Séance en hémicycle du 7 février 2013 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire.

Monsieur le ministre, des négociations décisives, portant sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, se tiennent aujourd’hui et demain à Bruxelles. De l’accord qui sera trouvé – demain, j’en suis sûr ! – dépend le prochain budget de la politique agricole commune. Dans ces conditions, on comprend l’inquiétude qui sourd dans les territoires ruraux.

Il y a deux jours, à Strasbourg, le Président de la République a confirmé que la PAC allait « voir ses crédits diminuer par rapport aux propositions de la Commission européenne », et que « cela engendrera nécessairement des restructurations difficiles dans un secteur essentiel pour nos territoires ».

Monsieur le ministre, quelles seront ces « restructurations » ?

La PAC doit rester une politique forte et équilibrée. Je le rappelle, notre agriculture, qui représente 20 % de l’espace agricole européen, est la première de l’Union.

Mais, au-delà de ces chiffres, la nouvelle PAC devra s’attacher à privilégier les filières les plus en difficulté – et elles le sont de plus en plus –, qui sont aussi celles qui rendent le plus de services aux territoires, en termes d’aménagement du territoire et de développement durable. À ce titre, l’élevage devra faire l’objet d’une attention ciblée, tout comme les territoires de l’hyper-ruralité, pour lesquels l’activité agricole est une question de survie économique.

Monsieur le ministre, le contribuable européen ne comprendrait pas – et il aurait raison ! – que l’on aide de la même façon un céréalier, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

M. Alain Bertrand. … qui gagne, en moyenne, plus de 70 000 euros par an, et un éleveur bovin, qui dégage à peine 15 000 euros de bénéfices par an, en moyenne, alors qu’il concourt davantage, je le redis, à l’aménagement du territoire et à la biodiversité, à laquelle vous savez, mes chers collègues, que je suis très attaché.

Sourires sur certaines travées du RDSE. - On crie : Au loup ! sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

C’est pourquoi la prochaine PAC devra mettre en place des soutiens spécifiques. Il est indispensable de rééquilibrer les aides à l’hectare – on nous en parle depuis un moment déjà… – entre productions végétales et productions animales, en faveur de ces dernières. Il y va, ni plus ni moins, de l’avenir de l’élevage dans notre pays.

Privilégier le financement des cinquante premiers hectares, comme vous en avez l’intention, monsieur le ministre, est une excellente initiative. Cependant, il convient, là encore, d’établir les différences qui s’imposent et de privilégier le soutien aux surfaces fourragères. Cela doit aller de pair avec l’obtention d’une convergence nationale de l’aide de base, un paiement de base distinct entre surface fourragère et non fourragère, ainsi qu’une forte augmentation des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les fameuses ICHN, dont le montant stagne depuis de nombreuses années.

Monsieur le ministre, je terminerai mon intervention par quelques questions. Quelles sont les positions de la France dans les négociations en cours? De quelles informations disposez-vous sur les critères qui seront finalement retenus pour définir la nouvelle PAC ? Pouvez-nous rassurer en nous confirmant que les éleveurs seront mieux aidés et les céréaliers un peu moins

Oh ! sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

, ce qui entrerait dans le cadre de la politique souhaitée par le Président de la République, une politique de justice ?

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, chargé de l’agroalimentaire

Monsieur le sénateur, c’est en effet au moment où s’ouvre au Sénat cette séance de questions d’actualité au Gouvernement que débute également le sommet européen, qui viendra donner – espérons-le – un budget à l’Europe pour la période 2014-2020.

Vous m’interrogez sur la politique agricole commune. Nous l’avons dit et répété, le Président de la République en tête, la PAC ne peut pas, ne doit pas être la variable d’ajustement du budget européen.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

Lors du discours, d’ailleurs très applaudi, qu’il a prononcé lundi au Parlement européen, François Hollande, le Président de la République, a rappelé son attachement au socle des politiques européennes que sont à la fois la politique de cohésion et la PAC.

Nous défendons plusieurs principes pour la PAC.

Le premier principe est extrêmement important. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, la PAC doit être plus juste. L’idée serait de pouvoir réorienter les aides en faveur des régions d’élevage, qui seraient majorées pour les cinquante premiers hectares. Cette majoration se ferait donc au bénéfice direct des éleveurs.

Le deuxième principe est tout aussi important que le premier. Nous voulons, en effet, une PAC plus respectueuse de l’environnement. C’est ce que l’on appelle le « verdissement » de la PAC. Nous avons énoncé un objectif : ce verdissement doit être ambitieux, et doit représenter 30 % du budget du premier pilier. Là aussi, le changement serait considérable.

Au-delà, il me semble important de redire l’ambition qu’a la France de revenir sur la logique libérale de la PAC.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

M. Guillaume Garot, ministre délégué. Nous avons montré le chemin, nous avons posé des actes.

M. Jean Bizet proteste.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

Le premier d’entre eux fut le maintien des droits de plantation. Rappelez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que leur suppression avait été acceptée par la précédente majorité.

Protestations et dénégations sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

Nous avons obtenu que le maintien de ces droits de plantation soit reconnu à partir de 2015. C’est essentiel pour l’ensemble des viticulteurs de France.

Nous travaillons également à la stabilisation du marché du lait.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

Ce point est tout aussi important pour rassurer les éleveurs et les producteurs de lait, dont nous voulons qu’ils puissent regarder l’avenir avec confiance, même après la fin des quotas laitiers, en 2015.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre ambition pour l’Europe et pour la PAC est grande.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

M. Guillaume Garot, ministre délégué. La PAC doit être légitime aux yeux de tous les citoyens et de tous les agriculteurs. C’est pourquoi nous voulons qu’elle reconnaisse la diversité de l’agriculture française et soutienne le travail de tous nos agriculteurs.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé du budget.

Monsieur le ministre, alors que l’année 2013 s’annonce comme la plus difficile pour nos compatriotes confrontés à la crise, l’heure devrait être au rassemblement, afin de relever les vrais défis de notre pays, qui sont, avant tout, de nature économique.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Alors, pourquoi nous parlez-vous d’autre chose ?

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Les réformes sociétales que le Gouvernement met en place sont-elles la priorité des Français qui souffrent ? Rien n’est moins sûr !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

C’est bien vous qui avez déposé 5 000 amendements à l’Assemblée nationale !

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Parmi les vrais sujets figure le financement des collectivités locales.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Les dotations versées par l’État devraient, à ce qu’il semble, de nouveau diminuer.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

La presse s’en est fait l’écho : un effort financier supplémentaire considérable, de 1, 5 milliard d’euros, serait imposé d’ici à 2015 pour financer une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Cela représente un doublement du montant prévu par la loi de programmation que nous venons de voter, qui prévoyait 750 millions d’euros par an en 2014 et 2015.

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste

Vous ne l’avez pas votée !

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

En tout, 10 milliards d’euros d’économies seront à trouver d’ici à 2015 pour financer ce crédit d’impôt, dispositif complexe, dont l’efficacité est mise en doute par les patrons de PME.

Bien sûr, les collectivités territoriales doivent participer à l’effort de redressement des finances publiques, mais elles doivent le faire dans de justes proportions.

Or nous n’en sommes plus là ! Est-ce cela, le « pacte de confiance et de solidarité » conclu entre l’État et les collectivités territoriales ?

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe Ump

Non !

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

La menace est brandie d’une lourde répercussion sur le fonctionnement des collectivités, qui devront payer la facture du changement des rythmes scolaires, notamment, …

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

... et sur les investissements, en particulier communaux.

Maire de Calais, …

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

… ville de 75 000 habitants qui luttent face à la crise, je suis inquiète et me fais le porte-parole de tous ces territoires qui souffrent, mais veulent s’en sortir, et attendent surtout d’être soutenus.

Alors, monsieur le ministre, puisque vous placez le mot de « confiance » au cœur de vos relations avec les collectivités, pouvez-vous nous expliquer précisément quelles sont les véritables intentions du Gouvernement en ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement, la dotation de développement urbain, la dotation de solidarité urbaine et la prime d’aménagement du territoire ?

Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget

Madame la sénatrice, je vous confirme que, dans les politiques publiques qu’il met en œuvre, le Gouvernement a deux priorités : la première est le redressement des comptes publics ; la seconde est la restauration de la compétitivité de nos entreprises, qui s’est effondrée, on le sait, ces dix dernières années.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Je vous rappelle que notre commerce extérieur en 2011 fut déficitaire de 70 milliards d’euros, quand il était excédentaire encore en 2001.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Ce ne sera pas mieux avec vous, ce sera même pire !

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Madame la sénatrice, vous savez l’effort que l’État consent pour mettre en œuvre la politique de redressement des finances publiques. Nous en avons abondamment discuté dans cet hémicycle, lors de l’examen des différentes lois de finances. Il a semblé légitime au Gouvernement, ainsi, semble-t-il, qu’à une très grande majorité d’élus locaux, que les collectivités territoriales contribuent à cet ajustement, en proportion de leur responsabilité dans cet endettement.

Vous le savez, l’endettement du pays s’élève à 1 700 milliards d’euros environ, dont la responsabilité incombe pour 80 % à l’État, pour 10 % à la protection sociale et pour 10% également aux collectivités territoriales.

Ainsi, demander aux collectivités territoriales de fournir un effort correspondant à 10 % de l’effort global paraît juste et légitime. J’en veux pour preuve, d’ailleurs, que bien peu d’élus locaux, où qu’ils siègent, notamment sur ces travées, ont protesté

Exclamations sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Un tel effort est juste, car proportionnel à la responsabilité des collectivités locales dans l’endettement du pays.

Notre seconde priorité est le rétablissement de la compétitivité de nos entreprises. La mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi nécessite de dégager une dizaine de milliards d’euros d’économies.

M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Pour l’instant, aucune décision n’est prise, mais il est envisagé de demander aux collectivités de participer à cet effort, tant il est vrai que l’ensemble des territoires bénéficieront des progrès de compétitivité des entreprises rendus possibles par la richesse, l’emploi et les investissements ainsi créés

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

L’annonce devrait en être faite, le cas échéant, lors du prochain comité des finances locales, comme c’est l’usage. Je ne puis vous en dire davantage aujourd'hui, d’autant qu’aucune décision n’a été prise à ce jour.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. En revanche, je vais d’ores et déjà vous préciser – je parle sous le contrôle de mes collègues Marylise Lebranchu et Anne-Marie Escoffier, que je salue l’une et l’autre – ce que le Gouvernement n’annoncera pas lors de ce comité. Il ne reprendra pas ce qui figurait dans le programme de l’UMP aux élections législatives : un effort supplémentaire de 10 milliards d’euros demandé aux collectivités territoriales !

Vifs applaudissementssur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. –

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Protestations sur les travées de l'UMP.) Nous avons toujours considéré qu’une telle idée était tout à fait excessive et déraisonnable.

Mme Natacha Bouchart s’exclame.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Vous protestez, madame la sénatrice ? Je vous comprends. Imaginez que vos amis politiques aient remporté les élections. C’est probablement la mort dans l’âme que vous auriez dû accepter les décisions du gouvernement que vous auriez alors soutenu.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Les collectivités locales n’auraient pas pu assumer l’effort tout à fait insupportable de 10 milliards d’euros qui leur aurait été demandé sans une hausse de la fiscalité, ce à quoi, j’en suis certain, vous vous seriez refusée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Vous ne serez pas invité à Calais, monsieur le ministre !

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, madame la sénatrice.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Vous savez donc maintenant ce que le Gouvernement n’annoncera pas.

Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour préciser quelle serait la part des collectivités locales dans l’effort de restauration de la compétitivité des entreprises, une compétitivité bien mise à mal par les politiques publiques qui ont été menées au cours des dix dernières années !

Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – M. Roger Karoutchi proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, mais je vois que c’est M. le ministre du redressement productif qui s’apprête à me répondre.

Au mois de septembre dernier, le Président de la République a déclaré se donner quinze mois pour inverser la courbe du chômage.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Six mois plus tard, un premier bilan s’impose.

Chacun le sait, le chômage frappe désormais toutes les familles en France et concerne plus de trois millions de personnes. Et que fait le Gouvernement face à ce drame ?

Les emplois d’avenir ? Soit ! Les contrats de génération ? Pourquoi pas ? Passe encore pour les commissaires au redressement productif. Mais vous aurez beau énumérer toutes ces mesures et annoncer des chiffres invérifiables

M. David Assouline proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

, vous ne nous proposerez, dans le meilleur des cas, que la perspective d’une économie administrée, à grand renfort de contrats aidés, tout en jetant – c’est probablement cela le pire – l’opprobre sur les entreprises, qui constituent pourtant le seul moteur de la croissance.

Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le ministre, nous n’avons pas les moyens d’une politique des années quatre-vingt. Nous savons tous que les deniers publics manquent cruellement. Et c’est d’ailleurs avec une grande inquiétude que nous avons pris connaissance de l’effort supplémentaire de 5 milliards d’euros auquel les collectivités territoriales seront appelées.

Nous n’avons pas non plus le temps de nous raconter des histoires. L’heure n’est plus à rejeter la faute sur vos prédécesseurs.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Mariage, modes de scrutin, droit de vote des étrangers, statut du chef de l’État, autant de questions qui, permettez-moi de vous le dire, apparaissent comme de plus en plus décalées quand la colère sociale gronde. Et vous le savez bien !

On ne termine pas ses fins de mois avec des promesses de lendemain qui chantent.

Monsieur le ministre, quand on ne sait pas de quoi demain sera fait, quand on ne sait pas si l’on conservera son emploi, quand on ne sait pas si ses propres enfants trouveront un travail, ne pensez-vous pas que l’urgence réside dans le retour des sujets économiques et sociaux ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

M. François Zocchetto. L’urgence n’est-elle pas dans la restauration de notre compétitivité et dans le soutien de notre industrie, plutôt que dans la division des Français sur des sujets sociétaux ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Et qui a déposé plus de 5 000 amendements à l’Assemblée nationale ?...

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

M. François Zocchetto. Et puisque vous voulez parler de sujets sociétaux, ne croyez-vous pas que le véritable sujet de société aujourd'hui, c’est le chômage ?

Approbations sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Quand allez-vous enfin réaliser ce vrai choc de compétitivité que le pays attend ? Quand allez-vous enfin adopter la seule solution réaliste ? Je sais qu’il existe des divergences de vues au sein de votre gouvernement, mais la seule solution réaliste, c’est bien la baisse directe des charges des entreprises compensée par une TVA sur les produits importés.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. le ministre du redressement productif.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

Monsieur le sénateur, le Gouvernement considère en effet que le chômage – vous le soulignez à juste titre – est le principal problème de notre pays, avec tous les risques économiques qu’il fait peser sur notre pays.

Je voudrais d’ailleurs vous en apporter la démonstration. Nonobstant les 5 000 amendements que vos amis ont déposés et l’agitation parlementaire que vous vous plaisez à entretenir sur des questions qui vous paraissent pourtant mineures, nous avons pris un certain nombre de décisions importantes.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

C’est le sens de l’arbitrage du Premier ministre dans le pacte de compétitivité. Cinq mesures fiscales ont été stabilisées, et pour cinq ans, mesdames, messieurs les sénateurs.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Cela n’avait jamais fait l’objet d’un quelconque engagement de la part de nos prédécesseurs.

Nous avons, et c’est un fait historique

Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

D’ailleurs, aujourd'hui, avec OSEO, nous rendons praticable et utilisable ce crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dont je suis certain qu’il va faire beaucoup de bien dans les TPE, les PME et même les grandes entreprises françaises, des entreprises qui souffrent aujourd'hui du fait de la réduction de leurs marges.

Très bien ! sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

En outre, nous avons adopté une mesure d’unité nationale, qui devrait vous réjouir. Je fais ici référence au crédit d’impôt recherche, qui a été inventé par Jean-Pierre Chevènement, amplifié par Nicolas Sarkozy et sanctuarisé par François Hollande. §Il est à la disposition des petites et moyennes entreprises.

Comme je n’en suis pas à accuser mes prédécesseurs, j’aimerais vous faire part des chiffres qu’un institut public de recherches vient de publier sur la désindustrialisation de notre économie. Au cours des trois dernières années, 1 087 usines ont fermé et des centaines de milliers d’emplois industriels ont été détruits, mesdames, messieurs les sénateurs.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

M. Arnaud Montebourg, ministre. Certes, chacun a sa part de responsabilité.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Mais, à présent, il nous faut prendre le taureau par les cornes.

Alors, oui, nous menons une politique d’endiguement, en faveur d’un grand nombre d’outils industriels et de savoir-faire technologiques, pour aider des entreprises qui risquent, sinon, de disparaître dans la tornade !

Vous semblez négliger le rôle des commissaires au redressement productif. Pour ma part, je veux leur rendre hommage. Tous ceux qui siègent dans cet hémicycle, quelle que soit leur sensibilité politique, font appel aux commissaires au redressement productif en cas de sinistre dans leur département. Et ils ont raison de le faire ; je ne peux que les y encourager. En tout cas, ce dispositif permet de sauver des emplois. Permettez-moi à cet égard de citer le sénateur Jean Arthuis, dont la sensibilité est, me semble-t-il, proche de la vôtre, monsieur Zocchetto.

Il faut dire que, à Château-Gontier, dans la Mayenne, avec le commissaire au redressement productif, nous avons sauvé l’entreprise Arféo, spécialisée dans la réalisation de panneaux pour la fabrication de meubles de bureau, qui s’est désormais transformée en société coopérative ouvrière de production.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

M. Arnaud Montebourg, ministre. Et que déclare M. Arthuis à la presse locale ? S’il était au départ dubitatif, il admet à présent que le redressement productif, cela fonctionne, monsieur Zocchetto !

Bravo ! et applaudissementssur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Ma question s’adresse à Mme la ministre du commerce extérieur.

Madame la ministre, selon les chiffres du commerce extérieur pour 2012, qui sont tombés ce matin, le déficit de notre balance commerciale a fortement reculé, pour s’établir à 67 milliards d’euros, contre 74 milliards d’euros l’an dernier.

Ce résultat est d’autant plus remarquable qu’il est porté par la réduction presque de moitié de notre déficit hors énergie, qui passe de 29 milliards d’euros à 15 milliards d’euros.

Alors que la croissance européenne reste atone et que la facture énergétique s’est alourdie, de tels chiffres soulignent l’amélioration de notre compétitivité.

En effet, nos exportations ont progressé de 3, 2 % et, surtout, le nombre d’entreprises françaises qui exportent a fortement augmenté. Et si certains secteurs, comme l’automobile, sont dans une situation difficile, beaucoup d’autres se sont montrés très performants. Je pense, par exemple, à l’aéronautique, qui a réalisé 20 milliards d’euros d’excédents.

Cette embellie est donc un signal très positif pour la France. On le voit, le Gouvernement agit de manière cohérente, au service de notre économie, conformément aux engagements du Président de la République.

Madame la ministre, vous avez vous-même inscrit votre action dans une stratégie de renforcement de notre présence à l’international reposant sur une réforme des financements à l’export et sur l’identification des secteurs porteurs pour nos entreprises.

Cette stratégie s’appuiera sur la Banque publique d’investissement, la BPI, et mobilisera tous les acteurs locaux, à travers la mise en place des plans régionaux d’internationalisation des entreprises.

Nos entreprises savent donc maintenant qu’elles peuvent enfin compter sur un gouvernement qui agit de manière claire et efficace pour renforcer leur compétitivité.

Madame la ministre, les chiffres du commerce extérieur de 2012 montrent donc que nous sommes sur la bonne voie. Dans ces conditions, ma question est simple : quelles actions le Gouvernement entend-il mener pour renforcer cette tendance positive, alors que 2013 s’annonce comme une année difficile ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE . – M. André Gattolin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme la ministre du commerce extérieur.

Debut de section - Permalien
Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur

Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, le déficit commercial de la France s’est réduit. Toutefois, il s’établit tout de même à 67 milliards d’euros !

Debut de section - Permalien
Nicole Bricq, ministre

Si donc le signal est plutôt bon, il reste beaucoup à faire.

Je rappelle en effet que M. le Premier ministre m’a fixé pour objectif de parvenir à un équilibre de la balance commerciale hors énergie d’ici à la fin du quinquennat. En d’autres termes, il nous faut gagner environ 26 milliards d’euros.

Nous n’allons donc pas nous arrêter en chemin.

Comme vous l’avez souligné, nous avons obtenu des résultats très satisfaisants dans ce que l’on appelle les « grands contrats », à commencer par l’aéronautique. Nous avons livré 1 200 aéronefs, ce qui est, je crois, un record historique pour l’aéronautique française.

Nous n’aurons sans doute pas les mêmes résultats chaque année, même si nous pourrions le souhaiter, dans la mesure où cela a tout de même permis 10 000 créations d’emploi dans la filière aéronautique. C’est donc un enjeu important.

Mais nous devons également œuvrer pour le développement du commerce courant, qui représente le « gros » de la balance commerciale. Je pense aux PME, aux PMI et aux entreprises intermédiaires. Hier, au Salon des entrepreneurs, j’ai indiqué que 150 millions d’euros seraient mobilisés en faveur des entreprises exportatrices et durablement exportatrices. Ces fonds seront pris sur le programme FSI France investissement et mis à disposition de CDC Entreprises.

Nous devons également avoir, me semble-t-il, des financements compétitifs. Nous avons commencé à travailler en ce sens l’année dernière. Il faut continuer. Avoir des fonds propres, cela signifie avoir des capacités d’investir et d’innover. Et qui dit « innover » dit aussi « exporter ».

Au demeurant, et c’est une nouveauté intéressante, dans une Europe en difficulté, le commerce s’oriente vers les pays qui sont des relais de croissance. On constate ainsi une progression de 13 % du commerce avec l’Asie. Nous nous occupons donc beaucoup de ces terres plus lointaines géographiquement et plus éloignées de nos références traditionnelles, mais où les entreprises françaises sont présentes, réussissent et veulent réussir.

M. le Premier ministre et moi-même nous déplaçons beaucoup dans des pays qui ne font pas partie de notre « jardin naturel ». J’étais en Chine voilà quinze jours, et le Président de la République s’y rendra au mois d’avril ou au mois de mai. Le chef du Gouvernement s’est rendu à Singapour et aux Philippines. Cette semaine, j’étais avec lui en en Thaïlande. Je me rendrai prochainement en Indonésie et au Vietnam.

Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - Permalien
Nicole Bricq, ministre

Ce sont des terres de conquête pour nous, mais nos entreprises y sont déjà très présentes.

La leçon à en retenir, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est que le déficit n’est pas une fatalité ! Nous devons retrousser nos manches et poursuivre l’action entreprise.

Je vois aussi ce qui se passe sur le terrain. Pour m’être rendue dans onze régions - j’étais encore à Marseille la semaine dernière §– je sais que les entreprises sont mobilisées et que les entrepreneurs sont entreprenants et conquérants. Il faut les aider du mieux possible. C’est le rôle de l’État, qui doit fixer un cap, une stratégie et des priorités d’action.

