Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 6 février 2013 à 21h45
Titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l'union européenne — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Frédéric Cuvillier :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ce soir pour l’examen de la proposition de loi visant à sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne.

La sécurité aérienne est un objectif fondamental, qui mobilise tous les acteurs du secteur aérien. Même si des progrès colossaux ont été accomplis, la sécurité ne doit jamais être considérée comme acquise dans les pays comme le nôtre ; les accidents les plus récents – le dernier a eu lieu en 2009 – nous le rappellent. La sécurité doit continuer à nous mobiliser.

Elle continue à me mobiliser, et c'est la raison pour laquelle j’ai souhaité que vous puissiez examiner cette proposition de loi. Les services de la direction générale de l’aviation civile, la DGAC, travaillent au quotidien pour atteindre cet objectif de sécurité, en coopération étroite avec l’agence européenne de sécurité aérienne, l’AESA. Je veillerai à ce que les moyens consacrés à la surveillance de la sécurité soient préservés.

Beaucoup de chemin a déjà été parcouru. Le très bon bilan de la sécurité aérienne internationale en 2012 doit nous inciter à continuer dans cette voie. L’année dernière, en effet, on n’a déploré aucun accident mortel de transport public impliquant une compagnie française ou une compagnie étrangère sur le territoire français ; ce n’est pas nécessairement le cas dans d’autres zones géographiques. Par ailleurs, au niveau mondial, le ratio a été d’un accident d’avion pour 5, 3 millions de vols, s'agissant des vols opérés par les 243 compagnies de l’association internationale du transport aérien, l’IATA, qui représentent 84 % du trafic mondial.

La France a toujours été totalement impliquée dans les efforts pour tendre vers une sécurité de plus en plus grande. Elle s’est efforcée d’entraîner dans son mouvement les instances nationales, européennes et internationales concernées. Des avancées significatives ont eu lieu ces dernières années, tout particulièrement au plan international. Des initiatives structurantes ont vu le jour, comme la création d’une liste des compagnies aériennes non communautaires dont les vols sont interdits ou restreints en Europe pour des raisons de sécurité, que les médias appellent communément la « liste noire ». Des audits sont conduits par l’organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI, et la France milite pour la publicité de leurs résultats. La Commission européenne réalise, elle aussi, des missions d’évaluation d’États tiers et aide certains d’entre eux à améliorer leur capacité à respecter les normes de l’OACI. Ces résultats sont d’autant plus remarquables que l’action internationale est, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, complexe à mettre en place.

Cependant, si la conformité réglementaire reste indispensable, elle n’est plus suffisante pour atteindre un meilleur ratio qu’un accident grave pour 10 millions de vols. La France s’est donc engagée depuis 2006 dans une démarche fondée sur la gestion de la sécurité. Notre pays s’est ainsi doté d’un plan de sécurité de l’État dans le domaine aérien, processus qui permet d’optimiser les actions de l’État régalien en ciblant mieux ses actions sur les enjeux prioritaires de sécurité et en responsabilisant davantage les acteurs eux-mêmes. La France a aussi activement participé à la mise en place du plan de sécurité européen, qui matérialise l’engagement qu’ont pris les États de l’Union de mieux se coordonner pour permettre à l’Europe de disposer du système de transport aérien le plus sûr au monde.

Par ailleurs, la France avait, dès 2008, anticipé les règles européennes en imposant à ses opérateurs – exploitants d’aérodromes, compagnies aériennes, entreprises de maintenance, services de contrôle de la circulation aérienne et organismes de formation –, mais aussi à la DGAC, de se doter d’un mécanisme de gestion des risques, ce qui a contribué à une meilleure responsabilisation de l’ensemble des opérateurs. L’adoption d’un tel mécanisme enclenche en effet un cercle vertueux puisqu’elle permet de progresser dans la connaissance des risques puis de définir des priorités pour améliorer encore la sécurité.

Pour continuer à avancer vers plus de sécurité, le travail d’harmonisation aux niveaux international et surtout européen doit se poursuivre.

N’oublions pas que les grands progrès en matière de sécurité sont également dus aux travaux très méticuleux réalisés dans le cadre des enquêtes accidents et incidents ; je salue à cette occasion l’action du Bureau d’enquête et d’analyses, le BEA.

Cependant, qu’en est-il des compagnies étrangères dont les avions ne sont pas directement contrôlés par l’Union européenne ni par la France ? Les autorités françaises sont très attachées à ce que les ressortissants français puissent voyager avec un haut niveau de sécurité. C’est pourquoi, en complément de la surveillance exercée par les autres États souverains, la DGAC veille au respect des normes internationales de sécurité par les compagnies étrangères qui fréquentent les aéroports français. Je veux parler des contrôles Safety Assessment of Foreign Aircraf, SAFA, ces inspections techniques au sol inopinées que les services français réalisent sur des aéronefs étrangers. Les inspections SAFA, qui sont courtes, se concentrent prioritairement sur des points critiques en matière de sécurité des vols. Elles ont été définies pour permettre un diagnostic rapide de la qualité de l’exploitation de la compagnie inspectée, afin de pouvoir se retourner, le cas échéant, vers l’autorité de surveillance de la compagnie pour la rappeler à ses obligations. Les personnels de la DGAC habilités à réaliser ce type d’inspections sont les contrôleurs techniques d’exploitation, spécialement qualifiés pour détecter, lors d’une inspection de courte durée pendant une escale, des déficiences de sécurité affectant l’exploitation d’une compagnie ou la navigabilité d’un aéronef.

