Intervention de Laurence Scialom

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 janvier 2013 : 1ère réunion
Séparation et régulation des activités bancaires — Table ronde

Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Parix X :

Les questions sur « l'utilité » sont de bonnes questions. Comme vient de le rappeler M. de Villeroché, il y a utilité lorsque la contrepartie de l'opération est un client. Mais, en réalité, dans la finance, on travaille toujours avec un client. Une banque peut continuer à élaborer un produit structuré de spéculation, par exemple sur des matières premières agricoles, et le vendre à un hedge fund, c'est-à-dire un client établi aux îles Caïmans. Tout ceci est toujours permis par le projet de loi ! Nous voyons bien que cette définition de l'utilité pose problème.

S'agissant des dérivés, je suis absolument d'accord que la réforme des marchés est un point crucial de la sécurisation de la finance. Seulement, ce n'est pas substituable à la séparation, c'est une mesure complémentaire. D'ailleurs 80 % du marché des dérivés se fait de gré à gré, de manière relativement opaque. Avec le projet de loi, ces opérations resteront du côté de la banque commerciale, y compris sous la dénomination de market making.

En matière de tenue de marché, c'est bien la finalité de l'opération qui importe. La différence entre une activité de tenue de marché et une activité de compte propre réside uniquement dans la finalité de l'opération. C'est d'ailleurs sur ce point qu'achoppe la règle Volcker. Dans les deux cas, il faut des stocks. Actuellement, ces stocks représentent 38 % du bilan des plus grandes banques françaises. Pensez-vous vraiment que la totalité de volume soit nécessaire à la tenue de marché ? Normalement, elle n'engendre pas beaucoup de profits puisqu'elle est juste à l'équilibre. D'évidence, ce pourcentage cache des positions directionnelles. La ligne de démarcation ne peut pas être la simple déclaration de la banque. Le critère est manipulable. La règle Volcker est si délicate à mettre en oeuvre parce que l'on a voulu dissocier les deux. Pourquoi le rapport Liikanen a-t-il voulu que la tenue de marché soit du coté de la filiale ? Exactement pour cette raison : les risques sont les mêmes.

Il a été dit, par ailleurs, que les crises viennent toujours du crédit. Pas toujours. La crise de 2007 est née sur un petit segment du marché du crédit, les subprimes. Elle est devenue un cataclysme international mondial parce que ces crédits ont été titrisés et ont été disséminés dans l'ensemble du monde. La crise aurait dû rester américaine. En réalité, c'est la première crise de l'ingénierie financière. Il faut en tirer les conséquences.

Concernant les hedge funds, le projet de loi interdit à la banque commerciale de leur accorder des prêts non garantis par une sûreté. Le problème est que tous les prêts aux hedge funds sont garantis : on n'interdit une activité qui n'existe quasiment pas. C'est bien la raison pour laquelle le rapport Liikanen propose d'interdire tous les prêts aux hedge funds, qu'ils soient ou non garantis. D'ailleurs, le collatéral est souvent constitué par des titres, dont la valeur s'effondre en cas de crise de liquidité. Ce faisant, la valeur de la garantie devient nulle.

Il convient donc de dissocier les risques de marché des risques portés par la banque commerciale. La séparation est une mesure appropriée à cette fin, complémentaire d'autres réformes.

D'ailleurs, si la séparation était réelle, on pourrait revenir sur les ratios de Bâle III qui pénalisent le financement par le biais du crédit. Autrement dit, le cantonnement des risques permet d'assouplir la réglementation prudentielle sur la banque commerciale. L'Europe pourrait très bien, à l'image des Etats-Unis, ne pas appliquer Bâle III et promouvoir des réformes qui favorisent plus l'investissement et réglementent plus la banque de marché. Bâle III est une usine à gaz parce que l'on a voulu l'appliquer à des banques qui mixaient des activités de crédit et des activités de marché. La séparation permettrait donc de remettre à plat la réglementation prudentielle.

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