J’observe également, et c’est très positif, que notre offre commerciale est parfaitement en phase avec les besoins de certains pays en croissance. Alors, allons-y, et allons-y tous ensemble !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Ma question s'adresse à Mme la ministre des droits des femmes.

Madame la ministre, hier, 6 février, c’était la Journée internationale contre les mutilations génitales féminines.

La lutte contre ces crimes que constituent l’excision, l’infibulation ou toute autre mutilation génitale dont sont victimes les femmes, jeunes filles et petites filles, nous concerne toutes et tous. Pour mener efficacement ce combat, il est avant tout nécessaire qu’il soit visible, notamment dans cet hémicycle.

Ces pratiques inacceptables concernent plus de 135 millions de femmes dans le monde. Cette situation dramatique concerne directement la France, où le nombre de femmes excisées est estimé à 50 000.

Il me semble indispensable de rappeler que ces combats se mènent depuis des années dans plusieurs pays en Afrique, en Indonésie et ailleurs, grâce au courage de femmes exceptionnelles qui se mobilisent en vue de l’éducation des filles et qui luttent aussi contre « l’économie de l’excision ».

Nous devons comprendre que les ressortissants des États concernés sont, plus que jamais, mobilisés contre ces tortures. Les discours de Thomas Sankara contre l’excision sont bien connus. Plus récemment, le musicien et interprète ivoirien Tiken Jah Fakoly chantait « Non à l’excision ! Ne les touchez plus, elles ont assez souffert ! »

Femmes, hommes, chefs d’État, tous s’impliquent donc dans cette lutte nécessaire.

Je citerai, par exemple, le Protocole de Maputo, signé le 11 juillet 2003 par cinquante-trois chefs d’État de l’Union africaine et dont l’article 3 dispose que les mutilations génitales féminines doivent être interdites et sanctionnées.

Je tiens à saluer ici l’immense travail qu’accomplit en France depuis trois décennies le GAMS, le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants, notamment en matière de prévention et d’information. Il mène aussi et surtout un combat judiciaire, ayant permis de faire progresser à la fois les esprits et notre droit.

À l'échelon international, diverses résolutions ont été prises par l’ONU sur ce « problème de santé publique prioritaire », comme ce fut également le cas, à l'échelon communautaire, par le Parlement européen.

Enfin, le Conseil de l’Europe appelle à une attention particulière pour les demandes d’asile liées au genre. Sa Convention dite « d’Istanbul », du 5 mai 2011, consacre son article 38 à la lutte contre les mutilations génitales féminines.

Madame la ministre, j’apprécie et j’encourage évidemment votre engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et plus particulièrement sur ces questions. Pour autant, quelles nouvelles initiatives le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour accompagner ce mouvement en faveur de la lutte contre les mutilations génitales féminines ? Quand la France ratifiera-t-elle la Convention d’Istanbul et procédera-t-elle aux adaptations préalables nécessaires en droit pénal français ?

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme la ministre des droits des femmes.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Madame la sénatrice, vous avez raison de le souligner, plus de 100 millions de femmes à travers le monde sont victimes de cette pratique barbare, intolérable, violente, dangereuse, pour laquelle aucune justification culturelle ou religieuse ne peut être avancée.

Nous devons d'abord nous réjouir du fait que, le 20 décembre dernier, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution pour en finir une fois pour toutes avec cette pratique et s'en donner enfin les moyens. Sachez que la France a compté pour beaucoup dans ce combat qui est mené depuis des années et qu’elle reste mobilisée aux côtés du Secrétaire général des Nations unies.

Regardons aussi ce qui se passe sur notre sol. La France est l'un des premiers pays à avoir saisi ce sujet à bras-le-corps, dès 1983, notamment grâce à l'action du GAMS, que vous avez eu raison de citer et auquel il faut rendre hommage, madame la sénatrice. Oui, notre pays est l’un des premiers à avoir jugé et condamné les familles responsables des mutilations sexuelles féminines. Je rappelle que, dans notre code pénal, l'excision, qu'elle ait été commise en France ou à l'étranger, est un crime, jugé donc en cour d'assises.

Nous comptons renforcer encore la sanction prévue pour ces faits.

Le Gouvernement vient d’élaborer un projet de loi visant à adapter notre droit pénal aux dispositions de la convention d'Istanbul. Ce texte a été très récemment adressé au Conseil d'État et sera présenté en conseil des ministres d'ici à la fin de ce mois. Il sera ensuite sans délai présenté au Parlement et déposé sur le bureau de votre assemblée. Il prévoit en particulier de faire de l'incitation à subir une mutilation sexuelle féminine une infraction autonome. Ce sera un progrès supplémentaire.

Mais, au-delà du droit et de la vertu dissuasive des grands procès, c'est la qualité de la prévention qui fera reculer ces pratiques. C'est pourquoi nous devons toujours plus informer les populations les plus exposées, en particulier lorsqu'elles s'apprêtent à se rendre à l'étranger. Le Gouvernement y travaille.

Il faut également veiller à ce que ces cas d'excision soient détectés le plus précocement possible, afin de pouvoir intervenir à temps, notamment pour protéger les filles qui sont dans l'entourage des victimes signalées.

Le Parlement a déjà amélioré la loi pour que le secret médical ne s'oppose plus à ce que les médecins signalent les infractions de ce type.

Les professionnels de la protection maternelle et infantile jouent un rôle absolument majeur dans cette action de prévention. Les pays étrangers suivent de très près leur travail et nous envient ces structures. Cette participation doit se poursuivre. Il faut en particulier veiller à ce que, dans le cadre de la formation qui sera conduite par l'Observatoire national des violences faites aux femmes qui vient d'être mis en place, l'excision et les mutilations sexuelles féminines soient considérées comme des violences à part entière. Ce sera le cas.

Je veux enfin insister sur l’importance de l'après. La France compte des professionnels qui, comme Pierre Foldes, sont spécialisés dans la réparation des dommages causés par l’excision. Cela permet de dire aux victimes que leur souffrance n'est pas définitive.

Madame la sénatrice, le meilleur service à rendre aux victimes est de les faire parler et de parler de ces pratiques. Alors, comme le Gouvernement s'apprête à le faire, soutenons l’initiative du collectif « Excision, parlons-en ! » qui va se dérouler tout au long de l’année 2013.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Respect des tarifs opposables, non-discrimination pour les soins, qualité des personnels médicaux et paramédicaux : nos hôpitaux sont les fleurons de notre système de santé.

Pourtant, madame la ministre, mis à mal par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », imposée par Nicolas Sarkozy, que nous avions combattue ensemble, fragilisés par la convergence tarifaire et victimes d’un mode de financement similaire à celui qui est pratiqué dans les cliniques commerciales, nos hôpitaux subissent aujourd’hui une situation économique et financière insupportable.

L’insuffisance de l’évolution de leurs crédits et la baisse des tarifs prévue cette année leur imposeront une contrainte financière telle que, selon la Fédération hospitalière de France, cela aboutira à la suppression de 35 000 emplois ! Ce sont autant de femmes et d’hommes en moins, pourtant indispensables pour accueillir, orienter, soigner les patients ou leur apporter toute la sécurité dont ils ont besoin. Ce seront également autant de fermetures d’établissements, d’hôpitaux, de maternités de proximité, telles celles de Marie-Galante ou de Vire, accroissant de fait les inégalités territoriales en matière de santé.

Madame la ministre, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, nous vous avions fait part de nos craintes, considérant que les moyens mobilisés pour les hôpitaux publics étaient insuffisants. Aujourd’hui, les élus locaux, qui rejettent en nombre les schémas régionaux d’organisation des soins ou émettent pour le moins d’importantes réserves, mais aussi les personnels, les représentants des hôpitaux publics et les collectifs qui défendent les hôpitaux de proximité partagent notre analyse.

Dans l’intérêt du service public de la santé, dans l’intérêt de nos concitoyennes et concitoyens, il est temps de rompre avec les logiques libérales imposées par le précédent gouvernement. Pourquoi ne pas instaurer, par exemple, un moratoire sur la fermeture des hôpitaux et cliniques de proximité et sur les restructurations qui découlent de la loi HPST ? Pourquoi ne pas stopper la tarification à l’activité ?

Madame la ministre, vous nous avez annoncé un pacte de confiance pour l'hôpital. Aujourd'hui, les actrices et acteurs du secteur attendent des actes. Quelles mesures urgentes et pérennes entendez-vous prendre pour assurer un financement de l’hôpital public à la hauteur des besoins ?

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Madame David, vous qui êtes présidente de la commission des affaires sociales, vous savez combien la France peut être fière de ses hôpitaux publics. Oui, les Français peuvent s’honorer de l'engagement de celles et ceux qui, au quotidien, se dévouent pour permettre à la santé d'atteindre ce très haut niveau de qualité que nous envient nos voisins.

D'ailleurs, les Français ne s'y trompent pas, puisqu'une étude récente montre qu'ils sont plus de 75 % à accorder leur confiance à l'hôpital public quand il s’agit de les accueillir, les soigner, les soutenir.

De ce point de vue, il est absolument nécessaire de rompre avec la logique qui a prévalu au cours des années précédentes, assimilant l'hôpital public aux établissements privés dans son fonctionnement, ses modes de construction et de financement.

Madame la sénatrice, nous n'avons pas attendu. Ainsi, lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, des mesures importantes ont été prises. L'importance du service public hospitalier a d'ores et déjà été réaffirmée.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Il a été mis fin à la convergence tarifaire entre le service public et les établissements privés.

Nous avons pris des engagements, votés par ceux qui ont apporté leurs suffrages à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, pour que 1, 6 milliard d'euros supplémentaires soient accordés en 2013 à l'hôpital public. Il s’agit d’un effort important dans un contexte de restrictions et de nécessaire responsabilité au regard des finances publiques.

Mais vous avez raison, nous devons aller au-delà.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Comme je l'ai annoncé, un pacte de confiance doit pouvoir rendre à l'hôpital public de l'élan et du dynamisme, mais aussi des perspectives.

C’est pourquoi j'ai d'ores et déjà installé un comité de financement qui a pour mission de revoir les règles de financement et d'adaptation de la tarification à l'activité, car la T2A ne peut plus continuer à s'appliquer de manière homogène à l'ensemble des services hospitaliers.

Parallèlement, nous avons la volonté de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens sur tous les territoires, dans tous les bassins de vie, tout en leur garantissant la sécurité. C'est à l’aune de cette exigence que nous devons envisager le maintien et le renforcement des coopérations entre les établissements, afin que nos concitoyens puissent compter sur un service public hospitalier de qualité.

Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement a la volonté de renforcer le rôle de l'hôpital public, de le conforter dans ses missions. Le service public hospitalier est l'une des fiertés de la France. C’est pourquoi il nous faut collectivement faire en sorte qu'il ait un grand avenir.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Ma question s'adresse à M. le ministre chargé des transports.

Monsieur le ministre, malheureusement, depuis des années, les usagers du Transilien ont pris l'habitude de subir des dysfonctionnements. Depuis le mois de janvier, le phénomène a pris une ampleur nouvelle, notamment sur le RER A, soit la principale ligne de transport en France. Tous les jours, des trains sont supprimés ; tous les jours, des rames arrivent en retard !

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Sur la ligne J aussi, régulièrement, des trains sont supprimés ou arrivent en retard.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Dix ans de droite et il n'y a plus de trains !

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

De même, sur la ligne H, où les rames ont pourtant été changées récemment, tous les jours, des trains sont supprimés.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Sur les lignes B et C, des dysfonctionnements réguliers sont recensés.

Tout aussi régulièrement, le nettoyage des trains n'est pas assuré correctement.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Dix ans de droite et il n'y a plus de nettoyage !

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, quand supprimera-t-on enfin l'interconnexion SNCF-RATP sur les lignes A, B et D ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP . – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Quand introduira-t-on enfin des rames à deux étages sur la ligne A ?

Quand la SNCF daignera-t-elle répondre aux usagers qui l’interrogent sur les raisons de ces suppressions de trains ou ces retards ?

Comment expliquez-vous que ceux qui se présentent à un entretien d'embauche doivent d’abord répondre à des questions du style : Comment comptez-vous venir à votre travail ? Quelles lignes de transport utiliserez-vous ? Comment expliquez-vous que les usagers des lignes que j’ai évoquées voient leur candidature la plupart du temps écartée s’ils répondent sincèrement à ces questions ?

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, nous sommes attachés au service public des transports. Nous vous demandons de le faire respecter, notamment par la SNCF !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, grâce à vous, nous apprenons bien des choses, notamment que, depuis le 6 mai 2012, le service public des transports s’est à ce point dégradé que la responsabilité ne peut qu’en être rejetée sur ce gouvernement !

Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

Cher Arnaud Montebourg, nous avons là une nouvelle explication du niveau du chômage : mauvaises odeurs dans les RER, propreté défaillante dans les transports en commun, voilà pourquoi nos concitoyens ne peuvent plus trouver un emploi !

Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Pas de caricature ! C'est la vie quotidienne des gens !

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Au-delà de la caricature à laquelle vous vous livrez, monsieur le sénateur, votre intervention souligne des difficultés bien réelles du quotidien, qui ne sont pas nouvelles et qui sont même récurrentes.

Vives protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Nous nous attaquons à cette situation depuis le premier jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Vous ne devez pas prendre souvent le RER, monsieur le ministre !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Moi, si, et je confirme que cela ne fonctionne pas !

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Permettez-moi de porter à votre connaissance un certain nombre d’informations.

Brouhaha sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Cela étant, j’ai la conviction, et j’espère ne pas être le seul, que c’est en faisant en sorte que les opérateurs, le syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, la région et l’État, travaillent ensemble que nous pourrons gommer les dysfonctionnements trop récurrents sur l’ensemble du réseau parisien.

Dans les prochaines semaines, à la suite du travail qui a été piloté par Cécile Duflot, le Premier ministre va annoncer le calendrier de réalisation du plan de financement du Grand Paris express.

Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Ce plan sera également accompagné de mesures d’amélioration du transport du quotidien, et je vous remercie de reconnaître avec moi que c’est un enjeu majeur pour le Président de la République comme pour le Gouvernement.

Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Par la concrétisation d’engagements anciens, nous faisons en sorte que ces projets ne soient plus du domaine de la fable, mais qu’ils deviennent réalité.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Par ailleurs, nous souhaitons également, avec la région d’Île-de-France, accélérer des opérations qui visent à moderniser le réseau existant.

Je pense notamment à la modernisation des schémas directeurs du RER ou au travail engagé pour faire aboutir de nouveaux chantiers indispensables à la dé-saturation, comme le projet Eole.

Les opérateurs, l’État, la RATP et la SNCF sont également aux côtés du STIF pour mener à bien de grands projets de modernisation du matériel roulant, lesquels sont indispensables pour offrir aux usagers régularité et qualité du service.

Rappelons que le STIF, depuis la décentralisation, a lancé de vastes projets : le Francilien, les rames à deux niveaux sur le RER A, la rénovation des matériels roulants sur les RER B, C et D.

Nous avons d’ores et déjà demandé l’amélioration de l’exploitation de la ligne B, notamment à travers la création du centre de commandement unique, qui sera effectif dès 2013. J’ai également souhaité qu’une réflexion similaire soit engagée pour la ligne A.

Marques d’impatience sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Par ailleurs §…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le ministre délégué, il vous faut conclure.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. … les présidents de la SNCF et de Réseau ferré de France, RFF, anticipent d’ores et déjà ce qui sera l’axe de la réforme ferroviaire : coordonner et améliorer le pilotage de l’ensemble des travaux.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Kerdraon

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Évaluées en 2000 à 800 000, les personnes âgées dépendantes seraient 920 000 en 2025 et 1, 8 million d’ici à 2040, selon l’INSEE.

Le nombre de personnes âgées dépendantes explose, et ce tout simplement parce que la population française vieillit.

En 2011, l’espérance de vie était de 84, 8 ans pour les femmes et de 78, 2 ans pour les hommes. C’est le papy-boom ou, plus exactement, le mamy-boom !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Kerdraon

La proportion de personnes âgées dans la population va croître : les 60 ans et plus sont 15 millions aujourd’hui ; ils seront 20 millions en 2030 et 24 millions en 2060, 11 % d’entre eux ayant alors plus de 80 ans. Entre 2010 et 2040, le nombre de personnes de plus de 85 ans devrait augmenter de plus de 300 %.

Cette évolution, qui représente à la fois un progrès et une chance, constitue aussi un enjeu majeur : il est en effet nécessaire d’adapter la société française à cette révolution de l’âge. Elle explique également pourquoi la perte d’autonomie est l’une des premières préoccupations des Français.

Dans cette perspective, il devient urgent d’adopter une grande réforme sur la perte d’autonomie, qui permettrait d’adapter l’offre de soins tout en intégrant les besoins sociaux et psychologiques des patients et de leur entourage.

Promise par Nicolas Sarkozy en 2007, cette réforme a été repoussée tout au long du dernier quinquennat, avant d’être définitivement abandonnée en septembre 2011.

Et pourtant, quatre groupes de travail avaient été chargés d’établir un état des lieux et de formuler des propositions.

Des débats interrégionaux et interdépartementaux ont été organisés à travers la France. Ils ont aussi suscité une grande attente des professionnels et de toutes les familles concernées, en particulier des aidants.

Consciente de cette attente, madame la ministre, vous avez demandé à notre collègue députée Martine Pinville, au docteur Jean-Pierre Aquino et à Luc Broussy de réfléchir sur « les mesures d’anticipation, de prévention et d’adaptation de la société face au vieillissement de la population ».

Ces missions, dont les rapports doivent être rendus dans les prochaines semaines, constituent le prélude à une réforme plus globale.

Dans cette attente, l’annonce faite par le Président de la République, au congrès de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, d’une réforme de la dépendance avant la fin de cette année 2013 est une excellente nouvelle.

Cette réforme de la dépendance viendra parfaitement compléter la loi sur l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, mise en place en 2001 par Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d’État aux personnes âgées dans le gouvernement de Lionel Jospin.

Aussi, madame la ministre, pourriez-vous nous préciser quels seront les priorités et les objectifs de cette « loi d’adaptation de la société au vieillissement » pour gérer avec sérénité et solidarité l’un des plus formidables progrès des XXe et XXIe siècles, celui de l’allongement continu de la durée de la vie ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie

Monsieur Kerdraon, comme vous l’avez dit, le Président de la République a donné, le 25 janvier dernier à Lille, le « top départ » de la réforme de la dépendance, qui devra être prête avant la fin de l’année 2013, soit, je le souligne, dix-huit mois seulement après la constitution de notre gouvernement.

Il s’agit d’une réforme ambitieuse, qui couvrira tout le champ de l’avancée en âge, ce qu’aucun gouvernement, dans aucun pays, n’a fait. Elle dessine en particulier le parcours résidentiel des personnes âgées, avec une priorité donnée au vœu exprimé par 87 % des Français : rester à leur domicile aussi longtemps que possible. Cela passe par l’adaptation et l’aménagement de 80 000 logements.

Mais le domicile, ce sont aussi, vous le savez, ces logements intermédiaires où l’on est parfaitement autonome, « chez soi », mais en prise directe avec les services et la vie sociale.

La prévention et l’anticipation constitueront également l’une de nos priorités, et donc l’un des volets majeurs de ce projet de loi

Le Président de la République nous a également confié la mission de rendre les maisons de retraite financièrement accessibles aux familles des classes moyennes, de loin les plus nombreuses.

Il s’agit de réduire le fossé, devenu totalement inacceptable, entre le montant moyen des retraites – 1 100 euros pour une femme, les plus nombreuses en établissement – et le coût moyen pour les familles des maisons de retraite – 1 600 euros dans le secteur public, 2 400 euros dans le secteur privé commercial.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée

Pour cela, nous avons mission d’étudier toutes les pistes : la réduction des coûts, la régulation des tarifs, mais aussi, bien sûr, l’amélioration des aides publiques.

C’est un engagement considérable. Comme nous l’a rappelé le Président de la République, nous le devons aux familles françaises, aujourd’hui si souvent en difficulté. Toutes les familles sans exception sont concernées par la cause de l’âge et nous démontrons d’ores et déjà qu’elle est l’une des priorités de notre gouvernement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC et du RDSE.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

M. René Beaumont. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre du redressement productif.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Monsieur le ministre, je vais vous parler de culture cet après-midi, d’une « guerre des anciens et des modernes » réinventée en l’occurrence, une guerre aux effets contradictoires, où se mêlent en quelque sorte le bien mais aussi le mal !

Amazon, le distributeur américain aux 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, expression même de la modernité numérique et du commerce dématérialisé, arrive chez vous, monsieur le ministre, et chez nous !

Ce sont 1, 12 million d’euros d’aides publiques qui ont été débloquées pour la création de 250 emplois fermes, voire un millier à terme – aucune date n’est précisée –, dans un nouvel entrepôt, à Sevrey, en Saône-et-Loire.

Dans le contexte économique ultra-déprimé actuel, quand les licenciements succèdent aux licenciements, dans tous les secteurs et partout en France, quelle que soit la taille des entreprises – de surcroît, ces dernières mettent le plus souvent la clé sous la porte sans crier gare ! –, une telle implantation peut apparaître comme une bonne nouvelle.

Mais, comme vous le savez aussi, plus rien n’est simple dans notre monde compliqué : la médaille a un revers et la mariée n’est pas si belle…

Dans le même temps, en effet, les vingt-six magasins de Virgin – un « grand » de la distribution de produits culturels dans notre pays – ont été placés en redressement judiciaire pour une période de quatre mois, le temps de trouver éventuellement une solution pour le millier de salariés encore en poste.

Prompte à réagir, votre collègue ministre de la culture, Mme Aurélie Filippetti, a fait un parallèle entre cette situation et la nouvelle implantation du mastodonte américain, le rendant en partie responsable des difficultés des Virgin stores !

Mais la ministre n’est pas la seule à souligner que cette société est à l’origine d’une concurrence déloyale : Amazon n’est en effet pas soumise aux mêmes contraintes sociales, et surtout fiscales, que les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Un véritable « front anti-Amazon » des distributeurs se développe, qui va de la FNAC aux enseignes de toute la grande distribution, pour dénoncer le fait que cette société paie peu ou pas d’impôts en France.

Eux-mêmes acteurs du commerce électronique, …

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

… ils estiment cependant scandaleux que l’on accorde des subventions à une entreprise qui ne le mérite pas ou si peu.

Monsieur le ministre, quelle incohérence gouvernementale que ce gaspillage d’euros ! Qu’envisagez-vous donc pour éviter ces coûteuses bavures ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. le ministre du redressement productif.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

Monsieur Beaumont, il est vrai que le dossier Amazon montre de façon éclatante les contradictions de la société actuelle.

