Intervention de Georges Labazée

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 février 2013 : 1ère réunion
Politique vaccinale de la france — Examen du rapport d'information

Photo de Georges LabazéeGeorges Labazée, rapporteur :

La commission des affaires sociales a demandé en décembre 2011 à la Cour des comptes un rapport sur la politique vaccinale de la France. Celui-ci nous a été transmis en octobre dernier et le Président de la 6e chambre de la Cour, M. Durrleman est venu nous en présenter les conclusions. La Cour constate le décalage entre les objectifs ambitieux en matière vaccinale fixés par la loi de 2004 relative à la santé publique et les réalisations faibles voire insuffisantes. Elle formule seize propositions pour y remédier, qui vous ont été distribuées.

Ces propositions, il me semble que la commission des affaires sociales peut toutes les reprendre. Le travail d'analyse et d'approfondissement que vous m'avez confié m'a conduit à formuler des propositions complémentaires. Sans prétendre à l'exhaustivité du rapport de la Cour des comptes, je souhaite souligner quelques points essentiels pour déterminer l'avenir de la politique vaccinale.

La vaccination en France a un peu plus de deux siècles mais, contrairement aux idées reçues, l'obligation vaccinale n'existe pour sa part que depuis 1902, soit près de cinquante ans après sa mise en place au Royaume-Uni.

Même une fois l'obligation vaccinale entrée dans le droit, elle n'a concerné que cinq vaccins progressivement choisis pour lutter contre les maladies les plus graves susceptibles d'être éradiquées par l'immunisation de l'ensemble de la population. Après 1964, l'obligation vaccinale était abandonnée pour les nouveaux vaccins au profit de la recommandation.

Ainsi, l'obligation vaccinale est comparativement récente et n'a jamais été très étendue. Elle est, de plus, devenue résiduelle, seuls trois vaccins (diphtérie, tétanos, polio) demeurant obligatoires. Pourquoi, dès lors, est-ce à elle que l'on pense quand on aborde la question de la politique vaccinale ?

Plusieurs facteurs y contribuent. Le premier est générationnel : nous mêmes, nos parents et nos enfants, avons connu la période d'apogée de l'obligation vaccinale dont les modalités étaient de nature à marquer les esprits. Je pense particulièrement aux files d'appelés du service militaire qui recevaient en succession rapide l'ensemble de leurs injections nouvelles ou de rappel.

Le second est culturel. Même si la vaccination est une invention britannique, nous associons étroitement la modernité vaccinale aux découvertes de Louis Pasteur et de son école. La France, nous le verrons, est depuis les années 1880 un grand pays de vaccination.

Le troisième lien qui nous rattache à l'obligation vaccinale comme paradigme me semble le plus profond et peut-être le plus ambigu. Car l'obligation vaccinale est apparue quand a finalement été levé le déni du risque lié au vaccin qui caractérise la politique du XIXe siècle. L'obligation légale a permis de lever les difficultés éthiques liées à la vaccination. Dois-je me faire vacciner contre une maladie hypothétique au risque de subir des effets secondaires immédiats ? La vaccination sert-elle mon intérêt ou celui des autres ? Concrètement, l'obligation lève les incertitudes. L'Etat assume le rapport bénéfice-risque et impose à chacun de participer à la préservation de la santé de tous.

Mais, qu'on le regrette ou non, le temps où les citoyens acceptaient de courir des risques parce que l'Etat l'imposait est révolu. Aujourd'hui, dans un contexte de circulation toujours plus rapide de l'information et de revendication de l'autonomie personnelle, l'autorité de l'Etat ne peut seule suffire pour imposer les choix collectifs en matière de santé et plus particulièrement en matière de prévention.

Est-ce à dire que le recours à la vaccination est un outil du passé ? Aucunement, car le vaccin est un médicament qui conserve toute son utilité et un secteur de recherche particulièrement prometteur. Mais pour un médicament moderne, il faut une politique moderne.

