Je voudrais remercier la commission d'avoir confié ce rapport législatif à son rapporteur spécial.
Notre commission a décidé de se saisir de l'article 7 du projet de loi, qui organise la répercussion de l'éco-taxe poids lourds. Cet article n'entre pas dans le champ des lois de finances car il ne modifie ni le taux, ni l'assiette, ni les modalités de recouvrement de l'éco-taxe.
Seulement, pour que cette taxe soit véritablement écologique, il faut qu'elle soit facturée au véritable bénéficiaire de la route qui n'est pas le transporteur, mais son client, le chargeur. C'est ce que l'on a appelé la « répercussion », qui n'est que la traduction du principe « pollueur-payeur ».
L'éco-taxe, dont l'entrée en vigueur théorique est fixée au 20 juillet, c'est aussi un enjeu financier de près d'1,2 milliard d'euros pour l'Etat et les collectivités territoriales. Elle s'appuie sur un mode de recouvrement entièrement nouveau et automatisé. A bien des égards, c'est une taxe du XXIe siècle !
L'éco-taxe française s'inscrit dans le cadre européen de « Eurovignette », dont l'objectif est de supprimer les distorsions de concurrence entre les transporteurs des différents pays. Elle fait figure de précurseur des exigences européennes les plus récentes, notamment en matière environnementale. La Commission européenne observe néanmoins de près sa mise en oeuvre et veille à ce qu'elle ne se révèle pas désavantageuse pour les transporteurs étrangers. Ce point est très important pour l'organisation du recouvrement.
Ce type de taxes se propage par capillarité dans toute l'Union européenne.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2005, l'Allemagne applique une taxe poids lourds sur son réseau autoroutier. Quasi-immédiatement, plusieurs milliers de poids lourds se sont reportés sur le réseau routier alsacien et en particulier, sur l'axe Nord-Sud (A 35), établi en parallèle d'une autoroute allemande et qui est gratuit.
Notre ancien collègue député Yves Bur avait donc proposé la mise en oeuvre d'une taxe expérimentale limitée à l'Alsace, équivalente à la taxe allemande, afin de mettre fin à ce report de trafic. Elle a été votée début 2006. Seulement, il est rapidement apparu que la taxe alsacienne ne suffirait pas à traiter un problème plus vaste.
Le Grenelle de l'Environnement a donc décidé d'élargir l'éco-taxe à l'ensemble du réseau routier national non concédé. Cette disposition est inscrite dans le projet de loi de programmation « Grenelle I » et traduite par l'article 153 de la loi de finances pour 2009.
L'éco-taxe poursuit quatre objectifs :
- assurer la couverture des coûts d'usage du réseau routier, qui s'opère par le paiement de la taxe proprement dit ;
- réduire les impacts environnementaux du trafic routier de marchandises, en réduisant la demande de transport routier ; c'est l'objet de la répercussion ;
- financer la politique de développement intermodal des transports ;
- et dégager de nouvelles ressources pour financer les infrastructures.
Ces deux derniers points relèvent de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) à laquelle l'éco-taxe est affectée.
L'assiette de la taxe sera le nombre de kilomètres parcourus sur le réseau routier concerné par un poids lourd de plus de 3,5 tonnes - contre 12 tonnes en Allemagne - , à laquelle un taux moyen de 12 centimes d'euro par kilomètre sera appliqué. Le recouvrement de la taxe constitue le principal défi puisqu'il doit s'effectuer sur un réseau de 15 000 kilomètres parcourus par 800 000 poids lourds dont 250 000 véhicules étrangers. Outre les transporteurs, seront également redevables de la taxe ceux qui transportent des marchandises pour eux-mêmes - les « comptes propres » - dont, mes chers collègues, les collectivités territoriales peuvent faire partie.
La carte du réseau taxable - 10 000 kilomètres de réseau national non concédé en métropole et après accord des collectivités, 5 000 kilomètres de routes locales - figure sur le site du ministère de l'écologie. Quant au barème définissant le taux de la taxe, il obéit à plusieurs critères : le poids des véhicules, leur nombre d'essieux et leur caractère plus ou moins polluant défini par les normes EURO. A ce jour, elles vont de EURO 0 à EURO VI. La majorité de la flotte est constituée plutôt par des camions EURO V et à compter du 1er janvier 2014, tous les véhicules neufs obéiront à la norme EURO VI. Le Gouvernement devrait proposer de ne pas pénaliser la norme EURO IV car elle est encore fortement représentée parmi les PME, qui renouvellent moins régulièrement leur flotte.