Nous vivons en effet un véritable changement sociétal, qui voit de plus en plus de nos concitoyens faire leurs courses depuis chez eux, sans se déplacer, et attendre un service très rapide de livraison à domicile.

Il est vrai que le commerce classique, petit, moyen ou grand, n’échappe pas à cette mutation généralisée et mondiale – on pensait que cette évolution nuirait avant tout au petit commerce de détail, mais, en réalité, elle impacte aussi la grande distribution.

Nous avons deux solutions : nier cette mutation, ou l’accompagner. Nous avons fait le choix de ne pas la nier et de l’accompagner, tout en contestant ses excès.

Je vais me faire le porte-parole temporaire et amical de ma collègue Aurélie Filippetti. Fallait-il ne pas accueillir Amazon sur les quatre territoires où cette société souhaitait s’installer en France, à savoir Montélimar, dans la Drôme, Saran, dans le Loiret, Sevrey, en Saône-et-Loire, et Douai, dans le Nord ?

Je vous rappelle que nous parlons d’environ 2 500 emplois au total créés d’ici à 2015.

Nous pourrions en effet dire à Amazon : nous ne voulons pas de vous, quittez la France ! Ce n’est pas la stratégie qu’a choisie le ministère du redressement productif, qui est aussi celui de l’hospitalité économique et industrielle.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

Les collectivités locales peuvent-elles résister à la tentation, légitime, humaine et naturelle, d’accueillir cette société qui entend créer des emplois ? La réponse est non, ce ne serait pas sérieux et, en tant qu’ancien président d’un département que je connais bien, monsieur le sénateur, vous seriez le premier à attaquer ceux qui se comporteraient de cette manière !

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Des règles sont déjà applicables, dans toutes les collectivités locales, pour la totalité des emplois qui viennent s’implanter sur nos territoires, quels qu’ils soient.

Toutefois, monsieur le sénateur, le Gouvernement a entrepris des démarches visant à soumettre les géants de l’internet à une fiscalité concurrentielle, en tout cas de même niveau et de même nature que celle qui s’applique à leurs concurrents. C’est bien le minimum ! Nous ne souhaitons pas que l’Union européenne se transforme en immense paradis fiscal pour les géants de l’internet !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

C’est la raison pour laquelle la France a pris l’initiative, dans une négociation motrice, monsieur le président, de faire évoluer le taux d’imposition, en liaison avec nos partenaires européens. Cette négociation, nous l’espérons, devrait aboutir dès 2015.

Ne pas rejeter ce qui est utile, mais éliminer ce qui est mauvais : voilà une ligne sur laquelle nous devrions tous pouvoir nous mettre d’accord !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Fichet

Ma question s'adresse à M. le ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.

Monsieur le ministre, la filière avicole de notre pays subit aujourd’hui une crise majeure.

Or, au moment où cette filière se met enfin en ordre de marche afin de se restructurer, de reconquérir les marchés intérieur et extérieur et d’aborder l’avenir plus sereinement, la Commission européenne a décidé, de manière brutale, de réduire de moitié les aides financières consacrées aux exportations de viande de volaille.

Nous savions tous, et les entreprises concernées au premier chef, que les subventions européennes à l’export ne dureraient pas indéfiniment.

Vous travailliez, monsieur le ministre, à moderniser et à orienter cette filière à travers un véritable plan stratégique. C’est ce que vous aviez annoncé lors d’un déplacement dans mon département, le Finistère, en décembre dernier. Vous le rappeliez alors : l’agroalimentaire est une force pour notre pays et un vrai potentiel d’emplois pour l’avenir.

Les industries agroalimentaires, ainsi que l’agro-industrie, doivent être parties prenantes du redressement productif dont la France a besoin. Cependant, pour y parvenir, nous avons besoin de temps.

Comment la France peut-elle peser au niveau européen en faveur d’une suspension de cette décision et, si la Commission persistait dans sa décision, comment pourrions-nous mettre en place un calendrier d’extinction des restitutions ?

Quel fonds pourrait être mobilisé pour favoriser la mutation de la filière avicole dans des conditions socialement acceptables et économiquement viables ?

Quelles mesures peuvent être envisagées pour éviter la crise majeure qui s’annonce et pour rassurer les aviculteurs et les salariés concernés, tout particulièrement – vous me permettrez de le préciser, monsieur le ministre, mes chers collègues – ceux des entreprises Doux et Tilly-Sabco, implantées sur le territoire breton ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire

Monsieur le sénateur, vous évoquez la difficile question des restitutions accordées aux exportations de viande de volaille par l’Union européenne.

Sachez tout d’abord que les interventions de la France, depuis de nombreux mois, ont permis de retarder cette décision de la Commission. Elle est malheureusement intervenue le 17 janvier dernier et s’est concrètement traduite par une baisse de 50 % du montant des aides.

Vous l’avez noté, nous avons immédiatement contesté à la fois le fondement économique de l’analyse présentée, mais aussi le caractère beaucoup trop brutal de la décision.

Je veux redire que ces restitutions ne sont pas un cadeau à notre filière ni à nos entreprises. Elles ont un sens économique : elles viennent compenser les différences de change et de coûts de production existant entre nos entreprises et celles de pays extra-européens avec lesquels nous sommes en concurrence extrêmement féroce.

Comment avons-nous réagi ? Tout d’abord, dès l’annonce de la Commission, nous avons immédiatement réuni les représentants des entreprises concernées, parmi lesquelles Doux et Tilly-Sabco. Nous avons travaillé avec elles afin de mettre en place un accompagnement concret. Dans les prochains jours, les prochaines semaines, nous mobiliserons le crédit d’impôt pour offrir à ces entreprises un ballon d’oxygène.

Au-delà, nous sommes également intervenus directement auprès de la Commission, le 28 janvier dernier, par l’intermédiaire de Stéphane Le Foll. Le ministre de l’agriculture s’est tourné vers le commissaire concerné, M. Cioloş, pour envisager les mesures à prendre afin que les entreprises disposent du temps nécessaire pour s’adapter. Vous l’avez dit, ces restitutions ne seront sans doute pas éternelles ; encore faut-il donner aux entreprises la capacité de s’adapter dans un délai raisonnable.

Nous devons maintenant, vous l’avez très bien dit, regarder devant nous et penser à l’avenir. Depuis dix ans, nous ne cessons de perdre des parts de marché dans cette filière avicole. Songez que nous importons aujourd’hui 44 % du poulet que nous consommons ! Pendant ces dix ans, la précédente majorité n’a rien fait, ou pas grand-chose.

Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

Il faut le dire ! Il nous faut aujourd’hui, je vous le disais, regarder devant nous et prendre des mesures concrètes. C’est ce que nous allons faire dès la fin de cet hiver.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

M. Guillaume Garot, ministre délégué. Je veux dire que la filière avicole a un avenir ! Je veux dire ma confiance dans cet avenir ! Je veux le dire aux éleveurs et je veux le dire à l’ensemble des salariés : nous nous battons pour l’emploi

Mouvements d’impatience sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. Gérard Larcher. Et voilà : nous n’avons rien fait non plus pour le poulet !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Guillaume Garot, ministre délégué

M. Guillaume Garot, ministre délégué. … pour l’emploi agricole et pour l’emploi dans nos industries agroalimentaires !

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.

Madame la ministre, la famille est la cellule de base de notre société. À juste titre, les parents ont l’obligation d’assurer l’éducation de leurs enfants et, réciproquement, les enfants ont ensuite l’obligation de s’occuper de leurs parents âgés. Hélas, ces deux principes sont trop souvent oubliés.

Ainsi la presse a-t-elle évoqué récemment le cas d’une personne de quatre-vingt-dix ans, renvoyée de sa maison de retraite parce que, depuis deux ans, sa famille refusait de payer sa pension et avait accumulé plus de 40 000 euros de dettes. Le directeur de la maison de retraite a alors été dénigré, la méthode employée ayant été jugée par trop expéditive.

Cependant, madame la ministre, vous savez parfaitement que lorsqu’un résident d’une maison de retraite ne paye pas sa pension, ce sont indirectement les autres résidents qui en subissent les conséquences et qui en font les frais. Il n’est donc pas possible de fermer les yeux ; le laxisme en la matière serait synonyme d’irresponsabilité.

Madame la ministre, plutôt que de s’en prendre au directeur de la maison de retraite, comme vous l’avez fait, il fallait mettre en cause l’indignité des deux enfants de cette personne âgée qui refusaient de s’occuper de leur mère et de subvenir à ses besoins.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

C’est d’autant plus scandaleux, madame la ministre, qu’ils en avaient largement les moyens, l’un d’eux étant gynécologue dans un grand hôpital de la région parisienne.

Les attaques répétées contre les valeurs familiales finissent par conduire à de telles dérives, et je tiens ici à le déplorer solennellement !

Madame la ministre, qu’envisagez-vous de faire à l’encontre de ceux qui abandonnent leurs parents âgés ou qui refusent de les aider à subvenir à leurs besoins ?

Plus généralement, en raison des restrictions budgétaires, les conditions d’accueil des personnes âgées se dégradent et il n’y a plus assez de personnel dans les établissements. Or vous avez pris le prétexte du triste fait divers que j’évoquais à l’instant pour suggérer un gel de la tarification des maisons de retraite.

Je tire la sonnette d’alarme : si vous ne compensez pas financièrement, et vous n’avez rien proposé, les conséquences seront désastreuses sur la qualité de l’hébergement des personnes âgées et des soins qui leur sont dispensés.

Madame la ministre, vous semblez oublier que, si la France est ce qu’elle est aujourd’hui, elle le doit aux générations qui nous ont précédés ! Nous avons donc à leur égard un devoir de solidarité et devons faire tout notre possible pour que les personnes âgées soient prises en charge dans de meilleures conditions.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, ce n’est pas en disant des contre-vérités que l’on fait avancer le débat.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée

Je n’ai jamais parlé de « gel » des tarifs des maisons de retraite.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée

J’ai parlé, et encore à l’instant, de leur mise en adéquation avec le montant des retraites et les revenus des familles.

Nous ne pouvons laisser plus encore se creuser le fossé qui existe déjà entre le montant moyen des retraites et le reste à charge pour les familles.

En ce qui concerne la retraitée nonagénaire de Chaville, nous avons tous été très émus par cet événement particulièrement fâcheux. Je respecte à ce point les personnes âgées que je ne peux concevoir que l’on mette, sans qu’elle en soit autrement informée, une personne de quatre-vingt-dix ans dans une ambulance sans s’assurer que sa famille peut l’accueillir…

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée

Permettez-moi de poursuivre !

Je ne peux l’accepter et, je le pense, vous non plus. Lorsqu’une maison de retraite commet des erreurs, nous devons nous en inquiéter.

J’ai aussitôt demandé une enquête à l’agence régionale de santé d’Île-de-France afin d’établir les faits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Et que faites-vous des familles qui ne paient pas ?

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée

Qu’il s’agisse de la signature du contrat de séjour ou des conditions d’expulsion, la maison de retraite a contrevenu à la loi.

Ne croyez pas que j’ignore les problèmes financiers qui se sont posés au sein de cette famille, et que la justice viendra très probablement résoudre. C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai pas souhaité évoquer – je ne le ferai pas ici non plus – les cas particuliers de ces quatre enfants qui, en effet, n’ont pas répondu à leurs obligations.

Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée

Vous avez rappelé un point tout à fait important : le code civil nous impose de subvenir aux besoins fondamentaux de nos enfants comme de nos ascendants. Cependant, la question n’aurait pas dû se poser dans ce cas précis, puisque la personne concernée disposait d’une retraite d’importance, pratiquement en adéquation avec le montant des frais d’hébergement de la maison de retraite.

Vous le voyez, j’ai su, pour ce qui relevait de ma responsabilité, dénoncer ce qui constituait une violation des droits de la personne âgée en établissement, droits que nous allons préciser, expliciter et conforter, laissant par ailleurs à la justice de mon pays le soin d’établir, et probablement de sanctionner, les fautes individuelles des membres de cette famille.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.- Exclamations sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants ; nous les reprendrons à seize heures vingt-cinq.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant création du contrat de génération.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mercredi 6 février prennent effet.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

J’informe le Sénat que la question orale n° 303 de Mme Françoise Laborde est retirée, à la demande de son auteur, de l’ordre du jour de la séance du mardi 19 février 2013.

Acte est donné de ce retrait.

Par ailleurs, la question n° 312 de M. Jacques Mézard pourrait être inscrite à la séance du mardi 19 février 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (proposition n° 122 [2011-2012], texte de la commission n° 325, rapport n° 324).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ouverte le 6 mai dernier, la perspective de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe et de la reconnaissance des familles homoparentales a de toute évidence réveillé dans notre pays les réflexes de rejet, de violence, de haine qui sommeillaient encore ici et là à l’égard des homosexuels.

C’est au moment où notre pays s’apprête enfin à accorder les mêmes droits à chacun, homosexuel ou hétérosexuel, au moment où notre République s’apprête enfin à reconnaître la même valeur à chacun, sans distinction fondée sur l’orientation sexuelle, que les manifestations de l’homophobie se multiplient.

L’association SOS homophobie en témoigne : au mois de janvier dernier, elle a reçu quatre fois plus de témoignages de victimes qu’au mois de janvier 2012.

Depuis la loi du 30 décembre 2004, les peines encourues par ceux qui se rendent coupables d’injure, de diffamation, de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence sont aggravées lorsque le délit a été commis à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap, réel ou supposé, de la victime.

La République combat ainsi le sexisme, l’homophobie, la « handiphobie », au même titre que le racisme ou l’antisémitisme ou toute haine visant un individu en raison de son identité.

Sur votre initiative, mesdames, messieurs les sénateurs, la liste des pratiques répréhensibles a été complétée au cours de la discussion du projet de loi relatif au harcèlement sexuel. En effet, depuis l’adoption de la loi du 6 août 2012, la transphobie est également condamnée.

Une anomalie subsiste cependant, anomalie que la proposition de loi dont nous allons débattre vise à corriger.

Alors que les sanctions prononcées à l’encontre des auteurs de propos et d’écrits publics à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif, sont les mêmes, les délais de prescription applicables sont, eux, différents.

La justice oublie les insultes sexistes, homophobes, transphobes, « handiphobes » en trois mois seulement, alors qu’elle met un an à oublier les insultes xénophobes, racistes, ou encore fondées sur la religion.

Il n’y a pas lieu de discriminer entre les discriminations : tel est le sens de la présente proposition de loi.

Il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie du pire entre les propos haineux, en fonction de la composante de la population qui en est la cible.

La proposition de loi que nous examinons a donc pour objet d’appliquer la prescription d’un an de l’action publique instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif.

Au mois de mai 2003, le garde des sceaux de l’époque, Dominique Perben, avait justifié l’allongement du délai de prescription relatif aux injures racistes en indiquant que le délai de trois mois applicable aux délits de presse était devenu trop court dans un contexte de multiplication et d’accélération des publications.

Le constat reste pertinent, que les propos soient racistes ou homophobes.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre

C’est ce qui justifie la proposition de loi dont vous allez débattre, mesdames, messieurs les sénateurs.

Cette proposition de loi a déjà connu une première vie, puisqu’elle avait été déposée en octobre 2011 à l’Assemblée nationale par l’opposition d’alors. Son adoption, le 22 novembre 2011, avait fait l’objet d’un consensus, et le Défenseur des droits s’était lui aussi prononcé en faveur de l’alignement des délais de prescription. Tout cela nous montre qu’il ne s’agit pas que d’un symbole ; à plusieurs reprises, les associations de lutte contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie ou la handiphobie se sont heurtées, dans leurs démarches, à la brièveté du délai de prescription.

Or les propos incriminés sont loin d’être anecdotiques. Ils constituent une violence, ils font des victimes, qu’ils soient proférés en public, dans la presse ou sur Internet. Il ne faut jamais sous-estimer l’impact de ces propos, en particulier sur les plus jeunes d’entre nous. Le risque suicidaire chez les jeunes homosexuels justifie absolument notre vigilance. Au-delà de ces jeunes, je pense souvent, à titre personnel, aux parents qui élèvent aujourd’hui un enfant homosexuel et qui sont terrorisés – j’en ai reçu plusieurs témoignages – lorsqu’ils découvrent des appels au meurtre de leur fils ou au viol de leur fille. Je pense aussi aux familles homoparentales, qui sont angoissées à l’idée que leur enfant soit un jour confronté à la violence de propos qui ne font, ni plus ni moins, que nier leur humanité ou leur existence. Nous sommes ici pour réparer ces blessures.

La loi de 1881 est une grande loi de notre République. Nous y sommes attachés parce qu’elle est gardienne d’un équilibre très précieux. La liberté d’expression est un principe de valeur constitutionnelle, dont découle celui de la liberté de la presse. Le Gouvernement tient à ces principes, mais il est également attaché à la lutte contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Le 31 octobre dernier, nous avons présenté en conseil des ministres un plan d’action assez complet en la matière.

Au moment où chaque département ministériel agit sans faille contre l’homophobie et la transphobie, la proposition de loi que vous présentez, madame la rapporteur, vient corriger une anomalie de notre droit. J’invite le Sénat à l’adopter, car nous n’avons que trop tardé sur le chemin de l’égalité. §

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme, en son article 11, que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

C’est inspiré par cet article que, le 29 juillet 1881, le législateur a adopté la loi dite « sur la liberté de la presse », qui définit les libertés et les responsabilités de la presse française en imposant un cadre légal à toute publication, de même qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique.

Si les dispositions que prévoit de modifier la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui relèvent de la loi du 29 juillet 1881, les infractions visées ne concernent en réalité que marginalement cette dernière. En effet, dans la majorité des cas, il s’agit de propos tenus en public et d’écrits de particuliers, sans lien avec la presse.

Le droit en vigueur traite différemment les propos discriminatoires à caractère racial, ethnique ou religieux et les propos discriminatoires tenus à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité sexuelle ou du handicap. Cette législation a été qualifiée avec raison de « discriminatoire » par la rapporteur de l’Assemblée nationale, Catherine Quéré, lors de la discussion de cette proposition de loi. L’unification des délais de prescription prévue par celle-ci permettrait ainsi de mettre fin à une inégalité de droit entre les victimes qui n’est pas justifiable.

Cette harmonisation fait l’objet d’un très large consensus parmi les différentes personnalités entendues lors des auditions. Le Défenseur des droits l’a recommandée dès 2011, dans sa proposition de réforme n° 11-R009. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui en est directement inspirée.

Par ailleurs, le droit européen ne fait aucune différence entre les types de discrimination. L’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales interdit les discriminations, qu’elles soient fondées sur « le sexe », « l’appartenance à une minorité nationale » ou « toute autre situation ». Quant à l’article 13 du traité instituant la Communauté européenne, il dispose que « le Conseil […] peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».

Si le droit communautaire n’instaure pas de différence de traitement entre les types de discrimination, pourquoi le droit français devrait-il le faire ?

En l’état actuel de notre législation, l’action publique et l’action civile résultant des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 se prescrivent par trois mois révolus. Notons que ce délai est le plus bref de toute l’Europe, et que le délai d’un an, en vigueur pour les discriminations de type racial, ethnique et religieux, constitue lui-même une dérogation importante au droit commun, qui prévoit un délai de prescription de trois ans pour les délits.

Voilà déjà huit années que les injures, diffamations et provocations à la haine racistes et xénophobes se prescrivent par un an. Ce délai n’a jusqu’ici nullement muselé la presse ni porté atteinte à la liberté d’expression. Pourquoi devrions-nous craindre l’application de ce délai d’un an aux propos relevant de l’homophobie, du sexisme et de la handiphobie, qui se prescrivent aujourd’hui par trois mois ?

Le texte dont nous débattons complète le travail entamé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II », dont l’élaboration avait été motivée par la multiplication des propos antisémites sur Internet. Cette loi a introduit une exception au régime de la loi sur la liberté de la presse de 1881, en portant à un an le délai de prescription de certaines infractions – provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, diffamation et injure – lorsqu’elles sont commises en raison de l’origine de la personne, de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Confronté à des évolutions techniques, liées notamment à l’essor d’Internet, qui rendent plus difficiles la détection et la répression de tels actes, le législateur avait voulu, par cette loi, adapter le droit aux nouvelles formes de criminalité, notamment cybernétiques, et faciliter ainsi la poursuite de ces infractions.

C’est dans le droit fil de cette évolution que la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Catherine Quéré et Jean-Marc Ayrault, et adoptée par les députés le 22 novembre 2011 à une écrasante majorité –473 voix pour, 4 contre –, prévoit de porter à un an le délai de prescription des délits de provocation à la haine, à la violence ou aux discriminations, de diffamation et d’injure, commis en raison du sexe de la personne, de son orientation sexuelle, de son identité sexuelle ou de son handicap, aujourd’hui prescrits par trois mois.

L’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat intervient – cela ne vous aura pas échappé – dans un contexte particulier, celui du débat entourant l’examen du projet de loi relatif à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ces dernières semaines, ce débat a frayé la voie à l’émergence d’un climat souvent ouvertement homophobe et à la multiplication de propos intolérables. La présente proposition de loi, qui vient donc à point, a pour objet de remédier à une anomalie juridique, en faisant en sorte que des actes punis des mêmes peines soient poursuivis dans les mêmes conditions.

Le meilleur moyen de situer clairement l’enjeu de notre débat est peut-être de citer Didier Eribon, philosophe et éminent spécialiste de la question gay. Voici ce qu’il écrit aux pages 25 et 26 de la récente réédition en format poche de ses Réflexions sur la question gay :

« Au commencement il y a l’injure. Celle que tout gay peut entendre à un moment ou à un autre de sa vie, et qui est le signe de sa vulnérabilité psychologique et sociale […]. L’insulte est un verdict. C’est une sentence quasi-définitive, une condamnation à perpétuité, et avec laquelle il va falloir vivre […].

« L’injure n’est pas seulement une parole qui décrit. Elle ne se contente pas de m’annoncer ce que je suis. Si quelqu’un me traite de “sale pédé”, ou “sale nègre”, ou “sale youpin”, ou même, tout simplement, de “pédé”, de “nègre” ou de “youpin”, il ne cherche pas à me communiquer une information sur moi-même. Celui qui lance l’injure me fait savoir qu’il a prise sur moi, que je suis en son pouvoir. Et ce pouvoir est d’abord celui de me blesser. De marquer tout mon être de cette blessure en inscrivant la honte ou la peur au plus profond de mon esprit et de mon corps. »

Madame la ministre, madame la présidente, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, vous le savez, en certaines circonstances, et quelles que soient leurs cibles, les mots se transforment en véritables armes. Ils peuvent tuer. Il apparaît fort malaisé et sans doute illégitime – Didier Eribon le souligne indirectement en rapprochant des exemples empruntés à des registres différant seulement en apparence – d’établir des degrés ou des classifications dans l’insulte ou l’injure. Pourquoi, dès lors, prévoir un de délai de prescription d’un an pour les unes et de seulement trois mois pour les autres ? À l’aune de quel instrument mesurer et comparer les blessures et les souffrances qu’elles infligent ?

