Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 11 février 2013 à 16h00
Diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi aborde, comme l’ont souligné les deux rapporteurs, dont je veux saluer le travail, des questions très diverses liées à tous les modes de transport : ferroviaire, routier, fluvial, maritime et même aérien.

Bien que je souscrive à l’objectif de simplification des codes et des dispositifs, je reste attentif à ce que certaines des mesures proposées ne complexifient pas davantage encore nos procédures ou ne conduisent le Sénat à adopter des dispositions qui n’auraient pas été mûrement réfléchies, le diable se cachant quelquefois dans les détails…

Si ce texte se présente plutôt sous de bons auspices, il demeure néanmoins quelques inconnues à lever, monsieur le ministre : elles sont telles que la commission en a été réduite à s’abstenir ; j’y reviendrai ultérieurement.

Avant d’aborder le cœur du sujet, que l’on me permette de confesser une petite insatisfaction.

Monsieur le ministre, nous sommes dans l’attente de la discussion des réformes de fond qui doivent être menées dans le secteur des transports, afin notamment de permettre à celui-ci de se préparer au mieux à affronter la concurrence. Ce texte, avec ses vingt-cinq articles, apporte des réponses techniques et juridiques souvent utiles à des problèmes clairement identifiés se posant dans divers domaines du transport. Toutefois, il faudra bien en venir prochainement à l’essentiel ! Ce n’est que partie remise.

Pour l’heure, venons-en au projet de loi qui nous est soumis.

Trois articles du projet de loi font l’objet de débats et exigent une discussion approfondie sur les questions qu’ils soulèvent : je veux parler des articles 5, 7 et 23, auxquels je consacrerai principalement mon propos.

Comme plusieurs de mes collègues, je m’interroge sur l’article 5, qui prévoit d’étendre les possibilités de reclassement d’une route ou d’une section de route nationale déclassée dans la voirie départementale ou communale en cas d’avis défavorable de la collectivité concernée. C’est ce qui fait tout le sel de la proposition !

Certes, l’étude d’impact du Gouvernement se veut rassurante : le total de ces sections de routes délaissées ne représente que 250 kilomètres – en fait 251 kilomètres, avons-nous appris en commission – et une compensation financière couvrant les coûts de remise en état est prévue. Cette dernière mesure est classique, mais est-elle suffisante ?

À cet égard, M. le rapporteur présentera tout à l’heure un amendement dont l’objet est d’apporter des garanties supplémentaires en matière de compensation financière pour les collectivités, en permettant la mise en place d’une procédure contradictoire entre l’État et la collectivité sur le coût de la remise en état. Nous y sommes favorables.

Il n’en reste pas moins que nous demeurons réservés sur cette procédure. En effet, les élus locaux ne sont pas demandeurs et ils ont encore en mémoire les conséquences financières négatives du transfert des routes nationales aux départements. En l’absence de précisions, ils craignent – on peut les comprendre ! – une mauvaise surprise à l’arrivée.

Faute d’avoir obtenu la liste des délaissés routiers et des indications claires sur la procédure de consultation des collectivités concernées, nous avons déposé un amendement visant à permettre au Gouvernement de nous apporter des compléments d’information, afin que le Sénat puisse se prononcer en toute connaissance de cause. J’espère que vous pourrez nous donner tout à l'heure, monsieur le ministre, toutes les garanties nécessaires. En effet, on ne peut pas demander au Parlement de délibérer à l’aveugle, sans connaître les conséquences, pour les collectivités, de la mise en œuvre des mesures présentées. Nous sommes ici un peu comme des médecins qui prescriraient un traitement sans savoir à quel patient l’appliquer ; convenez que c’est troublant !

J’en viens à l’article 7, visant à instaurer les modalités du principe de la répercussion de l’écotaxe poids lourds, qui a déjà été longuement commenté à l’instant par les rapporteurs, ainsi qu’au sein de la commission du développement durable. Il s’agit, en effet, de l’article le plus important du projet de loi : il traite d’une question ancienne et controversée, restée en suspens pendant plusieurs années, faute d’application. Sur ce sujet, il faut reconnaître que vous avez le courage d’avancer, monsieur le ministre, ce qui était nécessaire.

