Intervention de Didier Migaud

Réunion du 13 février 2013 à 14h30
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Didier Migaud :

Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un plaisir pour moi que de présenter le rapport public annuel de la Cour des comptes à la représentation nationale.

Ce rituel a des racines anciennes dans l’histoire du Parlement et de la Cour des comptes ; il a été instauré en 1832. Il prend aujourd’hui un sens renouvelé, car les évolutions récentes ont considérablement rapproché la Cour des comptes du Parlement, afin de lui permettre de l’assister dans le contrôle de l’action administrative, de l’exécution du budget de l’État, dans l’appréciation de la situation et des perspectives des finances publiques, dans l’amélioration de la qualité des comptes publics à travers ses missions de certification et, bien sûr, dans l’évaluation des politiques publiques, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président.

Ce travail pour le Parlement représente ainsi un enrichissement considérable de nos fonctions, dans le respect du rôle de chacun, de décideur pour vous, d’expert pour nous, et de notre liberté de programmation, afin que nous puissions en toute indépendance assumer nos missions.

Je me réjouis de voir que les rapports qui vous sont livrés, par les observations et les recommandations qu’ils contiennent, alimentent les travaux de vos commissions. Vous pouvez compter, mesdames, messieurs les sénateurs, sur notre concours, sachant naturellement que le dernier mot revient à la représentation nationale.

Le rapport public annuel est, vous le savez, notre publication emblématique. Il illustre notre mission d’information du citoyen, qui est inscrite dans la Constitution. Cette mission est également remplie, tout au long de l’année, par la publication de rapports et de référés sur des sujets variés, en complément de celui-ci. Le rapport public de cette année traite 45 sujets.

Le premier répond à la préoccupation constante de la Cour des comptes d’éclairer sur la situation de nos finances publiques et de contribuer à leur redressement.

La Cour des comptes fait deux constats sur la situation des finances publiques.

Le premier constat est que le redressement des comptes engagé en 2011 s’est poursuivi et a progressé en 2012. Toutefois, une partie toujours importante du chemin reste à faire. C’est pourquoi, selon nous, l’effort entrepris doit être poursuivi sans relâchement.

En 2009, le déficit public avait atteint le niveau historique de 7, 5 % du PIB, dont seule une partie limitée était imputable directement aux effets de la crise. Ce niveau de déficit a placé la France dans une situation très préoccupante, en raison de la forte progression de sa dette. Le respect par la France des engagements pris devant ses partenaires européens en 2011 et en 2012 constitue un progrès certain. Il contribue à expliquer la faiblesse des taux d’intérêt dont bénéficie, pour le moment, la France. Ce début de redressement d’une crédibilité profondément dégradée demeure toutefois fragile.

Malgré les mesures supplémentaires prises l’été dernier, le risque que le déficit pour 2012 se révèle un peu plus élevé que l’objectif, fixé à 4, 5 % du PIB, ne peut être écarté, en raison de l’effet sur les recettes de la dégradation de la conjoncture. L’effort structurel de réduction du déficit en 2012 a été très significatif : il devrait représenter 1, 4 point de PIB. Toutefois, selon toute vraisemblance, la situation relative de la France en 2012 sera restée moins bonne que la moyenne de la zone euro. C’est particulièrement vrai par rapport à l’Allemagne, qui a quasiment retrouvé l’équilibre de ses comptes publics.

Le deuxième constat de la Cour des comptes est que les mesures annoncées pour 2013 représentent un effort considérable et même sans précédent. Cependant, l’objectif de déficit effectif de 3 % n’a que peu de chances d’être atteint, en raison, notamment, d’un niveau de croissance vraisemblablement inférieur aux prévisions.

Les prévisions de recettes du Gouvernement pour 2013 sont probablement trop favorables, en particulier à cause de la fragilité du scénario macroéconomique retenu. Une hypothèse de croissance de 0, 8 % apparaissait déjà optimiste au moment du débat budgétaire. Elle est désormais supérieure d’au moins un demi-point de PIB à la plupart des prévisions économiques les plus récentes, qu’elles émanent du Fonds monétaire international, le FMI, de la Commission européenne, de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, ou des instituts de conjoncture.

L’atteinte d’un objectif de déficit effectif peut soulever des difficultés importantes dans un contexte de stagnation économique prolongée. L’effet récessif des mesures de redressement, lorsqu’elles s’accumulent et sont mises en œuvre simultanément dans plusieurs États à la fois, ne peut être négligé. Cela ne signifie pas que le déficit effectif, ou son évolution, est sans importance, car il contribue à l’accroissement de la dette.

Cependant, il doit également y avoir place, dans l’analyse, pour un raisonnement complémentaire, que privilégient d’ailleurs le nouveau traité européen et la loi organique du 17 décembre 2012. Ces textes conduisent les États à viser des objectifs de déficit structurel, c’est-à-dire de déficit calculé indépendamment de l’effet de la conjoncture économique. Pour faire face à leurs engagements, les États fixent chaque année un effort structurel qu’ils doivent réaliser par la hausse des recettes et par la maîtrise des dépenses.

Pour l’année 2013, les augmentations de recettes et les économies sur les dépenses programmées représentent un effort de 38 milliards d’euros, soit presque deux points de PIB. Un tel montant n’a jamais été atteint dans l’histoire récente de notre pays. À condition de réaliser concrètement cet effort, la France serait en mesure de tenir ses engagements en termes de déficit et d’effort structurels.

Le respect de l’objectif effectif des 3 %, selon toute vraisemblance, appellerait, quant à lui, de nouvelles et importantes mesures d’ajustement.

Dans ce contexte, la Cour des comptes considère qu’il y a nécessité, pour les autorités responsables de l’Union européenne, de préciser le poids respectif qu’il importe de donner aux critères de solde effectif et de solde structurel. Elle invite les politiques à choisir quel critère ils entendent privilégier, sachant que les deux ont un sens et une importance.

En tout état de cause, et quelle que soit l’évolution de la situation économique, la Cour des comptes insiste – c’est son premier message de fond – pour que l’effort structurel programmé en 2013 soit effectivement et intégralement réalisé.

Or la Cour des comptes constate que la réalisation des deux points de PIB d’effort structurel n’est pas totalement assurée, en raison d’incertitudes sur le produit des recettes, ainsi que sur la réalisation des mesures d’économies sur les dépenses.

Concernant les recettes, la Cour des comptes estime que le Gouvernement a retenu des hypothèses d’élasticité du produit des impôts à la croissance trop favorable. Elle avait déjà fait un constat identique en 2012. Si des hypothèses plus prudentes étaient retenues, les recettes publiques pourraient être, par exemple, inférieures de près de 5 milliards d’euros aux prévisions.

Par ailleurs, les dernières lois financières ont introduit de très nombreuses mesures fiscales nouvelles : la Cour des comptes en a répertorié soixante-dix ayant chacune un impact sur l’exercice 2013 supérieur à 100 millions d’euros. La multiplicité de ces mesures rend l’évaluation de leur produit d’ensemble fragile, le rendement de chacune d’entre elles étant susceptible d’influencer celui d’autres.

En outre, il en résulte une complexification et une instabilité accrue de notre système fiscal, qui peut être préjudiciable aux entreprises et aux investisseurs.

L’augmentation des dépenses de l’État votée pour 2013 est de 1, 2 milliard d'euros par rapport aux dépenses exécutées en 2012. Cet objectif paraît moins ambitieux qu’en 2012, où les dépenses avaient été réduites de 2, 1 milliards d'euros par rapport à l’exécution de l’année précédente. Encore le respect de cet objectif pour 2013 suppose-t-il de réaliser effectivement les économies nécessaires pour contenir la croissance tendancielle des dépenses.

La Cour des comptes constate en la matière qu’une part de ces économies repose sur l’effet en 2013 des mesures prises sous la législature précédente dans le cadre de la RGPP, en particulier les réductions d’effectifs opérées en 2012. Les mesures nouvelles, identifiables dans la loi de finances pour 2013, n’explicitent que partiellement les autres économies de dépenses.

Au-delà des finances de l’État, les dépenses d’assurance maladie et de retraites devraient augmenter à un rythme un peu plus rapide qu’en 2012. Si le Gouvernement affiche une croissance de l’ensemble des dépenses de toutes les administrations publiques au même niveau qu’en 2012, ce résultat repose sur des hypothèses favorables pour l’évolution des dépenses les moins directement sous le contrôle de l’État – assurance chômage, collectivités territoriales, opérateurs divers –, ce qui constitue un élément de fragilité de la prévision d’ensemble.

Ainsi, la loi de finances table sur une hausse des dépenses d’indemnisation des chômeurs limitée à 1, 6 %, alors que, de son côté, l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, l’UNEDIC, l’estime aujourd’hui à 8, 3 %, soit 2 milliards d'euros de plus.

Au total, si la poursuite en 2013 du freinage des dépenses publiques engagé en 2011 ne paraît pas aujourd’hui hors d’atteinte, cet effort appellera tout au long de l’année une stricte vigilance et de nouvelles et importantes économies en cours d’exécution.

Le second message de la Cour des comptes sur les finances publiques, que je tiens à souligner à nouveau, est la nécessité de faire porter désormais l’intégralité de l’effort de redressement jusqu’au retour à l’équilibre sur la seule maîtrise des dépenses.

Certes, un ralentissement sans précédent des dépenses publiques a eu lieu en 2011, puis en 2012. Toutefois, au cours des trois dernières années, le levier des recettes a été utilisé massivement : il a représenté plus de 75 % de l’effort. Ce choix s’écarte de la recommandation constante de la Cour des comptes – mais ce n’est qu’une recommandation – en faveur d’une priorité claire donnée aux mesures sur les dépenses.

Dès lors, la priorité absolue ne peut qu’être d’amplifier les efforts déjà engagés de maîtrise des dépenses dans l’ensemble des administrations publiques. Le Gouvernement prévoit au-delà de 2013 un tel rééquilibrage, qui se traduira par un ralentissement encore plus marqué des dépenses publiques. Toutefois, il n’a pas encore précisé les mesures qui permettront de réaliser cet effort exigeant, même pour une partie de celui qui est programmé en 2013.

Cet effort est possible : les multiples illustrations qui figurent dans la suite du rapport public annuel le montrent bien.

Les dépenses publiques représentent 56 points de PIB en 2011 – un peu plus d'ailleurs en 2012 –, soit le plus haut niveau jamais atteint en France et le deuxième de l’OCDE. Un tel niveau n’appelle pas en soi un jugement négatif ; il traduit un choix collectif de préférence pour la dépense publique. Cependant, ce choix ne trouve sa pleine justification que si notre pays s’assure que les dépenses font la preuve de leur efficacité et de leur efficience.

Or les rapports de la Cour des comptes, comme les évaluations disponibles, trop peu nombreuses, montrent que tel n’est pas partout le cas. Lorsque la qualité de la dépense est mesurée, comme en matière d’éducation ou de retour à l’emploi, mais je pourrais prendre bien d’autres exemples, notre pays est loin d’atteindre des résultats en adéquation avec l’importance des dépenses qu’il consacre.

Le rapport entend convaincre les citoyens comme les pouvoirs publics que faire mieux avec moins est possible, que les économies sont parfaitement compatibles avec l’amélioration de la qualité des services publics.

C’est pourquoi la démarche de revue des politiques publiques, qu’elle s’appelle révision générale des politiques publiques, RGPP, ou modernisation de l’action publique, MAP, doit viser conjointement économies et amélioration de la qualité. À défaut, le Gouvernement serait conduit, pour respecter ses engagements sur la maîtrise des dépenses, à appliquer des coups de rabot indifférenciés sur des catégories de dépenses.

De son côté, la Cour des comptes met en avant des pistes d’économies importantes. Je prendrai trois exemples tirés du rapport.

Un premier exemple est le dispositif d’aide aux buralistes. L’État consacre depuis 2004 des aides importantes, de plus de 300 millions d'euros par an, à cette profession. Il s’agissait, à l’origine, de compenser la baisse du chiffre d’affaires qui était attendue en raison de l’augmentation des prix du tabac.

Cette baisse ne s’est pas produite : sauf dans des cas très minoritaires, la rémunération moyenne des buralistes a progressé fortement et les aides ont entraîné des effets d’aubaine massifs. La Cour des comptes appelle à une remise en cause rapide et complète des interventions de l’État, en ne laissant subsister que celles qui sont ciblées sur les débitants en difficulté ou qui contribuent à la modernisation du réseau.

Un deuxième exemple d’économies possibles pour un résultat équivalent, voire meilleur, est celui des achats de maintenance au sein des armées. Les recommandations de la Cour permettraient une économie de 10 % de ces dépenses, soit 300 millions d'euros.

Le troisième exemple est le plan d’aide à la presse écrite pour 2009-2011. Une approche plus sélective des aides importantes que l’État consacre au secteur depuis 2009, une réduction de leur ampleur et une plus forte concentration des moyens sur les objectifs fondamentaux de la politique d’aide à la presse sont fortement recommandées. De nombreux autres exemples d’économies possibles figurent dans le rapport.

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