Intervention de Guy Fischer

Réunion du 13 septembre 2010 à 15h00
Gestion de la dette sociale — Question préalable

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, défendre aujourd’hui devant vous une motion tendant à opposer la question préalable sur un projet de loi présenté comme devant lutter contre la dette sociale peut apparaître comme étant, pour le moins, curieux, au pire irresponsable.

Nous faire un tel procès d’intention serait méconnaître l’attachement que nous avons mis – j’aurais envie de dire par un travail acharné –, à apporter d’année en année, de PLFSS en PLFSS les bonnes réponses, afin de résorber la dette existante, de garantir à notre système de protection sociale des moyens de financement suffisants et même de lui permettre d’être excédentaire, comme entre 1999 et 2001.

Aussi, en vous proposant d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable, nous ne considérons pas qu’il n’y ait pas lieu de réduire la dette sociale, mais nous affirmons clairement que ce projet de loi organique, en se contentant de rallonger la durée de vie de la CADES et en ponctionnant à hauteur de 2, 1 milliards d’euros par an le Fonds de réserve pour les retraites ne suffira pas ! Quand bien même nous ajouterions les mesures que le Gouvernement nous proposera d’adopter dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, nous serions toujours loin, très loin, de l’équilibre financier. Mais j’y reviendrai.

En effet, et c’est là que le bât blesse, ce projet de loi organique est la continuation de la politique que vous menez depuis 2002, laquelle n’a eu pour conséquence que l’aggravation des déficits publics et sociaux : plus de 1 400 milliards d’euros ! C’est la fuite en avant !

Les déficits cumulés du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse qui, en 2009, s’élevaient déjà à plus de 23 milliards d’euros devraient atteindre, à la fin de 2010, 30 milliards d’euros, selon les estimations les plus optimistes. Si l’on se projette à l’horizon de 2011, les déficits prévisibles devraient atteindre au moins 80 milliards d’euros, soit à peine moins que le montant de la dette qu’il reste aujourd’hui à amortir.

C’est dire l’importance de cette dette sociale, qui, bien qu’elle ne représente que 10 % de la dette publique, ne cesse de croître, et ce de manière exponentielle. En effet, chaque transfert à la CADES ou chaque relèvement de plafond de trésorerie de l’ACOSS est toujours plus important que le précédent.

Je voudrais d’ailleurs dire quelques mots à ce sujet. Comme vous le savez, mes chers collègues, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 a autorisé l’ACOSS à recourir, auprès des marchés financiers, à des ressources financières de court terme, dans des proportions jusqu’alors jamais atteintes : il s’agissait tout de même de 65 milliards d’euros !

Nous avions alors vivement critiqué cette solution, considérant qu’elle revenait à faire fonctionner la machine à tirer les bons de trésorerie, la Caisse des dépôts et consignations ayant très clairement fait savoir qu’elle ne pouvait prêter que 31 milliards d’euros à l’ACOSS. Ce sont donc les marchés financiers qui sont venus au secours de notre système de protection sociale. À quel prix !

C’est un comble quand on sait que celles et ceux qui ont imaginé ce système – je pense à Ambroise Croizat, en particulier – ont précisément tout fait pour écarter le dispositif des griffes des spéculateurs et des financiers !

Cette décision, contre laquelle nous nous étions élevés et qui contrevenait à la loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, destinant le relèvement de plafond au seul règlement d’une dette ponctuelle, et non pas à celui d’une dette accumulée par le passé, est en réalité le marqueur de votre politique.

Certains voient en celle-ci une politique de l’autruche et de la tête dans le sable : les difficultés disparaitront d’elles-mêmes… D’autres, à l’instar de François Charpentier, rédacteur en chef de l’Agence Emploi Formation, ou AEF, évoquent une stratégie de « la poussière sous le tapis ».

Peu importe l’intitulé, monsieur le ministre ! Votre politique est comprise par tous comme étant un mélange de négation, de « laisser filer » et de cavalerie budgétaire.

Elle n’est pourtant pas sans conséquences financières pour les comptes sociaux car, si les déficits sociaux inquiètent à raison nos concitoyens, elle fait pour l’instant le bonheur de ceux qui la financent et qui ont vu le passif de la CADES multiplié par cinq, ou presque, depuis sa création en 1996.