En France, les maladies infectieuses qui ont durablement marqué les esprits et causé des milliers de morts aux XIXe et XXe siècles, la variole, la poliomyélite, le tétanos, ont été quasiment éradiquées (le nombre de cas de tétanos dans la population générale a été divisé par cinquante depuis 1946) grâce à la vaccination. Ceci a pu laisser penser que la vaccination n'était plus nécessaire. Certes, avec la baisse de la prévalence, le risque lié à certaines maladies infectieuses a considérablement diminué. Il demeure néanmoins plus important que le risque lié au vaccin lui-même. Dans un monde sans frontières, l'éradication d'une maladie en France ne procure que l'illusion de la sécurité. Tant qu'une bactérie ou un virus demeure présent dans le monde, et spécialement s'il est endémique dans les pays en voie de développement, les épidémies sont susceptibles d'émerger à nouveau rapidement et de manière dévastatrice en France si la population n'est plus protégée par l'immunité induite par le vaccin. La tuberculose ou la rougeole sont de nouveau la cause de nombreux décès.

Deux constats découlent de cet état de fait. D'une part, la vaccination demeure un outil majeur de prévention. D'autre part, une politique de prévention nationale implique nécessairement un renforcement de notre solidarité avec les pays en voie de développement afin d'améliorer leur situation sanitaire.

Pour autant, la vaccination doit être utilisée à bon escient. Elle n'est pas toujours la stratégie la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. Comme l'indique le rapport de la Cour des comptes, c'est contre les virus que les vaccins se révèlent particulièrement nécessaires, l'action des antiviraux étant limitée. Mais même pour la protection contre les virus, l'étude du rapport coût-efficacité conduit à privilégier parfois d'autres stratégies thérapeutiques. Ainsi que l'illustre le rapport de la Cour des comptes à partir du cas du papillomavirus, la combinaison du dépistage systématique et du traitement précoce peut s'avérer préférable à une vaccination de masse dont les conditions de succès (la détermination des conditions d'âge et de comportement permettant le succès de l'immunisation, la couverture exhaustive de la population cible, le respect des rappels de vaccination) sont difficiles à réunir.

De fait, la couverture générale de la population n'est plus la recommandation pour la plupart des vaccins. Les indications varient en fonction des situations épidémiologiques (le vaccin contre le papillomavirus ne protège pas contre les souches présentes en Guyane) et des populations les plus à risque.

En dehors des périodes d'émergence de nouveaux virus dont la gravité et les « cibles » sont inconnues, les campagnes de vaccination massive sont désormais moins adaptées et moins bien perçues par l'opinion publique. Le bilan critique dressé par la Cour des comptes de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 est significatif.

Il paraît donc essentiel d'adapter la vaccination aux besoins et aux attentes de la population sans renoncer pour autant à agir sur les perceptions pour lutter contre la propagande anti-vaccinale.

Le premier axe d'une politique vaccinale moderne doit être d'aller au plus près des populations dans leur diversité. La Cour des comptes recommande ainsi de permettre la vaccination dans les centres de prévention de l'assurance maladie, qui se consacrent désormais au suivi des populations précaires.

Le décalage entre la perception de la vaccination par ceux qui la pratiquent et la population générale a été souligné à maintes reprises. Des études plus poussées en matière de sociologie de la vaccination devraient permettre de mieux orienter les politiques de santé publique afin d'éviter toute politisation excessive des enjeux.

L'obligation vaccinale est aujourd'hui devenue source de difficultés dans la mesure où, comme l'ont rappelé plusieurs des personnes auditionnées par votre rapporteur, le fait que certains vaccins soient obligatoires fait naître l'idée que les autres ne sont que facultatifs.

Je partage donc l'idée émise par plusieurs de ces personnes auditionnées qu'il faut mettre fin à l'obligation vaccinale. Mais ceci suppose à titre préalable de disposer d'instruments permettant à chacun de connaître exactement les recommandations vaccinales qui sont applicables à sa situation et leur calendrier.

