Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 6 février 2013 à 21h45
Titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l'union européenne — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis devrait constituer, je le crois, un modèle de ce qu’est le travail parlementaire. En effet, elle a été rédigée à l’initiative de notre collègue député Odile Saugues, dont je salue le travail, appuyé sur une grande connaissance du dossier de la sécurité aérienne. Cette excellente initiative a ensuite fait l’objet d’une réflexion sérieuse et approfondie de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. Puis, le 18 novembre 2010, nos collègues députés ont adopté ce texte à l’unanimité des groupes politiques et avec l’approbation du précédent gouvernement.

J’apporterai un seul bémol à ce satisfecit : nous avons dû attendre jusqu’à ce 6 février 2013, soit plus de deux ans, pour que le Sénat discute cette proposition de loi. Mais nous connaissons les contraintes du calendrier parlementaire !

Pour autant, la commission du développement durable du Sénat s’est saisie de ce texte, sous la houlette de son président Raymond Vall et de son rapporteur, Vincent Capo-Canellas, avec lequel nous avons travaillé en bonne entente. Nos travaux se sont déroulés dans un état d’esprit constructif et en bonne intelligence collective, au-delà de tout clivage : voilà pourquoi je parlais d’un modèle de travail parlementaire et voilà pourquoi je suis particulièrement confiant quant à l’issue de notre discussion.

Pour commencer, je tiens à souligner toute la pertinence et la nécessité de cette proposition de loi dans son principe. Il s’agit, bien entendu, de développer une réflexion sur le renforcement de la sécurité pour les passagers des compagnies aériennes. Monsieur le ministre, je sais que c’est là un enjeu auquel le Gouvernement attache une grande importance, et cela n’a d’ailleurs rien de surprenant.

Si la sécurité aérienne demeure très heureusement une préoccupation constante, les améliorations techniques et la réglementation juridique sont soumises à des évolutions permanentes.

Sur le plan technique, soyons bien conscients que les progrès en matière de sécurité ne sont pas linéaires et ne sauraient être considérés comme des acquis. Ainsi, la DGAC diagnostique depuis plusieurs années un ralentissement significatif de l’amélioration du niveau de sécurité aérienne, alors que la progression avait été quasiment continue au cours des décennies précédentes.

Très récemment, les pannes de batteries constatées sur l’aéronef Dreamliner, conçu par la société Boeing, sont venues nous rappeler que les avancées technologiques ne sont pas systématiques, mais requièrent une vigilance et un travail constants.

Pour toutes ces raisons, il convient, en matière de réglementation aérienne, de poser des niveaux d’exigence drastiques. Car, quand bien même l’avion reste statistiquement le moyen de transport le plus sûr au monde, on ne peut oublier que chaque accident est potentiellement dramatique. Les tragédies que nous avons connues, et dont nous gardons toutes et tous en mémoire les images, doivent nous le rappeler : je pense à la catastrophe de Charm el-Cheikh en 2004, où l’accident d’un appareil de la compagnie Flash Airlines fit 148 morts, ou encore au crash de la Yemenia qui, en 2009, coûta la vie à 152 passagers.

Bien sûr, il est inutile de noircir le tableau, mais, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, nous devons demeurer extrêmement vigilants sur la définition et l’application de la réglementation en matière de sécurité aérienne.

Dans ce domaine, l’OACI joue depuis sa création, en 1944, un rôle incontournable de régulateur global. Mais ce rôle reste partiel, quand on sait que seulement 57 % des normes qu’elle édicte sont effectivement appliquées par les États qui en sont pourtant membres. Les règles de l’OACI sont donc, à très juste titre, complétées par des dispositions locales, notamment européennes, par le truchement de l’AESA. Évidemment, la création de la liste noire de l’Union européenne, en 2006, a constitué un pas important en faveur de l’information et de la sécurité des passagers.

Dans ce contexte, le dispositif introduit par la proposition de loi vise à combler une grave lacune d’information, et susceptible de faire peser ses effets de manière croissante, dans le commerce des titres de transport aérien. Tel est en effet l’objet de la proposition de loi de notre collègue Odile Saugues. Il ne s’agit pas de résoudre tous les problèmes de sécurité : il s’agit simplement d’apporter une solution pratique et concrète à un problème bien spécifique, se posant de plus en plus souvent.

Alors que la liste noire de l’Union européenne permet à tout un chacun d’identifier des compagnies aériennes « à risques », et donc de les éviter, il n’en reste pas moins que certaines de ces compagnies peuvent rester « hors des écrans radars ». Il s’agit des vols, dit de « bouts de ligne », empruntés en fin de voyage dans des pays situés hors de l’Union européenne.

La DGAC identifie, en fonction de critères d’accidentologie grave, certaines zones plus exposées que d’autres à ces compagnies ne répondant pas aux critères de sécurité fixés par l’Union européenne, mais auxquelles il est localement permis d’opérer : parmi ces zones figurent en premier lieu l’Afrique subsaharienne, puis le Moyen-Orient et, enfin, l’Afrique du Nord .

Ces vols de « bouts de ligne » sont, qui plus est, bien trop souvent vendus sans que l’usager en ait été préalablement informé. Ce défaut d’information est accentué par le développement du commerce proposé par les voyagistes électroniques.

La présente proposition de loi vise donc à remédier à ce problème, qui est à ce jour aggravé par l’existence d’un vide législatif, que nous devons bien sûr combler.

Dans le texte initial de sa proposition de loi, Odile Saugues envisageait d’inscrire dans le code pénal une sanction à l’encontre des voyagistes commercialisant des titres de transport sur des vols de compagnies figurant sur la liste noire de l’Union européenne. Cette pratique aurait alors été assimilée à la mise en danger de la vie d’autrui et aurait, par conséquent, était constitutive d’un délit.

Ce n’est pas l’option qu’a finalement retenue l’Assemblée nationale, celle-ci ayant préféré s’appuyer sur les dispositions du code des transports. La proposition de loi prévoit donc une obligation d’informer les passagers du fait qu’ils voyageront sur une compagnie inscrite sur la liste noire.

L’interdiction pure et simple de la vente ne paraît pas possible, notamment parce que, dans certains cas et en certains lieux, il peut ne pas exister de solution de rechange – je pense, mais ce n’est qu’un exemple, à certaines îles indonésiennes. En revanche, lorsqu’une solution de transport de remplacement existe, la loi ferait obligation au voyagiste de la faire connaître.

Par ailleurs, la proposition de loi assortit le dispositif d’une peine d’amende significative, qui a été fixée à 7 500 euros par billet, doublée en cas de récidive.

Enfin, bien entendu, rien ne saurait empêcher, en dehors du dispositif ainsi élaboré, de mettre en œuvre des poursuites pénales dans le cadre de la mise en danger de la vie d’autrui.

Notre commission du développement durable a donc examiné ce texte, issu des travaux de l’Assemblée nationale, et proposé un certain nombre de dispositions complémentaires. Je veux saluer, à ce titre, le travail de notre rapporteur, Vincent Capo-Canellas. Il a lui-même évoqué des amendements, qui, sans dénaturer aucunement le texte, ont pour objectif, au contraire, de le renforcer, de le rendre plus effectif et de contribuer utilement à l’information et à la sécurité des passagers.

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