Cependant, n’imaginons pas un instant – j’y insiste à nouveau – que nous risquons de compromettre la liberté de notre presse en harmonisant nos délais de prescription. Certes, le premier article de la Déclaration des droits américaine – le Bill of Rights – ne met pas de limite à la liberté d’expression. Cet amendement à la Constitution des États-Unis est entré dans les mœurs américaines, ainsi que l’éducation qui va avec et qui s’est ensuivie au fil des siècles. Bien entendu, les Américains ne sont pas pour autant des citoyens parfaits, mais on peut penser ou espérer que la pédagogie qui en a découlé a permis d’encadrer plus ou moins une liberté en principe totale.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

C’est surtout que les indemnités à verser en cas de condamnation sont élevées…

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Un article publié en mai 2011 par l’université de Montréal nous apprend que, en France, 49 % des décisions judiciaires liées à Internet sont rendues pour diffamation, contre 15 % aux États-Unis et au Canada. Comment expliquer ce décalage ? Les Français seraient-ils, moins que d’autres, capables d’autocontrôle ? Internet aurait-il ouvert chez nous, plus qu’ailleurs, un espace échappant définitivement à tout cadrage ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Ces chiffres sont, en tout état de cause, éloquents. Ils appellent à la réflexion, ils nous interpellent sur les conditions requises pour un apprentissage responsable de cet outil nouveau qu’est Internet.

Dans un pays comme le nôtre, où la menace de la sanction est brandie très tôt dans l’existence d’un enfant et continue d’encadrer en toute occasion la vie des adultes, bref, dans le contexte français, il semble pour le moins peu judicieux, quand bien même on le regretterait, de se prévaloir de l’exemple nord-américain pour laisser impunis les discours racistes, homophobes, sexistes ou autres, qui envahissent la « toile ».

À cet égard, la différence de délai de prescription entre différentes infractions touchant à la liberté de la presse se justifie d’autant moins qu’elle fragilise les actions menées en matière de répression des discriminations.

La présente proposition de loi vise donc à remédier à ces distorsions. Tout comme en 2004, elle ne concerne que marginalement les délits commis par voie de presse. En réalité, elle a une portée plus large, puisqu’elle vise les actes commis dans un cadre public, que les propos en cause soient écrits ou oraux.

L’extension du délai de prescription permettrait ainsi une nette avancée de la protection des droits des personnes, tout en simplifiant un régime aujourd’hui difficilement lisible.

Les victimes de ces infractions bénéficieraient toutes d’une protection comparable, Internet ayant multiplié les infractions commises à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité sexuelle et, dans une moindre mesure, du handicap.

Le fait que ces infractions, faisant l’objet des mêmes peines, se prescrivent les unes par un an et les autres par trois mois peut être considéré comme créant un écart à tout le moins disproportionné.

Une modification du droit actuel, destinée à redonner une cohérence au dispositif de lutte contre les provocations à la discrimination, les diffamations et les injures commises en public, paraît donc s’imposer, d’autant que l’essor des réseaux sociaux, dont le développement était encore balbutiant à l’époque de l’examen de la loi dite « Perben II », a facilité leur diffusion en dématérialisant la parole et l’objet de ces propos diffamatoires.

Dans la contribution qu’elle a fait parvenir, l’Association des paralysés de France, l’APF, a, par exemple, souligné la multiplication des propos tenus contre les handicapés par le biais, notamment, de ces réseaux.

Comme pour tous les délits de presse, les infractions commises par le biais d’Internet sont des infractions instantanées, qui se prescrivent à compter du jour où elles ont été commises. Or, une fois la prescription acquise, les propos peuvent rester en ligne, hélas !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Dans la lettre qu’il m’a adressée à ce propos, le président du Conseil national des barreaux, M. Christian Charrière-Bournazel, parle d’Internet en ces termes :

« À la mémoire éphémère du papier s’est substituée une mémoire inaltérable et universelle qui ne laisse aucune chance à l’oubli. »

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

« Or toute personne humaine a droit au respect de sa vie privée, de sa vie intérieure, à ses secrets et à l’oubli de ce qu’elle veut taire. […] Internet permet en effet à la mémoire de l’emporter pour toujours sur l’oubli. »

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Internet offre ainsi à tout particulier la possibilité de donner une publicité à des diffamations, à des provocations ou à des injures, en bénéficiant des garanties de la loi de 1881, sans pour autant être soumis à la déontologie des journalistes. Cette situation avait déjà été soulignée dans le rapport d’information n° 338 sur le régime des prescriptions civiles et pénales du 20 juin 2007, rédigé par nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung.

Une des justifications de la brièveté des délais tenait au caractère éphémère de l’infraction. Avec Internet, cette argumentation n’est plus aussi recevable : l’infraction ne disparaît plus avec le temps. Le temps bref qui avait pu être celui de la presse imprimée s’est paradoxalement allongé indéfiniment avec l’apparition d’Internet.

Outre les difficultés entraînées par la multiplication et la persistance des messages permises par Internet, le traitement des infractions apparaît également particulièrement complexe. En effet, il est difficile d’identifier non seulement les responsables de sites, …

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

… mais aussi les internautes coupables de ces agissements, le caractère universel du réseau faisant également obstacle à ce que des poursuites soient efficacement engagées contre des personnes installées à l’étranger ou agissant par le biais de sites eux-mêmes hébergés à l’étranger.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Internet a cette faculté de transcender les frontières et de défier les lois, de nous ramener à la fragilité de notre pouvoir, avec cette superbe insolente que lui confèrent son « immortalité » et son universalité.

Vous comprendrez qu’il est urgent, aujourd’hui, d’élaborer une loi sur la liberté d’Internet, à l’instar de la loi sur la liberté de la presse de 1881.

Chers collègues, pour toutes ces raisons, je sollicite donc l’adoption sans réserve de la présente proposition de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois. §

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la liberté de la presse, consacrée par la loi du 29 juillet 1881, s’est vue, au fil du temps, progressivement limitée par des exceptions qui se sont imposées dans les hypothèses de diffamation, d’injure, de propos discriminatoires.

Elles-mêmes d’interprétation nécessairement stricte, ces exceptions ont dû être enfermées dans des délais de prescription au-delà desquels l’action publique est frappée d’extinction, toute poursuite devenant de ce fait impossible.

Durant plus de douze décennies, la législation sur la liberté de la presse s’est ainsi accommodée d’un délai de prescription de l’action publique de trois mois, alors que le droit commun prévoyait, et prévoit encore, un délai butoir de trois ans pour les délits pénaux, d’un an pour les contraventions et de cinq ans pour les fautes délictuelles.

Mais, à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des prouesses informatiques, un délai aussi court équivalait presque à l’impunité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

… comme le reconnaissait Dominique Perben, alors garde des sceaux, lors de l’examen en première lecture au Sénat, le 1er octobre 2003, du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Les infractions dites « de presse » se commettent en effet de plus en plus fréquemment dans ce qu’il convient d’appeler le cyberespace, par des internautes qu’il importe désormais de traquer et de retrouver, aux fins d’exercer à leur encontre l’action publique, voire l’action civile.

Or, la brièveté du délai de trois mois, conjugué à la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, qui considèrent que la mise en ligne de propos délictueux est non pas une infraction continue, mais un délit instantané, amenait à faire tomber bon nombre d’infractions commises sur Internet sous le coup de la prescription.

Comme le faisait remarquer Albert Chavanne, professeur à la faculté de droit de Lyon, ce délai de prescription, « achevé à peine commencé, aboutit bien souvent à des dénis de justice ».

C’est pourquoi la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a fait passer ce délai de trois mois à un an, s’agissant des infractions d’incitation à la violence, de provocation à la discrimination, de diffamation et d’injure commises en raison de l’origine de la personne ou de son appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

La loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme tend à poursuivre ce mouvement d’allongement de la prescription de trois mois à un an pour les faits de provocation directe aux actes de terrorisme ou à leur apologie.

Ces évolutions, qui ont eu lieu par étapes, peuvent apparaître comme autant d’hésitations dans notre législation. Elles s’expliquent cependant par la nécessité d’être constamment prudent dans ces matières très sensibles et de veiller à un équilibre satisfaisant entre le respect du principe de la liberté d’expression et la répression des propos discriminatoires.

Mais, de fait, ces avancées par à-coups ont laissé se faire jour des inégalités dans les délais de prescription pour des infractions de même nature, donc des inégalités entre victimes placées dans la même situation.

À titre d’exemple, selon les statistiques du ministère de la justice, entre 2005 et 2010, une seule condamnation a été prononcée sur le motif de « provocation à la haine ou à la violence à raison de l’orientation sexuelle par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ». C’est bien la preuve que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du bref délai de prescription.

Personnellement, dans l’exercice de ma profession d’avocat, j’ai pu constater que bon nombre de plaignants potentiels, victimes de propos discriminatoires tenus sur des réseaux sociaux, ont vite renoncé à exercer des poursuites, dissuadés par les contraintes induites par la brièveté du délai de prescription.

Le législateur ne pouvait davantage tolérer ce genre de discrimination.

C’est dans ces circonstances que Catherine Quéré, Jean Marc Ayrault, alors député, et plusieurs de leurs collègues présentèrent une proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité le 22 novembre 2011.

Les auteurs du texte entendaient que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réponde à l’obligation constitutionnelle de clarté des textes législatifs s’agissant des crimes et délits de « discrimination commis par voie de presse ou par tout autre moyen » à l’encontre d’une personne en raison, d’une part, de son origine, de son ethnie, de sa race vraie ou supposée, de sa religion, ou, d’autre part, de son sexe, de son orientation sexuelle ou de son handicap.

À la suite de son adoption par l’Assemblée nationale, il nous appartient à présent, mes chers collègues, de connaître de cette proposition de loi.

Son article 1er tend à clarifier le neuvième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, en mettant sur le même plan toutes les provocations, à savoir les provocations à la haine, à la violence et à la discrimination, quelle qu’en soit la cause. Quant à l’article 2, par souci de cohérence, il vise à faire bénéficier de cette mesure les personnes victimes de propos discriminatoires à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

La commission des lois a ajouté un article 3 tendant à rendre la loi applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

L’objet du présent texte consistant à rétablir un minimum de cohérence et de lisibilité, en appliquant le même traitement aux propos discriminatoires, quelles qu’en soient les victimes, l’unanimité qui a présidé à son adoption en commission des lois devrait prévaloir aujourd’hui en séance plénière.

Dans une contribution écrite, M. Emmanuel Dreyer, professeur de droit à l’université de Paris-Sud, a résumé les enjeux liés à la présente proposition de loi en ces termes :

« Il n’y a aucune raison pour traiter différemment les propos sexistes ou homophobes et les propos racistes ou sectaires. Au contraire, dans sa sagesse, le législateur a pris la précaution de fondre ces incriminations dans le même moule : puisque c’est le même comportement qui est incriminé – seul le mobile de l’auteur du propos varie –, la répression doit obéir aux mêmes règles. Il en va notamment ainsi pour le délai de prescription. »

Il convient par ailleurs de rassurer ceux qui pouvaient craindre, en raison de l’allongement du délai de prescription, une atteinte à la liberté de la presse, une telle crainte ne pouvant, en tout état de cause, résister à l’examen des objectifs visés par les auteurs de la proposition de loi.

Tout d’abord, le texte vise des faits qui sont très rarement de vraies infractions de presse commises dans les médias, selon l’esprit de la loi de 1881, mais au contraire des comportements qui relèvent du droit commun et qu’il s’agit de sanctionner pour éviter leur banalisation.

Ensuite, le droit européen, prohibant toutes les discriminations, sans distinction, donne pouvoir au Conseil de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de combattre ces dernières.

Enfin, l’égalité de tous les citoyens proclamée à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne peut avoir de sens ni de force que si le législateur s’emploie à lutter contre les discriminations de toute sorte.

À l’heure où, à l’occasion de la discussion au Parlement de textes de loi, des attaques sexistes ou homophobes d’un autre temps se font chaque jour entendre, l’examen de la proposition de loi qui nous est soumise est une excellente occasion de faire un rappel à la vigilance et aux valeurs fondamentales gouvernant notre nation.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste, à la suite de la présentation de l’excellent rapport de notre collègue Esther Benbassa, dont je salue la qualité du travail, votera la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste . – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte contre la discrimination a été une longue et dure bataille. Les avancées en la matière ont été difficiles et sont extrêmement récentes. Sans aucun doute, il restera d’autres progrès à réaliser dans les années futures.

La pénalisation des propos discriminatoires, des injures et des diffamations fondées sur l’origine, l’appartenance ethnique, raciale ou religieuse remonte ainsi à 1972 : quarante ans seulement ! Pour un texte de loi, c’est très peu ; en revanche, à l’aune de la vie humaine, c’est beaucoup !

Quant aux propos discriminatoires fondés sur le sexe, l’orientation sexuelle ou le handicap, leur pénalisation a été extrêmement tardive, puisqu’elle date de 2004 à peine. Plusieurs initiatives législatives ayant d’abord été successivement rejetées, ces infractions sont donc sanctionnées par la loi depuis moins de dix ans.

En plus d’être tardives, la lutte contre la discrimination et la sanction des propos discriminatoires n’ont pas placé d’emblée toutes les discriminations sur un même plan, créant ainsi une discrimination au sein même de la lutte contre la discrimination, comme vous l’avez souligné à juste titre, madame la ministre.

Plus grave encore, la loi continue aujourd’hui d’établir une différence de traitement injustifiable entre les deux types de discrimination se trouvant au cœur de la loi sur la liberté de la presse. Cela est surprenant et tout à fait injuste !

Il faut tout d’abord rappeler que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit des délais de prescription dérogatoires au régime de droit commun concernant les propos discriminatoires. Il s’agit en effet de préserver deux principes, dont aucun ne saurait primer sur l’autre : celui de la liberté d’expression, d’une part ; celui de la nécessaire répression des propos discriminatoires, d’autre part.

Pour le régime des crimes et délits de discrimination commis par voie de presse à l’encontre d’une personne, le délai de prescription initialement prévu était de trois mois, alors que dans le régime de droit commun il est de trois à cinq ans. La loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a remis en cause ce délai de trois mois, dont la brièveté s’est trouvée renforcée par l’émergence des médias numériques. Ce délai ne permettait plus aux victimes d’exercer effectivement un recours, ce qui équivalait quasiment à une impunité…

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Non, pas « quasiment » ! Je l’ai vécu !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Vous avez raison, ma chère collègue.

La loi a donc allongé le délai de prescription, le portant à un an, mais pas dans tous les cas. Elle a laissé subsister des différences de traitement sans fondement, par négligence, dirons-nous, pour ne pas dire par manque de considération pour un certain type de discrimination, dont la gravité n’a pas été évaluée à son juste degré. Il nous incombe d’apporter aujourd’hui la correction réparatrice !

Depuis 2004, la législation relative à la liberté de la presse prévoit ainsi des délais de prescription différenciés pour les régimes des crimes et délits de discrimination commis par voie de presse à l’encontre d’une personne, selon la nature de cette discrimination : lorsqu’elle est fondée sur l’origine, l’ethnie, la race ou la religion, le délai de prescription est d’un an depuis 2004 ; lorsqu’elle est fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle ou le handicap, le délai est alors de trois mois, car il n’a pas été modifié par la loi de 2004.

Il est urgent de remédier à cette inégalité de traitement, car la loi de 2004 a introduit une hiérarchisation dans les discriminations, considérant que les discriminations, les diffamations et les propos injurieux à raison de l’origine, de la race ou de la religion présenteraient un caractère de particulière gravité, justifiant un traitement spécifique, tandis que ces mêmes infractions à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap ne relèveraient pas du même degré de protection.

Cette différence de traitement porte atteinte au principe d’égalité devant la loi. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante en la matière : les dérogations au principe d’égalité devant la loi ne peuvent se justifier que par un motif d’intérêt général, ce qui ne saurait être le cas en l’espèce, ou par une différence objective de situation, ce qui impliquerait de démontrer, par exemple, qu’une injure faite à une personne à raison de son handicap est moins grave qu’une injure faite à une personne à raison de sa couleur de peau. J’observe au passage qu’il est aujourd’hui établi qu’il n’y a pas de races, mais seulement une unique espèce humaine. La référence à la notion de race devrait d’ailleurs disparaître prochainement de la Constitution.

La présente proposition de loi a donc pour objet d’abolir cette atteinte à l’égalité. D’ailleurs, les débats de société actuellement en cours, donnant lieu à des propos excessifs, sont la preuve qu’il est indispensable de rester vigilants, pour éviter que ne soit jetée une ombre sur l’égalité des droits pour toutes et tous.

L’article 2 de la proposition de loi vise à faire bénéficier les personnes victimes de propos discriminatoires à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap du délai de prescription d’un an.

Nous sommes évidemment extrêmement favorables à ce texte, qui constitue un pas supplémentaire vers la justice, réparant une anomalie de notre droit et établissant une cohérence qui sera protectrice pour toutes les victimes de diffamations ou d’injures. Nous voterons donc en faveur de son adoption. §

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, toucher à la loi de 1881 constitue une aventure parlementaire et juridique de première ampleur. C’est s’attaquer à quelque chose de sacré, que l’on ne devrait toucher que d’une main tremblante, tant la liberté de la presse comporte une dimension émotionnelle et symbolique !

Réformer le droit de la presse est une entreprise titanesque, et l’adapter à telle ou telle cause peut déstabiliser l’ensemble. Tel est le cas de la présente proposition de loi, puisqu’en supprimant utilement certaines discriminations, elle va rendre plus criantes certaines omissions discriminantes. Je pense, par exemple, aux propos turcophobes, au négationnisme du génocide du Rwanda, non visé par la loi Gayssot. À la place de notre collègue Kaltenbach, président du groupe parlementaire d’amitié France-Arménie, je n’aurais pas manqué de saisir l’occasion de l’examen de cette proposition de loi pour rappeler quelques mauvais souvenirs à notre assemblée !

Le fait est que l’adoption du texte qui nous est présenté va encore entraîner des distorsions dans la protection des victimes, réelles ou présumées.

Pourtant, il faut bien constater que notre droit de la presse n’est absolument pas adapté aux nouveaux médias et qu’il marque un certain retard. Chaque année – sauf en 2012, puisque nous n’avons pas eu l’occasion d’examiner la seconde partie du projet de loi de finances pour 2013 –, lors de la discussion des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », j’évoque ce sujet.

Injures et diffamations sont instantanément répandues sur la « toile », les procédures sont interminables, devant des tribunaux surchargés. Il est impossible de faire retirer des serveurs des imputations diffamatoires, y compris celles qui pourraient être reconnues comme telles par les tribunaux. Il est également impossible d’obtenir des rectificatifs de Wikipédia, cette bible des temps modernes. Le droit à l’oubli sur Internet, pour lequel notre collègue Yves Détraigne et notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier ont plaidé devant le Sénat, n’existe absolument pas.

Les blogueurs ne sont pas seuls au monde ; leurs droits s’arrêtent où commencent ceux des autres, leur liberté s’arrête où commence celle des autres. L’affaire Wikileaks constitue une illustration déplorable et extrême de mes propos, de même que l’affaire récente des tweets antisémites.

Je n’ai pas besoin de recourir à des citations de philosophes pour parler du droit à l’oubli sur Internet, car je dispose malheureusement d’un certain vécu dans ce domaine : je vous le dis d’expérience, il est impossible de faire retirer des propos diffamatoires. Je pense ici à l’ensemble des délits visés par la loi de 1881, c’est-à-dire les propos diffamatoires ou injurieux portant atteinte à l’honneur et à la considération, pas seulement à ceux qui entrent dans le champ de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Dans son livre sur les privilèges du Sénat écrit en 2008, un journaliste m’a consacré un chapitre intitulé « Comment être veuve et sénateur ». Il y indiquait que j’étais le mieux nanti des sénateurs, puisque je percevais, outre mon indemnité, une pension de réversion… Il s’agit là non pas d’une injure ni d’une diffamation, mais d’un mensonge pur et simple, puisque les articles 16, 33 et 53 du règlement de la caisse de retraite des anciens sénateurs interdisent absolument un tel cumul. Or, la longue interview de ce journaliste réalisée un matin à la radio par Jean-Jacques Bourdin est toujours disponible sur Internet. N’ayant pu obtenir de ce dernier ni un droit de réponse ni une simple réponse à la lettre recommandée que je lui avais adressée, je profite de cette occasion pour l’épingler : il aura le privilège de voir son nom figurer au Journal officiel de la République française !

Je puis vous assurer, madame le ministre, que de telles situations, qui surviennent quotidiennement, sont extrêmement désagréables. J’ajoute que la victime, de guerre lasse, abandonne les poursuites, qui lui font perdre non seulement de l’argent, mais aussi du temps. Le cas des États-Unis a été évoqué tout à l’heure, mais il faut savoir que, en France, les juges allouent à la victime, dans ce genre d’affaires, entre 5 000 et 7 000 euros, tandis que les honoraires d’avocat peuvent dépasser 10 000 euros…

J’en arrive à un point selon moi essentiel, sur lequel j’avais déposé un amendement que la commission des lois a rejeté.

La fameuse adresse Internet Protocol, ou adresse IP, ne doit pas être le rempart protégeant les auteurs anonymes d’infamies répandues sur Internet ni le gage de leur impunité. Je sais que notre collègue Yves Détraigne et notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier ont rendu un rapport concluant que l’adresse IP doit constituer une donnée à caractère privé. Mais ce rapport portait sur la protection de la vie privée à l’heure du numérique, or il ne s’agit pas d’autre chose ici ! Considérer l’adresse IP comme une donnée à caractère privé est une position compréhensible dans le cadre du respect de la vie privée, mais indéfendable dans celui de la loi de 1881, parce qu’on ne peut pas trouver l’auteur de l’infraction… La victime ne peut alors saisir les juridictions civiles. Quant à saisir les juridictions pénales, entre le dépôt de la plainte, la consignation et, le cas échéant, les réquisitions de police pour rechercher le détenteur de telle ou telle adresse IP, il est impossible de respecter le délai de prescription. Tout cela aboutit évidemment à un déni de justice, d’où le dépôt de l’amendement que j’évoquais à l’instant.

Je sais qu’il existe une philosophie aimable et bienveillante selon laquelle on ne peut pas tout réglementer. Je sais aussi qu’il est parfois très difficile d’avoir prise sur la technique pour mettre en place un certain nombre de protections. Ainsi, les moteurs de recherche font mécaniquement apparaître des éléments d’identification religieuse liés à telle ou telle personne.