Si le taux moyen s'établit à 12 centimes d'euro par kilomètre, ce chiffre varie de 6,8 à 19,6 centimes. Enfin les poids lourds circulant en Bretagne ainsi qu'en Aquitaine et Midi-Pyrénées bénéficient de réductions respectives de 40 % et 25 %, du fait du caractère périphérique de ces régions.
Compte tenu de l'étendue du réseau, le recouvrement est automatisé, chaque véhicule devant disposer d'un équipement embarqué permettant un suivi par satellite. Les informations seront ensuite transmises à un centre de traitement des données qui liquidera l'impôt auprès du transporteur. 173 points de contrôles fixes et 130 bornes déplaçables seront installés et les agents des douanes et des forces de l'ordre seront dotés de boîtiers de contrôle comparables à ceux utilisés pour le contrôle de la vitesse.
La complexité des systèmes nécessaires au traitement des données a conduit l'Etat à recourir à un prestataire privé. L'appel d'offres a été remporté par la société italienne Autostrade per l'Italia associée à Thales, SFR, Steria et à la SNCF au sein du consortium Ecomouv'. Le contrat de partenariat avec l'Etat a été signé pour une durée de 13 ans et 3 mois, dont 21 mois de déploiement et 11,5 années d'exploitation.
Il confie au prestataire le financement, la conception, la réalisation, l'exploitation et la maintenance de l'ensemble des équipements de recouvrement et de contrôle, la formation des agents de l'Etat, l'information des redevables français et étrangers ainsi que la responsabilité de la bonne diffusion des équipements embarqués, accessibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 sur n'importe quel point du territoire et disponibles dans 420 points de distribution en France et à l'étranger. Le centre d'appels d'Ecomouv', installé à Metz prendra des communications dans six langues et la distribution des boîtiers pourra également être assurée par des sociétés habilitées de télépéage (SHT) afin - à la différence de l'Allemagne - de favoriser l'interopérabilité des systèmes des différents pays européens. Les transporteurs bénéficieront d'un abattement d'éco-taxe de 10 %, s'ils recourent à une SHT puisque cette dernière portera le risque financier du paiement de la taxe en lieu et place d'Ecomouv'. On estime que 70 % à 80 % des transporteurs devraient s'abonner ainsi.
L'Etat n'a cependant pas abandonné ses prérogatives puisque le prestataire est soumis au contrôle étroit de la direction générale des douanes. Ecomouv' a ainsi reçu une « commission » - c'est le terme utilisé par la loi - de la part de l'Etat.
Pour mener à bien sa mission de contrôle et d'audit du prestataire, la direction générale des douanes a créé un service dédié, le service taxe poids lourds (STPL), également installé à Metz qui emploie environ 130 agents. En particulier, seul le STPL aura la possibilité d'engager une transaction ou l'exécution d'un recouvrement forcé. La sanction d'un manquement sera juridiquement effectuée par la Douane, quand bien même ledit manquement serait relevé par les systèmes informatiques d'Ecomouv'.
Sur le terrain, la douane sera également en première ligne pour effectuer les contrôles des transporteurs et assurer la crédibilité de la taxe.
Si Ecomouv' doit être prêt à collecter la taxe le 20 juillet 2013, la date effective de mise en service sera fixée sur décision ministérielle. Quant à l'expérimentation alsacienne, elle n'a jamais été formellement abandonnée et devait voir le jour trois mois avant l'éco-taxe nationale. J'estime, comme l'ensemble des interlocuteurs que j'ai pu rencontrer, qu'elle n'a désormais plus de sens et que l'entrée en vigueur du dispositif devrait plutôt être précédée d'une expérimentation nationale à blanc, c'est-à-dire sans perception de la taxe, qui pourrait débuter au mois de juin.
Autre argument en faveur de l'abandon de la taxe alsacienne, la taxe nationale devrait elle-même faire l'objet d'un report de quelques semaines comme Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, l'a clairement laissé entendre lors de son audition devant la commission du développement durable la semaine dernière. Les professionnels préfèrent notamment que le dispositif ne soit pas instauré pendant la période estivale et le ministre ne souhaite pas mettre en place un service qui ne soit pas absolument sûr. J'ai pu lire dans la presse que le lancement pourrait être repoussé au 1er octobre. Ce serait un bon compromis qui priverait cependant l'AFITF d'une partie de ses recettes. En effet, pour l'Agence qui devrait percevoir en année pleine 760 millions d'euros - sur une recette totale de 1,2 milliard d'euros - le report au 1er octobre établirait la recette pour 2013 à environ 70 millions d'euros contre les 235 millions d'euros initialement prévus.
Par ailleurs, 160 millions d'euros seront reversés aux collectivités territoriales et 280 millions d'euros, dont au 50 millions au titre de la TVA, à Ecomouv'.
