Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de l’esprit de consensus qui règne dans votre assemblée sur cette question. Compte tenu de l’actualité, on aurait pourtant pu s’attendre à un débat plus polémique. Cela a été rappelé, cette proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale. J’espère qu’il en ira de même au Sénat.
Je tiens à remercier Mme Benbassa de son excellent travail. Elle a rappelé, à juste titre, que nous débattons aujourd’hui de valeurs autour desquelles nous devons nous rassembler, dans le respect de notre tradition juridique, qui mérite cependant parfois d’être réactualisée.
J’ai retenu de vos propos, madame la rapporteur, que les mots sont parfois des armes, et qu’ils peuvent tuer. Je partage absolument ce point de vue.
Vous avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’arrivée d’Internet est un fait nouveau qui doit nous amener à moderniser notre législation, y compris la loi du 29 juillet 1881.
Monsieur Mohamed Soilihi, vous avez relevé avec raison que des délais de prescription trop courts entraînent non seulement la forclusion d’un certain nombre de procédures, mais découragent de surcroît les recours. Or il convient au contraire de favoriser l’introduction de ceux-ci lorsqu’ils sont justifiés.
Madame Goulet, nous aurons peut-être la main tremblante au moment de modifier la loi de 1881, mais sachez que cette main sera néanmoins ferme et déterminée. Je veux le redire ici : Internet ne doit pas être une zone de non-droit, un sanctuaire. Je pourrais moi aussi vous raconter quelques anecdotes à ce sujet. Je rencontrerai demain les responsables de Twitter, un réseau social sur lequel des propos antisémites, racistes ou homophobes ont été échangés ces derniers mois ; j’y reviendrai.
J’ai bien entendu votre demande, madame Goulet, d’une réflexion en commun sur ces sujets. M. le président de la commission des lois vient d’y donner une réponse favorable. À titre personnel, je ne peux que soutenir une telle démarche. Sachez cependant que la garde des sceaux travaille, en ce moment même, sur un habeas corpus numérique, conçu notamment pour garantir le droit à l’oubli que vous avez tous, à juste titre, appelé de vos vœux. Il me semble nécessaire d’assurer une bonne articulation entre ces deux démarches.
Plus généralement, au travers de ce texte, il s’agit de mettre fin aux discriminations entre les discriminations. À cet égard, je voudrais remercier certains d’entre vous d’avoir mis l’accent sur cette violence terrible, quotidienne et bien réelle qu’est l’handiphobie. Je recevrai très prochainement Jean-Marie Barbier, le président de l’Association des paralysés de France, qui nous alerte régulièrement sur la progression rapide des dérapages en ligne à l’encontre des personnes en situation de handicap. L’impunité qui règne en la matière est assez affligeante : en neuf ans, dix condamnations seulement ont été prononcées pour sanctionner des injures de cette nature.
Au fond, ce que révèlent ces affaires, c’est une forme de banalisation de toutes ces injures, qu’elles soient sexistes, homophobes, transphobes, racistes ou handiphobes. Cela tient au fait qu’elles correspondent à des stéréotypes, minimisés en permanence, dont nos sociétés restent imprégnées et qui sont autant d’obstacles à l’égalité et au respect des personnes.
Savez-vous, par exemple, que 64 % des Français pensent sincèrement que les personnes handicapées sont inaptes au travail ? La persistance de ces stéréotypes fait que les handicaps s’additionnent pour les personnes concernées : au handicap fonctionnel, corporel s’ajoute le préjudice quotidien, permanent, créé par la société au travers de tels clichés.
J’ai pleinement conscience que ces stéréotypes forment la racine de toutes les discriminations auxquelles nous devons faire face aujourd’hui. En tant que ministre des droits des femmes, je ressens avec une particulière acuité le jeu des mécanismes qui constituent ce sexisme « ordinaire » conduisant petit à petit aux actes de harcèlement et aux discriminations que nous avons souvent dénoncés ici. Je ne les sous-estime pas. C’est la raison pour laquelle je souhaite que soit mené un travail en profondeur sur ce sujet ; j’espère que votre assemblée me suivra, dans quelques mois, lorsque je lui présenterai un projet de loi traitant de cette question.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui ne fait courir aucun risque à la liberté de la presse en tant que telle, au contraire. Comme vous l’avez indiqué, monsieur Collin, nous avions, avec la loi Perben, commencé un travail qu’il convient de terminer et qui soulève d’ailleurs un certain nombre de questions de constitutionnalité. Au-delà du texte que le Sénat va, je l’espère, adopter tout à l’heure, il faudra peut-être envisager une refonte plus ambitieuse de la loi de 1881. Cela étant, telle n’est pas exactement la question qui nous occupe aujourd’hui et il faudra certainement, monsieur Charon, patienter un peu avant d’ouvrir ce chantier. Néanmoins, je considère que cela peut être extrêmement utile et intéressant. Attendons donc que le Conseil constitutionnel se soit exprimé sur la question prioritaire de constitutionnalité que vous avez évoquée.
En conclusion, je vous remercie vivement de votre engagement personnel, madame Benbassa, sur un sujet qui, je le sais, vous tient à cœur et semble faire l’objet d’un consensus au Sénat, ce dont, une fois encore, je me félicite. §