J’ai naguère soutenu Nadine Morano – cela a dû être la seule fois ! §–, quand elle a attaqué Dailymotion : il faut tout de même savoir jusqu’où on peut aller dans l’humiliation et dans la critique. De Roger Salengro à Pierre Bérégovoy, un certain nombre d’hommes politiques ont vu leur honneur « livré aux chiens ». L’honneur est bien peu de choses aujourd’hui, et la présomption d’innocence est totalement bafouée. Je pense à Dominique Baudis, à l’affaire d’Outreau, à d’autres drames encore, en particulier à celui que j’ai vécu, dont on retrouve encore la trace sur Internet… Nous avons du pain sur la planche !

Madame le ministre, vous l’avez compris, je revendique haut et fort le droit à l’oubli. Je revendique haut et fort le droit de réfléchir, avec vos services, à une nouvelle architecture du droit de la presse à l’aube du XXIe siècle. J’ai déjà tenu ces propos en 2008, en 2009, en 2010. Chère Esther Benbassa, j’espère que, à nous deux, nous obtiendrons une avancée en ce sens !

J’avais demandé au précédent président du Sénat la constitution d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information pour conduire une réflexion sur ce thème. Je viens de réitérer cette demande auprès du président Bel.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

On n’est jamais mieux servi que par soi-même !

Le sujet est vraiment fondamental. Sans revenir sur mon cas personnel, je voudrais dire très solennellement que cela n’arrive pas qu’aux autres ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1881 fait partie de ces grandes lois de progrès social et de liberté votées par le Parlement de la IIIe République qui ont fondé le pacte républicain dont nous sommes aujourd’hui à la fois les bénéficiaires et les dépositaires.

Faut-il le rappeler, c’était aussi l’époque où les radicaux faisaient souffler un vent nouveau de liberté dans notre pays… Après des années d’ordre moral et de contrôle strict de la circulation des idées et des opinions, bien sûr au détriment des idées républicaines, la loi du 29 juillet 1881 instituait le délicat équilibre entre la liberté d’expression et la sauvegarde de l’ordre public que nous connaissons toujours aujourd’hui.

Naturellement, nous sommes tous ici profondément attachés à cette liberté d’expression durement conquise au fil de l’histoire, mais nous réprouvons les discriminations, sous quelque forme qu’elles s’expriment. Rien ne saurait, en effet, justifier le rejet d’une personne ou l’insulte à raison de la couleur de la peau, des origines, des opinions, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. Chacun a droit au respect, quels que soient les éléments qui composent son identité.

Les délits de presse tels qu’ils sont définis dans notre législation forment une limite raisonnable à la liberté d’expression dans une société démocratique. Néanmoins, pas plus qu’il ne saurait exister de hiérarchisation entre les discriminations, il ne saurait y avoir de hiérarchisation entre les éléments constitutifs des délits de presse, à commencer par les délais de prescription applicables. C’est pourtant ce que prévoit aujourd’hui notre droit, comme cela a été rappelé, même si l’on observe une certaine homogénéité des peines encourues et appliquées.

Cette différence résulte de la loi Perben II du 9 mars 2004, qui allongea les délais de prescription pour les insultes visant l’origine, l’ethnie, la nationalité, la race ou la religion. Or cette différence de traitement avec les insultes liées à l’orientation sexuelle ou au handicap pose un réel problème de constitutionnalité. Comme cela a été dit, la Cour de cassation a d’ailleurs transmis au Conseil constitutionnel, le 23 janvier dernier, une question prioritaire de constitutionnalité portant précisément sur cette entorse au principe d’égalité devant la loi.

En conséquence, les évolutions prévues par la présente proposition de loi constituent une avancée positive, dès lors que le contexte actuel n’a évidemment plus rien à voir avec celui qui prévalait en 1881. Il est pour le moins choquant que toutes les victimes de propos portant atteinte à leur dignité ne soient pas traitées de façon équivalente. Or, on relèvera que la plupart des délits de presse visés par le présent texte tiennent, en réalité, à des propos tenus en public ou à des écrits diffusés par des particuliers, via Internet, sans lien avec la presse stricto sensu.

Le fait est que l’irruption d’Internet et son développement exponentiel ont transformé en profondeur la façon dont le droit doit appréhender les comportements et les faits sociaux. Autrefois, un délai de prescription de trois mois était adapté pour des propos tenus dans la presse écrite. Aujourd’hui, à l’heure du web hypermnésique, un tel délai est foncièrement inadapté, puisque toute information ou tout propos laissera, d’une manière ou d’une autre, une trace virtuelle rendant le délai de prescription de trois mois tout à fait inopérant.

Cette réflexion devra, de toute façon, être prolongée afin de procéder à une véritable remise à plat. Il est évident que les problèmes soulevés par Internet ne sont aujourd’hui pas totalement appréhendés par le droit. Une refonte de la loi de 1881 s’imposera en toute hypothèse, madame la ministre, même si la prudence doit prévaloir en la matière, comme l’avait souligné le rapport de la mission d’information sur la réforme des délais de prescription en matière civile.

Tel n’est pas le débat qui nous occupe aujourd’hui et le groupe du RDSE accueille tout à fait favorablement cette proposition de loi, chère Esther Benbassa.

Je formuleraicependant quelques remarques, d’un point de vue plus juridique.

Ce texte ne mettra pas un terme à toutes les incohérences du dispositif de la loi de 1881 en matière de prescription. Je le rappelle, trois régimes distincts subsisteront : un premier régime, qui concerne, par exemple, l’apologie des crimes contre l’humanité, prévoit un délai de prescription de trois mois et une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ; un deuxième régime, introduit par la loi du 21 décembre dernier et visant la provocation au terrorisme, prévoit un délai de prescription d’un an et une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ; enfin, un troisième régime, celui qui nous occupe aujourd’hui, prévoit un délai de prescription d’un an et une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Par ailleurs, il faut encore remarquer que ce texte tend à élargir le champ des dérogations aux principes généraux de la procédure pénale pour ce qui concerne les circonstances aggravantes. La loi du 9 mars 2004 avait déjà créé une entorse aux règles générales de prescription, en établissant des distinctions selon les circonstances dans lesquelles une infraction a été commise. La présente proposition de loi suit la même logique : prenons garde à ne pas trop étendre le champ des régimes dérogatoires, car un allongement trop important des délais de prescription ne doit pas nuire à la liberté de la presse, en toutes hypothèses.

Ces quelques remarques ne nous empêcheront pas, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, madame la ministre, d’apporter notre entier soutien à ce texte qui, il faut le reconnaître, constitue en la matière une avancée certaine. §

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Madame le président, madame le ministre, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la loi du 19 juillet 1881 constitue l’un des nombreux symboles de notre République. D’ailleurs, il ne viendrait à l’idée de personne d’en contester les bienfaits démocratiques. Ainsi, en ces temps où l’on se donne pour principe de dénoncer les lois « bavardes », les lois « fragiles », qui ne résistent pas à un changement de majorité, c’est avec beaucoup de respect et d’humilité que j’évoque un texte qui fait honneur à la nation et à ses représentants.

Nous pouvons être fiers de cette loi, non pas uniquement parce qu’elle constitue le socle fondateur de la liberté de la presse, mais aussi – et c’est un point non négligeable – parce qu’elle emporte la protection de l’ensemble des citoyens en définissant les responsabilités de la presse française.

En effet, cette loi, qui a fait basculer la réglementation de la presse du régime préventif au régime répressif, préserve la liberté d’expression de tous débordements tels que l’offense, l’atteinte à l’honneur, la diffamation, la discrimination raciale, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er juillet 1972, ou la discrimination sexuelle, depuis l’adoption de la loi du 4 octobre 2004.

C’est d’ailleurs de ces deux dernières incriminations qu’il est question dans le présent texte. En effet, cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 22 novembre 2011, vise à harmoniser les délais de prescription institués par la loi du 29 juillet 1881 pour la poursuite des propos racistes ou xénophobes, d’une part, et pour celle des propos discriminatoires à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap de la victime, d’autre part. Alors que la poursuite des propos racistes ou xénophobes est prescrite après une période d’un an, la poursuite de propos discriminatoires à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap de la victime n’était plus recevable après une période de trois mois.

C’est pourquoi il est opportun de proposer d’instaurer un délai de prescription commun d’un an pour les deux types d’infraction, afin de concilier le droit de chacun d’exprimer ses opinions librement et celui d’obtenir justice pour les victimes de propos injurieux ou diffamatoires.

Une telle harmonisation se justifie d’autant plus que les sanctions pénales sont équivalentes. Cette incohérence résulte, en fait, de la loi du 9 mars 2004, qui avait prévu la répression des délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence commis à l’encontre de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, sans modifier l’article 65-3 du code pénal afin de procéder à l’alignement des délais de prescription avec ceux qui sont prévus en matière de lutte contre les discriminations raciales.

Par ailleurs, le choix d’un alignement sur le délai le plus long se justifie, quant à lui, par la difficulté d’identifier les auteurs d’infractions sur Internet, qui empêchait la justice d’agir à temps.

En effet, un délai inférieur ne donnerait pas aux autorités de police le temps nécessaire pour recueillir les éléments indispensables à la poursuite des délits visés par la loi de 1881, car le caractère transfrontalier et anonyme des sources rend parfois compliquée l’identification des auteurs, notamment sur Internet.

Telle est ici la question principale. Dans bien des cas, en effet, les contenus diffusés ne sont pas le fait de journalistes ou de professionnels de l’information, soumis au contrôle d’un directeur de la rédaction et encadrés par des règles de déontologie.

Je tiens à saluer les propos tenus par Mmes Benbassa et Goulet. J’accepterais bien volontiers de participer à la mission d’information ou à la commission d’enquête dont elles demandent la création, afin que nous puissions élaborer ensemble un dispositif permettant de réguler l’expression sur Internet. Imaginez ce qui se serait passé pendant la Seconde Guerre mondiale si Internet avait existé : le travail de la Gestapo aurait été facilité…

Enfin, l’examen de ce texte en commission aura permis de le coordonner avec la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Il est logique de procéder à cet aménagement, puisque nous avions pris soin de condamner les incitations aux crimes terroristes.

Ainsi, en adoptant cette proposition de loi, nous permettrons de préserver, au-delà du droit de la presse, ce qu’il y a de noble dans le métier de la presse : l’information et le débat.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement que nous soutenions avait pris soin de ne pas donner un champ trop large pour les délits de discrimination portant sur le sexe ou l’orientation sexuelle, afin de ne pas viser toutes les distinctions opérées entre les personnes physiques, ce qui aurait ouvert la voie à de nombreuses revendications susceptibles de constituer une réelle entrave au débat public.

Ce texte ne se limite pas à cela.

Tout d’abord, il vise non plus le seul métier de la presse, ou tout au moins la presse de métier, mais tous ceux qui souhaitent exprimer librement et ouvertement leur opinion et qui, de fait, doivent être soumis aux mêmes obligations que celles s’imposant aux professionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Ensuite, il préserve le droit de chacun de voir respecter ses droits les plus essentiels, ceux qui font la grandeur de notre République.

Trop souvent, nous avons vu des individus porter atteinte au respect de la présomption d’innocence au seul motif que leur victime appartenait à une ethnie particulière ou à un sexe particulier ! Pourrions-nous tolérer aujourd’hui la résurgence de thèses prétendument scientifiques qui font le lit des comportements les plus répréhensibles, que nous avons payés autrefois au prix du sang et de la honte ? Certes non !

Ainsi, comme je le disais, cette loi est grande par le symbole qu’elle constitue, et aussi par la protection qu’elle apporte à nos droits les plus chers. C’est pourquoi je suis favorable à l’adoption du présent texte, qui vient en renforcer les bienfaits. Nos collègues de l’Assemblée nationale l’ont d’ailleurs adopté à l’unanimité des suffrages exprimés.

En guise de conclusion, je souhaite attirer votre attention, mes chers collègues, sur une question prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise dernièrement par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel.

La haute juridiction judiciaire a en effet transmis, le 23 janvier dernier, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881, qui dispose que le délai deprescription est porté à un an pour les délits évoqués précédemment.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Or les requérants ont estimé que ladérogation à la règle d’ordre public de laprescription trimestrielle prévue par la loi du29 juillet 1881 portait notamment atteinte auprincipe d’égalité devant la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le groupe écologiste se réjouit que l’examen de la présente proposition de loi ait enfin été inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Adopté à une forte majorité à l’Assemblée nationale, le 22 novembre 2011, ce texte est plus que jamais nécessaire.

Nous avions d’ailleurs, dès le printemps 2011, déposé à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, une proposition de loi similaire, de nouveau déposée le mois dernier par le groupe écologiste. Nous estimons que l’allongement du délai de prescription à un an, s’agissant de la provocation à la discrimination, de la diffamation ou de l’injure à raison de l’origine ou de la religion, devrait également s’appliquer aux mêmes infractions lorsqu’elles sont à caractère sexiste, homophobe, transphobe, ou liées à un handicap.

Ce traitement différencié des victimes n’a pas lieu d’être ! En effet, ces diverses infractions sont soumises à un régime de peines identique, prévoyant de six mois à un an d’emprisonnement et de 22 500 à 44 500 euros d’amende.

Or la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a porté ces délais de prescription à un an dans le seul cas où ces faits ont été commis à raison de l’origine ou de la religion. De ce fait, comme l’a fort justement rappelé notre rapporteur, le législateur a introduit une distorsion dans les délais de prescription pour des infractions de même nature. Cependant, rien ne justifie que ces actes se prescrivent toujours dans un délai de trois mois lorsqu’ils ont été commis contre des femmes, des gays, des lesbiennes, des bisexuels, des personnes transgenres ou des personnes handicapées.

Les délais de prescription des délits commis par voie de presse relèvent d’un régime dérogatoire au droit commun. Cela s’explique par une volonté légitime de protéger la liberté de la presse et d’assurer le respect des droits des médias. Néanmoins, l’exception introduite en 2004 pour la poursuite des propos injurieux, discriminants et diffamants à caractère raciste et xénophobe doit impérativement s’appliquer aux infractions de même nature à caractère sexiste, homophobe, transphobe ou handiphobe. Ne discriminons pas entre les personnes discriminées : il y va d’une application stricte du principe d’égalité et de la protection des droits des victimes.

Les évolutions techniques, l’essor d’Internet et des réseaux sociaux complexifient l’identification des auteurs de tels actes, dont les victimes, ainsi que les associations de défense de leurs droits, ne peuvent, bien souvent, pas intenter une action judiciaire dans un délai aussi court. Il est donc nécessaire d’harmoniser par le haut les délais de prescription, afin que toutes les victimes disposent d’un délai d’une année pour ester en justice.

Dans son excellent rapport, notre collègue Esther Benbassa relève d’ailleurs l’absence de condamnations pénales définitives, entre 2003 et 2011, concernant les infractions de provocation à la discrimination et les actes de diffamation à raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle, ou encore du handicap.

Ces mêmes agissements ont en revanche donné lieu, en 2006, à quatre-vingt-douze condamnations définitives en matière de provocation à la discrimination raciale ou religieuse. On n’en avait dénombré que vingt-six en 2003, avant l’entrée en vigueur de la loi Perben II. L’exploitation de ces données, issues du casier judicaire national, permet de penser que l’allongement du délai de prescription à un an a rendu possible une telle évolution.

Les chiffres relatifs aux injures publiques sont tout aussi significatifs. En 2008, par exemple, 467 condamnations définitives sanctionnant des faits d’injures racistes ou à raison de la religion ont été prononcées, contre seulement deux pour des injures sexistes et LGBT-phobes et deux pour des injures à raison du handicap.

Une homogénéisation des délais de prescription est donc nécessaire, car des victimes se trouvant dans des situations comparables devraient pouvoir bénéficier du même droit effectif à la justice.

Cette proposition de loi, outre qu’elle vise à supprimer une différence de traitement injustifiée, permettra également, je l’espère, de renforcer la sécurité juridique, en particulier au regard des infractions commises sur Internet.

À cet égard, j’ai été fort sensible aux messages que m’ont adressés des personnes en situation de handicap à la suite du dépôt de la proposition de loi écologiste. Ces personnes m’indiquaient avoir constaté la circulation sur la « toile » de propos haineux, d’une particulière cruauté à leur encontre. Certaines d’entre elles avaient été directement victimes de telles atrocités via des réseaux sociaux ; d’autres faisaient référence à des commentaires et injures diffusés, en particulier, à l’occasion des Jeux paralympiques.

Voter le texte qui nous occupe aujourd’hui sera donc une façon de témoigner notre soutien à toutes les victimes de ces infractions.

En cette matière, les femmes ne sont malheureusement pas en reste ! Il n’est nul besoin de faire des recherches sur Internet pour s’en convaincre : les comportements sexistes se manifestent sous nos yeux… J’en veux pour preuve les remarques inadmissibles formulées par certains, dans cet hémicycle, lors des débats sur la parité dans les listes de candidats aux élections locales, ou l’attitude inacceptable de certains députés, dont la ministre du logement, coupable d’avoir osé mettre une robe, a eu à pâtir. Ce n’est là qu’un échantillon d’un sexisme décomplexé et arrogant !

De même, la discussion, à l’Assemblée nationale, du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe suscite des dérives et des propos intolérables.

L’association SOS Homophobie note d’ailleurs, dans son rapport de 2008 consacré à la lesbophobie, que les femmes homosexuelles sont à la fois victimes de sexisme et d’homophobie.

Enfin, il me semble important de saluer, au détour de l’examen de la présente proposition de loi, le programme d’action gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, dont la responsabilité vous a été confiée, madame la ministre.

Il faut à l’évidence également appliquer un délai de prescription d’une année aux actes de provocation à la discrimination, à ceux de diffamation et aux injures publiques à raison de l’identité de genre. En effet, la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel a introduit dans notre droit la notion d’« identité sexuelle ». Le VI de son article 4 a modifié la loi du 29 juillet 1881, sur laquelle porte également la présente proposition de loi. Ce dernier texte concerne donc aussi la poursuite des injures et diffamations transphobes et celle de la provocation à la discrimination envers les personnes « trans ». Un amendement déposé par Mme la rapporteur est d’ailleurs venu modifier l’intitulé de la proposition de loi, en y intégrant une mention de l’« identité sexuelle », conformément à la loi de 2012 précitée.

Il s’agit d’une première étape, franchie l’été dernier. Il me semble cependant qu’une telle notion ne permet pas de recouvrir la réalité et la diversité de toutes les situations. J’ai donc souhaité, avec les membres du groupe écologiste, déposer sur le texte adopté en commission des amendements tendant à substituer la notion d’« identité de genre » à celle d’« identité sexuelle ». Je les présenterai tout à l’heure.

Il n’en demeure pas moins que le groupe écologiste est extrêmement favorable à la proposition de loi n° 325, qu’il votera sans hésitation ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la loi sur la liberté de la presse, dès l’origine, en 1881, faisait de la diffamation raciste un délit pénal. Ce dispositif a été élargi, en 1972, par le biais de l’incrimination des propos discriminatoires, injurieux ou incitant à la haine, fondés sur l’origine, l’appartenance ethnique, nationale, raciale ou religieuse. Pourtant, la tenue de tels propos à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap n’a été qualifiée de délit qu’en 2004.

Toutefois, les délais de prescription des délits de cette nature n’étaient pas harmonisés. Il subsistait une différence en matière de délai pour engager l’action pénale : ce délai était fixé à trois mois pour les personnes victimes de propos discriminatoires à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, et à un an pour celles ayant été l’objet de propos à caractère raciste ou xénophobe.

Cette différence de traitement a conduit à la transmission au Conseil constitutionnel, par la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité pour atteinte au principe d’égalité des délits et des peines.

En adoptant aujourd’hui cette proposition de loi, nous mettrons fin, si j’ose dire, à une discrimination dans la lutte contre les discriminations. Nous harmoniserons les délais de prescription, en tenant compte des évolutions techniques : le passage d’une presse écrite, dont l’impact est immédiat et éphémère, à une publication sur Internet, qui est quasiment indélébile et peut continuer longtemps à se propager.

La prescription des délits commis par voie de presse repose sur un régime dérogatoire ayant pour finalité de protéger la liberté de la presse. C’est la raison pour laquelle des délais de prescription très courts, bien plus courts que pour les autres délits, furent fixés en 1881.

Mais, à l’époque, à moins qu’il ne soit réédité par son auteur, le délit était – excusez la trivialité du mot ! – « consommé » en quelques jours. Avec les publications électroniques, le délit se répète automatiquement et en permanence. Il peut être constaté et se propager longtemps après avoir été commis.

Cette situation a motivé la démarche, engagée en 2004, d’allongement des délais de prescription. Toutefois, rien ne justifiait qu’elle ne concerne que certains types de propos discriminatoires ou incitant à la haine ; tel fut pourtant le cas.

Notre commission des lois en a convenu : trois mois est un délai de prescription trop court pour une infraction commise sur Internet. Ce qui vaut pour les propos racistes et antisémites aurait dû aussi, bien évidemment, valoir pour les propos sexistes, homophobes et handiphobes.

Or, c’est d’abord sur Internet que l’on trouve ce type de propos, car la presse professionnelle a une déontologie et des habitudes qui permettent de limiter sérieusement, pour ne pas dire totalement, les éventuelles dérives.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Internet, outil formidable au service de la liberté d’expression, donne évidemment une dimension nouvelle aux phénomènes de diffamation, d’injure et de provocation à la discrimination : les auteurs potentiels sont plus nombreux, la diffusion large d’un message prend peu de temps, la trace est indélébile et l’auteur perd le contrôle de ses propos, des effets de ses écrits et de leur diffusion.

Trois mois était un délai beaucoup trop court pour lancer une action contre des sites ou des blogs où se tiennent des propos à caractère discriminatoire ; un an donnera une bien plus grande marge de manœuvre pour poursuivre leurs auteurs.

Les statistiques du ministère de la justice ont d’ailleurs confirmé de manière frappante la nécessité d’allonger les délais. En effet, entre 2005 et 2010, une seule condamnation a été prononcée sur le motif de « provocation à la haine ou à la violence à raison de l’orientation sexuelle par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ». Cela prouve que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du délai de prescription. Il convient d’être particulièrement vigilants sur ce point, compte tenu de la nature des débats qui mobilisent aujourd’hui la société française.

Cette proposition de loi, initialement déposée par Catherine Quéré et Jean-Marc Ayrault et adoptée par l’Assemblée nationale, recueille le soutien d’une large majorité, en raison du souci d’harmoniser la lutte contre les discriminations qui la sous-tend.

