L'amnistie constitue une tradition vénérable qui remonte à l'Athènes du Ve siècle avant notre ère. En France, sous leur forme de lois d'oubli et d'apaisement votées par le parlement, elles existent depuis les lois constitutionnelles de 1875. Si certaines ont été le prolongement d'événements exceptionnels, comme la guerre d'Algérie ou les troubles en Nouvelle-Calédonie, les autres ont été votées après chaque élection présidentielle sous la Ve République, jusqu'en mai 2002. Ces lois ont été critiquées au motif qu'elles recouvraient un champ d'application très vaste et constituaient des incitations à commettre des infractions aux cours de la période précédent l'élection présidentielle.
Cette proposition de loi échappe largement à ces critiques. Son objet est beaucoup plus limité. Elle ne concerne, dès lors qu'elles sont passibles de moins de 10 ans d'emprisonnement, que les infractions commises lors de conflits du travail à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics - circonstances déjà visées par les lois d'amnistie présidentielle de 1981, 1988, 1995, et 2002 - et celles commises lors de mouvements collectifs, revendicatifs, associatifs ou syndicaux, liés à des problèmes concernant l'éducation, la santé, l'environnement, et les droits des migrants, y compris en cas de manifestation sur la voie publique ou des lieux publics. Les lois d'amnistie présidentielles envisageaient déjà les infractions commises lors de manifestations liées à un conflit du travail. Le texte étend le champ de l'amnistie aux mouvements collectifs dans des domaines énumérés de manière limitative. Conflits du travail ou mouvements collectifs, il s'agit toujours de mouvements où les citoyens se sont mobilisés pour défendre leurs droits fondamentaux, leurs conditions de travail, l'emploi, le système de protection sociale ou l'environnement.
Le contexte économique, difficile, suscite de multiples mouvements sociaux et revendicatifs. La liberté de manifestation et la liberté syndicale sont nécessaires en démocratie parce qu'elles enrichissent le débat en donnant à tous les moyens de s'exprimer.
Or, de plus en plus fréquemment, des représentants syndicaux ou associatifs se voient condamnés par la justice ou sanctionnés professionnellement pour entrave au travail, dégradation, diffamation sur les réseaux sociaux, ou encore refus de se soumettre à un prélèvement d'ADN à la suite d'une action, comme le fauchage d'un champ d'OGM par exemple. L'utilisation de ce délit par les forces de l'ordre est contestée par les membres des associations et des syndicats que j'ai auditionnés car il crée une facilité d'incrimination : il suffit d'attribuer à quelqu'un une infraction puis de constater son refus d'accepter le prélèvement. Or la possibilité de réaliser un prélèvement génétique pour alimenter un fichier national, initialement limitée aux délits sexuels, a été étendue à de nombreux délits, comme les dégradations ou les atteintes aux biens.
La poursuite systématique de ces comportements aboutit à une paralysie des syndicats ou associations. Une amende élevée obère leurs finances et se révèle dissuasive. Dans le même temps, elle encourage des actions individuelles moins contrôlées, moins prévisibles, plus violentes tout en appauvrissant le débat public. Aussi une mesure d'apaisement paraît-elle souhaitable, en amnistiant ces faits.
Toutefois, si les circonstances dans lesquelles les infractions sont commises limitent le champ de la loi par rapport aux précédentes lois d'amnistie, il m'est apparu nécessaire d'introduire une limitation supplémentaire sur la nature des délits. Les précédentes lois comportaient une liste, en forme d'inventaire à la Prévert, des infractions que le législateur souhaitait exclure du bénéfice de l'amnistie. Cette liste n'a cessé de s'allonger, parfois en fonction de l'actualité, pour atteindre 49 exclusions dans la loi du 6 août 2002. Cette liste ne se justifie pas pour ce texte en raison de son caractère plus ciblé. En outre chaque loi d'amnistie s'accompagnait d'une circulaire de la Chancellerie : en 2002 par exemple, il était demandé aux parquets d'apprécier pour chaque cas s'il existait entre le délit et le critère de l'amnistie un lien suffisant. En particulier, si les agissements n'avaient pas été commis dans le cadre d'un mouvement collectif de défense de l'intérêt collectif d'une profession mais dans le cadre d'actions ponctuelles, au service d'intérêts patrimoniaux, la loi d'amnistie ne devait pas s'appliquer. Aussi ne bénéficie-t-elle pas aux casseurs.
Je propose, retenant la proposition du ministère de la justice, de continuer à exclure des délits commis dans les conditions prévues à l'article 1er certains délits présentant une particulière gravité : les violences commises à l'égard des personnes dépositaires de l'autorité publique ainsi que les violences à l'égard des mineurs de moins de 15 ans et des personnes particulièrement vulnérables, comme c'était le cas dans la loi du 6 août 2002. En outre, l'amnistie vaudra pour les sanctions à caractère disciplinaire. Il appartiendra à l'Inspection du travail de veiller au retrait de ces mentions du dossier des intéressés. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 20 juillet 1988, a reconnu au législateur la possibilité d'étendre l'amnistie aux sanctions disciplinaires dans un but d'apaisement politique ou social. Cependant, seules les sanctions infligées dans le cadre des circonstances mentionnées à l'article 1er seront concernées. Contrairement à la loi de 2002, mais comme en 1988, une possibilité de réintégration est prévue. L'amnistie, toutefois, n'est pas la réhabilitation et les droits de tiers doivent être préservés. Elle n'a pas non plus d'effets sur les instances civiles : les tiers lésés pourront toujours demander la réparation des dommages causés. En 1988, le Conseil constitutionnel avait considéré qu'une réintégration n'était pas possible en cas de faute lourde, mais il avait admis que le législateur pouvait prévoir la réintégration des salariés protégés en raison de la difficulté de leurs fonctions. Pour tenir compte de cette décision, j'ai déposé un amendement qui exclut les fautes lourdes des circonstances pouvant donner lieu à réintégration et qui limite celle-ci aux salariés protégés par le code du travail. Toutefois je ne m'interdis pas de déposer en séance un amendement prévoyant la réintégration des salariés non protégés.
A l'égard des étudiants visés à l'article 5, un amendement exclut leur réintégration en cas de violences. Enfin, de manière novatrice, le texte prévoit que l'amnistie entraîne la suppression des empreintes génétiques et des informations nominatives recueillies dans le cadre des infractions visées. Vous le voyez, je me suis efforcée de maintenir un équilibre, tous les autres amendements sont rédactionnels.