Intervention de Roland Ries

Réunion du 11 février 2013 à 16h00
Diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Roland RiesRoland Ries, rapporteur :

… pour les lignes ferroviaires régionales ; c’est l’objet d’un amendement que je vous présenterai lors de la discussion des articles. Il s’agit d’une revendication ancienne des régions qui ne souhaitent pas être de simples guichets et qui veulent savoir ce qu’elles paient et pourquoi elles le paient. Je ne peux que les approuver.

Ensuite, avec les dispositions relatives au transport maritime, nous sommes en présence d’une véritable réforme : mon rapport en fait état et M. le ministre vient de le souligner. Il s’agit de solutions pratiques destinées à régler enfin des problèmes identifiés de longue date : c’est le cas avec les navires abandonnés dans les ports maritimes. Le sujet est important et récurrent : des navires passent des mois, et même des années dans nos ports maritimes, abandonnés par leurs propriétaires – des armateurs peu scrupuleux –, souvent avec leur équipage à qui l’on doit des arriérés de salaires. Ces navires sont abandonnés, mais les autorités publiques tergiversent, chacune attendant que l’autre prenne l’initiative et débloque les fonds nécessaires à la mise en œuvre des procédures.

Dans ce genre de situation, l’action publique devient elle-même une source de retard. L’article 15 accélère donc la déchéance de propriété et identifie clairement les responsabilités ainsi que la répartition des charges entre autorités publiques. Ces nouvelles règles, nécessaires, pour ne pas dire urgentes, sont très attendues dans les ports maritimes : la commission leur a donc réservé le meilleur accueil.

Autre élément de la réforme maritime : l’application des grands principes de notre droit social aux navires qui viennent travailler dans nos eaux intérieures et territoriales.

Les gens de mer subissent la concurrence déloyale de navires immatriculés sous pavillons d’États européens, mais qui emploient des marins à des conditions de pays pauvres. C’est le quotidien de nos ports maritimes : sur des navires battant pavillon d’États européens, en particulier des ferries, des marins travaillent aux conditions dites internationales, c’est-à-dire pour 520 dollars par mois, quasiment sans protection sociale ! Cette situation est possible parce que les règles européennes ne l’interdisent pas formellement.

Nos marins paient le défaut d’harmonisation européenne : faute de pavillon européen, les États définissent librement leur pavillon national, y compris les États qui n’ont aucune côte maritime, avec des règles sociales qu’ils refusent évidemment sur leur territoire terrestre.

Notre collègue Évelyne Didier nous avait saisis de cette situation l’an passé, avec une proposition de loi de son groupe qui n’était finalement pas venue en séance. Nous reprenons aujourd’hui les idées qui avaient alors été présentées.

Avec l’article 23, je crois pouvoir le dire, monsieur le ministre, le Gouvernement va aussi loin que les règles européennes l’y autorisent pour protéger l’emploi marin français face à cette concurrence déloyale.

Les « conditions de l’État d’accueil », c’est-à-dire les règles sociales et de sécurité que la France peut imposer aux navires étrangers qui viennent travailler chez nous, sont étendues à tous les navires « utilisés pour fournir dans les eaux territoriales ou intérieures françaises des prestations de service ». Cette notion très large de « service » englobe les travaux portuaires et en mer, par exemple l’installation d’éoliennes et les activités à caractère commercial. La commission considère qu’il s’agit d’un grand progrès.

Enfin, troisième mesure complémentaire, l’article 20 du projet de loi renforce le contrôle maritime, avec l’instauration d’une nouvelle enquête nautique de nature administrative, plus facile à mobiliser que l’enquête judiciaire, et d’amendes d’un montant plus élevé pour sanctionner les infractions aux règles sociales et de sécurité.

La commission a donc réservé le meilleur accueil à cette réforme maritime ; elle a même souhaité l’améliorer en présentant dix amendements, dont un du groupe CRC.

Elle a reçu pareillement les trois articles, plus ponctuels, portant sur le fluvial et l’article de précision relatif aux vols d’hélicoptères de secours au-dessus des agglomérations.

La parfaite concorde, heureux prolongement du consensus obtenu lors du Grenelle, a cependant disparu lors de l’examen du volet « transports routiers » de ce texte, à l’article 7. Nous en parlerons longuement. M. le ministre vient de nous rappeler la genèse de l’écotaxe poids lourds, son importance décisive pour rationaliser le transport routier, inciter au report modal, en un mot pour mettre enfin notre pays sur la trajectoire du Grenelle de l’environnement.

