Intervention de Jean-Pierre Winter

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 février 2013 : 2ème réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Audition de M. Jean-Pierre Winter psychanalyste

Jean-Pierre Winter, psychanalyste :

Merci de me faire l'honneur de m'écouter sur ce sujet sur lequel je travaille depuis longtemps. L'ouvrage que vous citez est paru en 2010. Avec le débat parlementaire, certaines questions que je me posais sont dépassées. A l'époque, j'étais d'avis que l'adoption ne posait pas de problèmes aussi importants que la PMA et la GPA, qui se profilent à l'horizon, malgré ce que dit le Gouvernement. Aussi me concentrerai-je sur ces questions.

La complexité du problème a été masquée par sa politisation, les tenants du mariage pour tous ont défini les partisans de ce changement comme progressistes et classé ceux qui s'y opposent parmi les religieux, voire en réactionnaires, ou homophobes, si ce n'est pire. Or les choses ne se répartissent pas aussi facilement. Les religieux ne sont pas forcément du côté qu'on croit. L'académicien athée Michel Serres a expliqué dans un article paru dans La Croix puis dans Etudes, la revue des jésuites, que l'adoption répondait au modèle de la sainte famille, dite « saine famille ». Ce modèle, qui n'en est pas un pour les théologiens chrétiens, où le père n'est pas le père et où la mère est vierge, serait celui des tenants de l'homoparentalité. C'est dire si le problème est complexe.

Dans l'histoire de la République et des lettres, les choses sont encore plus compliquées. Ainsi, j'ai-je trouvé chez le marquis de Sade cette formule : « J'ose assurer en un mot que l'inceste devrait être la loi de tout Gouvernement dont la fraternité fait la base ». C'est dire que l'on ne sait pas très bien où l'on met les pieds : ce projet de loi mérite une discussion très approfondie.

Donnons-nous le temps de bien voir toutes les conséquences de ce que nous faisons. La précipitation n'augure rien de favorable pour l'avenir de l'enfant et de notre société.

La famille n'est pas un concept psychanalytique, mais un concept anthropologique. En tant que psychanalyste, elle ne constitue pas l'une de mes préoccupations majeures. Il n'est pas vrai, quoi qu'en disent certains de mes collègues, que Freud ait modifié de fond en comble ce qui aurait été la famille bourgeoise du XIXe siècle. Les occurrences du mot famille dans son oeuvre se comptent sur les doigts de la main. En revanche, la question de la filiation et la situation de l'enfant par rapport à l'histoire de ceux qui l'ont engendré intéressent le psychanalyste. Cela concerne ce que Freud appelait « l'inconscient parental ». On peut demander au législateur de tenir compte non de l'inconscient, mais de la découverte majeure faite par Freud à l'orée du XXe siècle et qui consiste à constater qu'il existe une réalité psychique.

Devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, j'ai dit que dans le contexte d'une société patriarcale et polygame, le cinquième commandement, « tu honoreras ton père et ta mère » signifie : prends conscience que tu as un père et une mère. Quel que soit le cadre familial, il faut porter l'accent sur cette question : comment un enfant repère-t-il qu'il a un père et une mère ?

Il y a des invariants. Levi-Strauss faisait remarquer qu' « il existe une infinie variété des formes de la parenté et de la répartition des rôles sexuels, mais ce qui n'existe jamais, c'est l'indifférenciation des sexes ». S'il existe un changement anthropologique majeur, c'est que l'on touche à la différence des sexes. C'est autre chose que le droit au divorce ou à l'avortement.

Plaçons-nous du point de vue de l'enfant et partons de ce que Freud lui-même considérait, dans son dernier livre, comme le point pivot de la doctrine psychanalytique. L'OEdipe a mauvaise presse, ça fait ringard, dogmatique aujourd'hui, mais, enfin, il y a une grande différence entre l'OEdipe tel que nous le concevons dans le langage commun et ce qu'il est du point de vue du psychanalyste.

L'OEdipe raconte l'histoire d'une loi qui s'adresse à un sujet qui n'est pas un sujet de droit. Avec son corollaire, l'interdit de l'inceste, il s'adresse à l'enfant, non pas à l'adulte, même si le législateur a cru bon de l'introduire récemment dans la loi, ce à quoi je m'étais opposé, puisque ce qu'une loi fait, une autre peut le défaire. Il s'agit de demander à l'enfant de renoncer à un désir par l'humanité partagé pour devenir un être désirant, c'est-à-dire tourné vers l'avenir. J'insiste sur ce paradoxe : l'interdit s'adresse à l'enfant, c'est-à-dire à chacun d'entre nous.

