Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme en témoigne la discussion depuis le début, il faut permettre coûte que coûte le développement des activités économiques et de l’entreprise individuelle par ceux que vous appelez les « auto-entrepreneurs », si l’on se réfère à la terminologie en vogue pour l’examen de ce projet de loi.
Dans la société que nous prépare cette loi libérale aveugle et forcenée, les solidarités de classe doivent s’effacer derrière l’individualisation et la marchandisation des rapports humains à tous les niveaux.
Il s’agit ici de faire en sorte que nos nouveaux entrepreneurs, en l’occurrence des salariés ou des retraités exerçant des activités non salariées accessoires, soient dégagés du maximum de contraintes. Donc, pas d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, mais une simple formalité de déclaration d’activité.
Nous entrons là dans un champ intéressant d’innovation juridique ! Si l’on suit le raisonnement fixé, il s'agit de mettre au jour au mieux des activités externalisables, au pire des activités jusqu’ici occultes.
Permettez-moi de citer à ce propos le rapport de l’Assemblée nationale sur ce texte. « La dispense d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés doit permettre un allégement sensible des formalités pesant sur les personnes physiques exerçant une activité commerciale de complément, même s’il faut observer que les frais de greffe et d’affiliation aux assemblées consulaires liés à l’inscription au registre du commerce et des sociétés dont les intéressés seront donc dispensés restent actuellement plutôt réduits.
« La mesure prévue devrait permettre de “voir apparaître”certaines activités aujourd’hui occultes. Quant au montant de chiffre d’affaires annuel imposant l’immatriculation, il devrait être compris entre 50% et 100 % du plafond de micro-imposition. »
Cette fine observation nous montre par l’exemple ce à quoi va conduire cette loi.
N’étant inscrits sur aucun registre, les commerçants, artisans et indépendants à titre accessoire visés par l’article seront certes dispensés des contraintes inhérentes à l’inscription au registre du commerce et des sociétés, notamment en matière fiscale, encore que l’on peut se demander si ces contraintes constituent le frein le plus important au développement de l’activité…
Mais le même article prive aussi de nombreux droits les personnes visées. Non inscrites, elles ne voteront donc ni aux élections des chambres de commerce ni à celles des chambres de métiers. Elles seront aussi privées du droit à la formation et à l’audit de la viabilité de leur activité qui, fût-elle accessoire, nécessite pourtant analyse.
Vous me répondrez plus précisément sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, mais, aux dernières nouvelles, ces personnes n’étant pas enregistrées, elles seraient à la fois libérées de certaines contraintes et privées de certains droits, car c’est ainsi qu’il faut l’entendre.
Ce constat me conduit à exposer quelques-uns des motifs fondamentaux pour lesquels nous refusons cette mesure.
En développant une catégorie de travailleurs indépendants sans devoirs ni droits, on ouvre la porte à bien des abus, dont le moindre ne sera pas de leur demander, alors qu’ils sont par ailleurs salariés ou retraités, d’exercer, y compris pour le compte de leur employeur, un certain nombre de tâches externalisées.
Vous offrez là, quoi qu’on en dise, monsieur le secrétaire d’État, un filon presque infini à tous les directeurs de ressources humaines qui cherchent à mettre en œuvre un plan social en dissimulant au mieux des licenciements secs.
Demain, il sera possible de mettre en préretraite un salarié âgé, tout en lui demandant, dans le cadre d’une activité dite accessoire, de continuer à travailler pour l’entreprise qui l’aura « gentiment » mis au rebut.
Demain, il sera possible d’exiger d’une hôtesse de caisse d’un supermarché, contrainte au temps partiel imposé, d’effectuer, à titre accessoire, de menues prestations administratives ou comptables, depuis son propre appartement, au bénéfice de l’enseigne qui l’emploie !
Demain, encore, il sera possible de demander à un salarié de jouer, en sus de ses horaires de travail normaux, le rôle d’agent commercial indépendant, en lui laissant la faculté de travailler à temps partiel et de consacrer une journée par semaine à cette activité.
Ce que vous encouragez avec cet article 3, monsieur le secrétaire d’État, c’est une société des bas salaires, de la précarité généralisée, alors que les patrons des plus grandes entreprises du pays se gobergent sans vergogne de stock-options et de bonus salariaux les plus divers.
Mme Patricia Russo, nantie de l’indemnité de départ qui lui a été versée par Alcatel, n’aura sans doute pas besoin de faire jouer l’article 3 pour améliorer sa retraite ! Elle n’aura pas besoin de faire du porte-à-porte pour vendre des boîtes en plastique ou des parfums à ses amies d’enfance ou à ses voisins, comme vous y incitez la majorité des salariés de ce pays, qui sont les victimes des bas salaires que toute votre politique encourage !