Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 6 février 2013 à 21h45
Titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l'union européenne — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi que notre collègue députée Mme Odile Saugues a déposée en décembre 2009, à la suite de plusieurs catastrophes aériennes survenues en 2004 et en 2005.

Ces dernières avaient conduit à mettre en cause le choix des compagnies aériennes, dû en particulier à l’absence d’information des passagers sur le fait que ces compagnies étaient peu sûres. Odile Saugues, dont je tiens à saluer l’engagement constant pour la cause de la sécurité aérienne, avait donc souhaité, au travers de ce texte, inciter le législateur à s’emparer de nouveau de cette question.

Assez largement remaniée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à sanctionner la commercialisation des titres de transport figurant sur la liste noire européenne a été adoptée en première lecture par les députés le 18 novembre 2010, à l’unanimité des groupes politiques de l’Assemblée nationale.

Cet esprit de consensus a également prévalu lors des débats devant la commission du développement durable du Sénat, ce dont je me félicite. Tous les amendements que j’ai proposés à cette occasion ont en effet été adoptés à l’unanimité des commissaires.

Je ne doute pas qu’une approche aussi consensuelle et constructive prévaudra également aujourd’hui. Améliorer la qualité de l’information fournie aux passagers concernant les vols qu’ils empruntent constitue en effet un sujet d’intérêt général qui ne peut que nous rassembler tous.

J’ajoute qu’il est bon de traiter ces sujets à froid, et pas seulement sous le coup de l’émotion, quand une catastrophe survient.

Pour comprendre les apports de cette proposition de loi, il faut commencer par rappeler brièvement le cadre législatif existant en matière de sécurité aérienne et d’information des passagers. Celui-ci est fixé par le règlement européen n° 2111/2005 du 14 décembre 2005 concernant l’établissement d’une liste communautaire des transporteurs aériens qui font l’objet d’une interdiction d’exploitation dans la Communauté – ainsi l’appelait-on à l’époque.

À l’origine de ce règlement, il y a un constat : les carences des organismes de contrôle de l’aviation civile, dans de nombreux pays, ne permettent pas d’assurer que les aéronefs et les compagnies aériennes qui y sont certifiés satisfont effectivement aux normes de sécurité édictées par l’OACI.

Cela tient à des raisons multiples et structurelles, comme la formation insuffisante des personnels de vol et des techniciens chargés de l’entretien des appareils, ou bien encore les problèmes de corruption endémique de certains pays qui font qu’on peut parfois obtenir une certification moyennant finances.

Après plusieurs accidents graves, l’Union européenne a donc décidé de se doter, en 2005, de règles destinées à protéger ses passagers contre les risques liés à ces défauts de sécurité. Le rapport d’information sur la sécurité aérienne, réalisé à l’époque par Mme Saugues et M. Gonnot, a joué un rôle dans l’adoption rapide de ces règles et je veux souligner, de nouveau, la qualité de leur travail et le cadre consensuel dans lequel celui-ci s’était déroulé.

M. le ministre délégué l’a rappelé, au cœur du dispositif européen se trouve la liste noire des compagnies aériennes interdites d’exploitation en Europe. Cette liste est établie par la Commission européenne et actualisée régulièrement. La dernière mise à jour, la vingtième, a été publiée le 4 décembre dernier. Elle inclut tous les transporteurs aériens de vingt pays, soit 287 compagnies au total, qui font l’objet d’une interdiction totale d’exploitation dans l’Union européenne.

Elle comprend aussi trois transporteurs isolés, ainsi que dix transporteurs aériens faisant l’objet non pas d’une interdiction totale, mais de restrictions d’exploitation.

Ces dispositions ont véritablement permis améliorer la confiance dans le niveau de sécurité des vols. Concrètement, aujourd’hui, l’inscription sur la liste noire a pour effet qu’un vol, régulier ou charter, au départ ou à l’arrivée de l’Union européenne, n’a plus guère de chance de se faire sur un appareil manifestement non conforme aux exigences minimales de sécurité. Le risque zéro n’existe pas et il peut toujours y avoir un appareil qui échappe aux contrôles, mais les mailles du filet se sont incontestablement resserrées depuis dix ans en Europe.

À cet égard, comme M. le ministre délégué vient de le faire à l’instant, je veux rendre hommage aux professionnels qui, en France, veillent avec beaucoup de rigueur et de constance au strict respect de ces règles.

Toutefois, des difficultés restent toujours possibles sur ce que l’on appelle les vols de « bout de ligne », c’est-à-dire ceux que les passagers empruntent lorsque, au départ ou à l’arrivée de certains pays tiers, hors de l’Union, ils doivent emprunter une correspondance locale pour commencer ou terminer leur trajet.