Certains psychanalystes sont brocardés parce qu'ils font appel à ce dogme pour s'interroger sur la situation de l'enfant confronté à deux hommes ou à deux femmes. La question est mal posée. La question oedipienne se pose à propos des gens qui imaginent faire un enfant en le privant soit de père, soit de mère. Je ne doute pas qu'ils soient capables de s'en occuper, ce qui m'interroge c'est ce fantasme d'enfant pré-oedipien, sans papa ou sans maman.

On me dit : « Vous fantasmez !, les homosexuels en couple diront la vérité : nous nous sommes rencontrés et nous voulions un enfant, aussi nous avons eu recours à un tiers ». Oui, sauf que nos exemples cliniques nous montrent que tout ne se passe pas comme cela. On nous rétorque que ce sont des anecdotes marginales. Mais où a-t-on vu qu'une loi s'instituait en tablant sur la bonne foi de qui que ce soit ?

Il y a des choses que chacun d'entre nous peut entendre dans les reportages. J'ai ainsi entendu, tout récemment, des femmes homosexuelles dire en toute bonne foi - mais, comme le disait Lacan, l'erreur de bonne foi est de toutes la plus impardonnable - à un enfant de deux ans : « Tu n'as pas de papa, tu as deux mamans. C'est parce que nous nous aimons très fort que tu es né ». Autoriser de tels propos par la loi revient à accepter un mensonge d'Etat. Aucune loi ne peut imposer à qui que ce soit de dire la vérité, une vérité insaisissable. En revanche, cette vérité peut être écrite dans un document d'état civil qui fait foi et auquel l'enfant peut être confronté s'il le souhaite.

Sans reprendre le passéiste « né de père inconnu », une formule sur l'acte de naissance peut dire que l'enfant n'est pas né de l'union de deux femmes. La même formule peut figurer aussi sur le livret de famille, sans que celui-ci soit dédoublé, comme le proposent certains collègues, car cela stigmatiserait les couples homosexuels.

Puisque des couples de même sexe sont capables d'offrir à un enfant un amour au moins équivalent à celui qu'offre la famille hétérosexuelle, qui du coup devient un concept, ils sont capables de l'éduquer de manière tout à fait honorable. C'est versé au crédit de la psychanalyse. Freud le regrettait déjà, l'on accorde beaucoup trop d'importance à l'éducation dans le développement de l'enfant. Celle-ci peut jouer un rôle déterminant lorsqu'elle s'impose à contretemps des réalités physiologiques, sociales et psychologiques. L'apprentissage de la propreté, s'il intervient avant la maturation physiologique des sphincters, a des conséquences dommageables pour l'enfant. L'assimilation de la sexualité infantile à la sexualité adulte constitue un véritable viol. Au contraire, l'éducation bénéfique favorise le potentiel du sujet, « allant devenant dans le génie de son sexe », selon la formule de Françoise Dolto. Bien des parents attendent que l'enfant se développe dans le génie d'un sexe qui n'est pas son sexe anatomique.

Derrière toute cette affaire, la question de l'effacement de la différence des sexes est liée à celle du mariage homosexuel, de la PMA, de la gestation pour autrui (GPA). Il y a un déni du réel. Nous ne sommes pas les maîtres de la langue. Comme l'ont montré Aldous Huxley et George Orwell, partout où se sont imposés des maîtres de la langue, il s'en est ensuivi des catastrophes psychiques et politiques considérables.

3 commentaires :

Le 05/02/2022 à 10:21, aristide a dit :

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Derrière la question de l'effacement de la différence des sexes règne la plus pure et détestable hétérophobie qui soit.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 05/02/2022 à 11:17, aristide a dit :

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Les nouveaux maîtres de la langue veulent nous imposer le "iel", la catastrophe n'est pas loin, n'est-ce pas ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 05/02/2022 à 11:22, aristide a dit :

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"Mais où a-t-on vu qu'une loi s'instituait en tablant sur la bonne foi de qui que ce soit ?"

Les lois d'instituent le plus souvent, en effet, notamment dans ces lois sur la famille, sur la mauvaise foi des uns et des autres...

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