Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 11 février 2013 à 16h00
Diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, le présent projet de loi traite de nombreuses questions, même si notre débat porte surtout sur la mise en place de l’écotaxe. Permettez-moi, avant d’en venir à ce dernier sujet, d’aborder brièvement les autres, sans prétendre être exhaustif.

L’article 23 du projet de loi marque une véritable avancée en matière de droit social des gens de mer. En effet, les conditions sociales et de sécurité françaises, applicables jusqu’ici au seul équipage, seront élargies à l’ensemble du personnel navigant, sur tous les navires utilisés pour fournir une prestation de services dans les eaux françaises.

En imposant ces règles aux navires étrangers, le projet de loi améliorera la protection de l’emploi de tous les marins, français ou étrangers. Nous nous réjouissons qu’il reprenne les propositions pertinentes de notre collègue Évelyne Didier, rapporteur de la proposition de loi relative aux conditions d’exploitation et d’admission des navires d’assistance portuaire et au cabotage maritime, et à l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes de cabotage. Nous tenons à saluer ce travail parlementaire du groupe CRC.

En matière de marées noires, le projet de loi vise à rendre notre droit de la responsabilité conforme à nos engagements internationaux. Il améliorera la protection des victimes de marées noires en posant explicitement le principe de la responsabilité du propriétaire du navire. Pour un Breton né à Brest, qui a connu à 15 ans le naufrage de l’Amoco Cadiz et participé, un peu plus de vingt ans plus tard, à la tentative de sauvetage un peu désespérée de dizaines de milliers de guillemots mazoutés, c’est évidemment une question importante !

Il aura fallu beaucoup trop de temps et de catastrophes pour aboutir à un encadrement juridique qui commence à organiser un régime de responsabilité propre à assurer une réparation correcte des préjudices causés par les marées noires, et par conséquent à encourager en amont les responsables à faire de la sécurité une priorité. Nous aurons l’occasion de débattre plus longuement de ce sujet lors de l’examen prochain de la proposition de loi visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil, mais je tenais à signaler les progrès déjà permis par ce projet de loi.

Je m’attarderai surtout sur l’article 7 du projet de loi, consacré à l’écotaxe poids lourds, qui est le thème principal de notre débat.

La mise en place d’une fiscalité écologique est, aux yeux des écologistes, un levier fondamental en vue de la transition écologique que nous appelons tous de nos vœux. Elle est un outil au service de l’évolution de nos modes de vie, pour préparer notre économie à un monde où les ressources seront rares et où nous devrons nécessairement limiter notre impact sur le climat et la biodiversité.

Lors de la conférence environnementale, en septembre dernier, le Président de la République, François Hollande, a tenu les propos suivants : « L’écologie n’est pas une punition, c’est ce qui doit nous permettre d’être plus forts ensemble. Dès lors, il nous faudra changer des modes de prélèvement et surtout peser sur les choix, taxer moins le travail, plus les pollutions ou les atteintes à la nature ; dissuader les mauvais comportements ; encourager les innovations ; stimuler les recherches ; accélérer les mutations. »

La France est aujourd’hui classée au vingt-sixième rang parmi les vingt-sept États de l’Union européenne en matière de fiscalité écologique. Cette situation reflète les atermoiements constants des précédents gouvernements. Pour rattraper son retard sur les autres pays européens, la France devrait lever près de 20 milliards d’euros de recettes au titre de la fiscalité écologique ; ce chiffre mérite d’être relevé, car il correspond au coût du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

Alors que l’écotaxe est directement issue de la concertation du Grenelle de l’environnement, en 2007, et que son entrée en vigueur était initialement programmée en 2011, le décret la concernant a seulement été publié le 6 mai 2012. Encore a-t-il suscité bien des oppositions, le système mis en place étant jugé trop complexe.

La nouvelle formule prévue par le présent projet de loi a été mieux accueillie que le décret du 4 mai 2012, comme notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx le fait observer dans son rapport pour avis. Il est prévu une modulation de l’assiette de la taxe en fonction des caractéristiques écologiques des véhicules, selon la classe « Euro », ce qui était évidemment nécessaire.

Le projet de loi simplifie aussi la répercussion de la taxe sur les chargeurs, dont le principe avait été arrêté par le Grenelle de l’environnement. Il instaure une majoration forfaitaire en pied de facture, qui prend en compte les frais de gestion pour les entreprises concernées.

Fervent partisan d’une fiscalité écologique efficace, je suis d’avis que si nous mettons en place des « usines à gaz » –soit dit sans mauvais jeu de mots –, le système ne prendra pas, voire se grippera. Or c’est un fait que le dispositif défini par le décret du 4 mai 2012 aurait posé des problèmes de gestion très complexes aux entreprises de transport routier, dont plus de 80 %, je le rappelle, comptent moins de dix salariés.

