Entre-temps, nous aurons pu nourrir notre réflexion des conclusions qui ont été rendues par le groupe de travail.
Des dérogations à la protection du loup sont donc possibles aujourd’hui : en droit international, la convention de Berne, comme la directive « Habitats, faune, flore », prévoit que, pour ce faire, trois conditions doivent être réunies.
Il est important de les rappeler, car la question se posera de savoir si les dispositions contenues dans la présente proposition de loi sont conformes aux règles internationales et à la directive européenne.
Une dérogation est possible quand, premièrement, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante – notamment quand les moyens de prévention mis en place se révèlent inefficaces sur le terrain – ; quand, deuxièmement, la dérogation ainsi mise en œuvre ne nuit pas à la survie de l’espèce sur le territoire ; et quand, troisièmement, sont constatés sur ledit territoire des dommages importants aux cultures ou à l’élevage.
La protection du loup n’est donc pas absolue, et le droit international lui-même offre une certaine souplesse dans le cadre d’une politique de gestion globale de l’espèce.
En droit français, l’article L. 411–2 du code de l’environnement retranscrit cette possibilité de dérogations. Un arrêté du 9 mai 2011 fixe les conditions dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction de loups sont accordées et prévoit qu’un arrêté ministériel fixe chaque année un plafond de tirs de prélèvement au niveau national.
L’éleveur ou le berger peut donc être autorisé à procéder à un effarouchement, puis, si besoin, à un tir de défense à proximité immédiate du troupeau et, si c’est insuffisant, le préfet peut ordonner la réalisation d’un tir de prélèvement du loup.
Ces possibilités de dérogation ne sont malheureusement pas satisfaisantes. Ce constat est dressé tant par nous que par le ministère de l’écologie et le ministère de l’agriculture.
Dès lors, la proposition de loi d’Alain Bertrand répond à cette situation d’échec et, partant, à la nécessité de protéger le loup.
Ainsi, comme l’a souligné notre collègue, 1 415 attaques ont été constatées en 2011, faisant 4 920 victimes, lesquelles ont donné lieu à indemnisation au profit des éleveurs ou des agriculteurs.
Le nombre des attaques sur troupeaux indemnisées en 2011 est très supérieur à celui de 2010, avec une hausse de près de 30 % environ, la plus forte augmentation étant constatée dans la région Provence–Alpes–Côte d’Azur. C’est pourquoi le plan loup a accordé onze prélèvements en 2012 au titre des dérogations destinées à réguler la population des loups et à protéger l’activité agropastorale.
Force est néanmoins de constater que, au 31 décembre 2012, seuls cinq loups ont pu être prélevés sur le territoire national, et, dans ce décompte, il faut relever que deux d’entre eux avaient été abattus dans le cadre du braconnage.
Ne nous méprenons pas, ces onze prélèvements constituent un plafond, et non un objectif, comme nous l’ont rappelé les services du ministère. Il s’agit donc non pas d’un moyen de régulation à proprement parler, mais bien d’une réponse très ponctuelle et, je le répète, insuffisante.
En outre, la présence des loups représente un coût croissant pour l’État, qui indemnise systématiquement les dégâts des grands prédateurs, qu’il s’agisse des loups, des ours ou encore des lynx.
Le système d’indemnisation des dégâts dus au loup, qui a été mis en place dès 1993, est financé par le ministère de l’écologie. Ainsi, après chaque attaque, un constat est dressé par un agent assermenté, dans un délai de quarante-huit heures, le doute profitant à l’éleveur. Sont ainsi indemnisées toutes les victimes de prédations pour lesquelles la responsabilité du loup n’est pas exclue. Les pertes directes et indirectes sont prises en compte.
En 2011, le montant des indemnisations des sinistres s’est élevé au total à 1 548 052 euros, contre 494 255 euros en 2004, ce qui représente plus du triple !
Par ailleurs, les aides à la protection des troupeaux, financées par le ministère de l’agriculture, ont représenté 8 millions d’euros en 2012. D’après les estimations qui m’ont été transmises lors des auditions, les projections sont à la hausse pour les années à venir, s’agissant tant des dépenses en amont que des indemnisations en aval.
Cette proposition de loi vise tout simplement à protéger, dans un cadre équilibré, l’agropastoralisme.
Comme l’a souligné notre collègue, l’agropastoralisme regroupe l’ensemble des activités d’élevage qui valorisent, par un pâturage extensif, les ressources fourragères des espaces naturels, pour assurer tout ou partie de l’alimentation des animaux. Cette activité pratiquée depuis des siècles sur nos territoires l’est de moins en moins aujourd’hui, pour des raisons économiques, certes, mais aussi du fait même de la prédation des loups. Or le maintien d’une activité pastorale permet l’entretien des paysages, contribue à l’attrait touristique des régions et à la conservation d’emplois locaux dans des zones, vous en conviendrez, mes chers collègues, peu industrialisées.
Il existe plusieurs types de pratiques agropastorales, et les mesures de protection contre les loups sont plus ou moins efficaces selon ces pratiques.