Ainsi, presque toutes les compagnies étrangères qui ont des programmes réguliers vers la France subissent un contrôle technique plusieurs fois par an. Parallèlement, un système de contrôle des droits de trafic et des plans de vol déposés permet un suivi efficace des compagnies qui ne viennent pas régulièrement en France. Enfin, ces inspections sont complétées par un suivi de la DGAC auprès des compagnies elles-mêmes et de l’autorité de surveillance de leur pays.

La France est l’un des leaders européens du programme SAFA : elle réalise près de 25 % de l’ensemble des contrôles SAFA effectués au niveau européen. En 2012, elle en a réalisé plus de 2 400, soit presque trois fois le quota d’inspections que demande l’AESA. Ces contrôles permettent de corriger et de prévenir les anomalies de sécurité, et d’exiger des compagnies étrangères qui souhaitent venir en France qu’elles se mettent à niveau sur les points pour lesquels elles présentent des faiblesses d’exploitation.

Ce processus SAFA contribue également à alimenter les travaux du comité européen qui se réunit deux fois par an pour faire évoluer la liste noire. Odile Saugues s’est intéressée à l’usage que l’on peut faire de cette liste noire. Elle est officiellement publiée sur les sites Internet de l’Union européenne et relayée par le site de la DGAC ; elle est donc accessible aux voyageurs. Cependant, les signataires de la proposition de loi dont Odile Saugues a pris l’initiative rappellent que les passagers peuvent être amenés à utiliser, pour les trajets dits « de bout de ligne », des compagnies qui figurent sur la liste noire. C’est une réalité que les voyageurs rencontrent parfois lors de correspondances internationales lointaines et, surtout, sur les vols intérieurs des pays figurant sur la liste européenne.

Il arrive très souvent que les passagers ne puissent pas éviter cette situation. En effet, si des solutions alternatives peuvent parfois être trouvées pour les vols internationaux, il en va différemment pour les vols intérieurs. Il est fréquent que la totalité des transporteurs d’un pays figurent sur la liste des transporteurs interdits, ce qui exclut toute alternative. Les autres moyens de transport, terrestres ou maritimes, présentent eux aussi souvent des problèmes, au mieux du fait de leur lenteur, au pis du fait de leur vétusté ou des risques liés à un environnement dans lequel la sécurité n’est pas assurée. Dans certains pays, ils sont même parfois tout simplement inexistants. Or nos citoyens sont amenés à utiliser les transports aériens dans ces pays pour de multiples raisons, notamment professionnelles ; je pense en particulier aux hommes d’affaires, aux travailleurs humanitaires et aux diplomates.

Veiller à la sécurité du transport aérien et interdire à des transporteurs potentiellement dangereux de desservir notre territoire ne peut conduire à restreindre la liberté de nos citoyens de voyager où ils le souhaitent. La liberté implique le sens des responsabilités. Il est essentiel que le passager dispose clairement des informations relatives à son voyage, en particulier à la sécurité de ce voyage, avant de prendre la décision de confirmer sa réservation ou d’y renoncer.

C’est précisément le but de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. En effet, celle-ci vient renforcer et compléter le dispositif juridique existant. Comme vous le savez, le cadre juridique en vigueur repose sur deux textes : le règlement européen n° 2111/2005 et le décret du 17 mars 2006. Ces textes ont instauré une obligation d’information sur le nom du transporteur effectif. Le défaut d’information sur ce nom est d’ores et déjà sanctionné d’une amende administrative.

Toutefois, ces dispositions ne suffisent pas, car le seul nom du transporteur n’informe pas le passager sur le fait que ce transporteur n’est pas autorisé à voler dans l’espace européen. La proposition de loi complète donc très utilement ce dispositif.

Elle impose, en France, à tous les vendeurs de billets, compagnies aériennes et agents de voyages, d’informer le passager de manière claire et non ambiguë que le transporteur figure sur la liste des transporteurs interdits d’exploitation dans l’Union européenne. De plus, le vendeur de billet doit inviter l’acheteur à rechercher une solution alternative. La sécurité des voyageurs doit primer sur les intérêts commerciaux.

Comme vous le savez, j’ai eu l’honneur de cosigner la proposition de loi qui est à l’origine du texte que vous examinez aujourd’hui. Ce fut pour moi une réelle satisfaction de voir cette proposition adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et plusieurs membres de son gouvernement ont donc déjà validé ce texte lorsqu’ils étaient députés. Je suis particulièrement heureux que le Sénat l’examine ce soir. Je me félicite de la qualité des travaux conduits par votre rapporteur et de l’attention particulière que votre assemblée accorde à ces enjeux de sécurité. L’importance de ces enjeux doit nous inciter à conserver notre rôle de leader en matière de sécurité aérienne.

Je tiens à saluer solennellement la qualité de nos services, de nos équipes, de l’ensemble des techniciens, en somme, de toutes celles et tous ceux qui consacrent leur action à la sécurité des voyageurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés du plein soutien du Gouvernement sur cette proposition de loi. Elle répond à la nécessité d’apporter de la sérénité et de la sécurité aux déplacements aériens. §

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