Comme vous, monsieur le ministre – mais peut-être un peu moins tout de même –, nous avons été alertés sur les risques potentiels que fait peser cette taxe sur la viabilité de plusieurs filières professionnelles. S’il faut toujours être très attentif à de telles observations, notamment à celles qui portent sur la complexité de la mise en œuvre du dispositif, il n’est pas question de transiger sur le principe « pollueur-payeur », que la taxe poids lourds vise à mettre en application.

Il est possible, en revanche, que nous péchions dans la pédagogie et l’explication de l’écotaxe, en ne mettant pas assez en évidence ses bénéfices induits pour nos industries et pour l’emploi. Pour les illustrer, je prendrai deux exemples : le transport de courte distance et le transport de longue distance.

Pour les courtes distances, un calcul rapide de l’incidence de l’écotaxe pour un poids lourd servant à la distribution de proximité permet d’envisager un surcoût de 5 000 euros environ, la marge d’incertitude étant extrêmement large, compte tenu de la diversité des situations. Réparti sur un nombre important de clients, ce surcoût représente seulement quelques dizaines d’euros par magasin. Pourtant, il peut constituer, pour les chargeurs, une incitation forte à développer des alternatives, lesquelles sont actuellement inexistantes ou presque. Je pense en particulier à un système que nous avions étudié au sein de la communauté urbaine de Nantes Métropole, à l’époque où j’en étais vice-président : faire des livraisons par tramway au petit matin, avant que les rames ne servent au transport des personnes se rendant à leur travail. D’autres modes de transport irriguant les agglomérations peuvent aussi être utilisés, ainsi que des véhicules électriques, sachant qu’actuellement une trentaine de petits poids lourds seulement roulent à l’électricité. Un constructeur de tels véhicules existe bien, mais, en raison de la faiblesse de la production, les coûts de fabrication sont extrêmement élevés, ce qui empêche cette solution de se développer. Il y a là un beau défi industriel à relever, ce que nous ferons d’autant mieux que nos industriels y seront incités : je rejoins là les propos tenus par Jean-Pierre Chevènement. L’écotaxe pesant bien moins lourdement sur les véhicules électriques, l’utilisation de ceux-ci bénéficiera d’une incitation extrêmement forte : la différence avec un poids lourd ordinaire se montera à plusieurs milliers d’euros sur la durée d’amortissement du véhicule.

Le développement du recours à des poids lourds roulant à l’électricité renforcerait en outre l’engagement des villes à améliorer la qualité de l’air et à réduire les nuisances liées aux transports : il s’agit là d’enjeux majeurs de santé publique.

L’instauration d’une écotaxe sur les poids lourds peut et doit donc donner naissance à un nouveau modèle économique, qui rende plus compétitif le transport moins polluant sur courtes distances : cette évolution apportera de réels bénéfices à l’ensemble de la société.

En ce qui concerne le transport sur longues distances, le système d’une écotaxe kilométrique permet de faire contribuer les poids lourds ne faisant que transiter par la France. À notre avis, ce transport de transit devrait être fortement surtaxé, afin de rendre attractives les alternatives au transport routier.

J’ai déjà eu l’occasion de mentionner, notamment dans mon rapport pour avis sur les crédits du programme « Transports routiers » de la mission « Écologie, développement et aménagement durables » du projet de loi de finances pour 2013, la possibilité de créer une quasi-obligation d’utiliser les infrastructures alternatives à la route, telle l’« autoroute » ferroviaire entre la frontière espagnole et le Luxembourg. Ne faut-il pas profiter de l’instauration de l’écotaxe pour rendre plus coûteuse la traversée de notre territoire sur les parcours où une alternative à la route existe ?

Une telle décision bouleverserait l’équilibre économique de l’infrastructure ferroviaire et permettrait la réalisation d’opérations aujourd’hui impossibles pour des raisons budgétaires. En effet, on dégagerait une recette certaine par l’instauration d’une écotaxe dissuasive sur un certain nombre d’itinéraires pour lesquels il existe une alternative ferroviaire, maritime ou fluviale. C’est une proposition que nous devrions davantage examiner dans le cadre du débat sur le schéma national des infrastructures de transport, qui, loin de se limiter à établir une hiérarchisation entre priorités de transport et priorités financières, doit porter aussi sur les recettes envisageables selon les infrastructures.

La taxe poids lourds a vocation à financer la politique de développement intermodal des transports ; c’est l’un de ses aspects majeurs, entériné à l’issue du Grenelle de l’environnement. Ainsi, le produit de l’écotaxe est reversé en grande partie à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France et aux collectivités territoriales. Nous ne pouvons pas nous priver de ce levier financier essentiel et nous ne devons pas en retarder la mise en œuvre. En effet, il contribuera à financer les investissements très élevés nécessaires à l’instauration d’un système de transport intermodal efficace.

En Allemagne, d’ailleurs, les recettes de l’écotaxe poids lourds qui existe depuis le 1er janvier 2005 sont affectées à l’agence fédérale de financement des infrastructures. Appliqués aux véhicules de plus de 12 tonnes, les droits de péage sont prélevés sur près de 13 000 kilomètres d’autoroutes, sur lesquelles les poids lourds parcourent chaque année 28 milliards de kilomètres, la part des véhicules étrangers dans ce trafic étant de 35 %. Les recettes de cette taxe allemande font rêver, si j’ose dire : elles atteignent 3, 6 milliards d’euros par an ! Si nous pouvions disposer de 3 milliards à 4 milliards d’euros chaque année pour financer les projets prévus dans le cadre de notre schéma national des infrastructures de transport, cela changerait quelque peu les termes du débat…

Cela donne une illustration supplémentaire du fait que la mise en place d’une écotaxe est nécessaire, mais pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’autres mesures de politiques publiques pour garantir le report modal du transport des marchandises, par le développement d’une offre alternative de qualité. Je rejoins, là encore, les propos de Jean-Pierre Chevènement.

Le groupe écologiste appelle donc à une montée en puissance progressive du dispositif. Des dérogations régionales existent, ainsi qu’un abattement de 10 % en cas de souscription au système d’abonnement. Dans le projet de loi, il est prévu que les taux de la taxe seront réévalués annuellement par arrêté ministériel. Nous veillerons à ce que ces arrêtés constituent la traduction d’un renforcement régulier de l’écotaxe. En effet, il y va de l’intérêt collectif, de la santé publique, de la lutte contre le changement climatique.

Il convient d’ailleurs de relativiser les conséquences sur les prix à la consommation, et donc le pouvoir d’achat, de la mise en œuvre de cette écotaxe.

Au regard de l’expérience de la Suisse et de l’Allemagne, remontant à 2005, l’écotaxe aura une incidence sur les prix de l’ordre de 0, 1 % à 0, 2 %. Il ne s’agit pas de nier les difficultés des chargeurs, mais elles ne sont pas liées à la mise en place de cette écotaxe.

Comme cela est indiqué dans l’étude d’impact, l’écotaxe est surtout un outil destiné à adresser un « signal prix », qui doit permettre de soulever la question sociétale de la nécessité de transporter mieux, c’est-à-dire moins loin et avec une optimisation des modes de transport. La diminution des distances de transport et l’amélioration du taux de remplissage des poids lourds devraient, au final, avoir une incidence positive sur les prix à la consommation et largement compenser la hausse annoncée. C’est en tout cas ce qui s’est produit en Suisse et en Allemagne.

Je conclurai en soulignant quelques points sur lesquels nous serons extrêmement vigilants.

Monsieur le ministre, vous avez autorisé les poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux. Au départ, c’était à titre dérogatoire, pour les approches « transports combinés » autour des ports et des gares, dans un rayon de 100 kilomètres. Ensuite, cette distance a été portée à 150 kilomètres, puis finalement ce fut la généralisation de l’autorisation des poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux !

Nous voyons se profiler une nouvelle difficulté du même ordre avec la demande, formulée par certains, que soit autorisés les poids lourds de 25, 25 mètres. Je me permets de rappeler que le produit de la taxe sert aussi à l’entretien des routes. Dès lors, il serait totalement contre-productif, pour ne pas dire contradictoire, d’instaurer l’écotaxe d’un côté, et, de l’autre, d’autoriser, après les poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux, les véhicules de 25, 25 mètres, qui dégradent particulièrement la voirie de notre pays.

Notre vigilance portera également sur le report de trafic vers les autoroutes concédées que provoquera l’introduction de cette taxe. On estime aujourd’hui entre 250 millions et 400 millions d’euros la hausse de revenus que ce report procurera aux concessionnaires. Un relèvement de la redevance domaniale correspondant s’imposera à un moment donné. Le groupe socialiste présentera un amendement prévoyant que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 1er septembre 2014, un rapport sur les effets de cette taxe ; c’est une bonne chose. La remise de ce rapport interviendra donc en amont de la discussion budgétaire, ce qui permettra, le cas échéant, de faire évoluer la taxe. Nous souhaitons que, dans l’intervalle, le Gouvernement, comme il l’a annoncé, continue la discussion avec les concessionnaires d’autoroutes, qui doivent participer davantage à l’effort national en faveur du report modal.

Le groupe écologiste soutient le Gouvernement sur ce point et votera ce projet de loi, dans la mesure où il instaure un prélèvement qui, par nature, renforcera la fiscalité écologique. Nous espérons que ce n’est là qu’un début dans l’instauration d’une fiscalité écologique à la hauteur des enjeux : c’est dans l’intérêt des finances de la France, de nos filières industrielles, de la protection de l’environnement ; il n’y a donc aucune raison de s’en priver ! §

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