Dans ce cas, l’interdiction d’exploitation prononcée par la Commission européenne est sans effet puisqu’elle ne s’impose que sur le territoire européen. Par exemple, si la direction générale de l’aviation civile indonésienne autorise une compagnie sur le sol indonésien, l’Europe ne peut évidemment pas l’en empêcher, même si elle peut l’interdire sur son propre territoire.

C’est pourquoi, en complément de l’interdiction d’exploitation en Europe, le règlement du 14 décembre 2005 comporte aussi un ensemble de dispositions qui créent une obligation d’informer les voyageurs sur l’identité du transporteur aérien pour tout billet vendu en Europe.

Cette information doit être délivrée au passager au moment de la réservation du billet, quel que soit le moyen utilisé pour l’effectuer.

Si l’identité du transporteur n’est pas encore connue à ce moment-là, le vendeur veille à ce que le passager soit informé du nom des compagnies aériennes susceptibles d’assurer le vol concerné, c’est-à-dire qu’il lui communique une liste réduite de noms de compagnies parmi lesquelles, selon toute probabilité, le transporteur effectif sera finalement choisi, puis il l’informe de son identité précise dès que celle-ci est connue.

Enfin, si, en raison d’aléas divers, il apparaît que le vol aura lieu finalement sur une compagnie figurant sur la liste noire, ce qui peut effectivement se produire sur certaines correspondances de « bout de ligne », alors, le passager bénéficie du droit au remboursement ou au réacheminement prévu à l’article 8 du règlement européen.

J’apporte ici une précision : le règlement européen donne ce droit, mais ne prévoit pas explicitement que l’information donnée porte sur l’inscription de la compagnie sur la liste noire ; il prévoit seulement que le nom de la compagnie est donné, le passager pouvant alors le confronter à la liste noire. La proposition de loi que nous examinons intervient justement sur ce point afin de renforcer le système européen.

Avant de décrire précisément le dispositif de la proposition de loi, il est permis de s’interroger sur le choix stratégique fait par le législateur européen d’informer les passagers au travers d’une liste noire au lieu d’interdire purement et simplement la vente en Europe des billets émis par ce type de compagnie.

Ce choix tient au fait qu’une telle interdiction, si elle avait été décidée, serait en réalité impraticable. Dans certaines parties du monde, la seule offre de service de transport aérien disponible est en effet celle qui est proposée par des compagnies malheureusement inscrites sur la liste noire européenne. C’est le cas, par exemple, en Indonésie ou dans la République démocratique du Congo. Loin de moi l’idée de stigmatiser ces deux États, mais il s’agit de prendre des exemples significatifs de pays vastes et très peuplés.

Même quand il existe des modes de transport alternatifs, terrestres ou maritimes, ces derniers sont parfois aussi dangereux que les transports aériens locaux, sans compter qu’ils imposent des contraintes matérielles, en termes de temps de transport, qui n’en font pas une véritable solution de substitution aux avions.

Des ressortissants européens qui souhaitent ou doivent se déplacer dans ces zones, que ce soit pour des raisons touristiques ou professionnelles, n’ont donc d’autre choix que de prendre des avions interdits d’exploitation en Europe même.

En l’absence de solution réaliste de remplacement, une interdiction complète ne ferait qu’inciter les passagers à acheter leurs billets d’avion auprès de prestataires de voyages situés dans des pays tiers, ce qui est relativement simple, vous en conviendrez, à l’heure d’Internet. Le seul effet concret serait de rendre plus complexe l’organisation des voyages vers ces destinations et de déplacer la demande vers des prestataires de voyage étrangers. Au bout du compte, les risques objectivement pris par les passagers seraient les mêmes, mais surtout, ceux-ci auraient une information de moins bonne qualité que celle prévue par le droit européen.

Voilà pourquoi l’option de l’interdiction de commercialisation de ces vols en Europe a été rejetée.

Tel est, rappelé à grands traits, le cadre normatif actuel.

J’en viens maintenant à la proposition de loi : qu’apporte de plus, dans ce contexte contraint, la proposition de loi qui nous vient de l’Assemblée nationale ?

Il faut être conscient que, dans la mesure où le droit européen prime sur le droit national, les marges d’amélioration au niveau de la France sont relativement réduites. Cependant, le législateur national a tout de même la possibilité d’aller plus loin que les normes minimales fixées par l’Europe en matière d’information précontractuelle. C’est précisément ce que permet la présente proposition de loi.

Alors que le règlement européen se contente de l’obligation de donner l’identité du transporteur aérien effectif au passager, à charge pour ce dernier de vérifier par lui-même si le transporteur figure ou non sur la liste noire, cette proposition de loi impose, le cas échéant, une information écrite et explicite sur le fait que le transporteur figure sur la liste noire des compagnies aériennes. Il n’y a donc plus aucune ambiguïté possible. Tel est l’apport principal du texte.