Ainsi, il semblerait que pour l’exercice 2008 la moitié des 6 milliards d’euros de ressources procurés à la CADES par la CRDS, soit 3 milliards d’euros, a été destinée, non pas au remboursement de la dette sociale, mais à celui des intérêts. Autrement dit, la moitié des recettes de la CRDS payée par les contribuables – car ce sont eux qui s’en acquittent – est consacrée aux intérêts, c’est-à-dire à la rémunération des banquiers et des financiers.

Cette situation pourrait être cocasse, si elle n’était pas, en fait, à la fois dramatique et scandaleuse.

Avouez qu’il est proprement inacceptable que la moitié des efforts des salariés de notre pays serve à la rémunération des spéculateurs qui ont plongé le monde et la France dans une crise économique, financière et sociale sans précédent.

Cette crise est tellement importante que, de l’aveu même du ministre, elle représenterait 34 milliards d’euros, soit le même montant que la dette structurelle, une dette qu’il faut désormais, elle aussi, rembourser et dont les intérêts feront mécaniquement grimper l’addition. Et ce sont nos concitoyens qui sont appelés à régler cette addition !

Ce que nous ne cessons de dénoncer depuis plus d’un an se vérifie donc : une poignée de spéculateurs crée la crise, l’immense majorité de nos concitoyens la paye. Voilà la réalité !

Et cela se vérifie aujourd'hui avec le projet de loi que vous nous proposez d’adopter et qui se limite à faire payer les frais de cette crise par les foyers.

Selon vous, la dette sociale se composerait de trois parties : une dette structurelle de 34 milliards d’euros, une dette de l’assurance vieillesse avoisinant 62 milliards d’euros et une dette de 34 milliards d’euros qui serait la seule conséquence de la crise, soit un total de 130 milliards d’euros.

S’agissant de cette dernière, vous prévoyez ce que l’on appelle un refinancement, c’est-à-dire un transfert de dette accompagné d’un étalement sur quatre ans. Cette cavalerie budgétaire, que j’ai dénoncée, ne constitue en rien une réponse efficace !

La preuve en est que nous n’avons cessé de constater l’ampleur des déficits sociaux et de prolonger la durée de vie de la CADES, au point que le montant que nous allons lui transférer est presque égal à celui de la dette qu’il reste à payer. Dans ce contexte, on en vient presque à se féliciter de ce que les taux d’intérêt soient actuellement bas, ce qui nous a permis d’éviter le seuil symbolique des 100 milliards d’euros.

S’agissant de la dette résultant de la prise en charge de la CNAV et du FSV, vous proposez ce que vous appelez pudiquement « la mobilisation des actifs et des recettes du Fonds de réserve pour les retraites ». Pour ma part, je parlerai plutôt d’un pillage organisé, sachant que ces sommes étaient destinées à faire face au pic de dépenses prévu à l’horizon de 2020, au moment où les effets de l’inversion démographique se feront le plus sentir.

Pour justifier l’opération, vous n’hésitez pas à affirmer que ces effets se feraient sentir dès aujourd’hui. Mais alors, pourquoi engagez-vous une telle réforme sur les retraites ? Soit nous subissons d’ores et déjà les effets du pic démographique et il faut mobiliser les actifs du FRR pour financer directement notre régime de retraite, soit nous les subirons en 2020 et ces sommes manqueront alors cruellement.

Nous avons donc l’impression que l’article 1er du projet de loi constitue en réalité un montage financier et de respect des règles constitutionnelles devant vous permettre d’allonger la durée de vie de la CADES tout en respectant la règle selon laquelle tout nouveau transfert de dette à cette caisse doit être assorti de recettes lui permettant de ne pas accroître sa durée d’amortissement.

Pour reprendre une expression populaire, vous déshabillez Pierre pour habiller Paul, sans régler sur le fond la question du financement et de la dette.

Enfin, s’agissant de ce qu’il est convenu d’appeler la dette structurelle, soit 34 milliards d’euros, votre seule solution réside dans la création de trois taxes supplémentaires qui sont absentes de ce texte et devraient prendre corps en loi de financement de la sécurité sociale et en loi de finances.

