Merci de votre invitation. Nous souhaitons que la navette parlementaire permette au Sénat de jouer pleinement son rôle. La présentation précipitée de ce texte n'a pas permis de procéder aux consultations nécessaires ; ainsi, le Conseil national de l'adoption n'a pas eu le temps de rendre un avis sur le fond. Nous souhaitons que tous les points de vue des experts soient rendus publics. Par exemple, l'audition du Défenseur des droits à l'Assemblée nationale n'a pas été retransmise, alors qu'il soulignait des manques s'agissant des droits des enfants...
L'UNAF regroupe 700 000 adhérents autour de 22 unions régionales et 99 unions départementales. La loi lui confie la charge de représenter les 17 millions de familles françaises ; c'est à ce titre qu'elle est consultée sur ce projet de loi qui, contrairement à ce que laisse penser son intitulé, va bien plus loin que l'ouverture du mariage aux couples de même sexe.
Le mariage comporte des conséquences sur l'adoption et la filiation. Le Défenseur des droits l'a bien noté : « Contrairement à la question de l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe, qui relève de la seule responsabilité du Gouvernement et du Parlement, la question des enfants, de l'adoption et de la filiation, doit s'inscrire dans le cadre des obligations internationales souscrites par la France. La procédure suivie pour l'élaboration du projet de loi qui vous est soumis présente à cet égard une évidente lacune. En effet, l'étude d'impact qui accompagne le projet ignore totalement la convention internationale des droits de l'enfant. Pas une page, pas une ligne ne lui est consacrée. »
Il est impossible de dissocier le mariage de la filiation.
Ce projet de loi touche toutes les familles parce qu'il se trouve à la croisée de plusieurs droits : droits des adultes, droits des femmes, droits des enfants, droit des pères, droits des mères...Tous ces droits pris séparément ont leur légitimité, mais quand ils viennent en concurrence, il faut choisir.
La majorité de l'UNAF est favorable à l'ouverture de nouveaux droits aux couples de même sexe, mais la majorité de son conseil d'administration considère qu'elle doit prendre une autre forme que le mariage ; à une très forte majorité, elle est opposée au recours à l'aide médicale à la procréation (AMP) pour les personnes de même sexe et, a fortiori, à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA).
Comment ouvrir de nouveaux droits aux personnes homosexuelles ? Choisir le mariage, c'est choisir la filiation, car le mariage est un tout. Pour nous, la réponse n'est ni dans le mariage ni dans le Pacs. Elle réside dans l'union civile, qui permet l'ouverture de droits sociaux et patrimoniaux et l'officialisation de l'union en mairie. Celle-ci, à notre grand regret, a été évacuée en quelques lignes dans l'étude d'impact, qui indique même que les associations familiales se sont montrées « résolument opposées » à ce dispositif. Nous avions dit le contraire ! Pourtant, c'est la solution appliquée en Allemagne où a été créé un « partenariat de vie » qui confère des droits sans assimilation au mariage ; seule l'adoption de l'enfant biologique du partenaire est possible, permettant aux deux membres du couple d'exercer conjointement l'autorité parentale sur l'enfant. L'UNAF s'est d'ailleurs prononcée majoritairement pour l'adoption simple de l'enfant du conjoint dans le cadre d'une union civile. Une adoption plénière, nous l'avons dit dès les premières consultations ministérielles, remettrait en question la filiation adoptive pour tous les couples et l'unicité d'un lien maternel et d'un lien paternel pour l'enfant.
Ce projet de loi ouvre à la parenté : dès lors se pose la question de l'ouverture à l'AMP et à la GPA. Le Président de la République nous a indiqué il y a quinze jours qu'un projet de loi sur la famille serait présenté et qu'il saisirait le comité consultatif national d'éthique. Pour l'UNAF, si les accidents de la vie peuvent priver un enfant d'un de ses parents, la loi ne doit pas priver volontairement dès sa conception un enfant de père ou de mère : l'AMP revient à confectionner des enfants sans père, la GPA revient à priver les enfants de leur mère. L'UNAF souhaite donc limiter strictement l'accès à l'AMP et maintenir l'interdiction de la GPA. Ces questions doivent faire préalablement faire l'objet d'Etats généraux organisés par le comité consultatif national d'éthique.