C’est un progrès réel même si, je tiens à le souligner, les professionnels du transport aérien que j’ai auditionnés mettent d’ores et déjà en œuvre, dans leur très large majorité, l’obligation d’information prévue par le règlement européen avec beaucoup de diligence et de sens des responsabilités.

De façon générale, il faut le rappeler, les agences de voyage et les compagnies aériennes, dans notre pays, sont conscientes des enjeux de la sécurité des transports et soucieuses d’offrir à leurs clients des prestations sécurisées, ainsi qu’une information claire. Autrement dit, il ne s’agit pas, au travers de ce texte, de montrer du doigt les professionnels du secteur, mais simplement d’aller vers encore plus de transparence, ce que ces mêmes professionnels sont, je le crois, disposés à faire.

J’en viens à présent aux travaux de la commission du développement durable du Sénat.

Comme je l’ai indiqué précédemment, la commission a apporté à la rédaction de cette proposition de loi quelques modifications techniques et rédactionnelles destinées à corriger des imprécisions qui auraient pu faire obstacle à sa mise en œuvre effective.

En premier lieu, elle a défini de façon plus claire les contours de l’obligation d’information imposée aux vendeurs sur les solutions susceptibles de remplacer l’avion. L’obligation d’information sur le produit ou le service vendu est l’un des fondements du droit des consommateurs, et il faut être très strict à cet égard, mais cette proposition de loi imposait aussi au vendeur une obligation d’information très large portant sur les produits de remplacement, ce qui est très différent.

Pris à la lettre, ce texte tel qu’il nous était transmis pouvait ainsi imposer au vendeur de présenter à ses clients l’offre de ses concurrents ou bien l’obliger à les informer sur l’existence de moyens de transport, compagnies de bus ou de ferries par exemple, qui ne sont connus et commercialisés que localement.

Au surplus, informer sur les modes de transport alternatifs l’aurait obligé aussi à signaler leur niveau de dangerosité, ce qui n’est pas possible en pratique. La proposition de loi comportait ainsi le risque paradoxal d’orienter les consommateurs vers des moyens de transport encore plus dangereux que les avions inscrits sur la liste noire.

Le travail en commission a également permis de corriger une maladresse de rédaction, qui conduisait à délivrer l’information écrite précontractuelle seulement après la conclusion de la vente du billet d’avion. Il y avait en tout cas un fort doute sur ce point.

La commission a par ailleurs modifié le régime des sanctions applicables en cas de défaut d’information en instaurant une amende administrative en lieu et place d’une sanction pénale. Il est en effet à la fois plus rapide, plus efficace et plus dissuasif de procéder par la voie d’une amende administrative. Je précise cependant que cela n’empêche pas, le cas échéant, d’engager la responsabilité pénale du vendeur sur le fondement de la mise en danger délibérée de la personne d’autrui ou, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi. Je fais référence ici à l’article 121-3 du code pénal.

Par ailleurs, j’ai proposé à la commission du développement durable d’introduire un délai d’entrée en vigueur pour ce texte. Il s’agit bien sûr d’aller vite, mais il faut qu’il soit effectif. Les professionnels du secteur vont en effet devoir modifier leurs systèmes informatiques de réservation à la suite de son adoption. L’amendement que j’ai proposé offre le temps nécessaire pour cela. Je souligne tout de même qu’il autorise une certaine souplesse : les professionnels du secteur pourront avoir jusqu’à un an pour s’adapter. Toutefois, le Gouvernement pourra devancer par décret la date d’entrée en vigueur s’il constate que les travaux de mise à jour avancent plus vite.

En tout état de cause, je précise que cette disposition est compatible avec une entrée en vigueur rapide de la loi ; nous souhaitons que ce soit avant l’été.

Enfin, pour aller encore plus loin dans la définition d’un dispositif précis et pleinement effectif, je vous présenterai tout à l’heure un amendement destiné à lever une ambiguïté qui pouvait subsister concernant l’identification des personnes auxquelles les agences de voyage et les compagnies aériennes sont tenues de délivrer l’information relative au transporteur aérien effectif.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telle est la position de la commission du développement durable du Sénat sur ce texte. Vous l’aurez compris, elle vous en recommande vivement l’adoption.

Pour conclure, je voudrais simplement insister sur deux préoccupations.

La première, que vous avez largement abordée tout à l’heure et sur laquelle je vous rejoins pleinement, est que la France doit continuer à développer une action volontariste pour favoriser l’amélioration de la sécurité effective des compagnies étrangères, ce qui passe bien sûr par l’OACI. La seconde préoccupation, plus immédiate, est que ce texte soit inscrit prochainement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale afin que son adoption définitive intervienne très bientôt. Mais je sais, car vous l’avez indiqué, que vous partagez ces deux objectifs. §

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