apurer.

M. Baroin a expliqué en commission que des recettes nouvelles seraient octroyées. Il s’agit de 3, 2 milliards d’euros par an pour reprendre 34 milliards d’euros de dette correspondant au déficit structurel des exercices 2009 et 2010 du régime général, du fonds de solidarité vieillesse et du déficit prévisionnel de l’assurance maladie pour 2011. Les ressources nouvelles proviendront de l’exonération de la taxe des contrats d’assurance maladie « solidaire et responsable », qui sera supprimée, pour 1, 1 milliard d’euros. De la taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation de sociétés d’assurance seront tirés 1, 4 milliard d’euros.

S’ajouteront enfin 1, 6 milliard d’euros tirés des encaissements dans les compartiments euros des contrats d’assurance-vie multi-supports. Au-delà du fait que ces mesures vont pénaliser les mutuelles, une fois de plus, alors que leurs adhérents verront leur cotisation augmenter, vous avez indiqué que ces ressources diminueront, notamment du fait de la dynamique décroissante des deux derniers dispositifs. Vous affirmez même qu’il vous faudra recourir à d’autres niches fiscales et sociales. Vous faites appel aux 34 milliards d’euros d’actifs du Fonds de réserve pour les retraites dévolus au lissage des retraites à l’horizon 2020 et que nous voulions « sanctuariser » pour les consacrer au désendettement.

En d’autres termes, et c’est la raison du dépôt de cette motion, les ressources affectées à la CADES dans le cadre du transfert de 86 milliards d’euros ne sont ni définies dans le temps, ni pérennes. Ainsi, non seulement vous ne respectez pas les termes de la loi organique de 2005, mais vous prenez aussi le risque de dégrader la notation de la CADES. Or, nous ne pouvons nous le permettre : ce serait une faute.

Jusqu’à présent, la France a bénéficié de conditions très avantageuses, puisque le taux d’intérêt apparent est de 4 %, ce qui correspond à un taux d’intérêt de 2, 5 % du PIB. Cette situation, je vous le rappelle, ne peut être considérée comme forcément pérenne.

M. le ministre du budget s’est dit ouvert à la discussion concernant les « cliquets » prévus pour garantir la pérennité des financements, mais il sait bien que ces cliquets seront insuffisants et que, par nature, ils ne recouvrent pas des ressources pérennes. Mon collègue Jacky Le Menn a fait part de nos propositions en la matière, qui prévoient, notamment, l’augmentation du taux de la CRDS, ressource essentielle de la CADES, de 0, 5 % à 1 %, une révision à la hausse de la CSG, par une augmentation de son taux ou sa modulation en fonction des différentes assiettes sur lesquelles il s’applique. Je pense aussi à la majoration spécifique et sensible du taux de la CSG-patrimoine qui pourrait passer de 8, 2 % à 11 %. Enfin, remettons en cause le bouclier fiscal. Voilà qui répondrait à la nécessité de doter la CADES de ressources pérennes.

Monsieur le ministre, le législateur a le devoir de respecter scrupuleusement les lois qui lui sont imposées. Or ce texte ne respecte pas les règles constitutionnelles. Voilà la raison pour laquelle nous défendons cette motion d’irrecevabilité : il ne s’agit pas d’un exercice formel, car un motif essentiel d’irrecevabilité existe sur le fond, comme nous venons de le voir. Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Sénat doit avoir la sagesse de voter l’exception d’irrecevabilité.

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