On le sait, l’écotaxe poids lourds correspond à l’engagement n° 45 du Grenelle de l’environnement. En 2008, son principe a été entériné, l’objectif étant de faire payer aux poids lourds l’usage, actuellement gratuit, du réseau routier national non concédé, seules certaines catégories de poids lourds et certaines routes étant donc concernées.

L’instauration de cette taxe kilométrique vise à atteindre trois objectifs : réduire les impacts environnementaux ; rationaliser à terme le transport routier sur les moyennes et courtes distances ; enfin, financer, au travers notamment de l’AFITF, les infrastructures de transport.

Nous discutons aujourd'hui non pas de l’écotaxe poids lourds – ce débat est derrière nous, la loi Grenelle 1 ayant été adoptée à la quasi-unanimité –, mais du mécanisme de sa répercussion dans le tarif des prestations de transport, principe qui avait été prévu lors de la mise en place de l’écotaxe pour tenir compte des spécificités économiques des entreprises du secteur routier.

Depuis 2009, c’est, pour une large part, le problème de la définition de ce mécanisme de répercussion et des modalités de sa mise en œuvre qui empêche l’entrée en vigueur de l’écotaxe. Il faut bien sortir de l’ambiguïté, même si, comme le disait le cardinal de Retz, on n’en sort généralement qu’à son détriment… §Quoi qu’il en soit, convenons-en, le sujet est douloureux pour les professions concernées.

Une première solution avait été avancée dans un décret du 4 mai 2012, qui a été fort mal accueilli – et pour cause ! – et fait d’ailleurs l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

Dans ce texte, il est proposé d’instaurer une majoration forfaitaire. Je sais que la déconnexion de son montant du coût réel de l’écotaxe est jugée déroutante par certains de nos collègues. Pourtant, comme le rapporteur l’a fort bien souligné, cette mesure apparaît comme la moins mauvaise des solutions. Telle est aussi la position des professionnels du transport routier, qui ont participé, en concertation avec les services de votre ministère, monsieur le ministre, à l’élaboration du dispositif.

La répercussion effective des coûts engendrés par la taxe pour les transporteurs dans le prix de leur prestation est en effet vitale pour eux. En France, 82 % des 37 500 entreprises de transport, auxquelles je rends hommage, comptent moins de dix salariés. La rentabilité économique du secteur est faible. Avec la crise, de nombreuses entreprises ont disparu ou connaissent de très grandes difficultés.

À cet instant, je veux exprimer deux regrets.

Premièrement, un certain nombre de professions restent, comme on dit, sur le bord de la route : je pense aux maçons, aux coopératives laitières, par exemple. Par le biais d’amendements, certains de nos collègues exprimeront les attentes de ces professionnels. Je comprends qu’il soit difficile d’y répondre, mais il faudra évaluer l’impact de l’écotaxe pour ces professions et envisager la possibilité de revenir sur cette question si nous ne sommes pas en mesure d’apaiser aujourd’hui leurs inquiétudes.

Deuxièmement, lors du Grenelle de l’environnement, avait été prévue « l’étude de mesures à destination des transporteurs pour accompagner la mise en œuvre de la taxe et prendre en compte son impact sur les entreprises », afin de tenir compte de la spécificité et de la fragilité des entreprises du transport routier.

Monsieur le ministre, les transporteurs attendent aussi des mesures leur permettant d’être plus compétitifs et ainsi d’affronter la concurrence étrangère. On le sait, le coût de l’heure de conduite est 30 % moins élevé en Allemagne qu’en France, et l’écart est encore beaucoup plus important avec les pays de l’Est. Pouvez-vous nous indiquer si des mesures sont prévues pour soutenir les entreprises ? Parmi les mesures d’accompagnement, ont été évoqués une aide à l’achat de véhicules propres, un allégement de charges ou de la fiscalité, notamment pour faire face à la concurrence internationale sur notre territoire.

