Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 7 février 2013 à 15h00
Délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Internet, outil formidable au service de la liberté d’expression, donne évidemment une dimension nouvelle aux phénomènes de diffamation, d’injure et de provocation à la discrimination : les auteurs potentiels sont plus nombreux, la diffusion large d’un message prend peu de temps, la trace est indélébile et l’auteur perd le contrôle de ses propos, des effets de ses écrits et de leur diffusion.

Trois mois était un délai beaucoup trop court pour lancer une action contre des sites ou des blogs où se tiennent des propos à caractère discriminatoire ; un an donnera une bien plus grande marge de manœuvre pour poursuivre leurs auteurs.

Les statistiques du ministère de la justice ont d’ailleurs confirmé de manière frappante la nécessité d’allonger les délais. En effet, entre 2005 et 2010, une seule condamnation a été prononcée sur le motif de « provocation à la haine ou à la violence à raison de l’orientation sexuelle par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ». Cela prouve que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du délai de prescription. Il convient d’être particulièrement vigilants sur ce point, compte tenu de la nature des débats qui mobilisent aujourd’hui la société française.

Cette proposition de loi, initialement déposée par Catherine Quéré et Jean-Marc Ayrault et adoptée par l’Assemblée nationale, recueille le soutien d’une large majorité, en raison du souci d’harmoniser la lutte contre les discriminations qui la sous-tend.

Son examen offre en outre l’occasion d’engager une réflexion plus large sur la relation entre l’État, la puissance publique, le législateur, d’une part, et Internet, d’autre part. Ce dernier remet-il en cause le rôle des premiers ? Comment la puissance publique doit-elle s’adapter pour mieux jouer le sien face aux avancées techniques qui changent les moyens de communication entre les hommes ? Ces questions sont d’autant plus cruciales que les fournisseurs d’accès à Internet et de matériels en savent aujourd’hui plus que les États eux-mêmes sur chacun d’entre nous. Quelle régulation d’Internet faut-il mettre en place ? Quelle loi doit s’appliquer, et comment la rendre crédible, dès lors que la « toile » se joue des frontières ?

L’État, le législateur doit protéger la personne, sa sécurité, son intégrité : c’est là son rôle premier, le fondement de sa légitimité. Comment peut-il y parvenir, s’agissant d’actes commis sur un réseau qui se veut un espace de totale liberté, un réseau qui est vecteur d’ouverture, d’idées, d’expériences, un réseau qui est un briseur de chaînes, parvenant en quelques semaines à faire se soulever un peuple alors qu’il fallait auparavant des années de structuration souterraine d’une opposition avant que puisse éclater une révolution ?

Comment faire en sorte que les dangers issus de cet espace de liberté et d’échange n’entraînent pas, n’entraînent jamais, une violation permanente de l’intimité, du cheminement de la pensée et des actes, de la correspondance privée ?

Poser le principe que les adresses IP doivent être protégées à l’instar des données personnelles est essentiel. Comment bien identifier les responsables des actes délictueux et la nature de leur responsabilité quand l’appropriation de ces données par les opérateurs de réseaux sociaux et les fournisseurs de services n’est pas toujours maîtrisée ni connue des utilisateurs ? Comment justifier un contrôle sur la « toile » sans excuser les limitations de son usage et les censures qu’imposent de nombreux États totalitaires ?

La position adoptée au Conseil des droits de l’homme de l’ONU par la Tunisie, lors du vote du 5 juillet 2012 sur la résolution relative à la liberté d’expression sur Internet, est significative à cet égard. Le texte adopté affirme que l’exercice des droits qui s’appliquent hors ligne, en particulier la liberté d’expression, doit aussi être protégé en ligne, quel que soit le média et sans tenir compte des frontières. La résolution appelle encore tous les États à promouvoir et à faciliter l’accès à Internet, ainsi que la coopération internationale pour favoriser le développement des médias et des communications dans tous les pays. Or le représentant tunisien, Moncef Baati, a rappelé, à cette occasion, le rôle crucial joué par Internet dans la mobilisation ayant conduit, l’an passé, à la « révolution » dans son pays, fer de lance du « printemps arabe ».

Cette liberté sur la « toile » est une garantie contre le politiquement correct, la dictature s’exerçant sur la pensée, la vénération des « vaches sacrées ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion