Intervention de Jean-Paul Amoudry

Réunion du 30 janvier 2013 à 14h30
Création des zones d'exclusion pour les loups — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Paul AmoudryJean-Paul Amoudry :

et limité à de fréquentes alertes adressées au Gouvernement pour appeler l’attention sur les difficultés grandissantes causées par l’arrivée, puis l’expansion du loup.

Au-delà de la question, souvent passionnelle, de la cohabitation entre le loup et l’agneau, le débat que nous engageons me semble mettre en évidence une contradiction assez forte entre deux grandes politiques : d’une part, celle qui a été voulue par les pouvoirs publics, en particulier depuis la loi de 1972 relative à la mise en valeur pastorale et, d’autre part, celle qui relève de la protection de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, formalisée par la convention de Berne et la directive « Habitats, faune, flore ».

La loi pastorale de 1972, dont nous avons fêté le quarantième anniversaire l’an dernier, a permis au pastoralisme de s’affirmer comme une opportunité inestimable dans les régions les moins propices à l’agriculture intensive, en particulier en montagne.

En effet, traditionnellement source de richesses et facteur de diversité biologique et paysagère, le pastoralisme vise non seulement à soutenir l’élevage et la production, mais aussi à garantir une gestion équilibrée des éléments naturels – telle la ressource en eau et la protection de la biodiversité –, tout en reconquérant des espaces pastoraux par le soutien aux élevages extensifs. J’emploie le verbe « reconquérir » à dessein, car il fut un temps où, dans ces territoires, l’abandon de l’agriculture était véritablement manifeste et très dommageable.

Ainsi, la réouverture des paysages, par la lutte contre la friche, la prévention des risques d’avalanche par l’entretien de sols – je pense notamment aux Alpes – et l’ouverture des espaces à un public de plus en plus nombreux sont autant de résultats à mettre à l’actif de l’agropastoralisme.

Dans le droit-fil de la loi pastorale précitée, cette politique de long terme a nécessité la mobilisation de financements publics nationaux, européens, régionaux et départementaux, en complément des moyens et des efforts consentis par les propriétaires, les agriculteurs, les communes et leurs groupements.

Les objectifs visés étaient nombreux : aménager des accès et des dessertes, opérer des restructurations foncières et organiser l’alimentation en énergies. Rappelons que les aides européennes accordées aux éleveurs de montagne tendent davantage à compenser un handicap qu’à concourir à l’enrichissement de ces professionnels.

Cependant, cette méritante action collective ne doit pas occulter la fragilité constante de l’activité pastorale, sujette aux aléas climatiques et affectée tant par les handicaps inhérents à la montagne que par le contexte économique défavorable concernant la détermination des niveaux de prix des produits.

De plus, comme si cela ne suffisait pas, la réapparition du canis lupus est venue resserrer d’un cran l’étau des handicaps qui pèsent sur l’activité pastorale.

Dès les premières réapparitions du loup en Haute-Savoie, nous avons exprimé nos plus vives inquiétudes quant à la menace que ce prédateur faisait courir aux élevages extensifs.

En 2002, la mission sénatoriale d’information chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne, dont j’ai eu l’honneur de rapporter les travaux, avait relevé la gravité de cette question dans un rapport adopté à l’unanimité. §

La situation actuelle et le vécu des montagnards depuis le début des années 2000 confirment la justesse de nos pronostics. Les chiffres cités tant par notre collègue Alain Bertrand que par M. le rapporteur et Mme la ministre en apportent l’illustration, et je n’y reviendrai pas.

À mon sens, on ne peut qu’être circonspect sur le sens et la finalité écologique que prétend servir la protection d’une espèce dont les besoins grandissants de subsistance nécessitent des prélèvements croissants sur la faune sauvage, qui vont à l’encontre d’une biodiversité équilibrée, et dont la présence engendre fatigue, stress et agressivité dans des espaces traditionnellement paisibles et ouverts à tous.

Au-delà des pertes d’animaux domestiques et du préjudice économique qui en résulte, prenons conscience du stress auquel sont soumis des troupeaux entiers d’ovins et du sort réservé aux éleveurs, chez qui les réflexes de veille, jour et nuit, sur les troupeaux entraînent fatigue et découragement, certains d’entre eux, que j’ai connus, abandonnant souvent leur activité et se livrant même parfois à des actes de désespoir.

