Je tiens avant tout à dire que c'est un honneur que de pouvoir m'exprimer devant cette assemblée. Je viens y porter une voix critique, comme d'autres auraient pu le faire à mes côtés.
La séparation des activités bancaires est indispensable. Il y a un véritable danger à mixer dans des banques universelles systémiques les activités de banque commerciale et de banque de marché, qui accroît le risque systémique. La France, avec ses quatre banques jugées systémiques, quand l'Allemagne n'en a qu'une, la Deutsche Bank, est particulièrement concernée.
Des travaux récents de la Banque des règlements internationaux (BRI) et du Fonds monétaire international (FMI) ont montré que le développement de la finance est un facteur de croissance de l'économie réelle, mais seulement jusqu'à un certain seuil. Le problème est que dans les toutes économies développées ce seuil est dépassé. Cette hypertrophie de la finance pèse désormais sur la croissance. Ce problème est renforcé par l'existence de banques d'une taille telle que les États se trouvent dans l'obligation de les soutenir et donc de subventionner l'hypertrophie de la finance. Cette garantie implicite consiste en une subvention au financement sur les marchés de ces banques systémiques. Cette situation, qui est celle d'un aléa moral favorisant la prise de risque, a pour effet pervers de conduire les banques à se financer davantage sur le marché de gros de la liquidité et donc à accroître leur vulnérabilité au risque de liquidité. Cela est particulièrement grave, car la crise a montré que le risque de liquidité est un risque systémique. La crise est arrivée le 9 août 2007 par une crise de liquidité. Cette crise de liquidité s'est rapidement transformée en crise de solvabilité. Pourquoi ? Parce que lorsque vous avez des banques systémiques qui ont un très gros portefeuille de trading, les pertes enregistrées sur ce portefeuille mangent immédiatement le capital. Il faut alors recapitaliser et ce faisant on rationne le crédit. Les banques universelles systémiques sont particulièrement exposées à ce risque de liquidité, la subvention publique les incitant à déformer leur bilan et à se financer davantage sur les marchés.
On rappellera, que depuis 2011, les banques françaises ont été très demandeuses de fonds publics et ont largement bénéficié des opérations de refinancement à long terme (Long term refinancing operations - LTRO) de la Banque centrale européenne (BCE), juste derrière les banques espagnoles et italiennes.
On évoque souvent la spécificité du financement en Europe continentale, qui dépend moins des financements de marché et est plus orienté vers les prêts. C'est un argument pour ne rien changer.
Le paradoxe, en réalité, est que pour préserver cette spécificité, il faut mener une vraie réforme de la structure des banques. Il faut insulariser la banque commerciale - celle qui gère les dépôts et qui octroie les crédits aux PME et aux ménages - de la banque de marché. Je rappellerai que 22 % des actifs bancaires français sont consacrés au crédit aux ménages et aux entreprises non financières. Ce sont les 78 % restant qui posent problème, qui ont augmenté le plus vite et qui comprennent une large part de dérivés de crédit.
Dans le projet de loi actuel, les dérivés de crédit, du fait de la définition de ce qui constitue une opération utile, ne sont pas du tout touchés par la filialisation. Or, ce sont les dérivés de crédit qui font l'interconnexion dans le système et ont connu une progression totalement déconnectée de l'économie réelle. J'aurais beaucoup de mal à croire que les 750 milliards d'euros de dérivés de crédit qui se trouvent au bilan de BNP-Paribas y sont uniquement pour le financement de l'économie.
Le projet de loi ne répond à ces risques. L'article 1er du projet est à la fois son coeur et son talon d'Achille. Les autres articles seront efficaces seulement si la filialisation est étendue à la tenue de marché, comme le préconise le rapport Liikanen. Il faut une simplification de la structure des groupes bancaires et une autonomie des activités. Une véritable réforme de la structure des banques passe obligatoirement par là et est indispensable pour protéger la communauté nationale des risques que je viens de décrire. Cela est d'autant plus important que la situation des finances publiques ne nous permet plus aujourd'hui faire face à une crise bancaire du type de celle de 2007. La crise de la dette souveraine en Europe est largement le résultat de la crise financière. Nous ne pourrions plus, en l'état actuel, soutenir nos banques universelles. Si nous ne procédons pas à une véritable réforme structurelle, nous pourrons dire que nous avons souffert du syndrome des « Habits neufs de l'Empereur », en référence au conte d'Andersen : le roi est nu, mais personne n'ose le dire. Au moins, je pourrai dire que je l'ai dit devant cette assemblée.
Le travail parlementaire pour amender ce texte va être crucial. En ayant voulu tirer la première et préempter la directive européenne à venir, la France a endossé une responsabilité historique, celle de préserver le projet du rapport Liikanen.
Si, d'ici son vote, le projet de loi n'évolue pas, n'avance pas vers une filialisation plus ambitieuse des activités de marché, il faudra à mon sens enlever de son titre le terme « séparation ». Ce serait sinon une mystification, car il n'y a pas séparation dans la version actuelle de la loi et la crédibilité du législateur s'en trouverait atteinte.