Intervention de Kalliopi Ango Ela

Réunion du 7 février 2013 à 15h00
Délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Kalliopi Ango ElaKalliopi Ango Ela :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le groupe écologiste se réjouit que l’examen de la présente proposition de loi ait enfin été inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Adopté à une forte majorité à l’Assemblée nationale, le 22 novembre 2011, ce texte est plus que jamais nécessaire.

Nous avions d’ailleurs, dès le printemps 2011, déposé à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, une proposition de loi similaire, de nouveau déposée le mois dernier par le groupe écologiste. Nous estimons que l’allongement du délai de prescription à un an, s’agissant de la provocation à la discrimination, de la diffamation ou de l’injure à raison de l’origine ou de la religion, devrait également s’appliquer aux mêmes infractions lorsqu’elles sont à caractère sexiste, homophobe, transphobe, ou liées à un handicap.

Ce traitement différencié des victimes n’a pas lieu d’être ! En effet, ces diverses infractions sont soumises à un régime de peines identique, prévoyant de six mois à un an d’emprisonnement et de 22 500 à 44 500 euros d’amende.

Or la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a porté ces délais de prescription à un an dans le seul cas où ces faits ont été commis à raison de l’origine ou de la religion. De ce fait, comme l’a fort justement rappelé notre rapporteur, le législateur a introduit une distorsion dans les délais de prescription pour des infractions de même nature. Cependant, rien ne justifie que ces actes se prescrivent toujours dans un délai de trois mois lorsqu’ils ont été commis contre des femmes, des gays, des lesbiennes, des bisexuels, des personnes transgenres ou des personnes handicapées.

Les délais de prescription des délits commis par voie de presse relèvent d’un régime dérogatoire au droit commun. Cela s’explique par une volonté légitime de protéger la liberté de la presse et d’assurer le respect des droits des médias. Néanmoins, l’exception introduite en 2004 pour la poursuite des propos injurieux, discriminants et diffamants à caractère raciste et xénophobe doit impérativement s’appliquer aux infractions de même nature à caractère sexiste, homophobe, transphobe ou handiphobe. Ne discriminons pas entre les personnes discriminées : il y va d’une application stricte du principe d’égalité et de la protection des droits des victimes.

Les évolutions techniques, l’essor d’Internet et des réseaux sociaux complexifient l’identification des auteurs de tels actes, dont les victimes, ainsi que les associations de défense de leurs droits, ne peuvent, bien souvent, pas intenter une action judiciaire dans un délai aussi court. Il est donc nécessaire d’harmoniser par le haut les délais de prescription, afin que toutes les victimes disposent d’un délai d’une année pour ester en justice.

Dans son excellent rapport, notre collègue Esther Benbassa relève d’ailleurs l’absence de condamnations pénales définitives, entre 2003 et 2011, concernant les infractions de provocation à la discrimination et les actes de diffamation à raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle, ou encore du handicap.

Ces mêmes agissements ont en revanche donné lieu, en 2006, à quatre-vingt-douze condamnations définitives en matière de provocation à la discrimination raciale ou religieuse. On n’en avait dénombré que vingt-six en 2003, avant l’entrée en vigueur de la loi Perben II. L’exploitation de ces données, issues du casier judicaire national, permet de penser que l’allongement du délai de prescription à un an a rendu possible une telle évolution.

Les chiffres relatifs aux injures publiques sont tout aussi significatifs. En 2008, par exemple, 467 condamnations définitives sanctionnant des faits d’injures racistes ou à raison de la religion ont été prononcées, contre seulement deux pour des injures sexistes et LGBT-phobes et deux pour des injures à raison du handicap.

Une homogénéisation des délais de prescription est donc nécessaire, car des victimes se trouvant dans des situations comparables devraient pouvoir bénéficier du même droit effectif à la justice.

Cette proposition de loi, outre qu’elle vise à supprimer une différence de traitement injustifiée, permettra également, je l’espère, de renforcer la sécurité juridique, en particulier au regard des infractions commises sur Internet.

À cet égard, j’ai été fort sensible aux messages que m’ont adressés des personnes en situation de handicap à la suite du dépôt de la proposition de loi écologiste. Ces personnes m’indiquaient avoir constaté la circulation sur la « toile » de propos haineux, d’une particulière cruauté à leur encontre. Certaines d’entre elles avaient été directement victimes de telles atrocités via des réseaux sociaux ; d’autres faisaient référence à des commentaires et injures diffusés, en particulier, à l’occasion des Jeux paralympiques.

Voter le texte qui nous occupe aujourd’hui sera donc une façon de témoigner notre soutien à toutes les victimes de ces infractions.

En cette matière, les femmes ne sont malheureusement pas en reste ! Il n’est nul besoin de faire des recherches sur Internet pour s’en convaincre : les comportements sexistes se manifestent sous nos yeux… J’en veux pour preuve les remarques inadmissibles formulées par certains, dans cet hémicycle, lors des débats sur la parité dans les listes de candidats aux élections locales, ou l’attitude inacceptable de certains députés, dont la ministre du logement, coupable d’avoir osé mettre une robe, a eu à pâtir. Ce n’est là qu’un échantillon d’un sexisme décomplexé et arrogant !

De même, la discussion, à l’Assemblée nationale, du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe suscite des dérives et des propos intolérables.

L’association SOS Homophobie note d’ailleurs, dans son rapport de 2008 consacré à la lesbophobie, que les femmes homosexuelles sont à la fois victimes de sexisme et d’homophobie.

Enfin, il me semble important de saluer, au détour de l’examen de la présente proposition de loi, le programme d’action gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, dont la responsabilité vous a été confiée, madame la ministre.

Il faut à l’évidence également appliquer un délai de prescription d’une année aux actes de provocation à la discrimination, à ceux de diffamation et aux injures publiques à raison de l’identité de genre. En effet, la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel a introduit dans notre droit la notion d’« identité sexuelle ». Le VI de son article 4 a modifié la loi du 29 juillet 1881, sur laquelle porte également la présente proposition de loi. Ce dernier texte concerne donc aussi la poursuite des injures et diffamations transphobes et celle de la provocation à la discrimination envers les personnes « trans ». Un amendement déposé par Mme la rapporteur est d’ailleurs venu modifier l’intitulé de la proposition de loi, en y intégrant une mention de l’« identité sexuelle », conformément à la loi de 2012 précitée.

Il s’agit d’une première étape, franchie l’été dernier. Il me semble cependant qu’une telle notion ne permet pas de recouvrir la réalité et la diversité de toutes les situations. J’ai donc souhaité, avec les membres du groupe écologiste, déposer sur le texte adopté en commission des amendements tendant à substituer la notion d’« identité de genre » à celle d’« identité sexuelle ». Je les présenterai tout à l’heure.

Il n’en demeure pas moins que le groupe écologiste est extrêmement favorable à la proposition de loi n° 325, qu’il votera sans hésitation ! §

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