Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas anodin que la lutte contre les paradis fiscaux ne soit véritablement devenue un sujet de préoccupation pour les dirigeants et les instances internationales qu’en 2009, au cœur de la tourmente financière.
La virtualité de l’économie abritée par les paradis fiscaux, qui fait, par exemple, des îles Anglo-Normandes le premier importateur de bananes en Europe, incarne en effet à merveille la déraison d’un système que tout le monde s’accorde désormais à dénoncer. Toutefois, à se focaliser sur la lutte contre les paradis fiscaux, il ne faudrait pas oublier que si ces petits États nous posent un problème, c’est uniquement parce qu’il se trouve, parmi nos multinationales les plus florissantes et nos ressortissants les plus fortunés, certaines personnes – physiques ou morales – désireuses de s’affranchir des règles collectives qui fondent notre société en ne payant pas leurs impôts.
En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, permettez-moi d’ailleurs de déplorer que les quelques personnalités dont l’inconduite est aujourd’hui médiatisée puissent causer autant de tort aux Français de l’étranger, dont les choix de vie n’altèrent en rien le sens civique pour l’immense majorité d’entre eux, bien au contraire.
En ce qui concerne les sociétés, parmi toutes les multinationales, les banques endossent une responsabilité particulière : en tant qu’intermédiaires financiers, elles sont un vecteur privilégié de l’évasion fiscale de nombreux autres acteurs économiques. À cet égard, nous pouvons tous nous féliciter, me semble-t-il, qu’hier soir en commission des finances à l’Assemblée nationale, le ministre le rappelait, les députés écologistes Éric Alauzet et Éva Sas soient parvenus à faire adopter un amendement à la réforme bancaire imposant aux établissements financiers de décrire dans leur rapport annuel, pays par pays, la nature de leurs activités, le nombre de leurs salariés et leur chiffre d’affaires.
La pression du lobby bancaire n’a pas encore permis d’obtenir que soient également mentionnés le bénéfice net et le montant de l’impôt, mais je ne doute pas que les députés en séance, puis nous-mêmes, mes chers collègues, saurons prendre à cet égard toutes nos responsabilités. Les Français ne comprendraient effectivement pas pourquoi nos banques, qui se prétendent si vertueuses, redouteraient d’indiquer le montant des bénéfices qu’elles réalisent et celui des impôts qu’elles acquittent aux Bermudes ou aux îles Caïmans.
S’il ne faut pas oublier que les paradis fiscaux ne pourraient prospérer sans nos propres turpitudes, il n’est pour autant pas illégitime de chercher à encadrer leurs pratiques. De ce point de vue, la ratification de conventions bilatérales d’échange de renseignements fiscaux peut constituer un outil utile, dès lors que l’on peut s’assurer que l’accord sera réellement appliqué et qu’il n’aura pas pour seule conséquence d’offrir un blanc-seing à l’État cocontractant, en lui permettant de disparaître des listes stigmatisant les pays considérés comme non coopératifs.
En ce qui concerne Aruba, petite île de souveraineté néerlandaise située au large du Venezuela, nous disposons d’un certain nombre de garanties. Membre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, institution placée sous l’égide de l’OCDE, Aruba a été récemment évalué sur son cadre normatif, c’est-à-dire sa capacité administrative et juridique à répondre aux requêtes qui pourraient lui être adressées dans le cadre des accords d’échange d’informations.
Sur neuf critères évalués, chacun par une note à trois niveaux, elle a obtenu quatre fois la meilleure note et cinq fois la note intermédiaire. Des progrès restent possibles, mais tout cela semble témoigner d’une certaine bonne volonté de la part des autorités d’Aruba. En outre, l’île ne figure plus aujourd’hui sur aucune liste de paradis fiscaux. Il semble donc aux sénatrices et sénateurs écologistes que rien ne s’oppose à la ratification de cette convention avec la France, qui devrait permettre d’entamer avec Aruba une réelle forme de coopération.
En ce qui concerne le Sultanat d’Oman, la situation nous paraît beaucoup moins évidente. Comme souvent dans les pétromonarchies, la fiscalité des sociétés comme des particuliers y est assez légère. Dans un contexte de revendications politiques et sociales naissantes, il ne faudrait pas que ce pays soit tenté de trouver dans le jeu de la concurrence fiscale une solution de facilité pour suppléer une économie pétrolière dont les réserves d’hydrocarbures sont prévues pour s’épuiser d’ici à quinze ans.
La convention fiscale qui lie la France et Oman depuis 1989 ne comprend aucune clause d’échange d’informations. L’introduction d’une telle clause, qui nous est proposée aujourd’hui, pourrait donc aller dans le sens de davantage de transparence. Toutefois, très peu d’éléments nous permettent de nous assurer que le cadre normatif du Sultanat est suffisamment adapté. Si le droit omanais semble protéger assez peu les personnes morales et ne serait donc a priori pas excessivement propice à la dissimulation d’activités coupables, il est pour le moins intrigant de voir qu’Oman n’a pas encore adhéré au Forum mondial de l’OCDE, ce qui le dispense des évaluations, fussent-elles mauvaises, auxquelles se soumettent aujourd’hui la plupart des pays.
Les écologistes sont donc particulièrement sceptiques quant à l’engagement vertueux du Sultanat d’Oman. Pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, si l’adhésion d’Oman au Forum mondial a fait l’objet de sollicitations expresses de la part de la France dans le cadre de la négociation qu’elle a menée et si le Gouvernement compte à l’avenir agir en ce sens ? Le fait que la ratification de cette convention ait pour conséquence de sortir Oman de la liste des paradis fiscaux nous confère en effet une responsabilité particulière quant à l’évaluation de la réalité de cet accord.
Sous toutes ces réserves, les sénatrices et sénateurs écologistes ont choisi de faire confiance au Gouvernement en approuvant également cette convention. Le fait que la France n’ait pas hésité à inscrire temporairement Oman sur sa liste des paradis fiscaux nous a semblé écarter la crainte que ne prévale une trop grande mansuétude liée aux enjeux économiques et géopolitiques. Néanmoins, la plus grande vigilance s’imposera dans le suivi de cet accord, et il conviendra évidemment de procéder à la réintégration d’Oman à la liste des paradis fiscaux s’il s’avérait qu’il ne respecte pas ses obligations. Son adhésion au Forum mondial pourrait également permettre d’atténuer les suspicions.
Pour ce suivi, les parlementaires pourront désormais s’appuyer sur le rapport annuel, annexé depuis peu au projet de loi de finances initiale, portant sur le réseau conventionnel français en matière d’échange de renseignements. Il découle de cette lecture, instructive, que le Luxembourg et la Suisse ne répondent qu’à la moitié des requêtes adressées par l’administration fiscale française, et la Belgique à aucune, alors que les Bermudes ou les îles Anglo-Normandes ont toujours répondu !
Pour les écologistes, c’est bien d’abord chez nos voisins, plutôt que dans des juridictions lointaines, que devrait se concentrer la lutte contre les paradis fiscaux. Il est véritablement intolérable qu’une part importante de l’évasion fiscale que nous subissons trouve aujourd’hui refuge dans des pays frontaliers, au cœur même de l’Europe politique. Là encore, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles voies politiques compte emprunter la France pour s’attaquer au scandale de cette délinquance fiscale intra-européenne et au non-respect des clauses de certaines conventions bilatérales ?