La rémunération du prestataire est élevée : environ 20 % de la taxe collectée. J'estime cependant que ce choix était opportun, compte tenu de l'ampleur de l'opération. L'entreprise sélectionnée à l'issue d'un appel d'offres dans lequel le coût a constitué un critère important, est soumise à nombre élevé d'obligations et a déjà réalisé plusieurs centaines de millions d'euros d'investissements alors que l'Etat n'a pas encore déboursé un centime.
J'en viens maintenant au problème de la répercussion de l'éco-taxe du transporteur vers le chargeur. Elle ne traduit pas seulement un élément essentiel du caractère écologique de la taxe, elle répond aussi à une nécessité économique, compte tenu de la faiblesse du secteur du transport routier, dont la marge nette se situe autour de 1,5 %.
Si son principe est simple à énoncer, son application pratique demeure un casse-tête plus de quatre ans après le vote de la loi de finances pour 2009. Le prix d'une prestation de transport tient en réalité fort peu à l'itinéraire emprunté, puisqu'un poids lourd peut emporter des marchandises pour le compte de plusieurs chargeurs, s'arrêter en cours de route pour charger ou décharger ou encore revenir à vide.
Les conditions dans lesquelles s'effectue le transport routier rendent quasiment impossible une répercussion à l'euro près de l'éco-taxe acquittée. Le système est donc complexe : l'éco-taxe porte sur le réel et la répercussion est forfaitaire. Or, le forfait est une source d'iniquité, soit que le transporteur répercute plus qu'il ne paye, soit l'inverse.
Le précédent gouvernement avait proposé, par un décret du 4 mai 2012, publié le 6 mai 2012, des modalités de répercussion. Ce système a été unanimement critiqué à la fois par les transporteurs, car trop complexe, et par les chargeurs, qui l'ont même attaqué devant le Conseil d'Etat. Pour ces derniers, il présentait l'inconvénient de ne leur offrir aucune visibilité a priori sur le coût de la répercussion.
Le décret sera abrogé à compter du vote de l'article 7 du projet de loi, qui établit la répercussion sur des bases différentes. Le transporteur appliquera un taux de majoration au prix hors taxes de la prestation de transport. Ce taux, défini par arrêté ministériel, sera fonction de la région de chargement et de déchargement, et calculé en fonction de la densité du réseau taxable dans chaque région.
Il existe donc vingt-deux taux régionaux, pour les cas où le poids lourd se déplace à l'intérieur d'une seule région, et un taux national, de l'ordre de 4,4 %.
Le nouveau système est mieux accueilli par les transporteurs, qui sont rassurés par ce cadre légal, simple et dont les taux de majoration prennent en compte les charges administratives induites par l'éco-taxe, comme la formation du personnel ou l'adaptation des logiciels. Ils trouvent le taux national de 4,4 % peu élevé et proposent de retenir 5,1 % ou 5,2 % pour mieux tenir compte de leurs frais de gestion.
Il est vrai que cette majoration de prix est problématique. Ainsi, le taux de la Lorraine sera de 5,3 % et celui de l'Alsace de 6,3 %, mais un transport entre les deux régions se verra appliquer le taux national de 4,4 %. A l'intérieur même d'une région, le réseau taxable est plus ou moins dense selon les départements.
Cependant, à la lumière des propositions faites auparavant, c'est probablement le système le moins mauvais de tous, car c'est le plus opérationnel, et ses imperfections sont le prix à payer pour sa simplicité et sa facilité d'utilisation.
Le taux de majoration n'a pas vocation à reproduire fidèlement l'éco-taxe poids lourds acquittée par le transporteur. Le Gouvernement ne parle d'ailleurs plus de répercussion mais de majoration de prix. Ce glissement sémantique montre que la majoration de prix est en partie déconnectée de l'éco-taxe payée par le transporteur.
En outre, les transporteurs sont lucides : ils savent bien que la majoration de prix n'éliminera pas la discussion commerciale. L'éco-taxe oblige chargeurs et transporteurs à trouver un nouvel équilibre dans leurs relations financières. Dans ce cadre, la négociation commerciale gardera toute sa place. Néanmoins, les transporteurs estiment que la loi les protège et leur donne une arme supplémentaire dans le cadre d'un rapport de forces parfois tendu.
Je préconise d'établir une commission nationale de suivi, à l'image de celle que prévoyait le décret de mai 2012, et de mettre à disposition des transporteurs un outil Internet de simulation de l'éco-taxe acquittée sur un parcours, permettant d'objectiver la discussion entre transporteurs et chargeurs.
Enfin, au lieu d'instaurer la taxe poids lourds en Alsace dès le 20 avril, je suggère la mise en place d'une expérimentation à blanc, c'est-à-dire sans paiement de la taxe, à l'échelle nationale.