L'AMP pour les couples homosexuels serait contraire à l'article 311-20 du code civil qui prévoit une double filiation : une mère et un père ; elle serait contraire au principe d'ordre public qui interdit l'établissement d'un double lien de filiation maternelle. Quant à la GPA, elle correspond à une marchandisation du corps humain contre laquelle il faut toujours lutter.
La réforme du mariage est, en fait, la porte d'entrée d'une réforme qui ne dit pas son nom : celle de la parenté, comme le reconnaît d'ailleurs l'exposé des motifs. Avec les amendements balais, les termes de « père » et « mère » ont été maintenus à l'Assemblée nationale. Selon le Président de la République, l'UNAF aurait convaincu sur ce point. Il faudra toutefois les interpréter par le mot de « parents » pour les couples homosexuels. On peut s'interroger sur la conformité aux objectifs constitutionnels de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ...
Quel rapport entre la norme juridique avec le réel quand « père et mère » peuvent désigner indifféremment un homme et une femme, deux femmes ou deux hommes ? L'article 4 du projet de loi exclut le titre VII du livre Ier relatif à la filiation du champ de la réforme ; ce titre comprend notamment la présomption de paternité, pour laquelle les termes de « père » et « mère » seront d'interprétation stricte. Quelle cohérence à désigner par des termes identiques deux réalités dans le même code ?
Dans le titre VII, l'article 310 consacre le principe fondamental de l'égalité entre tous les enfants, naturels ou légitimes. Cette égalité vaut également entre enfants issus d'une filiation adoptive ou biologique. Or, le projet de loi se limiterait aux seuls enfants issus de couples hétérosexuels ...
La question de l'état civil n'est toujours pas résolue. Le nouveau texte ne modifie pas l'article 34 du code civil, la garde des Sceaux ayant précisé que ce point serait traité par décret. Pour l'heure, donc, pas de désexualisation explicite de l'état civil. En apparence seulement, car malgré nos demandes répétées, nous n'avons pas obtenu d'éclaircissements. A partir du moment où la réforme avalise l'existence de couples parentaux formés de deux mères ou de deux pères, cela aura des conséquences. Pour légiférer en connaissance de cause, le Parlement doit avoir communication des décrets d'application ; les parents de même sexe auront-ils un livret de famille spécifique ?
Quant une femme accouche, sauf sous X, elle est désignée comme mère ; si sa compagne adopte son enfant, celle-ci sera-t-elle désignée comme parent ou comme seconde mère ? La mère restera-t-elle mère ou deviendra-t-elle parent ?
Ce projet de loi remet également en cause les droits de la mère : il aménage la majoration de la durée d'assurance accordée au titre de l'incidence sur la vie professionnelle de la naissance, de l'éducation ou de l'adoption ; pour les couples de même sexe, il y a un partage égal pour les trimestres non liés à l'accouchement ; pour les couples de personnes de sexe différent, l'attribution de la totalité de trimestres à la mère. Il n'y a donc plus égalité de traitement entre les mères biologiques selon qu'elles vivent avec un homme ou une femme. La question se pose également pour l'assurance maternité.
Enfin, le projet de loi modifie pour tous les règles de dévolution du nom de famille. Jusqu'à présent, l'enfant prend par défaut le nom de son père. Le projet de loi prévoyait que les enfants adoptés prendraient les noms de leurs deux parents, dans l'ordre alphabétique ; afin d'éviter une rupture entre filiation biologique et filiation adoptive, l'Assemblée nationale vient d'étendre ce changement à toutes les familles. Cette transformation majeure n'a fait l'objet d'aucune étude préalable et n'a pas sa place dans ce texte ; nous demandons au Sénat de revenir sur ce point.
Cette réforme soulève donc de nombreuses interrogations non résolues ; nous vous remerciant pour votre écoute.