Pouvons-nous accepter l’atteinte ainsi portée à la dignité d’un métier, de ces hommes et de ces femmes qui ont fait avec courage le choix de vivre dans un milieu aux conditions particulièrement difficiles ?

Les pouvoirs publics ont décidé de participer au financement de dispositifs de protection.

Néanmoins, comme les précédents orateurs l’ont déjà souligné, ces moyens de protection ne s’adaptent pas à tous les systèmes d’exploitation et se heurtent à des limites : le regroupement journalier des animaux peut dégrader les pâturages et ainsi favoriser les parasitoses, ce qui nuit à une gestion équilibrée des pelouses.

En outre, la présence de chiens de troupeau engendre aussi de réels problèmes pour la faune sauvage comme pour la fréquentation touristique des alpages, lieux de sérénité et de convivialité.

Au demeurant, est-il besoin d’ajouter que les tirs d’effarouchement sont d’une insigne inefficacité ?

Par ailleurs, en dépit de l’adhésion des éleveurs à ces moyens de protection, les attaques ne cessent d’augmenter, car le loup, animal remarquablement intelligent, s’adapte. Il craint de moins en moins l’homme, et s’approche de plus en plus des habitations – des preuves photographiques peuvent évidemment être fournies.

Enfin, le coût de la protection du loup peut-il être passé sous silence ? Le montant des indemnisations versées aux éleveurs dont les troupeaux ont été attaqués, conjugué au coût des moyens de protection – clôtures, chiens de protection, aides-bergers – s’élève, cela a déjà été dit, à 8 millions d’euros environ.

De surcroît, si l’on prend en compte la mobilisation des services de l’État qui se consacrent au dossier « loup », on estime que, au total, la protection de l’espèce en France entraîne une dépense de l’ordre de 20 millions d’euros par an.

Beaucoup de nos concitoyens s’interrogent, fort légitimement, sur les contradictions qui se font jour, d’une part, entre le soutien financier au pastoralisme et les crédits engagés pour la protection du loup et, d’autre part, entre l’objectif affiché de défense de la biodiversité par la protection de l’espèce et les atteintes causées par cette même espèce à la faune sauvage et, partant, à la biodiversité.

Nous pouvons aujourd’hui regretter que la France n’ait pas émis de réserves en ratifiant la convention de Berne, à l’instar d’autres pays signataires, tels que la Bulgarie, la République tchèque, la Finlande, la Lituanie, la Pologne, la Slovénie, l’Espagne et la Turquie.

De même, contrairement à certains État membres de la Communauté européenne, aucune réserve n’avait été formulée par notre pays sur l’article 12 de la directive « Habitats, faune, flore », qui impose l’instauration d’un système de protection stricte des espèces animales, parmi lesquelles figure le loup.

Ainsi, les populations de loups de certaines contrées d’Espagne, de Grèce ou de Finlande ne sont pas concernées par les dispositions de protection stricte de la directive. Il en est de même sur le territoire du peuple sami, au nord de la Suède, où l’élevage de rennes est roi.

Dans nos massifs français, la population de loups est en constante augmentation, malgré les dérogations à la protection des loups accordées par nos préfets et qui sont encadrées par des arrêtés ministériels fixant chaque année un plafond de tirs de prélèvement.

Ces mesures de régulation s’avèrent insuffisantes. Il convient donc d’envisager un dispositif mieux adapté aux zones où l’élevage extensif est trop gravement impacté.

Sans méconnaître la complexité inhérente au comportement biologique du loup, une définition géographique précise des territoires où la protection s’impose de façon plus efficace est véritablement souhaitable et me paraît possible.

Comme le propose notre rapporteur, il s’agit de territorialiser la problématique ainsi que les solutions apportées et de confier à l’autorité préfectorale le soin de fixer le point d’équilibre entre la préservation du loup, dont la survie n’est pas menacée, et l’agropastoralisme, qui doit rester la priorité sur les territoires.

Comme vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC, dans sa grande majorité, votera cette proposition de loi. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion