… mis un frein à la désindustrialisation et aux délocalisations, depuis l’adoption de cette réforme ? Je crains que la fréquence avec laquelle ces sujets reviennent devant notre hémicycle ne démontre que la situation, loin de s’être améliorée, pourrait même avoir en partie empiré ces dernières années.
Trois ans plus tard, nous nous posons toujours les mêmes questions : comment renforcer la compétitivité et retrouver une croissance durable ? Dans son excellent rapport, remis en novembre dernier, Louis Gallois a d’ailleurs formulé des propositions fort intéressantes à ce sujet. Le Parlement s’est au demeurant prononcé sur certaines d’entre elles, positivement en ce qui nous concerne, monsieur le ministre. Je n’y reviens pas.
En tout cas, la réforme de la taxe professionnelle telle qu’elle a été conduite par la précédente majorité n’était certainement pas, pour la majorité d’entre nous, la panacée. Personne ne croyait d’ailleurs à l’époque, pas même les chefs d’entreprises, qu’en supprimant d’un « coup de baguette magique » la taxe professionnelle nous trouverions le remède miracle aux difficultés de notre économie et à notre déficit de compétitivité.
Comme on le souligne dans le rapport, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale n’ont jamais compté au nombre des préoccupations centrales des entreprises. Les conclusions du rapport sénatorial sont tout à fait claires de ce point de vue : « Il apparaît clairement que la fiscalité, notamment locale, n’est pas déterminante pour les décisions d’implantation, à l’exception de cas bien spécifiques ».
Nous faisons toujours face aux mêmes défis, de manière amplifiée. La réforme a eu des effets positifs, en tout cas reconnus comme tels par les entreprises, mais ceux-ci sont contrastés, comme le souligne très objectivement le rapport de la mission commune d’information, selon les secteurs d’activité. Les entreprises de production semblent être les principales bénéficiaires, même si elles ne sont pas les seules.
Cependant, les allégements résultant du remplacement de la TP par la CET, elle-même composée de la cotisation foncière des entreprises, la CFE, et de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, sont contrebalancés par les impositions nouvelles qui ont été mises en place et par l’augmentation « mécanique » de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés du fait de la suppression de la TP qui réduisait l’assiette de ces impôts acquittés par les entreprises.
Enfin, et nous étions nombreux à le dire à l’époque, les auteurs du rapport ont constaté qu’il est « difficile d’affirmer que la réforme de la taxe professionnelle a davantage favorisé les entreprises soumises au risque de la délocalisation ».
Quelles ont été les conséquences pour l’État de cette réforme ? Tout d’abord, son coût, évalué à 4, 5 milliards d’euros en rythme de croisière, serait, selon les auteurs du rapport, « conforme aux prévisions » et « comparable à celui des précédentes réformes ».
Cela ne les empêche pas de déplorer les possibilités très limitées de suivre les effets de la réforme, et de parvenir à des propositions qui constituent un aveu inquiétant sur les faiblesses de notre démocratie parlementaire, puisqu’ils demandent au Gouvernement de « fournir régulièrement au Parlement une série d’indicateurs précis permettant d’apprécier objectivement les effets de la réforme »…
Enfin, outre le renforcement de la compétitivité des entreprises, l’autre objectif principal de la réforme de la taxe professionnelle était de simplifier la fiscalité locale. Est-elle plus simple aujourd’hui ? Poser la question, c’est déjà malheureusement y répondre.
Les collectivités locales, et cela nous inquiète chaque jour davantage, monsieur le ministre, sont dans le plus grand flou quant aux conséquences de cette réforme, dont les différents éléments prennent effet progressivement. Il s’agit, pour nos collectivités locales, d’une véritable bombe à retardement.
Un exemple récent illustre le flou dans lequel les collectivités doivent prendre des décisions : il s’agit de la fixation de la cotisation minimale de CFE, la contribution foncière des entreprises. La mission d’information préconisait déjà dans son rapport que « l’État place au rang de priorité l’assistance des communes sur ce sujet difficile ». Cela a donné lieu à bien des errements, suscité des difficultés et obligé les collectivités à procéder à des votes successifs et contradictoires.
Les conseils municipaux et les instances délibérantes des établissements publics de coopération intercommunale ne disposaient d’aucune simulation lorsqu’ils ont délibéré pour fixer cette cotisation minimale au titre de 2012. Les montants ainsi adoptés ont pu conduire à des augmentations brutales d’imposition pour de nombreuses entreprises, TPE et PME.
Ce qui est certain, c’est que le principe de l’autonomie fiscale des collectivités a été très fortement dégradé par la réforme de la taxe professionnelle. Cette dégradation a pris des proportions différentes d’une collectivité à l’autre.
Outre l’atteinte portée à l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, cette réforme a aussi conduit à une « re-centralisation » de fait, à travers un renforcement de la dépendance des collectivités à l’égard des dotations de l’État.
La principale conséquence pour les collectivités territoriales, monsieur le ministre, a été une très grande incertitude sur leurs ressources et une exposition plus importante aux aléas de la conjoncture. À titre d’exemple, selon le rapport, 87 % des ressources des régions évolueraient « selon une dynamique incertaine », car, d’une part, le produit de la CVAE risquait de stagner dans le contexte économique actuel – nous l’avions dit, nous le constatons – et, d’autre part, le produit des IFER, les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux, était assis sur des assiettes non indexées sur l’inflation.
Cette indexation a été adoptée voilà moins d’un mois, en particulier grâce à la détermination de notre rapporteur général, François Marc.
Ces conséquences nous inquiètent particulièrement en tant que représentants des collectivités locales, monsieur le ministre, car la réforme de la taxe professionnelle a renforcé les inégalités entre les collectivités territoriales, sans être pour autant l’occasion de la mise en place de dispositifs de péréquation véritablement justes et efficaces pour compenser les effets qui se font aujourd’hui pleinement sentir.
Monsieur le ministre, les effets du mode de péréquation sur les inégalités territoriales sont décrits en page 83 du rapport. La constatation qui y est faite ne peut que nous inquiéter. Il apparaît que « la CVAE est concentrée, à hauteur de 32, 8 % au sein de la région Île-de-France, alors que cette région représentait seulement 13, 3 % de l’ancienne taxe professionnelle ».
« À compter de l’année 2011, la région Île-de-France bénéficiera pleinement de la croissance de 100 % du produit de CVAE présent sur son territoire. »
Un tel constat ne laisse pas de nous inquiéter, surtout en termes de péréquation.
Pour conclure, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur les propositions faites par le rapporteur et par la mission commune d’information, en particulier sur les objectifs en matière de péréquation ?
La suppression de la taxe professionnelle a amplifié la demande de nos collectivités locales. À cet égard, mais il est inutile d’insister, les annonces récentes et les votes intervenus à l’Assemblée nationale nous inquiètent particulièrement.
J’aimerais donc connaître votre opinion, monsieur le ministre, sur le problème particulièrement prégnant soulevé à juste titre par le rapporteur et les membres de la mission commune d’information. Nos questions appellent des réponses de votre part.