Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous réexaminons aujourd’hui est censé relever un véritable défi puisqu’il s’agit de préparer, ni plus ni moins, la transition vers un système énergétique sobre. Avec un intitulé aussi ambitieux, il aurait pu être intégré dans la loi de programmation annoncée pour l’automne, ce qui lui aurait certainement assuré un parcours moins chaotique.
Car, mes chers collègues, il en va du travail parlementaire comme de la pratique du sport : il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ! §Et, dans cette affaire, tout laisse penser que la sagesse bien connue des sénateurs et de la Haute Assemblée aura fait défaut à nos collègues députés, emportés par la fougue de la réforme aux lendemains d’une alternance politique tant attendue. Mais enfin, maintenant, nous y sommes ! Il faut donc aller de l’avant et sortir par le haut !
Alors, qu’en est-il vraiment ? Après un premier passage express devant le Sénat, la proposition de loi vise toujours à instaurer ce fameux bonus-malus sur les consommations d’énergie des ménages résidant dans notre pays. Ce couple infernal et asexué du bonus-malus trouve son origine dans une volonté légitime de chasser le gaspillage et de favoriser les économies d’énergie, au lieu de produire toujours plus ! Jusque-là, nous partageons sa philosophie.
Mais ce bonus-malus est remis en cause autant du fait de son excessive complexité – je pèse mes mots ! – qu’au regard du risque d’injustice pesant sur les ménages en situation de précarité énergétique. Il faut toutefois reconnaître que des améliorations ont été apportées au dispositif à l’occasion du second examen du texte par les députés, améliorations auxquelles les efforts déployés par Roland Courteau et le président Daniel Raoul ne sont pas étrangers : c’est bien la preuve que, même lorsque le Sénat rejette un texte, le bicamérisme a des vertus puisqu’il oblige l’Assemblée nationale à revoir sa copie et à présenter un travail un peu plus abouti. Car il faut bien admettre que nos collègues députés ont écouté et entendu certaines de nos préoccupations.
S’il convient de saluer la définition et l’encadrement d’un certain nombre de notions, telles que le « domicile » ou les « unités de consommation », et une prise en compte un peu plus fine des situations particulières, notamment au sein des immeubles collectifs, le système reste trop complexe et pour le moins inéquitable, donc trop éloigné des objectifs affichés. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, les calculs devront être effectués tous les ans pour l’ensemble des ménages français.
Outre sa complexité, le bonus-malus est intrusif : nos concitoyens vont se sentir surveillés. L’organisme désigné afin de recueillir nos données personnelles aura, si besoin, accès aux données de l’administration fiscale. Si cette nouvelle mesure permet de décharger les services de l’administration fiscale, cette charge ne disparaît pas, mais se transmet à ce nouvel organisme, qui devra procéder à des recrutements.
Comment vérifier l’adresse de chaque personne, notamment des enfants dont les parents sont séparés ? Des agents viendront-ils visiter nos logements, compter les résidents permanents et les visiteurs – ou visiteuses – occasionnels ? Les radicaux sont et seront toujours soucieux du respect des libertés individuelles !
Les malus et les bonus devant s’équilibrer, comment seront financés les frais de gestion ? C’est aussi l’une des raisons qui font que le RDSE n’est pas favorable à l’idée du bonus et présentera un amendement visant à sa suppression.
Il n’est pas nécessaire de récompenser les comportements sobres, qui devraient être la règle, et il ne nous semble pas pertinent d’accorder des bonus aux ménages qui disposent des moyens nécessaires pour acquérir un logement isolé ou pour financer les travaux de rénovation thermique. En outre, l’existence d’un bonus complique le dispositif et le rend encore plus inopérant.
L’objectif du bonus-malus est d’inciter les consommateurs domestiques à consommer moins. Quels résultats peut-on en attendre si, pour être sanctionnée par le malus, notre consommation doit atteindre trois fois celle du premier quartile – j’avoue avoir découvert ce mot à l’occasion de ce texte ! – le plus sobre de la population ?
Si le montant des bonus et malus est si peu significatif qu’il sera indolore, à quoi bon mettre en place un système si complexe ?
Rares sont les ménages qui font le choix de chauffer leur logement les fenêtres ouvertes. Si les consommations sont excessives, notamment en matière de chauffage, c’est que les logements sont mal isolés. On ne peut pas considérer les ménages responsables d’une consommation qui est due à la mauvaise isolation de leur logement alors qu’ils ne disposent pas des moyens pour procéder aux travaux nécessaires à sa rénovation thermique. Il y a là une injustice qui n’est pas acceptable.
Nous risquons de sanctionner d’abord les ménages les plus modestes, qui habitent souvent des passoires énergétiques, et de réduire ainsi leur pouvoir d’achat, déjà bien entamé par la crise.
En dépit des différentes versions de ce texte, force est de constater que, jusqu’à présent, nous ne parvenons pas à équilibrer et à stabiliser un système qui, quand il est intelligible et simple, est aussi inéquitable et qui, lorsqu’il tente d’être juste, devient incompréhensible et beaucoup trop complexe.
Par ailleurs, l’application des bonus et des malus est réalisée sur l’année, ce qui réduit le caractère incitatif du dispositif. Au cours d’une même année, nous partons en vacances, nous invitons des amis à la maison, nous logeons parfois provisoirement de la famille… Comment savoir si l’on est vertueux et, en conséquence, comment réguler sa consommation sur une période aussi longue ?
La meilleure incitation reste la connaissance exacte de nos consommations. Les Français sont sensibilisés aux enjeux énergétiques et le seront de plus en plus : ils n’ont pas besoin d’être sanctionnés et encore moins surveillés. J’ajoute que le prix de l’électricité augmentera de lui-même ; il ne semble donc pas pertinent de l’augmenter davantage. La meilleure économie d’énergie reste la mise en place d’une politique de rénovation massive des logements.
La mise en place d’un bonus-malus serait plus pertinente une fois l’ensemble du parc immobilier rénové, mais il faudrait un minimum de deux ans pour atteindre cet objectif. En attendant, quels recours auront désormais les locataires lorsqu’ils habiteront des passoires énergétiques ?
Si, en première lecture, je m’inquiétais des défaillances du diagnostic de performance énergétique, la suppression de la déduction du loyer est d’autant plus inquiétante que le locataire n’aura d’autre choix que de payer un malus pour des consommations dont il n’a pas la responsabilité.
La présente proposition de loi contient pourtant des mesures susceptibles de faire l’unanimité, telle l’extension du champ des bénéficiaires des tarifs sociaux, qui permet de tenir compte des 4, 2 millions de ménages en situation de précarité énergétique. Elle sera compensée par une hausse de la facture de l’électricité et du gaz appliquée sur les autres ménages.
Cette mesure pose le problème du financement de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui, de 10, 50 euros par mégawattheure en 2012, et déjà déficitaire de 5 milliards d’euros, a été portée à 13, 50 euros en 2013. Pour financer cet élargissement des tarifs sociaux, elle devrait être augmentée de 5 euros, pour atteindre 18, 50 euros, soit une hausse de 0, 7 % de la facture électrique. Avec des hausses de tarifs limitées à 2 ou 3 % par an, que restera-t-il pour les investissements sur le réseau et les énergies renouvelables ?
L’adoption de cette mesure soulève toutefois la question de la réforme de la contribution ; je pense que nous reparlerons lors de la discussion des articles.
Dans le domaine de l’eau, l’expérimentation de la tarification progressive constitue une avancée, de même que les mesures en faveur de l’effacement électrique, en particulier aux heures de pointe. Nous reviendrons également sur ces questions dans le cours de la discussion.
En ce qui concerne le secteur de l’éolien, nous sommes partisans d’une simplification des démarches administratives. Cependant, il nous semble qu’il aurait peut-être fallu, avant de décider la suppression des zones de développement de l’éolien, attendre la fin du débat national sur la transition énergétique afin de concevoir un nouveau régime d’autorisation plus équilibré.