Intervention de Jean Bizet

Réunion du 11 février 2013 à 16h00
Diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera essentiellement sur le titre II du projet de loi, c'est-à-dire sur le volet relatif aux transports routiers, en particulier sur le mécanisme de la taxe nationale sur le transport routier, couramment appelée « écotaxe ».

À l’origine, la mise en place d’une telle mesure correspondait à la transposition d’une directive européenne. Comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, le mécanisme de la taxe poids lourds avait été introduit par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi « Grenelle 1 », et par la loi de finances pour 2009. L’objectif était triple : réduire les impacts environnementaux du transport routier de marchandises en favorisant les autres modes de transport, rationaliser le transport routier sur courtes et moyennes distances, financer les nouvelles infrastructures nécessaires à la politique de développement intermodal des transports. Nous ne pouvons que souscrire à de tels objectifs.

Le législateur avait assorti la création de l’écotaxe poids lourds d’un mécanisme de répercussion de plein droit permettant au transporteur d’en répercuter le montant sur le chargeur. L’idée était d’adresser un « signal prix » au chargeur, afin de l’inciter à se tourner vers le transporteur le plus vertueux sur le plan environnemental ou de recourir à un mode de transport de substitution. Là encore, nous ne pouvons qu’adhérer à une telle approche.

Cet objectif environnemental, fixé par le précédent gouvernement, était parfaitement louable sur le principe ; je tiens à le rappeler aujourd’hui. J’étais favorable à une telle disposition, que j’ai votée sans hésiter, considérant bien évidemment important de se préoccuper de l’environnement, comme le font nos voisins européens : en Allemagne, par exemple, une taxe analogue est en vigueur depuis 2005.

Seulement – et cette nuance change radicalement la signification de la démarche –, préserver l’environnement ne doit pas systématiquement signifier scléroser toute activité économique sur un territoire. Or c’est bien ce qui risque d’arriver si nous appliquons l’écotaxe sans discernement. S’occuper d’écologie, oui ; fragiliser l’économie, non ! Notre collègue Alain Bertrand l’a souligné avec beaucoup de saveur et de ferveur : nous devons veiller à l’équilibre de nos territoires.

Ayant longtemps exercé les fonctions de rapporteur pour avis de la commission de l’économie pour les crédits de la mission « Écologie, développement et aménagement durables », j’ai aussi été rapporteur, en 2004, du projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l’environnement, voulue par le Président de la République de l’époque. J’ai toujours eu à cœur d’appréhender le sujet sans dissocier les enjeux environnementaux des réalités économiques ; j’ai toujours défendu l’idée que préservation de l’environnement et développement économique n’étaient pas antinomiques.

Dans le cadre de l’élaboration de la charte de l’environnement, j’avais d’ailleurs insisté sur le fait que le principe de précaution ne devait pas être érigé en principe d’inaction. Malheureusement, c’est l’interprétation qui en est faite par un certain nombre de décideurs ou d’acteurs. C'est la raison pour laquelle je n’ai de cesse, depuis cette époque, de réclamer que le principe de précaution soit assorti d’un principe d’innovation. Ce serait pertinent et cohérent avec le pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi promu par le Président de la République. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler que nos amis socialistes avaient voté contre le projet de loi instaurant le principe de précaution, que nos amis du groupe CRC s’étaient abstenus et que les écologistes avaient disparu…

Je le maintiens, l’esprit était d’encourager les acteurs de la filière à adopter un comportement plus vertueux en termes d’environnement, sous couvert d’un mécanisme clairement incitatif.

Or, à la lecture du projet de loi, je constate que le mécanisme défini à l’article 7 est d’une autre nature. Il est proposé d’appliquer de plein droit à la facture de transport un taux forfaitaire de majoration fonction des points de chargement et de déchargement, quels que soient la distance parcourue, le nombre de clients livrés sur le trajet ou le réseau, taxé ou non, emprunté par le transporteur.

En d’autres termes, la majoration est désormais entièrement déconnectée du montant de taxe réellement acquitté. Cela dénature totalement le principe même de cette taxe, puisque le coût, pour le donneur d’ordres, sera indépendant du trajet effectivement parcouru. Certes, un tel mécanisme est beaucoup plus simple que celui qui avait été imaginé par le précédent gouvernement et n’avait d’ailleurs pu être mis en œuvre, du fait de sa complexité.

Il n’y a plus de réelle répercussion de l’écotaxe auprès du chargeur, qui pourra se voir facturer plus que ce qui aurait été dû. Cela est invraisemblable d’un point de vue tant juridique qu’économique. Une telle disposition ne peut être que source de contentieux entre chargeur et transporteur. Comment justifier la réalité du prix payé ? Comment éviter, pour le transporteur, d’être placé de fait dans une situation d’enrichissement sans cause ? On s’écarte totalement de l’esprit initial de la taxe, du fameux « signal prix » qui devait inciter à faire évoluer les comportements.