Ainsi, le système de protection des troupeaux face au loup a surtout montré son inefficacité dans les estives de moyenne montagne, qui accueillent des troupeaux diffus pour une longue durée. Dès lors, les protections telles que les clôtures, les regroupements de troupeaux, les chiens patous ou encore le recours au gardiennage sont soit impossibles à mettre en œuvre, soit inefficaces.
J’en viens au dispositif juridique de la proposition de loi.
C’est dans cet esprit et dans un contexte marqué par le désarroi profond de nos éleveurs, que notre collègue Alain Bertrand a rédigé sa proposition de loi. Ce texte vise à créer des zones dans lesquelles le prélèvement de loups serait autorisé dans la limite de seuils déterminés spécifiquement pour chaque zone, indépendamment du prélèvement existant déjà au niveau national.
Soyons clairs : il ne s’agit pas d’abattre tous les loups présents sur ladite zone !
Trois critères doivent être cumulés pour faire partie d’une zone d’exclusion pour les loups : le constat de dommages importants aux activités pastorales ; l’inefficacité des mesures de protection des troupeaux – en d’autres termes, l’absence de solutions satisfaisantes pour assurer cette protection – ; et le maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable.
Ce sont les trois critères prévus tant par la convention de Berne que par la directive européenne « Habitats, faune, flore » et par le code de l’environnement pour accorder des dérogations à l’interdiction d’abattre des loups.
Les modalités d’application de l’article unique ne relevant pas du domaine législatif, elles sont renvoyées à un décret en Conseil d’État.
Ainsi que je l’ai dit au début de mon intervention, la commission du développement durable a examiné ce texte le 23 janvier dernier. Dans sa majorité, celle-ci a constaté la réalité du problème de l’articulation entre les activités d’élevage et la nécessaire préservation du loup, ainsi que l’insuffisance des solutions existantes et la nécessité d’apporter une réponse urgente.
Ce texte nous est apparu comme une proposition pragmatique, marquant la volonté de rétablir l’équilibre au profit des activités économiques et sociales, face à la détresse de nombre d’éleveurs dans les régions de haute et moyenne montagne. Il s’agit d’une proposition équilibrée, dont il conviendra en temps utile d’étudier l’articulation avec le plan loup en cours de négociation.
La commission du développement durable a adopté deux amendements visant à clarifier le contenu du texte, sans pour autant remettre en cause son économie générale.
Par amendement, elle a modifié l’intitulé de la proposition de loi, en remplaçant l’expression « zones d’exclusion pour les loups » par les termes « zones de protection renforcée contre le loup ».
Soyons, encore une fois, très clairs : il s’agit non pas d’abattre tous les loups dans une zone donnée, mais bien de permettre une protection renforcée et des prélèvements plus nombreux dans certaines zones, sous la supervision du préfet. C’est la territorialisation, la départementalisation de la problématique.
Par un autre amendement, la commission a précisé que les zones de protection renforcée seront délimitées par arrêté préfectoral. C’est le niveau le plus pertinent pour tracer les contours précis de ces zones et pour les redéfinir année après année en fonction de l’évolution des prédations.
Ainsi, la commission réaffirme fortement la nécessité de préserver la présence du loup en France, en reprenant la formulation utilisée dans la directive « Habitats, faune, flore » de 1992 : les zones de protection renforcée ne pourront « nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, de cette espèce ».
Avant de conclure, je tiens à remercier M. Vall, président de la commission du développement durable, de m’avoir, en mon absence, commis d’office aux fonctions de rapporteur de cette proposition de loi. §
Après avoir cru, dans un premier temps, qu’il s’agissait d’une forme de bizutage réservée au dernier parlementaire arrivé à la commission, je me suis pris de passion pour ce dossier. Je me suis efforcé d’apporter une réponse pragmatique, une « réponse de bon sens », pour reprendre l’expression d’Alain Bertrand, aux questions qui nous étaient posées. Il convenait de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger le loup – comment faire autrement, d’ailleurs, d’un point de vue juridique ? – et la nécessité, non moins impérieuse, de sauvegarder les activités agropastorales. Je pense que le travail réalisé en commission a atteint cet objectif.
Le parlementaire pragmatique, responsable, que j’essaie de devenir, n’a pas trahi l’enfant que j’ai été, et qui, bien souvent, quittait son Aveyron natal pour aller en Lozère admirer les loups du parc du Gévaudan, créé par un grand monsieur de la cause animale et de la cause des loups, Gérard Ménatory.
En conclusion, cette proposition de loi est un texte de protection. Madame le ministre, il est des propos que l’on ne doit plus entendre dans nos territoires. Je pense notamment à la déclaration suivante : « Il faut savoir : veut-on qu’il y ait encore des paysans, des bergers ? […] Une fois, nous avons eu un loup sur le Larzac. Ça s’est terminé ainsi : on a retrouvé le squelette du loup sur un clapas. Personne ne sait ce qui s’est passé.C’est très bien comme ça. »
Ces propos ont été tenus par mon compatriote aveyronnais José Bové, député européen et éleveur sur le Larzac. §