Certains chapitres du rapport mettent en évidence le besoin d’une action publique mieux centrée sur les territoires pertinents. J’en citerai brièvement trois exemples.
L’étude du projet de LGV Est reliant Paris à Strasbourg a entraîné une compétition entre les collectivités qui ont financé le projet, conduisant à des choix d’investissement contestables. Par exemple, la construction de la gare de Lorraine TGV en un lieu inapproprié a conduit les autorités à envisager la construction à quelques kilomètres seulement d’une autre gare, qui, elle, serait reliée au réseau ferré régional.
Le chapitre sur les restructurations hospitalières met en évidence trois exemples de difficultés à regrouper des structures hospitalières dont l’activité est trop faible. Ces projets ont pu conduire à des dérives financières comme à Perpignan, ou à des décisions incohérentes comme dans la vallée de la Tarentaise ou encore dans les Deux-Sèvres, où trois hôpitaux proches de faible activité pourraient coexister avec un quatrième hôpital conçu à l’origine pour les regrouper entièrement.
Dans le cas du Mont-Saint-Michel, le désengagement de l’État au profit d’un syndicat mixte aux faibles effectifs, ne disposant pas des compétences adéquates, a entraîné de nombreuses déficiences dans la réalisation du projet de restauration du caractère maritime du mont.
Les défauts de ciblage ne sont pas seulement territoriaux ; ils concernent souvent le versement de prestations sociales ou de subventions. Les exemples des aides à la presse ou des débitants de tabac que j’ai déjà évoqués l’illustrent. C’est également le cas du RSA activité que la majorité des bénéficiaires potentiels ne sollicitent pas, notamment faute d’une bonne coordination entre le RSA et la prime pour l’emploi.
Pour améliorer la qualité et l’efficience de la gestion, il convient également de réformer des organisations administratives dont la complexité limite la performance. Le rapport cite les deux exemples de la distribution d’électricité, qui repose sur une multitude de concessions souvent de très petite taille, et de la politique de délivrance aux étrangers de visas et de titres de séjour.
Pour mener à bien les réformes nécessaires, rationalisations, reciblages, simplifications, une action déterminée et continue est essentielle. La Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes le constatent lorsqu’elles examinent les conséquences tirées de leurs contrôles.
Elles cherchent à rendre leurs travaux aussi utiles que possible : sans vouloir limiter leur rôle à celui d’un outil de transparence au service de l’information du citoyen, les juridictions financières se veulent également un initiateur et un accompagnateur de réformes. Elles s’efforcent d’associer à leurs constats et critiques des recommandations – vous l’avez d'ailleurs souhaité, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que législateur – formulées en des termes les plus opérationnels possible. L’objet du tome II du rapport public annuel est de rendre compte des enquêtes de suivi de ces recommandations, menées en moyenne trois années après un rapport public de la Cour des comptes.
Vous verrez que, sur de nombreux sujets, les recommandations de la Cour des comptes ont été entièrement suivies ou presque. C’est l’objet de la première partie de ce tome, identifiée par un onglet vert. Ainsi, la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes ont constaté des progrès dans la gestion du service de santé des armées, du port autonome de la Guadeloupe et de la commune d’Hénin-Beaumont. Plus généralement, 71 % des recommandations des trois dernières années sont totalement ou partiellement suivies d’effet.
La Cour des comptes a identifié neuf sujets sur lesquels la prise en compte de ses recommandations était insuffisante, par exemple l’encadrement des rémunérations dans le secteur bancaire à la suite du plan de soutien au secteur, le Centre des monuments nationaux ou la lutte contre le surendettement des particuliers. C’est pourquoi elle insiste sur ces points. Ces recommandations sont identifiées par un onglet orange.
Enfin, vous trouverez six exemples de dérives persistantes, qui conduisent la Cour des comptes à alerter les citoyens et les décideurs. J’ai déjà évoqué certains de ces sujets : le CNED, l’Audiovisuel extérieur de la France, ou encore la Caisse des congés spectacles. Sur chacun de ces sujets, identifiés en rouge, la Cour des comptes alertera les citoyens et les décideurs publics aussi longtemps que nécessaire.
Enfin, avant de conclure, je souhaiterais livrer un dernier message et inviter les pouvoirs publics à ne pas craindre de dépasser les intérêts particuliers pour faire prévaloir l’intérêt général. C’est à ce prix que les réformes nécessaires peuvent être mises en place dans certains secteurs.
J’ai déjà évoqué les buralistes ; le rapport fournit également l’exemple de l’action sociale de la direction générale de l’aviation civile, dont le budget, important, dépasse de 63 % les crédits votés par le Parlement. Cet exemple complète d’autres constats très critiques formulés récemment par la Cour des comptes sur la gestion de cette direction et celle des contrôleurs aériens.
Enfin, le rapport livre deux exemples territoriaux de situations dans lesquelles l’intérêt général a été perdu de vue : la gestion cloisonnée de deux stations d’épuration contiguës dans l’Essonne, celles d’Évry et de Corbeil-Essonnes, et les carences répétées de l’abattoir public de Basse-Terre en Guadeloupe.
L’effort de maîtrise des dépenses que notre pays s’est engagé à réaliser suppose, par son ampleur, un changement culturel important. Un euro de dépense publique doit être considéré par chacun comme une denrée précieuse. Aucun acteur ne doit se considérer par principe dispensé du nécessaire questionnement sur l’utilité, la pertinence, le juste ciblage et l’efficience de la dépense publique dont il a la charge. Il s’agit de faire en sorte que l’effort soit largement réparti et porte sur les dépenses les moins utiles. C’est à cette condition que l’effort programmé pourra être réalisé sans exiger de sacrifices importants ou arbitraires. La Cour des comptes en est convaincue, cet effort est possible ; il suppose la mobilisation de tous.
En rendant compte de 45 sujets de contrôle, la Cour des comptes veut apporter toute sa contribution à cette démarche. Conformément aux missions qui lui sont confiées par la Constitution et par la loi, elle est dans son rôle lorsqu’elle publie le résultat de ses contrôles après contradiction, formule des recommandations, en assure le suivi, signale les progrès et les insuffisances et, le cas échéant, en tire les suites juridictionnelles qui s’imposent, enfin contribue à l’évaluation des politiques publiques.
Elle est également dans son rôle quand elle s’exprime dans le débat public pour rendre compte de ses travaux et mettre sur la table des propositions, tout en restant à sa place, consciente qu’elle est que le pouvoir de décision appartient naturellement aux représentants du suffrage universel : le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.