De même, le principe de l’application de taux forfaitaires, sans prise en compte de la silhouette et de la classe « Euro » des véhicules, ainsi que celui de la mise en œuvre de taux forfaitaires différents selon les régions, engendreront de véritables distorsions de concurrence entre les entreprises des différentes régions, les taux kilométriques variant de 6, 8 centimes à 19, 6 centimes. Même les chefs d’entreprise de Bretagne, région pourtant privilégiée à cet égard, s’inquiètent des effets d’un tel système sur le fonctionnement économique de leurs entreprises. Ainsi, d’après un article paru ce matin dans un quotidien du Grand Ouest, la société d’intérêt collectif agricole de Saint-Pol-de-Léon s’attend à un surcoût compris entre 4 millions et 7 millions d’euros du fait de la mise en œuvre de l’écotaxe. Selon le chef d’une autre entreprise implantée dans la région de Rennes et employant une cinquantaine de personnes, au-delà de 300 kilomètres de trajet, le prix du carton transporté sera inférieur au coût du transport…

Le dispositif risque donc de se révéler contre-productif. Encore une fois, je ne suis pas contre l’écotaxe : je suis simplement contre son application sans discernement. C’est ce qui m’a amené à déposer un certain nombre d’amendements.

J’illustrerai mon propos par deux exemples d’activités spécifiques de transport sur courtes distances qui seront lourdement touchées, alors qu’elles sont essentielles à la préservation de l’activité économique en zone rurale : celles des grossistes-distributeurs et celles des coopératives agricoles.

Il est évidemment souhaitable de développer le transport combiné ; tout le monde en convient. Mais, nous le savons bien, pour de courtes distances, de surcroît en zone rurale, il n’y a pas d’autre solution que la route. La livraison par camion est incontournable pour préserver le tissu économique local. Certes, certaines zones du territoire connaissent un flux important de véhicules, qu’il convient de canaliser. Pour d’autres, cependant, le transport routier est un besoin vital. Or, dans bien des cas, on constate que les professionnels de la filière se sont organisés pour optimiser l’utilisation des véhicules. C’est particulièrement vrai pour la distribution de proximité ; dans ce domaine, beaucoup d’efforts ont été réalisés pour rationaliser le transport routier. Au regard tant de l’environnement que de la compétitivité, ne vaut-il pas mieux mettre sur la route un camion un peu plus gros, desservant plusieurs clients, plutôt que de multiplier les livraisons individuelles ? Cela permet de limiter le nombre de camions sur les routes.

Or le dispositif présenté, comportant une majoration forfaitaire appliquée sans discernement ni possibilité de dérogation, risque de tout remettre en cause. Pourquoi un client privilégierait-il le modèle logistique des tournées ? Économiquement parlant, il sera préférable de créer une liaison directe.

Le problème n’est pas simple. L’ancien gouvernement avait d’ailleurs rencontré beaucoup de difficultés pour concevoir l’écotaxe.

Le dispositif proposé est également particulièrement problématique pour les coopératives agricoles. La nature même et le fonctionnement d’une coopérative impliquent le recours incontournable et fréquent à la route, sans qu’il existe d’alternative modale, pour assurer des tournées dont la fréquence croît avec le caractère périssable des produits agricoles non transformés.

Les coopératives sollicitent essentiellement les petits transporteurs, qui seront fragilisés par la mise en place et par le suivi d’un tel dispositif puisque seuls les transporteurs français auront l’obligation de majorer leurs coûts de transport pour répercuter la taxe. Cela créera forcément une distorsion de concurrence avec les transporteurs étrangers, qui paieront la taxe, mais ne seront pas tenus de majorer leurs prix de transport pour la répercuter sur le chargeur.

Parce qu’il ne tient pas compte de la fragilité et des spécificités du monde rural, ce texte n’a pas été adopté en commission. Voilà pourquoi je me suis permis de déposer un certain nombre d’amendements, que je présenterai à nouveau tout à l’heure. Il me semble indispensable de prendre en compte la spécificité et la fragilité des transports de courte distance afin de préserver la compétitivité des entreprises concernées et une économie rurale harmonieuse. À défaut, nous assisterons à la disparition des petits opérateurs au profit des grands groupes, qui auront l’assise financière et les moyens administratifs pour absorber les effets de la mesure.

Sans vouloir faire de provocation, monsieur le ministre, car ce n’est pas dans mon tempérament, j’ignore si le projet de loi a été soumis à l’examen du ministre du redressement productif, mais je doute que ce texte favorisera le made in France ou le transport français !

Au moment où le Président de la République se prononce en faveur d’un regain de compétitivité de nos entreprises et de notre économie, il convient de bien être conscient que les mesures environnementales, aussi importantes et nécessaires soient-elles, doivent être prises en préservant les contraintes inhérentes à l’activité économique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion