Madame le président, madame le ministre, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la loi du 19 juillet 1881 constitue l’un des nombreux symboles de notre République. D’ailleurs, il ne viendrait à l’idée de personne d’en contester les bienfaits démocratiques. Ainsi, en ces temps où l’on se donne pour principe de dénoncer les lois « bavardes », les lois « fragiles », qui ne résistent pas à un changement de majorité, c’est avec beaucoup de respect et d’humilité que j’évoque un texte qui fait honneur à la nation et à ses représentants.
Nous pouvons être fiers de cette loi, non pas uniquement parce qu’elle constitue le socle fondateur de la liberté de la presse, mais aussi – et c’est un point non négligeable – parce qu’elle emporte la protection de l’ensemble des citoyens en définissant les responsabilités de la presse française.
En effet, cette loi, qui a fait basculer la réglementation de la presse du régime préventif au régime répressif, préserve la liberté d’expression de tous débordements tels que l’offense, l’atteinte à l’honneur, la diffamation, la discrimination raciale, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er juillet 1972, ou la discrimination sexuelle, depuis l’adoption de la loi du 4 octobre 2004.
C’est d’ailleurs de ces deux dernières incriminations qu’il est question dans le présent texte. En effet, cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 22 novembre 2011, vise à harmoniser les délais de prescription institués par la loi du 29 juillet 1881 pour la poursuite des propos racistes ou xénophobes, d’une part, et pour celle des propos discriminatoires à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap de la victime, d’autre part. Alors que la poursuite des propos racistes ou xénophobes est prescrite après une période d’un an, la poursuite de propos discriminatoires à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap de la victime n’était plus recevable après une période de trois mois.
C’est pourquoi il est opportun de proposer d’instaurer un délai de prescription commun d’un an pour les deux types d’infraction, afin de concilier le droit de chacun d’exprimer ses opinions librement et celui d’obtenir justice pour les victimes de propos injurieux ou diffamatoires.
Une telle harmonisation se justifie d’autant plus que les sanctions pénales sont équivalentes. Cette incohérence résulte, en fait, de la loi du 9 mars 2004, qui avait prévu la répression des délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence commis à l’encontre de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, sans modifier l’article 65-3 du code pénal afin de procéder à l’alignement des délais de prescription avec ceux qui sont prévus en matière de lutte contre les discriminations raciales.
Par ailleurs, le choix d’un alignement sur le délai le plus long se justifie, quant à lui, par la difficulté d’identifier les auteurs d’infractions sur Internet, qui empêchait la justice d’agir à temps.
En effet, un délai inférieur ne donnerait pas aux autorités de police le temps nécessaire pour recueillir les éléments indispensables à la poursuite des délits visés par la loi de 1881, car le caractère transfrontalier et anonyme des sources rend parfois compliquée l’identification des auteurs, notamment sur Internet.
Telle est ici la question principale. Dans bien des cas, en effet, les contenus diffusés ne sont pas le fait de journalistes ou de professionnels de l’information, soumis au contrôle d’un directeur de la rédaction et encadrés par des règles de déontologie.
Je tiens à saluer les propos tenus par Mmes Benbassa et Goulet. J’accepterais bien volontiers de participer à la mission d’information ou à la commission d’enquête dont elles demandent la création, afin que nous puissions élaborer ensemble un dispositif permettant de réguler l’expression sur Internet. Imaginez ce qui se serait passé pendant la Seconde Guerre mondiale si Internet avait existé : le travail de la Gestapo aurait été facilité…
Enfin, l’examen de ce texte en commission aura permis de le coordonner avec la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Il est logique de procéder à cet aménagement, puisque nous avions pris soin de condamner les incitations aux crimes terroristes.
Ainsi, en adoptant cette proposition de loi, nous permettrons de préserver, au-delà du droit de la presse, ce qu’il y a de noble dans le métier de la presse : l’information et le débat.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement que nous soutenions avait pris soin de ne pas donner un champ trop large pour les délits de discrimination portant sur le sexe ou l’orientation sexuelle, afin de ne pas viser toutes les distinctions opérées entre les personnes physiques, ce qui aurait ouvert la voie à de nombreuses revendications susceptibles de constituer une réelle entrave au débat public.
Ce texte ne se limite pas à cela.
Tout d’abord, il vise non plus le seul métier de la presse, ou tout au moins la presse de métier, mais tous ceux qui souhaitent exprimer librement et ouvertement leur opinion et qui, de fait, doivent être soumis aux mêmes obligations que celles s’imposant aux professionnels.