Son examen offre en outre l’occasion d’engager une réflexion plus large sur la relation entre l’État, la puissance publique, le législateur, d’une part, et Internet, d’autre part. Ce dernier remet-il en cause le rôle des premiers ? Comment la puissance publique doit-elle s’adapter pour mieux jouer le sien face aux avancées techniques qui changent les moyens de communication entre les hommes ? Ces questions sont d’autant plus cruciales que les fournisseurs d’accès à Internet et de matériels en savent aujourd’hui plus que les États eux-mêmes sur chacun d’entre nous. Quelle régulation d’Internet faut-il mettre en place ? Quelle loi doit s’appliquer, et comment la rendre crédible, dès lors que la « toile » se joue des frontières ?

L’État, le législateur doit protéger la personne, sa sécurité, son intégrité : c’est là son rôle premier, le fondement de sa légitimité. Comment peut-il y parvenir, s’agissant d’actes commis sur un réseau qui se veut un espace de totale liberté, un réseau qui est vecteur d’ouverture, d’idées, d’expériences, un réseau qui est un briseur de chaînes, parvenant en quelques semaines à faire se soulever un peuple alors qu’il fallait auparavant des années de structuration souterraine d’une opposition avant que puisse éclater une révolution ?

Comment faire en sorte que les dangers issus de cet espace de liberté et d’échange n’entraînent pas, n’entraînent jamais, une violation permanente de l’intimité, du cheminement de la pensée et des actes, de la correspondance privée ?

Poser le principe que les adresses IP doivent être protégées à l’instar des données personnelles est essentiel. Comment bien identifier les responsables des actes délictueux et la nature de leur responsabilité quand l’appropriation de ces données par les opérateurs de réseaux sociaux et les fournisseurs de services n’est pas toujours maîtrisée ni connue des utilisateurs ? Comment justifier un contrôle sur la « toile » sans excuser les limitations de son usage et les censures qu’imposent de nombreux États totalitaires ?

La position adoptée au Conseil des droits de l’homme de l’ONU par la Tunisie, lors du vote du 5 juillet 2012 sur la résolution relative à la liberté d’expression sur Internet, est significative à cet égard. Le texte adopté affirme que l’exercice des droits qui s’appliquent hors ligne, en particulier la liberté d’expression, doit aussi être protégé en ligne, quel que soit le média et sans tenir compte des frontières. La résolution appelle encore tous les États à promouvoir et à faciliter l’accès à Internet, ainsi que la coopération internationale pour favoriser le développement des médias et des communications dans tous les pays. Or le représentant tunisien, Moncef Baati, a rappelé, à cette occasion, le rôle crucial joué par Internet dans la mobilisation ayant conduit, l’an passé, à la « révolution » dans son pays, fer de lance du « printemps arabe ».

Cette liberté sur la « toile » est une garantie contre le politiquement correct, la dictature s’exerçant sur la pensée, la vénération des « vaches sacrées ».

Mme Nathalie Goulet s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

La régulation de l’expression sur Internet peut-elle s’institutionnaliser, alors que le principe même qui régit le web, c’est l’autorégulation, la responsabilisation des internautes ? Sous tous les aspects, le web oblige à l’apprentissage, à la sensibilisation, au respect d’une déontologie. Il en va de même sur le plan technique, car c’est la condition du bon fonctionnement du réseau. Sur le plan éthique, les choses sont beaucoup plus compliquées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il faudrait que chaque utilisateur prenne conscience que la liberté de s’exprimer n’inclut pas celle de diffamer. Il y va du respect de l’autre, mais aussi de la crédibilité du réseau.

Notre rapporteur, Esther Benbassa, a exprimé un faible pour le premier amendement de la Constitution américaine, qui ne pose pas de limite à la liberté d’expression, principe entré dans les mœurs américaines par le jeu de l’éducation et des habitudes : « La pédagogie qui l’a accompagné a permis d’encadrer une liberté en principe totale. En France néanmoins, où la menace de la sanction est brandie dès les premières années de l’enfance, il semble difficile de s’en remettre à une telle mesure. »

C’est la raison pour laquelle nous voterons ce texte, qui s’inscrit dans notre continuité juridique et répond à une nécessité à la fois technique, juridique et morale.

Toutefois, la nature même d’Internet, de ses potentialités, mais également de ses risques, doit nous amener à réfléchir sur l’intérêt de l’approche américaine, beaucoup plus pédagogique que la nôtre et qui requiert éducation et expérience. Il faut faire confiance à la capacité de chacun de confirmer cette célèbre parole de Marat : « La liberté de tout dire n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d’elle-même et son triomphe est assuré. »

C’est sur cette citation, madame Goulet, que je comptais terminer mon intervention, mais je tiens auparavant à saluer votre témoignage. Je suis convaincu que le Sénat, à l’occasion d’une réflexion sur les moyens de faire respecter la dignité de chacun sur Internet, parviendra à faire converger les préoccupations qui se sont exprimées cet après-midi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Madame la ministre, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir placé votre action sous le signe de la lutte contre la discrimination. Ainsi, ce matin, avec Mme Pau-Langevin, vous êtes allée à la rencontre de lycéens pour aborder avec eux la question de la lutte contre le sexisme en milieu scolaire. Cet après-midi, dans le droit fil des préoccupations qui sont les vôtres, vous avez parlé avec talent de la nécessité de lutter contre toutes les discriminations. En effet, rien ne justifie qu’il existe des discriminations entre les discriminations : toutes les atteintes à la dignité humaine sont intolérables et doivent donc être considérées par la loi de la même manière.

Cela étant, comme l’a souligné Mme Goulet, nous ne devons toucher à la loi de 1881 que d’une main tremblante, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… mais sûre.

Je pense souvent à cette tirade célèbre magnifiant la liberté de la presse que Beaumarchais place dans la bouche de Figaro : « pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs ». §

Nous allons donc toucher à la loi de 1881 parce que cela est absolument nécessaire. À cet égard, je tiens à saluer les propos éclairants que vous avez tenus, madame Benbassa, sur l’injure. En effet, on ne parle pas seulement pour communiquer ; il y a des mots qui sont des actes. Cela renvoie à tout un courant de la philosophie qui a mis l’accent sur le caractère performatif de certains énoncés. On peut évoquer Quand dire c’est faire, de John Langshaw Austin, Les mots et les choses, de Michel Foucault. Plus près de nous, John Searle et Oswald Ducrot ont eux aussi mis en évidence l’importance des actes de langage. Le langage peut devenir acte de haine, de violence : il y a en effet des mots qui tuent…

J’ajouterai un dernier mot, sous l’autorité de Jean-Pierre Michel, qui est un grand spécialiste de ces questions, comme de beaucoup d’autres d’ailleurs.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Comme l’ont souligné MM. Mohamed Soilihi, Leconte et Collin, ainsi que Mme Goulet, il nous faut mener une réflexion sur la régulation d’Internet, mais en gardant à l’esprit qu’il ne peut y avoir, sur ce sujet, de conception réaliste autre qu’internationale. À cet égard, l’Europe peut peser au niveau international. Certes, il est impensable qu’Internet soit un espace exempt du droit, qu’il s’agisse de la diffamation, du droit d’auteur, de la propriété intellectuelle, ou tout simplement de l’honnêteté, mais il faut des règles qui s’imposent partout.

Bien sûr, je suis tout à fait d’accord pour que nous engagions au Sénat, via la constitution d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information, une réflexion approfondie sur la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cela relève de notre responsabilité. Si nous ne menons pas une telle démarche, notre action de législateur concernant le fonctionnement d’une sphère d’Internet qui pour l’heure se joue quotidiennement de nos lois ne pourra que souffrir de graves lacunes. (Applaudissements.)

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de l’esprit de consensus qui règne dans votre assemblée sur cette question. Compte tenu de l’actualité, on aurait pourtant pu s’attendre à un débat plus polémique. Cela a été rappelé, cette proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale. J’espère qu’il en ira de même au Sénat.

Je tiens à remercier Mme Benbassa de son excellent travail. Elle a rappelé, à juste titre, que nous débattons aujourd’hui de valeurs autour desquelles nous devons nous rassembler, dans le respect de notre tradition juridique, qui mérite cependant parfois d’être réactualisée.

J’ai retenu de vos propos, madame la rapporteur, que les mots sont parfois des armes, et qu’ils peuvent tuer. Je partage absolument ce point de vue.

Vous avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’arrivée d’Internet est un fait nouveau qui doit nous amener à moderniser notre législation, y compris la loi du 29 juillet 1881.

Monsieur Mohamed Soilihi, vous avez relevé avec raison que des délais de prescription trop courts entraînent non seulement la forclusion d’un certain nombre de procédures, mais découragent de surcroît les recours. Or il convient au contraire de favoriser l’introduction de ceux-ci lorsqu’ils sont justifiés.

Madame Goulet, nous aurons peut-être la main tremblante au moment de modifier la loi de 1881, mais sachez que cette main sera néanmoins ferme et déterminée. Je veux le redire ici : Internet ne doit pas être une zone de non-droit, un sanctuaire. Je pourrais moi aussi vous raconter quelques anecdotes à ce sujet. Je rencontrerai demain les responsables de Twitter, un réseau social sur lequel des propos antisémites, racistes ou homophobes ont été échangés ces derniers mois ; j’y reviendrai.

J’ai bien entendu votre demande, madame Goulet, d’une réflexion en commun sur ces sujets. M. le président de la commission des lois vient d’y donner une réponse favorable. À titre personnel, je ne peux que soutenir une telle démarche. Sachez cependant que la garde des sceaux travaille, en ce moment même, sur un habeas corpus numérique, conçu notamment pour garantir le droit à l’oubli que vous avez tous, à juste titre, appelé de vos vœux. Il me semble nécessaire d’assurer une bonne articulation entre ces deux démarches.

Plus généralement, au travers de ce texte, il s’agit de mettre fin aux discriminations entre les discriminations. À cet égard, je voudrais remercier certains d’entre vous d’avoir mis l’accent sur cette violence terrible, quotidienne et bien réelle qu’est l’handiphobie. Je recevrai très prochainement Jean-Marie Barbier, le président de l’Association des paralysés de France, qui nous alerte régulièrement sur la progression rapide des dérapages en ligne à l’encontre des personnes en situation de handicap. L’impunité qui règne en la matière est assez affligeante : en neuf ans, dix condamnations seulement ont été prononcées pour sanctionner des injures de cette nature.

Au fond, ce que révèlent ces affaires, c’est une forme de banalisation de toutes ces injures, qu’elles soient sexistes, homophobes, transphobes, racistes ou handiphobes. Cela tient au fait qu’elles correspondent à des stéréotypes, minimisés en permanence, dont nos sociétés restent imprégnées et qui sont autant d’obstacles à l’égalité et au respect des personnes.

Savez-vous, par exemple, que 64 % des Français pensent sincèrement que les personnes handicapées sont inaptes au travail ? La persistance de ces stéréotypes fait que les handicaps s’additionnent pour les personnes concernées : au handicap fonctionnel, corporel s’ajoute le préjudice quotidien, permanent, créé par la société au travers de tels clichés.

J’ai pleinement conscience que ces stéréotypes forment la racine de toutes les discriminations auxquelles nous devons faire face aujourd’hui. En tant que ministre des droits des femmes, je ressens avec une particulière acuité le jeu des mécanismes qui constituent ce sexisme « ordinaire » conduisant petit à petit aux actes de harcèlement et aux discriminations que nous avons souvent dénoncés ici. Je ne les sous-estime pas. C’est la raison pour laquelle je souhaite que soit mené un travail en profondeur sur ce sujet ; j’espère que votre assemblée me suivra, dans quelques mois, lorsque je lui présenterai un projet de loi traitant de cette question.

La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui ne fait courir aucun risque à la liberté de la presse en tant que telle, au contraire. Comme vous l’avez indiqué, monsieur Collin, nous avions, avec la loi Perben, commencé un travail qu’il convient de terminer et qui soulève d’ailleurs un certain nombre de questions de constitutionnalité. Au-delà du texte que le Sénat va, je l’espère, adopter tout à l’heure, il faudra peut-être envisager une refonte plus ambitieuse de la loi de 1881. Cela étant, telle n’est pas exactement la question qui nous occupe aujourd’hui et il faudra certainement, monsieur Charon, patienter un peu avant d’ouvrir ce chantier. Néanmoins, je considère que cela peut être extrêmement utile et intéressant. Attendons donc que le Conseil constitutionnel se soit exprimé sur la question prioritaire de constitutionnalité que vous avez évoquée.

En conclusion, je vous remercie vivement de votre engagement personnel, madame Benbassa, sur un sujet qui, je le sais, vous tient à cœur et semble faire l’objet d’un consensus au Sénat, ce dont, une fois encore, je me félicite. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

(Suppression maintenue)

L’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifié :

1° La référence : « et huitième » est remplacée par les références : «, huitième et neuvième » ;

2° La référence : « le deuxième alinéa » est remplacée par les références : « les deuxième et troisième alinéas » ;

3° La référence : « le troisième alinéa » est remplacée par les références : « les troisième et quatrième alinéas ».

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L'amendement n° 1, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les délits prévus par l'article 29, lorsqu’ils sont commis par un moyen de communication au public par voie électronique, le délai de prescription prévu par l'article 65 est porté à un an. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Il s’agit d’un amendement d’appel, on l’aura compris.

L’injure et la diffamation de droit commun finissent par être moins bien traitées que les délits faisant l’objet du présent texte. Cet amendement vise donc à aligner le délai de prescription instauré par la loi sur la presse sur celui qui est prévu par la présente proposition de loi, à savoir un an. En créant des dérogations au régime de droit commun, on a institué des différences de traitement entre les victimes d’injures et de diffamations selon le caractère de celles-ci. En définitive, un homme ou une femme politique injurié ou diffamé sur Internet pour des raisons ne tenant ni à son orientation sexuelle, ni à sa couleur de peau, ni à sa religion, ni à un handicap est moins bien protégé que les autres victimes.

Je propose simplement d’aligner les délais de prescription de l’action publique en matière d’injures et d’actes de diffamation.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

La mesure proposée est pertinente mais, comme cela a déjà été dit, il faudrait élaborer une loi relative aux limites de l’expression sur ce média fort utile qu’est Internet.

La commission a donné un avis défavorable à cet amendement.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, pour deux raisons.

Tout d’abord, l’adoption de cet amendement changerait la nature du texte, puisque celui-ci a vocation à prolonger le délai de prescription en fonction du contenu, et non du support.

En outre, une proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription pour les actes de diffamation, les injures et les provocations commis par l’intermédiaire d’Internet a été adoptée par le Sénat le 4 novembre 2008 et redéposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 2 juillet dernier. Il me semble donc que la discussion de cet amendement s’inscrirait beaucoup mieux dans le cadre de l’examen de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Vous comprendrez que des personnes ayant été diffamées ou injuriées et se trouvant dans l’impossibilité de poursuivre les auteurs des faits puissent en concevoir quelque impatience !

Quoi qu’il en soit, je retire cet amendement.

L'article 2 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L'amendement n° 3, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :

A. Au neuvième alinéa de l'article 24, au troisième alinéa de l'article 32 et au quatrième alinéa de l'article 33, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de leur identité de genre » ;

B. Au premier alinéa de l'article 48-4, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre ».

La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Madame la présidente, si vous le permettez, je présenterai en même temps l'amendement n° 4.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

J’appelle donc en discussion l'amendement n° 4, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, et ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I – Le code pénal est ainsi modifié :

A. Aux premier et second alinéas de l'article 132-77, au 7° de l'article 221-4, au 5° ter des articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13, à la seconde phrase de l'article 222-18-1, au 9° de l'article 222-24, au 6° de l'article 222-30, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre » ;

B. Aux premier et second alinéas de l'article 225-1, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de leur identité de genre » ;

C. Au premier alinéa de l'article 226-19, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou à l’identité de genre » ;

D. Au 9° de l'article 311-4, et au 3° de l'article 312-2, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou de son identité de genre ».

II. – Au 3° de l'article 695-9-17, au 5° de l'article 695-22 et au 4° des articles 713-20 et 713-37 du code de procédure pénale, après le mot : « politiques », le mot : « ou » est remplacé par la marque de ponctuation : «, », après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou de son identité de genre ».

III. – Le code du travail est ainsi modifié :

A. À l'article L. 1132-1, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de son identité de genre » ;

B. Au 3° de l'article L. 1321-3, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de leur identité de genre » ;

C. Au 1° de l'article L. 1441-23, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, l’identité de genre ».

IV. – À l'article L. 032-1 du code du travail applicable à Mayotte, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de son identité de genre, ».

V. – Au deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de leur identité de genre ».

VI. – Le code du sport est ainsi modifié :

A. Au premier alinéa de l'article L. 332-18, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de leur identité de genre » ;

B. Au dernier alinéa de l'article L. 332-19, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de son identité de genre ».

VII. – La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :

A. Au premier alinéa de l'article 1er, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, son identité de genre » ;

B. Au 2° de l'article 2, après le mot : « âge », le mot : « ou » est remplacé par la marque de ponctuation : «, », après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre ».

Veuillez poursuivre, madame Ango Ela.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

L’amendement n° 3 a pour objet de substituer la notion d’« identité de genre » à celle d’« identité sexuelle » dans la loi sur la presse de 1881.

En effet, le deuxième alinéa de l’article 2 de la présente proposition de loi tend à modifier l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 en y intégrant le neuvième alinéa de l’article 24.

En d’autres termes, cela signifie que seront dès lors concernées par le délai de prescription d’une année les infractions visées au neuvième alinéa de l’article 24, c’est-à-dire la provocation « à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap » ou les provocations commises, « à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal ».

En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, « l’identité sexuelle » figure sur la liste des motifs fondant de telles infractions.

Si Europe Écologie-Les Verts a apprécié cette première prise en considération, nous regrettons cependant que la notion d’identité de genre n’ait pas été préférée à celle d’identité sexuelle. Le choix de cette dernière risque, en effet, d’exclure du champ d’application du dispositif plusieurs milliers de personnes en cours de transition, ou vivant durablement dans des situations transgenres, ou à qui l’État refuse un changement d’état civil.

Si nous aspirons, évidemment, à une réforme d’ensemble des droits des personnes « trans » – permettant surtout, et fondamentalement, le traitement administratif et non plus judiciaire des demandes de changement d’état civil –, la reconnaissance de la notion d’identité de genre nous semble en être un préalable.

Le groupe écologiste entend ici rappeler son engagement dans la lutte pour les droits des personnes « trans », ainsi que le souhait d’EELV de voir « inclure l’identité de genre dans la liste des discriminations punies par la loi ».

Tant que nous ne légiférerons pas sur ce point, nous laisserons aux tribunaux le soin de déterminer si des personnes transgenres sont ou non protégées au titre de la notion d’identité sexuelle.

Je sais, madame la ministre, votre engagement en la matière, et j’évoquais d’ailleurs, tout à l’heure, le programme d’action gouvernemental contre les violences et discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre dont la responsabilité vous a été confiée. Je connais également l’engagement de longue date de nos collègues de la majorité sur ces questions.

Vous aviez tenu les propos suivants en juillet 2012, madame la ministre : « Le débat sur l’identité de genre me passionne et j’espère que nous aurons d’autres occasions de le poursuivre. » L’occasion n’est-elle pas venue ?

L’argument fondant à l’époque le refus d’intégrer cette notion dans le droit français reposait sur l’absence de définition de celle-ci en droit interne, mais je rappelle que l’identité sexuelle n’y est pas non plus définie. Je souligne également que cette définition de « l’identité de genre » existe dans des accords internationaux auxquels la France est partie et qu’elle est également reconnue au niveau européen.

Vous aviez également évoqué à ce sujet, madame la ministre, la saisine de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH : peut-être pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

L’amendement n° 4 est un amendement de coordination avec tous les autres textes législatifs comportant la notion d’« identité sexuelle », de même que l'amendement n° 5, qui porte sur l’intitulé de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Quel est l’avis de la commission sur les amendements n° 3 et 4 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

En tant que chercheur en sciences humaines, je suis favorable à l’utilisation du mot « transgenre ». Mais, en tant que rapporteur, il n’en va pas de même, puisque la commission a donné un avis défavorable.

J’ajouterai que les personnes transsexuelles sont protégées par les dispositions du droit pénal relatives à l’identité sexuelle.

En outre, dans le courrier qu’elles ont adressé en janvier dernier à la CNCDH, Mme la ministre et Mme la garde des sceaux indiquent clairement leur souhait d’être éclairées sur cette question du vocabulaire à employer. À l'avenir, nous aurons sans doute l'occasion de faire évoluer la terminologie, afin que ce changement puisse progressivement entrer dans les mentalités. Les magistrats doivent pouvoir appréhender ce que recouvre un terme, « transgenre », bien mal traduit de l’anglais transgender. En effet, en français, le mot « genre » peut renvoyer à bien d’autres choses que le sexe, alors que l’anglais « gender » vise spécifiquement celui-ci. Cela étant, le terme est entré dans l’usage en sciences humaines et l’on peut penser que, à l'avenir, les praticiens du droit percevront bien sa signification.

La commission a émis un avis défavorable sur les deux amendements.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Madame Ango Ela, ces amendements témoignent de votre vigilance sur ce sujet ; nous la partageons. Vous aurez d'ailleurs noté que, dès le 6 août dernier, par le biais de la loi relative au harcèlement sexuel, Mme la garde des sceaux et moi-même avons tenu à introduire la transphobie dans la liste des motifs de discrimination pénalement répréhensibles.

Dans le même ordre d’idées, un très intéressant travail de réflexion a été engagé au Sénat, sous la houlette de vos collègues Michelle Meunier et Maryvonne Blondin, sur des dispositions législatives qui permettraient de renforcer la protection des personnes en cours de transition. Là encore, nous entendons faire preuve de vigilance pour assurer la meilleure protection possible à ces personnes.

Pour ce qui est du vocabulaire utilisé, je ne peux que vous concéder que la France est en effet partie à un certain nombre de textes internationaux qui emploient la notion d'identité de genre. Cette terminologie est par ailleurs aussi régulièrement utilisée dans la société civile, en particulier par les universitaires et les chercheurs.

Cela étant, si nous avons pour l'instant choisi d’en rester à la notion d'identité sexuelle en droit français, c'est parce que c'est l'expression qui a toujours été employée jusqu’à présent. Je rappelle que la circulaire pénale prise par la garde des sceaux dans la foulée de l’adoption de la loi relative au harcèlement sexuel afin d’expliciter le texte est tout à fait claire : les violences et les discriminations commises à raison de l'identité sexuelle doivent être entendues comme celles qui visent une personne parce qu'elle est « trans », transgenre ou transsexuelle. La transphobie est donc désormais bel et bien reconnue et condamnée dans notre droit.

Pour ce qui est de l'expression « identité de genre », que vous aimeriez voir introduire dans notre droit, Mme la rapporteur l’a indiqué, Christiane Taubira et moi-même avons saisi sur ce point la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui rendra avant l'été son avis sur la signification et la place de l'identité de genre dans notre droit. Nous verrons alors s'il faut faire évoluer celui-ci en ce sens.

