Intervention de Daniel Sibony

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 février 2013 : 2ème réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Audition de M. Daniel Sibony psychanalyste

Daniel Sibony, psychanalyste :

Merci de me recevoir. Ce qui pose question, c'est le nom, la façon de nommer les choses. Aussi commencerai-je par rappeler qu'ayant été d'abord chercheur en mathématiques et en philosophie, je ne parlerai pas seulement en tant que psychanalyste.

La division des psychanalystes est positive. Chacun investit différemment ce qu'il entend par symbolique, transmission, névrose. Je peux comprendre que certains confrères aient été affolés de ne pas retrouver dans le mariage pour tous des repères pour eux fondamentaux comme l'OEdipe, et je veux témoigner qu'il faut faire confiance à des groupes humains pour vivre, se reproduire, transmettre de l'amour ou du non-amour, sans avoir recours à des schémas préalables, fussent-ils ceux de la psychanalyse.

Plus que singulière, ma position est singulièrement universelle. Je n'ai rien contre le fait qu'un couple homosexuel puisse adopter un enfant ou en avoir un par procréation, qu'on célèbre son union avec solennité. En revanche, je m'inquiète que le changement de sens de certains mots entraîne des cascades de conséquences se traduisant par des réalités cliniques. On parle de couples homosexuels. Je lis, dans Le Monde, sous la plume de la sociologue Martine Gross, qu'il est bien qu'une femme puisse demander un don de sperme pour que sa compagne soit fécondée. C'est différent de ce qui existe dans des pays comme Israël, où des femmes seules peuvent être fécondées, adopter. En France, on a imposé des limites, comme pour le plaisir de les surmonter, comme si le mariage pour tous était la seule manière d'y parvenir ; présenter ainsi celui-ci comme la solution relève du sophisme.

Le mariage unit, sous le signe d'une légalité, deux jouissances radicalement hétérogènes et fait travailler cette différence. Redéfinir ce mariage par l'union du même n'enlèverait rien aux autres ? Voilà qui ne laisse pas de surprendre : on enlève que ce que l'on a, or nous sommes ici dans l'ordre de l'être. On dit : nous sommes mariés, pas j'ai un mariage, sauf si j'y vais tout à l'heure. Passer de l'être à l'avoir, c'est opérer un coup de force. Le projet de loi aura des répercussions sur des noms, des nominations, qui avaient le droit d'exister - je ne parle pas de sacralité.

Dans cette affaire, on a fait feu de tout bois dans un certain affolement. Le lien du mariage n'est sacré que chez ceux qui le sacralisent ! Il y a toute une graduation entre la transcendance et, au niveau élémentaire, le sens du mot. Voyez la définition qui figure dans les dictionnaires jusqu'à celles qui tentent d'anticiper un changement.

Que l'union d'une femme et d'un homme sous le signe d'une légalité n'ait plus de mot pour être nommée dans sa spécificité, pose problème. Le texte de la loi en témoigne. Il ne dit plus mari et femme, mais époux, père et mère mais parents. Dans mon cabinet psychanalytique, j'ai reçu une jeune épouse furieuse : elle réclamait le droit à la différence ! Pourquoi le fait d'honorer une différence pour une minorité impliquerait-il une perte pour la majorité ? Fallait-il, pour donner le droit d'hériter au conjoint d'un couple homosexuel, modifier la définition même du mot mariage, et faire disparaître de la loi des termes essentiels ? Me direz-vous comme le Conseil d'Etat qu'ils subsisteront dans la vie quotidienne ? Le texte de la loi est un papier qui appartient à tout le monde : ici, il y a un coup de force linguistique.

Que l'on s'apprête à transformer certains mots, à les vider, suscite une grande gêne chez un écrivain qui a écrit trente-six livres. Bien sûr, je m'en débrouillerai. Et les enfants d'un couple de femmes auront pour père effectif une femme. Dans un couple homosexuel, il y en a toujours un qui est plus féminin et l'autre plus masculin. Cela, c'est la réalité que l'on observe. Quand on voit des reportages à la télévision, l'un des deux considère toujours l'autre non comme son copain ni comme son ami mais comme son mari - j'attends toujours que l'autre se présente comme sa femme. Ou bien l'on aura un homme qui, sans être un transsexuel, dira qu'il est une femme, ou bien l'on aura deux maris.

Cette loi pour le mariage pour tous, ce « tous » mis à la place des homosexuels, comme si ceux-ci répondaient pour tous ou comme si le mariage avait été excluant, est la première étape d'une loi à venir sur la filiation ou la parentalité. Le mot mariage comporte une présomption de filiation. Cette loi mentionne déjà l'adoption, comme si elle traitait le cas le plus simple, ce qui d'ailleurs n'est pas le cas. J'aimerais assister aux réunions des commissions qui devront attribuer un enfant à un couple homosexuel ou à un couple hétérosexuel.

On peut donner tous les droits aux couples homosexuels sans bouleverser le sens normal, ordinaire, banal de certains mots qui gardent au fil des temps une étonnante vibration. Au fond, il s'agit de permettre à des personnes qui ne veulent pas recourir à l'autre sexe d'avoir quand même des enfants. Fallait-il pour autant procéder à ce chamboulement ? Je n'en suis pas sûr. Il se peut que toucher à l'autre sexe, ne serait-ce qu'une fois, soit le prix à payer, une preuve ou une épreuve d'amour pour obtenir l'enfant.

Il arrive (très rarement) que des couples hétérosexuels qui veulent recourir à la procréation médicalement assistée (PMA), affirment avoir de bonnes relations, mais pas de relations sexuelles. Le recours à la technique peut éviter d'affronter certains problèmes, qui se déplacent alors. Pour les homosexuels, le rejet de l'autre sexe s'exprimera évidemment par la suite. Quand j'entends une femme dire : « Je ne veux pas me coltiner un père pour élever mon enfant », je me pose des questions sur la transmission du rejet de l'autre sexe qui a structuré ce couple. Le refus de l'homosexualité n'est pas ce qui structure les couples hétérosexuels. Quand la loi entre dans cette intimité sexuelle, il devient difficile d'en sortir.

L'accusation d'homophobie, présente pendant tout le débat, a fait oublier cette réalité qu'est le rejet de l'autre sexe par ces couples. Au nom de la réalité des couples homosexuels, on a procédé à un autre déni de réalité, le mariage des hommes et des femmes, ou les relations père-mère.

Un couple hétérosexuel qui recourt à la procréation médicalement assistée (PMA) réduit le donneur à du sperme, alors que le couple homosexuel rendrait toute sa dignité à cette personne. Un tel argument apparaît particulièrement malhonnête : l'homme ne sera pas introduit en tant que père dans l'univers de ce couple homosexuel.

La levée de l'anonymat lors du don pour un couple féminin s'impose d'elle-même, alors que pour de tout autres raisons, ces femmes ne veulent pas de cet homme. La levée de l'anonymat entraînera le secret.

1 commentaire :

Le 05/02/2022 à 15:14, aristide a dit :

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"Le texte de la loi en témoigne. Il ne dit plus mari et femme, mais époux, père et mère mais parents."

C'est une honte, de la pure hétérophobie. Que les vrais républicains se réveillent face à ces négations existentielles insupportables.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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