Intervention de Romano Prodi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 février 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Romano Prodi envoyé spécial des nations unies pour le sahel

Romano Prodi, envoyé spécial des Nations unies pour le Sahel :

Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis très honoré d'être parmi vous pour évoquer la tâche, difficile, qui est la mienne. Quand le Secrétaire général de l'ONU m'a désigné comme son représentant spécial pour le Sahel, je lui ai dit que je n'étais pas un expert de cette région. Il m'a répondu que justement il voulait un regard extérieur.

J'étais le 10 janvier à Bamako, journée que je qualifierai de « post-moderne » tant il était impossible de comprendre ce qui s'y passait réellement. Derrière une apparente « normalité », le Président de la République malienne nous a informés qu'en quelques heures le pays pourrait s'effondrer faute d'aide internationale. J'observe d'ailleurs aujourd'hui un consensus très large autour de l'intervention française.

J'ai fait des déplacements dans plusieurs pays : l'Egypte, l'Algérie, le Maroc, le Sénégal, la Chine, en plus des États de la région sahélienne et de leurs voisins. Ce que je constate partout, c'est un authentique rejet du terrorisme, qui s'exprime unanimement. Cela m'incite à dire qu'il faut préparer très vite une solution politique pour résoudre la crise malienne, car ce type d'unanimité, rare, est aussi fugace.

Naturellement, des réserves s'expriment, notamment dans la presse, naturellement, certains pays comme l'Égypte du Président Morsi ont exprimé des réserves, mais l'accord est très large.

Le premier problème que je vois est celui d'un risque d'exportation de la crise malienne, en particulier vers la Libye, compte tenu de la mobilité des terroristes, et du manque de gouvernance dans ce pays.

Le deuxième problème, et non le moindre, est celui du développement. Les indicateurs placent le Mali dans les pays les moins avancés du monde. Parallèlement, la croissance démographique est très forte, avec un âge médian à 18 ans, contre 40 en Europe. Les agences de l'ONU, qu'il s'agisse de l'aide aux réfugiés ou de l'aide à l'enfance, mettent régulièrement en avant les forts taux de mortalité infantile. L'urgence est de préparer le développement, un développement qui ne doit pas se limiter au Mali, mais qui doit être régional, compte tenu des économies d'échelle à atteindre, de la situation particulière de ces économies, de leurs agricultures. Il faut donc un plan de développement partagé par tous les pays de la zone.

Pourtant, on peut être plus optimiste qu'il y a dix ans pour les pays d'Afrique. La croissance ne se limite plus désormais aux pays qui disposent de ressources naturelles. Regardons l'Ethiopie, ou l'Egypte, par exemple. Avec une aide au développement intégrée, la croissance suivra. Je ne suis pas pessimiste. Il nous faut pour cela coordonner, mais aussi rassembler, et je pense à la société civile, aux leaders religieux, aux femmes...Il nous faut coordonner à quatre niveaux : au sein de la communauté internationale, entre gouvernements de la région, au sein du système des nations et pour rassembler la société civile. Je travaille à rassembler toutes les énergies pour régler les questions de sécurité, de gouvernance, les questions humanitaires et de développement. Concrètement, ce projet de développement doit venir de la société civile et ne pas être piloté d'en haut par l'ONU, mais bien au contraire émerger à partir des visions locales. Je travaille actuellement avec la Haute Représentante Lady Ashton et Mme Bachelet pour organiser une conférence sur les femmes du Sahel, pour exploiter leur potentiel, leur expérience et leur sagesse. Il nous faut chercher ensemble une meilleure organisation de nos moyens financiers, nous permettant d'avoir tout le monde « à bord ». Il existe des réticences à déléguer la gestion de l'aide à des structures multilatérales, car certains pays veulent garder la possibilité de gérer directement les projets financés. Je veux expliquer que nous avons intérêt à ce que le Sahel soit un champ de coopération, pas un champ de bataille.

Les organisations régionales, au premier rang desquelles l'Union africaine, doivent être mobilisées pour développer toutes les coopérations possibles. Il nous faut développer la coopération intra-africaine.

Les priorités de mon action sont l'agriculture, les infrastructures et l'énergie. Je suis aussi à votre écoute pour entendre vos propositions pour appuyer ce travail difficile mais nécessaire et capitaliser sur l'unité qui existe aujourd'hui dans la communauté internationale.

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