C’est sans doute la conception que se fait le Gouvernement des niches sociales et fiscales. Nous aurions, pour notre part, préféré une politique plus courageuse, mettant enfin un terme aux 75 milliards d’euros d’exonérations fiscales et aux 45 milliards d’euros d’exonérations sociales – un total de 120 milliards d’euros – qui profitent dans l’immense majorité des cas aux plus riches. Je pense évidemment, en tout premier lieu, à la « niche des niches » : le bouclier fiscal !

D’après ce que nous a dit M. le ministre, mais que nous avions découvert la veille, par voie de presse, il serait question d’une taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation des sociétés d’assurance, d’une taxation supplémentaire sur la part euro des contrats d’assurance-vie multi-supports et d’une taxe nouvelle sur les contrats d’assurance responsables. Celle-ci devrait rapporter en moyenne 18 euros par contrat et les mutuelles, qui ont déjà été taxées, il y a deux ans, pour financer la couverture maladie universelle et la couverture maladie universelle complémentaire, ont annoncé, pour une large partie d’entre elles, qu’elles la répercuteront partiellement ou totalement sur leurs assurés.

Au total, ces trois dispositions devraient rapporter 3, 2 milliards d’euros, soit moins que le montant du déficit du FSV actuellement estimé à 4, 3 milliards d’euros.

Avouez, monsieur le ministre, que ces sommes sont loin d’être suffisantes pour résorber le déficit existant et à venir !

La question qui nous préoccupe et qui nous conduit à défendre aujourd’hui cette motion est donc la suivante : comment résoudre rapidement, efficacement, durablement et équitablement la dette sociale, qui persistera malgré – ai-je envie de dire – l’adoption de ce projet de loi ?

Je précise, à cet égard, que les 3, 2 milliards d’euros de recettes dont je viens de parler sont, de l’aveu même de notre rapporteur, appelés à se tarir au fil des années. Pourtant, pour reprendre les propres termes de M. Alain Vasselle, termes auxquels nous souscrivons pleinement, « un élément essentiel du bon fonctionnement de la CADES réside dans la solidité des recettes qui lui sont affectées ». Le rapporteur doute lui-même que cela soit possible, c’est dire…

Voilà pourquoi, mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC-SPG considèrent que ce projet de loi n’est pas à la hauteur de la situation.

Lors de l’examen par le Sénat du PLFSS pour 2010, le prédécesseur de M. François Baroin avait refusé de transférer la dette à la CADES, préférant une augmentation du plafond de trésorerie de l’ACOSS. Et pour cause ! Il aurait alors fallu accompagner ce transfert d’une nouvelle source de financement. Il s’y est refusé afin de ne pas égratigner le dogme prônant l’absence de toute augmentation des impôts et des prélèvements sociaux, dogme qui, aujourd’hui, est insidieusement remis en cause.

En effet, le Gouvernement met en œuvre le transfert, rendu possible par la réforme des retraites qu’il entend imposer à nos concitoyens. Ainsi, il est en mesure de piller le FRR tout en contournant, une nouvelle fois, la question qui nous paraît essentielle, celle du financement de notre système de protection sociale à long terme.

Cette question demeure sans réponse, ce qui fait peser des risques importants sur l’avenir de notre système, et, on le devine déjà, ce seront comme toujours les salariés, les fonctionnaires, les jeunes et les retraités qui mettront la main à la poche.

Mes chers collègues, l’adoption de cette motion serait un signal fort envoyé au Gouvernement. Vous exigeriez de lui qu’il prenne enfin la pleine mesure de la situation, qu’il renonce à sa politique d’appauvrissement des comptes sociaux, qu’il abandonne définitivement une politique sociale et fiscale dont la caractéristique est de toujours faire contribuer les mêmes – étudiants, salariés, retraités – tout en épargnant toujours les mêmes – les détenteurs de capitaux, les actionnaires, les spéculateurs et les plus riches d’entre nos concitoyens.

Vous exigeriez, avec nous, que cesse ce que de plus en plus de personnes ressentent comme étant une politique de classe.

Vous enverriez un message clair au Gouvernement : notre protection sociale est solidaire ; elle mérite, pour son financement, une mobilisation pleinement solidaire !

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