Alors que les « gros émetteurs de CO2 » que sont le secteur du BTP, l’industrie ou le logement voient leur empreinte carbone diminuer année après année, le secteur des transports en général, quant à lui, continue de produire toujours plus d’émissions polluantes. Les véhicules ont fait des progrès, les normes « Euro » et la hausse du prix de l’essence apportent leur pierre à l’édifice, mais le bilan carbone des transports se dégrade : d’une part, les déplacements continuent de s’intensifier – et la tendance va se poursuivre –, d’autre part, il n’y a pas assez de report modal, la route continuant de gagner des parts dans le transport de marchandises par rapport au ferroviaire, dont la part est passée de 15 % ou 16 % à moins de 10 % aujourd’hui, malgré la libéralisation du fret ferroviaire. On le voit, l’ouverture à la concurrence n’est pas la panacée, en matière tant de transport de marchandises que de transport de personnes.

Comment faire, dans ces conditions, sinon prendre des mesures suffisamment fortes pour faire changer nos comportements ? L’écotaxe poids lourds est l’une de ces mesures ; c’était même la mesure phare de la majorité d’hier en termes de fiscalité écologique. L’écotaxe est un levier pour le report modal : c’est grâce à elle que le transport routier financera davantage la route, comme le train finance le rail. Quel parcours, cependant, pour la mettre en œuvre ! Quels retards, liés aux procédures choisies, en particulier le partenariat public-privé ! Et c’est précisément quand il faut mettre en œuvre des politiques que l’on mesure la détermination de ceux qui les ont décidées.

En l’occurrence, et je le dis sans esprit polémique, la méthode de mise en œuvre imaginée par le gouvernement précédent, qui figure dans le décret du 4 mai 2012, n’était pas viable, pour une raison très simple : elle visait, certes, à ce que la taxe payée par le transporteur pour un trajet soit répercutée sur le chargeur, mais c’était sans compter avec la réalité même du transport routier, avec le fait que le transporteur n’aurait pas su calculer, pour chaque client, la part de taxe payée dont celui-ci eût été redevable. Cette analyse a été partagée par tous au sein de la commission.

Mes chers collègues, je voudrais, comme l’a fait M. le ministre, en revenir aux fondamentaux : en choisissant l’écotaxe poids lourds, le Grenelle a aussi décidé que la charge de cette taxe ne devrait pas peser sur les transporteurs routiers, sauf à les tuer, du moins les plus fragiles d’entre eux. Nous ne voulons pas revenir sur le principe de la taxe : ce serait renoncer aux objectifs du Grenelle ! Ce que nous voulons, c’est protéger les transporteurs routiers au moment où la collectivité décide que le transport routier devra contribuer davantage à la transition écologique. Tel est bien l’objet de l’article 7 du projet de loi ; c’est même son seul objet : ne pas augmenter les charges des transporteurs, tout faire pour que l’écotaxe ne rogne pas leurs marges, qui sont déjà très faibles, puisqu’elles ne dépassent pas 1 % ou 2 % dans la plupart des cas.

Puisque la répercussion au réel, camion par camion, client par client, trajet par trajet, n’est pas possible, alors même que chaque transporteur paiera la taxe au réel pour les trajets qu’il effectuera sur le réseau taxable, comment assurer que cette taxe n’alourdira pas les charges des transporteurs ?

L’article 7 présente une solution, qui comporte des avantages et des inconvénients ; nous allons en débattre. Son principe est le suivant : le lien entre la taxe payée effectivement et les charges des transporteurs est établi à l’échelle de la région et annualisé ; il détermine un forfait que le transporteur applique à ses clients, pour majorer sa prestation de transport quel que soit l’itinéraire qu’il emprunte, sur le réseau taxable ou sur le réseau libre. Comment, concrètement, est calculé le taux de majoration forfaitaire ? Il procède de l’usage même du réseau taxable : dans les régions où le réseau est dense et beaucoup utilisé, comme, hélas ou peut-être heureusement, c’est le cas en Alsace, il sera élevé ; dans une région comme la Corse, où il n’y a pas de réseau taxable, aucune majoration ne sera appliquée.