Sur ce sujet, je souhaite que l’entrée en vigueur du dispositif soit décalée au 1er octobre. Ce report est, me semble-t-il, nécessaire aux entreprises pour mettre en place le système de l’écotaxe et s’équiper. D’ailleurs, l’État doit lui aussi, nous dit-on, procéder encore à quelques réglages.

Par ailleurs, notre rapporteur alsacien a suggéré la suppression de l’expérimentation de l’écotaxe en Alsace, mesure à laquelle nous sommes favorables. En revanche, il pourrait être opportun de mettre sur pied une expérimentation nationale « à blanc » en septembre prochain.

Enfin, nous demandons qu’un rapport permette de faire le point au terme d’un an d’application du système, afin d’envisager les améliorations qui pourraient être apportées à celui-ci.

J’en viens à mon troisième point : les transports maritimes, qui font l’objet de nombreuses dispositions du projet de loi, pour la plupart attendues par la profession.

Parmi celles-ci, le dispositif de l’article 23, relatif au cabotage maritime, appelle quelques observations. Sur ce sujet, nous reprenons un débat que nous avons déjà eu l’occasion d’esquisser en commission il y a quelques mois, lors de l’examen du texte présenté par notre collègue Évelyne Didier. Comme l’avait alors expliqué Mme Didier, le transport maritime est caractérisé par une situation de concurrence déloyale entre pavillons européens, qui a des conséquences négatives pour les armateurs français et les gens de mer.

Tout en tenant compte des directives européennes, le dispositif vise à répondre à cette problématique, en favorisant l’instauration d’une concurrence loyale pour le cabotage maritime et les services portuaires, dans les eaux intérieures et territoriales françaises.

L’article 23, qui reprend les dispositions du décret de 1999 sur les conditions sociales de l’État d’accueil, tend à ce que le travail effectué dans les services de cabotage maritime « avec les îles » et, plus largement, dans les eaux territoriales et intérieures françaises relève de conditions sociales comparables à celles qui existent sur le sol français, en renforçant la législation sociale de l’État d’accueil pour les services maritimes et en l’appliquant à l’ensemble des gens de mer, et non plus seulement à l’équipage.

Toutefois, cet article va plus loin encore, en étendant l’application des conditions sociales de l’État d’accueil aux navires qui viendront effectuer une prestation de services dans les eaux territoriales françaises.

Certes, ce point peut prêter à discussion : la notion de services étant très large, de très nombreuses activités risquent d’être concernées. En commission, le rapporteur a parlé d’une proposition « audacieuse » sur le plan juridique. La compatibilité entre l’application des conditions sociales de l’État d’accueil et le principe, établi par les directives européennes, de libre prestation de services peut en effet faire débat. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre ? L’enjeu est important pour le transport maritime, notamment pour le développement des activités offshore.

Monsieur le ministre, vous faites le choix, ici comme pour d’autres dossiers, dont celui de la gouvernance du système ferroviaire, de promouvoir des conceptions parfois quelque peu avant-gardistes en matière de règles de la concurrence européenne. En tout cas, à ce stade, elles peuvent être jugées divergentes de celles du commissaire européen, Siim Kallas. L’avenir dira quelle position adoptera la Commission européenne.

En tout cas, monsieur le ministre, votre démarche, pour audacieuse qu’elle soit, mérite d’être tentée. D’une façon générale, transposer une directive européenne – sachons le faire à temps, et non pas au dernier moment ! – en lui apportant les adaptations nécessaires ne doit pas être tabou ; reste à éprouver les limites de la méthode : j’espère que nous ne les atteindrons pas avec ce texte !

Vous l’aurez compris, le groupe UDI-UC n’est pas opposé, loin de là, à ce projet de loi, qui procède à de nombreux aménagements techniques attendus par le monde des transports ou à des adaptations indispensables, bien que douloureuses. Toutefois, nous nous prononcerons en fonction des réponses qui seront apportées par le Gouvernement au cours de l’examen des amendements.

La commission n’a pas adopté ce texte, sans doute faute d’avoir obtenu des réponses satisfaisantes. Dès lors, il vous revient, monsieur le ministre, de dissiper nos éventuelles réserves au cours de la suite de la discussion, pour conduire ce projet de loi à bon port ! §

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