En attendant que ce travail prospère, je vous propose de retirer vos amendements ; sinon, le Gouvernement y sera défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Ces amendements soulèvent un problème extrêmement complexe. Je signale que le groupe socialiste a mis en place en son sein un groupe de travail sur ce sujet, animé par Maryvonne Blondin et Michelle Meunier. Il devrait rendre prochainement ses conclusions.

Ce débat est très ancien. Je me souviens avoir déposé, en 1980, des conclusions sur cette question devant la chambre civile du tribunal de Créteil. À l’époque, la jurisprudence était très erratique, certains tribunaux acceptant le changement d'état civil, d'autres pas, tandis que la Cour de cassation prenait des décisions contradictoires. Il faut régler non seulement la question de la transphobie, mais aussi celle du statut des personnes qui demandent à changer d'état civil. Je le redis, le sujet est très compliqué.

J'ajoute que, sur cette question comme sur celle de la régulation d'Internet, l'Europe ne se résume pas, fort heureusement, à l'Union européenne ! L’Europe, c'est aussi le Conseil de l'Europe, dont je vous invite à consulter les travaux sur ces deux questions, notamment sur celle de la transphobie et des personnes transgenres. Vous y trouverez des recommandations très intéressantes, qui pourraient peut-être être reprises à l’échelon européen, sachant que ces problèmes ne peuvent être appréhendés que sur un plan international, particulièrement en ce qui concerne Internet.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Madame Ango Ela, les amendements n° 3 et 4 sont-ils maintenus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

En attendant des jours plus favorables, je les retire, madame la présidente !

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Les amendements n° 3 et 4 sont retirés.

L'amendement n° 2, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Tout numéro identifiant le titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne ne constitue pas une donnée à caractère personnel au sens du présent alinéa. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

En matière de prescription, l'identification de l'auteur de l’infraction est un élément essentiel.

Cet amendement vise, comme je l'ai expliqué lors de la discussion générale, à ce que l'adresse IP ne soit pas considérée comme une donnée à caractère personnel. La cour d'appel de Paris a statué en ce sens, notamment dans un arrêt du 15 mai 2007, par lequel elle a considéré qu’une série de chiffres ne saurait constituer « une donnée indirectement nominative à la personne dans la mesure où elle ne se rapporte qu’à une machine, et non à l’individu ».

L’exclusion proposée de l’adresse IP du champ des données à caractère personnel ne concernerait bien entendu que la poursuite des infractions visées par le texte qui nous est soumis.

Cet amendement n'est pas un cavalier législatif, le lien avec la question des délais de prescription étant absolument évident. En outre, il apporte une précision extrêmement utile.

Comme à l’habitude dans cette maison, on me renverra certainement à la discussion d’un texte à venir pour m’inciter à le retirer, mais je le maintiendrai. La commission des lois a rejeté cet amendement, mais j’estime qu'il doit tout de même être examiné avec une grande attention. L’article 1er du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ayant été supprimé, il y aura une navette : nous aurons donc l’occasion de revenir sur cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Cette proposition n'a rien à voir avec le texte dont nous discutons. Personnellement, je suis favorable à ce que l'adresse IP reste une donnée à caractère personnel : même si nous l’avons beaucoup critiqué aujourd'hui, Internet demeure un espace de liberté.

La question pourra probablement être discutée dans le cadre d'une véritable concertation sur les limites de l’expression sur Internet, car je suis convaincue qu’il faut instituer de telles limites.

La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Le Gouvernement est du même avis que la commission. Le sujet mérite un débat approfondi, mais il sort quelque peu du champ de la proposition de loi qui nous occupe aujourd'hui.

Internet est certes un espace de liberté, mais nous devons tout de même réfléchir aux moyens de ne pas en faire une zone de non-droit. À cet égard, la discussion que nous aurons demain avec les responsables de l’entreprise Twitter devrait être très instructive. Il me semble possible de trouver des réponses, techniques et juridiques, pour lutter contre la diffusion de propos diffamatoires ou incitant à la haine.

Sur le fond, je suis plutôt d’accord avec vous, madame Goulet. Cela étant, il faut faire attention à ne pas remettre en cause de façon quelque peu précipitée les équilibres qui ont été établis par la loi informatique et libertés. Votre amendement mérite, je le répète, de faire l’objet d’un examen approfondi, peut-être dans le cadre du groupe de travail dont la création a été évoquée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je voterai bien sûr comme la commission : comment pourrait-il en aller autrement ? Cependant, je tiens à dire que je considère pour ma part que, dès lors que des propos sont publiés sur un site Internet, il doit exister l'équivalent du directeur de la publication d’un journal. Rien ne doit pouvoir être publié sans qu'un responsable de cette publication ait été nommément désigné.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Sur cet amendement, il est évident que je vais être battue, puisque la majorité votera comme la commission. Je voudrais toutefois, avant de le retirer, développer mon argumentation.

Comment voulez-vous identifier l'auteur de l'infraction dans le délai de prescription sans recourir à l'adresse IP ?

Aujourd'hui, en cas d’injure ou de diffamation, vous ne pouvez poursuivre au civil si vous ne connaissez pas l’auteur de l’infraction. Même si vous avez pu identifier le serveur et l’hébergeur, cela ne suffit pas !

Si vous voulez poursuivre au pénal, il faut déposer une plainte contre X, attendre ensuite l'ouverture de l'information, puis la consignation chez le juge d'instruction, avant que des mesures de commission rogatoire soient décidées pour rechercher l'adresse IP de l'auteur de l'infraction. On n'y arrivera pas, que le délai soit de trois mois ou d’un an !

La présente proposition de loi, qui sera certainement adoptée à l'unanimité, vise à la fois les supports électroniques et les supports papier classiques. Je le redis, je ne vois pas comment le dispositif pourra avoir une portée effective ! Cela ne fonctionnera que pour les journaux, et encore faudra-t-il qu’ils ne soient pas en grève, comme cela arrive souvent malgré les 175 millions d'euros d’argent public qui leur sont versés chaque année – sans qu’aucune obligation soit prévue en contrepartie en matière de déontologie –, prétendument pour financer leur modernisation, mais en réalité pour soutenir leur activité…

Dans ces conditions, ce texte représente un coup d'épée dans l'eau ! Je veux bien retirer mon amendement, qui, de toute façon, n’a aucune chance d’être adopté, mais je considère que le travail n’est qu’à moitié fait, dans la mesure où il ne sera pas possible d’identifier l'auteur de l'infraction ! Nous sommes dans l’utopie.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je comprends votre préoccupation, madame Goulet, mais prenons garde à ne pas systématiquement faire courir la loi derrière la technique. La loi doit avoir une portée générale et impersonnelle.

Il est vrai que l’exclusion de l’adresse IP du champ des données à caractère personnel rendrait l’identification de l’auteur présumé d’une infraction beaucoup plus facile dans nombre de cas, mais vous savez bien que des alias ou d’autres éléments peuvent s’opposer à une identification exacte. Par conséquent, n’essayons pas de réinventer la loi sur la presse, cent trente ans après sa publication, en pensant que la presse d’aujourd'hui serait celle de 1881 transférée sur un iPad ! Il ne s’agit pas que de technique. Au reste, l’adresse IP peut être truquée. Les choses ne sont donc pas aussi simples que cela.

Reste que je suis d’accord avec vous sur le fait que l’allongement des délais de prescription permettrait de faire un certain nombre de recherches, mais ce que vous proposez n’est pas la solution miracle.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je suis d’accord avec Mme Goulet. Toutefois, le parquet peut ordonner une requête pour obtenir l’adresse IP.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Oui !

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Bref, il faut un débat !

La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L'amendement n° 5, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après le mot :

orientation

supprimer les mots :

ou de l'identité

et après le mot :

sexuelle

insérer les mots :

, de l’identité de genre

Cet amendement n'a plus d’objet.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet. Nous voterons bien évidemment ce texte. Mais sachez que je suivrai avec beaucoup d’attention la suite qui sera donnée aux engagements de Mme la ministre ainsi qu’aux promesses de M. le président de la commission des lois – nous savons tous qu’il les tient

M. le président de la commission des lois le confirme.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Je tiens à remercier la Haute Assemblée pour ce débat de haute tenue et pour le consensus qui s’est dégagé. C’est un grand pas que nous venons de franchir, même si, on le voit, un certain nombre d’interrogations restent ouvertes, qui méritent d’être creusées et approfondies.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je voudrais également remercier nos collègues qui ont participé à nos travaux ainsi que M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Nous avons pu examiner ce texte dans le calme, ce qui nous change !

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 136, texte de la commission n° 316, rapport n° 315) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions (projet n° 135, texte de la commission n° 314, rapport n° 313).

Il a été décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est une priorité du Gouvernement, comme l’ont par exemple montré les mesures qui ont été prises dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013.

Je sais que, à l’instar des députés, les sénateurs sont très impliqués sur ces questions. D'ailleurs, je me réjouis que, hier soir, à l’Assemblée nationale, un amendement à la loi bancaire, imposant aux banques une transparence de leurs activités, pays par pays, ait été adopté en commission, avec le soutien du Gouvernement. La France pourrait ainsi être le premier pays au monde à imposer une telle transparence, laquelle, comme chacun le sait, est un outil puissant de lutte contre les paradis fiscaux.

Comme vous le savez, lors du sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009, l’OCDE a établi et fait publier les listes grises et noires de « paradis fiscaux », listes désormais bien connues. La France a alors engagé des négociations avec les pays figurant sur ces listes : ont été conclus des avenants, lorsqu’il existait déjà une convention fiscale entre la France et les États concernés, et des accords d’échange de renseignements fiscaux, dans les autres cas.

Depuis mars 2009, la France a signé deux conventions fiscales, onze avenants et vingt-huit accords d’échange de renseignements. Au total, cent quarante-deux accords ont été conclus, faisant de notre pays l’un des plus entreprenants dans l’action internationale en faveur de la transparence fiscale.

C’est dans ce contexte que s’inscrivent l’accord relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale entre la France et les Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba, lequel, comme chacun le sait, est un territoire au large du Venezuela, et l’avenant à la convention entre la France et le Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions, qui font l’objet des projets de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.

Ces accords ont pour objet principal la mise en place d’un cadre juridique permettant un échange de renseignements effectif et sans restriction. Ces accords prévoient notamment la levée du secret bancaire, ce qui, évidemment, est un élément essentiel. En outre, ils sont conformes aux standards internationaux les plus récents en matière de transparence et d’échange d’informations fiscales, et particulièrement aux modèles de convention élaborés par l’OCDE. Certes, ces standards pourraient encore être améliorés, mais c’est un premier pas important en matière de lutte contre les pratiques fiscales dommageables.

Je souligne qu’Aruba a déjà été évalué par la revue par les pairs au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, enceinte internationale chargée d’apprécier le degré de transparence fiscale des États. Ce rapport d’évaluation, adopté en avril 2011, lui a permis de passer en « phase 2 », programmée en 2014. Le cadre juridique d’Aruba lui permet de se conformer à l’accord d’échange de renseignements signé avec la France. Rappelons également que l’île s’est conformée aux standards internationaux en matière de transparence fiscale, ce qui a permis son inscription sur la liste « blanche » de l’OCDE.

Quant au Sultanat d’Oman, s’il n’a pas été évalué par le Forum fiscal mondial, il n’a pas non plus été identifié par celui-ci comme une juridiction présentant un risque particulier en matière de transparence fiscale.

Cela étant dit, je tiens à préciser que l’essentiel n’est pas de signer ou de ratifier de tels accords : l’essentiel est bien évidemment de les faire appliquer. À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous assurer que toutes les précautions nécessaires sont prises par la France afin que ces accords soient effectivement suivis d’effets et mis en œuvre. Le Gouvernement est extrêmement attentif sur ce point.

Je souhaiterais également insister sur le fait que la signature et l’approbation de ces accords ne sont évidemment pas une fin en soi mais s’inscrivent dans le cadre de la mise en place d’un véritable dispositif global de lutte contre les pratiques fiscales dommageables et risquées. En effet, c’est au moyen de ces accords que la France consolidera les règles d’échange de renseignements avec ses partenaires et confortera chacun d’entre eux dans leurs engagements en faveur de la transparence fiscale.

La liste française des États et territoires non coopératifs constitue, quant à elle, un levier d'action complémentaire. En effet, si le Forum fiscal mondial devait rendre une évaluation défavorable ou si l'assistance administrative prévue par ces accords ne se déroulait pas de manière satisfaisante, l'inscription ou la réinscription de ces États sur la liste française reviendrait à l'ordre du jour.

La France est en mesure de prononcer de lourdes sanctions fiscales à l’encontre des États figurant sur cette liste. Ces sanctions se traduisent notamment, comme vous le savez, par moins d'investissements sur place et, pour nos entreprises, par le refus du bénéfice du régime mère-fille au profit de leurs filiales situées sur ces territoires.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que l’application de ces accords, qui appuient la politique fiscale menée par la France, sera suivie avec la plus grande attention par le Gouvernement et par les services de l’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accord entre la France et les Pays-Bas pour ce qui est d'Aruba, signé le 14 novembre 2011, et l'avenant à la convention entre la France et Oman, signé le 8 avril 2012, ont tous deux pour objet de renforcer la transparence fiscale au niveau international en instituant un dispositif d'échange de renseignements conforme aux standards développés par l'OCDE.

S'agissant d'Aruba, cette île est l'une des quatre composantes du Royaume des Pays-Bas. Située, comme chacun le sait, dans la mer des Caraïbes en face des côtes vénézuéliennes, elle est peuplée d'environ 100 000 habitants. Son économie, relativement prospère – le produit intérieur brut par habitant est de 24 000 dollars –, repose principalement sur le tourisme et le raffinage pétrolier. Le poids du secteur financier y est, quant à lui, assez limité. Les échanges commerciaux entre la France et Aruba s'élèvent à 20 millions d'euros et sont légèrement déficitaires pour notre pays.

Mes chers collègues, vous aurez tout compris quand vous saurez que, au total, vingt et un Français sont inscrits auprès du consul honoraire de cet espace des Pays-Bas et qu’aucune entreprise française n’est implantée sur ce territoire…

Si les relations commerciales entre la France et Aruba sont modestes, cet accord d'échange de renseignements ne s’en inscrit pas moins dans la stratégie française de promotion de la transparence et de la coopération en matière fiscale. L'accord-cadre élaboré par l'OCDE en 2002, dont s'inspire le présent accord, constitue un support habituel pour favoriser l'échange de renseignements en matière fiscale.

À l'occasion du G20 de Londres d’avril 2009, l'OCDE, cherchant à promouvoir la coopération fiscale, a établi une « liste grise ». Cette liste, sur laquelle figurait Aruba, recense les pays qui, bien que s'étant engagés à respecter la norme fiscale internationale, ne l'avaient pas encore réellement mise en œuvre à cette date. Aussi la France a-t-elle proposé aux pays ainsi identifiés de signer un accord d'échange de renseignements du type de celui qu’avait élaboré l'OCDE.

Dès 2001, Aruba s'est engagé sur la voie de la coopération en matière fiscale. Ainsi, dans son droit interne, des garanties supplémentaires ont été apportées en termes de transparence et, à partir de 2009, Aruba a développé son réseau conventionnel. Pour avoir signé plus de douze accords d'échange de renseignements, l'île d'Aruba a été retirée de la « liste grise » de l'OCDE dès le 10 septembre 2009.

À la fin de 2010, le Forum mondial sur la transparence fiscale a jugé le système juridique d'Aruba globalement satisfaisant. Je vous rappelle que les trois critères retenus en la matière sont la disponibilité des informations, l'accès aux renseignements et l'effectivité des échanges. Dans les trois cas, le Forum mondial a certes identifié des faiblesses, mais pas de nature à remettre en cause la capacité normative d'Aruba.

La seconde phase d'évaluation par le Forum mondial, prévue au premier semestre de 2014, permettra d'apprécier concrètement l'état d'avancement de la coopération, sans se cantonner au cadre juridique en vigueur.

La rédaction de l'accord qui nous est soumis est donc adaptée à la capacité normative d'Aruba et conforme à l'accord-cadre de l'OCDE relatif à l'échange de renseignements en matière fiscal défini en 2002. En effet, l'accord reprend les dispositions du modèle de l'OCDE et y intègre même certains des commentaires qui y figurent. De plus, certaines dispositions de l'accord vont au-delà des dispositions du modèle. Ainsi, il est prévu que les deux pays peuvent échanger spontanément des renseignements. Bien que cette possibilité soit évoquée dans le commentaire du modèle, il s'agit là d'un élargissement important de la coopération par rapport au modèle de l'OCDE.

Concernant le Sultanat d'Oman, une convention fiscale visant à éviter les doubles impositions avait déjà été conclue en 1989. Le présent avenant a pour objet d'insérer une clause d'échange de renseignements en matière fiscale. Il modifie également les stipulations concernant le régime de taxation des redevances.

Le Sultanat d'Oman est situé au sud de la péninsule arabique, entre le Yémen, l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ; il compte près de 3 millions d'habitants. L'économie du pays repose principalement sur l'exploitation des hydrocarbures.

La présence française en Oman est modeste : environ quarante entreprises françaises y ont développé leurs activités et sept cent soixante-deux de nos compatriotes étaient officiellement inscrits sur les listes consulaires en 2012.

Il convient de préciser que, contrairement au Royaume des Pays-Bas et à l'île d'Aruba, le Sultanat d'Oman n'est pas membre du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales de l'OCDE. Cela signifie que son cadre normatif n'a pas fait l'objet d'un examen par les pairs au regard des critères d'effectivité de l'échange de renseignements développés par l'OCDE. Cette absence d'évaluation spécifique à l'aune de ces critères devra nous conduire, comme avec les autres conventions fiscales, à être particulièrement attentifs quant à sa mise en œuvre.

À ce titre, soulignons que, dans l’hypothèse où l'accord ne permettrait pas aux autorités françaises d'obtenir les informations demandées, l'article 238-0 A du code général des impôts prévoit la possibilité de réintégrer Oman sur la liste des États et territoires non coopératifs. La modification de la convention constitue néanmoins un préalable nécessaire pour renforcer la transparence fiscale entre nos deux pays.

Je tiens à mentionner deux arguments qui plaident tout particulièrement en faveur de la ratification de cet accord.

Tout d'abord, les stipulations relatives au mécanisme d'échange de renseignements sont, comme dans le cas d'Aruba, conformes à celles du dernier modèle de convention fiscale de l'OCDE. La rédaction de la clause d'échange de renseignements est même plus stricte que le modèle de l'OCDE, car elle précise explicitement que chaque État devra « prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ces renseignements et à les transmettre à son homologue ». L'ajout de ce paragraphe, à la demande de la France, doit garantir la mise en œuvre effective de la coopération fiscale.

Ensuite, la modification du régime de taxation des redevances introduite par l'avenant ne réduit en rien le degré de transparence fiscale entre les deux pays. L'instauration d'une retenue à la source de 7 % sur les redevances – c'est-à-dire des rémunérations payées pour l'usage ou la concession d'un droit d'auteur, d'un brevet, d'une marque ou d'un savoir-faire – correspond au souhait du gouvernement d'Oman de taxer les versements des entreprises omanaises à des entreprises étrangères. À défaut, ce type de flux échapperait largement aux autorités fiscales omanaises en raison du faible nombre d'entreprises étrangères sur place. Actuellement, cette possibilité de retenue à la source sur les redevances demeure fictive puisqu'aucun flux correspondant à la définition de redevances inscrites dans l'avenant n'a été recensé à ce jour.

Par ailleurs, Oman ne dispose pas d'un centre financier d'envergure. Le secteur bancaire, de dimension modeste, est soumis à une régulation continuellement renforcée par la Banque centrale depuis ces dix dernières années. Même si le pays dispose d'un système fiscal attractif avec la non-imposition des particuliers sur leur revenu et un taux d'imposition sur les sociétés fixé à 12 %, il n'a pas été identifié comme une juridiction à risque par le Forum mondial sur la transparence. De plus, le gouvernement d'Oman lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme au niveau international dans le cadre du groupe d'action financière.

Ces deux accords étant conformes aux standards internationaux en matière d'échange de renseignements, leur ratification apparaît nécessaire pour renforcer le réseau conventionnel français et garantir une plus grande transparence fiscale. Mais, naturellement, il faudra rester attentif à la mise en œuvre effective des mécanismes de coopération.

En conclusion, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter les deux projets de loi qui sont soumis à notre examen.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est évidemment pas la première fois que notre assemblée accorde quelque intérêt à la discussion de conventions fiscales internationales – qu'il s'agisse d'ailleurs de textes initiaux fixant les relations entre les administrations françaises et étrangères ou d'avenants apportés aux conventions existantes –, mais le débat d’aujourd’hui va nous permettre de procéder à des rappels utiles.

Le Sénat, depuis que notre groupe a été à l'initiative d'une commission d'enquête sur l'évasion et la fraude fiscales, se montre particulièrement attentif et vigilant pour tout ce qui concerne les relations internationales en matière de fiscalité, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Cela d'autant plus que, parmi les outils dont nous disposons pour réduire autant que possible les déficits publics, la lutte contre la fraude fiscale – source de difficultés financières majeures pour les États et de souffrances redoublées pour les populations – figure évidemment en bonne place.

Avant même d'évoquer le cas des deux entités concernées par les conventions bilatérales, le fait est que, selon des sources et des documents concordants, la fraude fiscale et sociale priverait la France de ressources importantes : plus de 40 milliards d'euros d’après le Conseil des prélèvements obligatoires, voire plus de 50 milliards d'euros selon les organisations syndicales du ministère des finances.

On notera que les évaluations de la fraude fiscale, qu'il s'agisse de celle du Conseil des prélèvements obligatoire ou de celle des syndicalistes de la direction générale des finances publiques, sont telles que le manque à gagner suffit à empêcher la France de se retrouver, pour son déficit budgétaire, sous la fameuse limite des 3 % du PIB. Pour sa part, la fraude aux cotisations sociales constitue l'équivalent du déficit prévisionnel de la sécurité sociale en 2013.

Après ce rappel destiné à garder en « toile de fond » de notre débat les objectifs que la France peut décemment poursuivre dans ses relations fiscales internationales, je vous livre quelques éléments sur les deux entités territoriales que sont l'île d'Aruba et le Sultanat d'Oman, avec lesquelles sont passées les conventions fiscales conformes au modèle de l’OCDE.

Observons tout d’abord les différences qui existent entre ces deux entités.