Il faut surtout bien comprendre que la répercussion au réel n’est pas viable pour le transporteur : avec un tel système, dont je n’évoque même pas les difficultés techniques, celui-ci serait laissé seul dans sa relation inégale avec son donneur d’ordres, le chargeur.

J’insiste sur ce point, parce que cette majoration forfaitaire du prix du transport, obligatoire, inscrite dans la loi, est une condition pour que l’écotaxe poids lourds soit acceptée, pour qu’elle devienne effective. L’instauration d’une taxe n’est jamais une bonne nouvelle pour ceux qui doivent l’acquitter : l’usage des routes est gratuit, il devient payant pour les poids lourds sur la partie la plus dense du réseau ; on comprend que tous ceux qui recourent à des poids lourds s’inquiètent ! Mais c’est un choix de société, objet de consensus politique, et, aujourd’hui, nous tentons d’aménager les modalités les plus justes, les plus acceptables pour que les professionnels de la route, les transporteurs routiers ne subissent pas cette taxe. Voilà pourquoi je crois que, quand la répercussion au réel est impossible, quand la seule régulation par le marché ferait que, dans les faits, le transporteur devrait assumer la taxe, la majoration obligatoire et légale est la meilleure des solutions ou, si vous préférez, la moins mauvaise d’entre elles !

Ensuite, dès lors que le calcul est matériellement impossible à établir trajet par trajet pour garantir le lien entre la taxe et les charges du transporteur, la majoration forfaitaire, calculée à l’échelon régional ou national, est la moins mauvaise des solutions.

Mes chers collègues, le ministère des transports, en lien avec celui des finances, travaille sur le sujet depuis cinq ans. Les alternatives ont été examinées, les éléments, ô combien techniques, ont été transmis aux ministres successifs. Il nous revient de faire des choix, et notre choix d’aujourd’hui porte sur la façon dont nous pouvons protéger les transporteurs routiers d’une taxe que nous jugeons nécessaire de faire porter sur l’usage de la route.

C’est, me semble-t-il, ce qui n’a pas été bien perçu en commission, la semaine dernière. Nous avons été tous d’accord pour améliorer ce mécanisme de majoration forfaitaire ; nous avons souhaité en particulier, sur ma proposition, que le ministère en évalue très précisément le fonctionnement et que le ministre revienne devant le Parlement dans un an pour en débattre. Nous avons souhaité préciser les choses pour les contrats de location de véhicules avec chauffeur.

En revanche, nous nous sommes opposés lorsqu’une partie de la commission, qui était majoritaire, a voulu revenir sur la taxe elle-même, pour en exonérer telle ou telle activité de transport. Mes chers collègues, nous prendrions un gros risque en ouvrant une telle boîte de Pandore ! Ces exonérations, outre qu’elles sont très importantes, seraient immanquablement suivies d’autres demandes d’exonérations, alors que l’intégralité des recettes de l’écotaxe prévues est nécessaire à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF. Ensuite, n’oublions pas que nous agissons dans le cadre d’une directive européenne, la directive Eurovignette, qui proscrit les distinctions entre les domaines d’activités du transport : le tarif est kilométrique et les réductions ne sont possibles que dans des cas énumérés par la directive, par exemple selon le caractère périphérique des territoires ou, bien sûr, le niveau écologique des véhicules.

Mes chers collègues, j’ai voulu, dès le début de notre discussion, rapporter les grands arguments échangés au sein de notre commission. Je sais que nous allons largement débattre. Hors cet article 7 qui nous a divisés, nous avons réservé un bon accueil aux six autres articles du texte relatifs aux transports routiers, en exprimant cependant un bémol et de fortes demandes de précision sur l’article 5, traitant de la nouvelle procédure de déclassement et reclassement d’office de routes nationales dans la voirie départementale et communale. Monsieur le ministre, vous serez interrogé sur ce point.

Vous l’aurez compris, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très favorable à ce texte que la commission n’a pas rejeté, mais qu’elle a laissé intact pour son examen en séance. Je n’en demeure pas moins attaché aux améliorations que j’ai suggérées. C’est pourquoi je vous proposerai d’adopter les vingt-huit amendements que j’avais déposés mercredi dernier en commission, que mon groupe a repris et qui ont recueilli tout à l’heure l’approbation de la commission. §

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