Peuplée, comme le rappelait Mme la rapporteur, d'un peu plus de 100 000 habitants, l’île d’Aruba est une possession de la couronne des Pays-Bas et fait partie intégrante des Antilles néerlandaises, qui regroupent également les îles de Curaçao, Bonaire et la partie néerlandaise de Saint-Martin, un bel endroit.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Nos relations commerciales – du moins pour ce qui en est déclaré – avec les Antilles néerlandaises sont limitées ; elles portent notamment sur la fourniture de produits alimentaires et de quelques produits finis et, en sens inverse, parmi d’autres importations, sur le pétrole que Shell raffine dans ces terres éloignées de la métropole.

Aruba est une entité démocratique, avec des partis politiques constitués, une législation civile plutôt évoluée et largement inspirée, bien entendu, du modèle hollandais. Cependant, sur le plan fiscal, comme nul ne l'ignore, l'île voit s'appliquer le droit néerlandais dont on sait qu'il est plutôt allégé pour les entreprises, singulièrement pour les cessions de titres et les plus-values, dès lors que l'on a pris soin de structurer une entreprise ou un groupe avec une holding de tête et des filiales...

Dans le cas du Sultanat d'Oman, nous sommes en présence d'une monarchie absolue – comme dans beaucoup d'États de la région du golfe Persique. Peuplé d'environ 3 millions d'habitants, Oman vit depuis une cinquantaine d'années de l'exploitation des gisements de gaz et de pétrole présents dans le sous-sol, qui alimente 80 % de ses ressources budgétaires.

Situé dans une région stratégiquement importante – il donne sur le détroit d'Ormuz et se trouve sur la côte sud de la péninsule Arabique –, le Sultanat est dirigé depuis plus de quarante ans par le sultan Qabous, héritier d'une lignée fondée sous le règne de Louis XV, qui, comme nombre de ses voisins, confond volontiers les affaires de l'État avec celles de sa famille. C'est ainsi que la famille régnante dispose de la majorité des parts de Petroleum development Oman, société qui exploite les gisements de pétrole et de gaz du pays et en tire une part importante de ses revenus.

Quant à l’État omanais, il dispose de deux assemblées dont les membres sont, pour la première, désignés par le sultan et, pour la seconde, élus sans l’intermédiaire de partis politiques et après accord du sultan. Même si les formes d’exercice du pouvoir politique dans le Sultanat sont moins rigoristes qu'elles peuvent l'être dans le Royaume d'Arabie Saoudite, Oman n'est pas un État démocratique au sens où nous pourrions l'entendre.

Dans ce débat, un point nous intéresse particulièrement : Oman a été retiré de la liste des États dits non coopératifs en 2012 par l'OCDE et, en conséquence, par la France.

On supposera donc que la présente convention fiscale pourra trouver sa pleine application même si l’on rappelle que le Sultanat ignore l'impôt sur le revenu et ne taxe pas les mutations de propriété, que le taux de l'impôt sur les sociétés comme sur les résultats d'une entreprise individuelle y est faible – 12 % – et que le taux frappant les résultats localisés des entreprises non résidentes y est plus faible encore : 10 %.

Les échanges extérieurs entre la France et Oman sont encore limités, une bonne part du commerce du Sultanat s'effectuant sur place ou avec le Royaume-Uni. Pour ce qui concerne les exportations françaises – qui comprennent tout particulièrement des avions, notamment des Airbus, ainsi que des produits pétroliers raffinés –, elles se limitent à environ 400 millions d'euros, tandis que nos importations représentent un peu plus de 70 millions d'euros et concernent notamment des hydrocarbures sous forme de pétrole brut.

La convention fiscale peut conduire, sous certains auspices, au développement des relations commerciales entre les deux pays, mais elle permettra plus sûrement – c'est en tout cas notre point de vue – de faciliter la présence de nos entreprises dans la région.

Cependant, Oman prépare l’« après-pétrole », notamment au travers de ses fonds souverains, dont le principal dispose de 24 milliards d'euros d'actifs, ce qui représente une force de frappe proche de celle de notre Fonds stratégique d'investissement. Est-ce à dire que les années à venir seront marquées par des investissements omanais en France ? C’est l’exécution de cette convention qui nous le dira.

Pour en revenir au fond du débat, ces deux exemples montrent assez nettement, au-delà des paramètres de chaque situation et de l’exotisme apparent des deux entités concernées, que notre politique de coopération fiscale doit faire l’objet d’une évaluation.

Comme nul ne l’ignore, la crise financière de 2008 a provoqué une vague de conventions fiscales sans précédent dans le monde entier. Si l’OCDE, à l’origine d’un modèle de convention, a favorablement accueilli ce mouvement de coopération fiscale en procédant à la réduction progressive de sa liste de « paradis fiscaux », nombre d’observateurs et d’organisations non gouvernementales discutent de la réalité des efforts accomplis et de la soudaine qualité des conventions fiscales passées.

C’est pourquoi, sans nous opposer formellement à l’adoption des deux conventions examinées ce jour, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite que soit prochainement inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée, dans le cadre de nos activités de contrôle, un débat sur le bilan des conventions fiscales passées ces dernières années et sur les résultats qu’elles ont permis de dégager, singulièrement du point de vue de la transparence économique et fiscale des opérations visées. Il nous semble d’ailleurs qu’il serait intéressant que ce débat soit préparé avec quelques documents et éléments transmis par l’administration de Bercy en la matière.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, chère Michèle André, mes chers collègues, depuis le G20 de Londres de 2009, qui a fait de la lutte contre les paradis fiscaux une priorité mondiale, les conclusions de conventions fiscales suivant le modèle établi par l’OCDE se sont multipliées de façon exponentielle. Pourtant, il est très difficile d’affirmer que la transparence fiscale a été significativement renforcée ces dernières années. Les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales ont bien montré que beaucoup reste à faire en la matière.

Il y a quelques semaines, le syndicat Solidaires Finances publiques a publié un rapport chiffrant entre 60 milliards et 80 milliards d’euros les pertes pour l’État français pouvant être associées à la seule fraude fiscale. La Commission européenne avait quant à elle évalué ce montant entre 30 milliards et 40 milliards d’euros, et ce voilà quelques années déjà. Établir ce chiffre avec certitude est bien évidemment impossible, mais il n’en reste pas moins que cela représente de toute évidence des sommes non négligeables, vous en conviendrez, monsieur le ministre, pour le budget de l’État.

Les travaux récemment conduits par la Haute Assemblée dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini pour une fiscalité numérique neutre et équitable ont également remis ces questions sur le devant de la scène, avec le rappel des montages utilisés par certaines sociétés pour réduire le montant de leur impôt.

Lorsque j’ai auditionné, au nom de la commission des finances, les deux rapporteurs de la mission d’expertise sur la fiscalité du numérique, demandée par le Gouvernement, ces derniers ont souligné l’impérieuse nécessité de faire évoluer la notion d’« établissement stable » au niveau international, compte tenu de l’inadaptation flagrante de celle-ci à l’économie numérique. Le numérique sera pourtant au centre de la création de richesses pour les prochaines décennies, nous en sommes tous d’accord. Or si nous nous montrons incapables d’adapter notre système fiscal, cela reviendra non seulement à vider les caisses de l’État, mais aussi à créer une forte iniquité entre les contribuables.

Preuve que beaucoup reste à faire pour renforcer la transparence et la justice fiscales, ainsi que pour lutter contre des pratiques dites gentiment d’« optimisation fiscale », certes légales, mais qui n’en sont pas moins inacceptables. L’OCDE a lancé le projet BEPS – en français : « érosion des bases d’imposition et transfert des bénéfices » –, qui, espérons-le, aboutira à des propositions ambitieuses permettant des avancées rapides au niveau international.

J’en viens maintenant plus directement aux deux textes que l’on nous demande d’approuver aujourd’hui.

Je me réjouis tout d'abord, madame la rapporteur, que l’avenant à la convention avec le Sultanat d’Oman tout comme l’accord fiscal concernant Aruba aillent plus loin que le modèle de l’OCDE, en renforçant notamment les exigences relatives à l’effectivité de l’échange de renseignements ; c’est important.

Aruba disposait d’un réseau conventionnel en matière d’échange de renseignements à peu près inexistant en 2009 lorsqu’il a été placé sur la « liste grise » de l’OCDE. Depuis lors, nous en convenons, il a rattrapé son retard à vitesse grand V, en concluant des accords avec de nombreux pays, dont le nôtre, bien qu’aucune entreprise française ne soit implantée et que seule une poignée de ressortissants français se soit installée sur ce territoire, qui compte au total quelque 100 000 habitants.

L’article 2 de l’accord précise que les renseignements peuvent être échangés, qu’ils « portent ou non sur un résident, un ressortissant ou un citoyen d’une partie contractante, ou soient détenus ou non par ce résident, ce ressortissant ou ce citoyen » ; l’article 6 prévoit la possibilité d’échanger des renseignements de façon spontanée.

Bien sûr, je me réjouis que notre pays prenne très au sérieux son rôle dans la dynamique globale de renforcement de la transparence fiscale, mais en avons-nous véritablement les moyens ? Il me semble difficile d’évaluer l’importance et la pertinence des renseignements qui pourront être échangés entre les administrations fiscales française et arubéenne. D’ailleurs, notre collègue Michèle André nous précise dans les conclusions de son excellent rapport que « l’approbation du présent accord a une portée symbolique ». Cela ne pose donc pas de problème majeur d’approuver cet accord « symbolique », mais on peut tout de même s’interroger sur son utilité.

Enfin, je tiens à rappeler que la véritable limite de la transparence fiscale aujourd’hui réside dans l’effectivité de l’échange de renseignements. Aruba a passé avec succès la première phase de l’examen par les pairs du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, mais seul le rapport émis à l’issue de la seconde phase permettra d’évaluer la mise en application concrète des normes relatives à la transparence fiscale.

A contrario, le Sultanat d’Oman n’étant pas membre du Forum mondial, son cadre normatif n’a pas été évalué par les pairs. Il faudra donc, comme l’a souligné Mme la rapporteur, être très vigilant quant à sa mise en œuvre effective, notamment sur l’échange d’informations. Bien sûr, en l’absence d’échange effectif, le Sultanat d’Oman pourra être rétabli sur la liste française des États et territoires non coopératifs. Je me demande cependant, monsieur le ministre, au bout de combien de temps et selon quels critères précis on évalue l’effectivité de l’échange de renseignements. Combien d’États ont déjà été réintégrés à cette liste ou pourraient l’être, et est-ce vraiment envisageable ?

En attendant de pouvoir juger de leur effectivité, vous l’aurez compris, les membres du groupe du RDSE approuveront ces deux conventions fiscales, qui, comme l’a souligné Mme la rapporteur, vont tout de même dans le sens d’un renforcement de la transparence, que nous appelons de nos vœux.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas anodin que la lutte contre les paradis fiscaux ne soit véritablement devenue un sujet de préoccupation pour les dirigeants et les instances internationales qu’en 2009, au cœur de la tourmente financière.

La virtualité de l’économie abritée par les paradis fiscaux, qui fait, par exemple, des îles Anglo-Normandes le premier importateur de bananes en Europe, incarne en effet à merveille la déraison d’un système que tout le monde s’accorde désormais à dénoncer. Toutefois, à se focaliser sur la lutte contre les paradis fiscaux, il ne faudrait pas oublier que si ces petits États nous posent un problème, c’est uniquement parce qu’il se trouve, parmi nos multinationales les plus florissantes et nos ressortissants les plus fortunés, certaines personnes – physiques ou morales – désireuses de s’affranchir des règles collectives qui fondent notre société en ne payant pas leurs impôts.

En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, permettez-moi d’ailleurs de déplorer que les quelques personnalités dont l’inconduite est aujourd’hui médiatisée puissent causer autant de tort aux Français de l’étranger, dont les choix de vie n’altèrent en rien le sens civique pour l’immense majorité d’entre eux, bien au contraire.

En ce qui concerne les sociétés, parmi toutes les multinationales, les banques endossent une responsabilité particulière : en tant qu’intermédiaires financiers, elles sont un vecteur privilégié de l’évasion fiscale de nombreux autres acteurs économiques. À cet égard, nous pouvons tous nous féliciter, me semble-t-il, qu’hier soir en commission des finances à l’Assemblée nationale, le ministre le rappelait, les députés écologistes Éric Alauzet et Éva Sas soient parvenus à faire adopter un amendement à la réforme bancaire imposant aux établissements financiers de décrire dans leur rapport annuel, pays par pays, la nature de leurs activités, le nombre de leurs salariés et leur chiffre d’affaires.

La pression du lobby bancaire n’a pas encore permis d’obtenir que soient également mentionnés le bénéfice net et le montant de l’impôt, mais je ne doute pas que les députés en séance, puis nous-mêmes, mes chers collègues, saurons prendre à cet égard toutes nos responsabilités. Les Français ne comprendraient effectivement pas pourquoi nos banques, qui se prétendent si vertueuses, redouteraient d’indiquer le montant des bénéfices qu’elles réalisent et celui des impôts qu’elles acquittent aux Bermudes ou aux îles Caïmans.

S’il ne faut pas oublier que les paradis fiscaux ne pourraient prospérer sans nos propres turpitudes, il n’est pour autant pas illégitime de chercher à encadrer leurs pratiques. De ce point de vue, la ratification de conventions bilatérales d’échange de renseignements fiscaux peut constituer un outil utile, dès lors que l’on peut s’assurer que l’accord sera réellement appliqué et qu’il n’aura pas pour seule conséquence d’offrir un blanc-seing à l’État cocontractant, en lui permettant de disparaître des listes stigmatisant les pays considérés comme non coopératifs.

En ce qui concerne Aruba, petite île de souveraineté néerlandaise située au large du Venezuela, nous disposons d’un certain nombre de garanties. Membre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, institution placée sous l’égide de l’OCDE, Aruba a été récemment évalué sur son cadre normatif, c’est-à-dire sa capacité administrative et juridique à répondre aux requêtes qui pourraient lui être adressées dans le cadre des accords d’échange d’informations.

Sur neuf critères évalués, chacun par une note à trois niveaux, elle a obtenu quatre fois la meilleure note et cinq fois la note intermédiaire. Des progrès restent possibles, mais tout cela semble témoigner d’une certaine bonne volonté de la part des autorités d’Aruba. En outre, l’île ne figure plus aujourd’hui sur aucune liste de paradis fiscaux. Il semble donc aux sénatrices et sénateurs écologistes que rien ne s’oppose à la ratification de cette convention avec la France, qui devrait permettre d’entamer avec Aruba une réelle forme de coopération.

En ce qui concerne le Sultanat d’Oman, la situation nous paraît beaucoup moins évidente. Comme souvent dans les pétromonarchies, la fiscalité des sociétés comme des particuliers y est assez légère. Dans un contexte de revendications politiques et sociales naissantes, il ne faudrait pas que ce pays soit tenté de trouver dans le jeu de la concurrence fiscale une solution de facilité pour suppléer une économie pétrolière dont les réserves d’hydrocarbures sont prévues pour s’épuiser d’ici à quinze ans.

La convention fiscale qui lie la France et Oman depuis 1989 ne comprend aucune clause d’échange d’informations. L’introduction d’une telle clause, qui nous est proposée aujourd’hui, pourrait donc aller dans le sens de davantage de transparence. Toutefois, très peu d’éléments nous permettent de nous assurer que le cadre normatif du Sultanat est suffisamment adapté. Si le droit omanais semble protéger assez peu les personnes morales et ne serait donc a priori pas excessivement propice à la dissimulation d’activités coupables, il est pour le moins intrigant de voir qu’Oman n’a pas encore adhéré au Forum mondial de l’OCDE, ce qui le dispense des évaluations, fussent-elles mauvaises, auxquelles se soumettent aujourd’hui la plupart des pays.

Les écologistes sont donc particulièrement sceptiques quant à l’engagement vertueux du Sultanat d’Oman. Pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, si l’adhésion d’Oman au Forum mondial a fait l’objet de sollicitations expresses de la part de la France dans le cadre de la négociation qu’elle a menée et si le Gouvernement compte à l’avenir agir en ce sens ? Le fait que la ratification de cette convention ait pour conséquence de sortir Oman de la liste des paradis fiscaux nous confère en effet une responsabilité particulière quant à l’évaluation de la réalité de cet accord.

Sous toutes ces réserves, les sénatrices et sénateurs écologistes ont choisi de faire confiance au Gouvernement en approuvant également cette convention. Le fait que la France n’ait pas hésité à inscrire temporairement Oman sur sa liste des paradis fiscaux nous a semblé écarter la crainte que ne prévale une trop grande mansuétude liée aux enjeux économiques et géopolitiques. Néanmoins, la plus grande vigilance s’imposera dans le suivi de cet accord, et il conviendra évidemment de procéder à la réintégration d’Oman à la liste des paradis fiscaux s’il s’avérait qu’il ne respecte pas ses obligations. Son adhésion au Forum mondial pourrait également permettre d’atténuer les suspicions.

Pour ce suivi, les parlementaires pourront désormais s’appuyer sur le rapport annuel, annexé depuis peu au projet de loi de finances initiale, portant sur le réseau conventionnel français en matière d’échange de renseignements. Il découle de cette lecture, instructive, que le Luxembourg et la Suisse ne répondent qu’à la moitié des requêtes adressées par l’administration fiscale française, et la Belgique à aucune, alors que les Bermudes ou les îles Anglo-Normandes ont toujours répondu !

Pour les écologistes, c’est bien d’abord chez nos voisins, plutôt que dans des juridictions lointaines, que devrait se concentrer la lutte contre les paradis fiscaux. Il est véritablement intolérable qu’une part importante de l’évasion fiscale que nous subissons trouve aujourd’hui refuge dans des pays frontaliers, au cœur même de l’Europe politique. Là encore, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles voies politiques compte emprunter la France pour s’attaquer au scandale de cette délinquance fiscale intra-européenne et au non-respect des clauses de certaines conventions bilatérales ?

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin

Je vous remercie de vos remarques, mesdames, messieurs les sénateurs. Même si la lutte contre les paradis fiscaux se poursuit, beaucoup reste à faire, et le Gouvernement en a parfaitement conscience. Les exemples que vous avez relevés montrent l’étendue du chemin qu’il reste encore à parcourir.

Vous avez posé des questions précises, madame Ango Ela, sur les négociations avec Oman et les conséquences du retrait de ce pays de la liste des paradis fiscaux. Sachez que les négociations ont eu lieu avec le Sultanat entre 2008 et 2012 et que la France n’a pas demandé son inscription au Forum mondial. Reste que si des pratiques à risques avaient eu cours, elles auraient pu être relevées par ledit Forum, même si ce pays n’en est pas membre. Cela s’est produit pour la Macédoine en 2010.

Le gouvernement de l’époque a considéré que s’il n’y avait pas eu de demande particulière faite à l’échelon international et que si aucun risque particulier n’avait été relevé, la France pouvait se contenter de l’état existant.

Cela étant, il va de soi, comme l’ont souligné l’ensemble des intervenants, que, ce qui compte, au-delà de la signature de la convention, c’est l’effectivité des échanges d’informations. Cela signifie que la France pourra à tout moment inscrire ou réinscrire les pays concernés sur sa liste si les engagements qui ont été pris dans le cadre de ces conventions n’étaient pas respectés. Je le répète, nous accorderons une grande importance à la mise en œuvre effective des échanges d’informations.

Pour conclure, je dirais que du travail reste encore à faire dans le cadre de l’OCDE pour améliorer les conventions-cadres et tirer les bénéfices de l’expérience entamée depuis quelques années. Depuis 2008-2009, le nombre de conventions fiscales explose. Un bilan est donc nécessaire, vous avez tout à fait raison. Il faut sans doute améliorer les cadres généraux des relations bilatérales.

Comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice, les juridictions non coopératives ne sont pas forcément des endroits exotiques. Certaines ne sont pas très éloignées de notre propre territoire. Cette situation suppose d’autres règles européennes. À cet égard, la France est en pointe en ce qui concerne la directive Épargne et sa renégociation. Toutefois, vous savez aussi bien que moi que plusieurs pays n’ont pour l’instant pas encore renoncé à certains comportements. Nous continuons donc à travailler sur ce sujet.

Le combat contre l’évasion fiscale est extrêmement important et nous savons que nous pouvons compter sur le soutien de l’ensemble des groupes politiques pour le mener.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...

La discussion générale commune est close.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d'Aruba relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale, signé à La Haye, le 14 novembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. René Beaumont, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon explication de vote vaudra pour les deux projets de loi.

Le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions s’inscrit dans la longue lignée des textes visant à approuver les avenants à des conventions fiscales entre notre gouvernement et ceux d’autres pays. Ces dispositions sont indispensables non seulement pour éviter les doubles impositions, mais surtout pour lutter contre l’évasion fiscale.

La plupart des conventions précédentes ont été signées durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui s’était fait fort de lutter contre l’évasion fiscale. Le Sénat connaît d’ailleurs bien ce sujet. Je rappelle en effet qu’une commission d’enquête sénatoriale, présidée par notre collègue Philippe Dominati, et dont le rapporteur était Éric Bocquet, a effectué un travail remarquable sur cette question.

Cet avenant à la convention fiscale va permettre de débloquer la coopération fiscale entre la France et Oman, dont les règles datent de presque quinze ans.

Comme l’a précisé Mme la rapporteur de la commission des finances, Michèle André, que je tiens à féliciter de son travail, l’échange de renseignements fiscaux va s’inscrire dans un cadre encore plus strict que celui du dernier modèle de convention fiscale de l’OCDE. En outre, le Forum mondial sur la transparence fiscale et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE ne considère pas Oman, qui s’est investi dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’échelon international, comme un pays à risque.

Le groupe UMP ne peut donc qu’approuver ce renforcement de la transparence et de la coopération fiscales entre nos deux pays.

Quant au projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale, il va lui aussi indéniablement dans le sens d’une plus grande transparence et d’une coopération utile.

Aruba ne figure plus sur la liste grise des paradis fiscaux, et s’il faut attendre une nouvelle évaluation en 2014 par le Forum mondial sur la transparence fiscale, lequel a décerné un premier satisfecit, les progrès de cette île néerlandaise sont incontestables en matière de transparence et de contrôle des flux financiers. Je rappelle d’ailleurs, comme l’a déjà fait notre collègue Joël Bourdin en commission des finances, que la France a une frontière commune bien connue avec les Pays-Bas, à savoir Saint-Martin, dont le représentant est notre distingué collègue Louis-Constant Fleming.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe UMP votera ces deux projets de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions.

Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d'Oman en vue d'éviter les doubles impositions, signé à Mascate, le 8 avril 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Je rappelle que ce vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.

Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 11 février 2013, à seize heures et le soir :

- Projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports (Procédure accélérée) (n° 260, 2012-2013) ;

Rapport de M. Roland Ries, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique (338, 2012 2013) ;

Résultats des travaux de la commission (no 339, 2012-2013) ;

Avis de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, fait au nom de la commission des finances (334, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.