Il faut donc mettre en place un carnet vaccinal électronique au sein de la carte vitale qui vienne appuyer les informations données par les professionnels de santé. J'ai été particulièrement intéressé par le projet du Pr Jean-Louis Koeck, médecin des armées, qui a créé avec une équipe comprenant plusieurs autres médecins un carnet de vaccination électronique et un site internet offrant une information experte et personnalisée aux particuliers et aux professionnels de santé. Le point essentiel est en effet de ne pas avoir un simple recueil comptable du nombre de vaccinations, mais bien de permettre à chacun de savoir où il en est de sa vaccination et de pouvoir suivre l'évolution des recommandations vaccinales, dont la Cour des comptes note la rapidité susceptible de désorienter tant les particuliers que les professionnels de santé.

Ne pas faire ses rappels est en effet particulièrement grave en matière de vaccination car la couverture immunologique ne peut être garantie. Ainsi pour les jeunes filles choisissant la vaccination contre le papillomavirus responsable du cancer du col de l'utérus dont plus de 14 % des femmes seraient porteuses, trois doses sont actuellement préconisées pour assurer la couverture immunologique. Or, malgré 34 millions d'euros de dépenses par l'assurance maladie, une part importante des jeunes filles ne va pas au bout du processus. Elles se trouvent ainsi sans protection suffisante et la dépense publique a été effectuée sans efficacité réelle.

Je regrette donc que l'initiative d'intérêt général que constitue le carnet vaccinal électronique, conçu par des professionnels de santé dans l'intérêt des patients et sans financement des laboratoires pharmaceutiques, ne reçoive pas plus d'écho au ministère de la santé. La création, longtemps repoussée, du dossier médical personnel ne semble pas avoir favorisé les initiatives les plus innovantes.

La Cour des comptes insiste par ailleurs sur la grande complexité du processus de prise de décision, problème commun à toutes les questions relatives à la santé, mais accentué s'agissant de la vaccination. J'ai auditionné les responsables des principales structures intervenant en ce domaine. J'ai pu constater tant la grande expertise des personnes et la qualité du travail des équipes que la difficulté à délimiter clairement les frontières de compétences en matière vaccinale.

Or, comme l'a souligné le directeur général de la santé Jean Yves Grall, il paraît important de distinguer les missions nécessaires à la définition d'une politique sanitaire efficace, qu'il importe de préserver et de réaliser de la manière la plus efficace possible, et les structures, qui sont susceptibles d'évoluer.

On peut distinguer quatre missions essentielles qui sont autant d'étapes dans la mise sur le marché d'un vaccin : l'autorisation de mise sur le marché en fonction du rapport bénéfice-risque, la détermination des recommandations d'utilisation et des populations cibles, l'admission au remboursement en fonction de l'amélioration du service médical rendu et la fixation du prix du médicament.

Or, les structures actuellement en charge de ces missions sont distinctes, avec des statuts très variables, allant du simple comité d'expertise à l'autorité administrative indépendante, et des pouvoirs très variés, du simple conseil à l'autorité de police administrative.

Un schéma m'a paru le moyen le plus adapté de présenter synthétiquement l'agencement des autorités sanitaires intervenant dans le domaine de la vaccination. Il vous a également été distribué.

A la lumière de ces auditions, j'estime possible de rattacher à la Haute Autorité de santé le Haut Conseil de la santé publique, dont fait partie le comité technique des vaccinations. A condition que celui ci conserve sa capacité de réponse rapide aux saisines du ministère de la santé, cela permettrait de limiter les possibilités d'avis divergents sans nuire à l'efficacité de la procédure. Cette réforme d'ampleur aurait vocation à être débattue lors de la prochaine loi de santé publique.

Une formation à la santé dès l'école, non dans le cadre d'un cours magistral, mais sous la forme la plus participative et collective possible, permettant aux enfants de comprendre l'intérêt et l'importance de la vaccination me semble un moyen important de lutte contre la désinformation circulant sur Internet. L'étude de la situation des pays en développement, où l'accès à la vaccination demeure une question primordiale de survie, devrait elle aussi permettre de rappeler l'importance des enjeux associés à ces questions. De même, une approche du fonctionnement des vaccins dans l'organisme, de leur histoire et de leur mode de fabrication devrait permettre de dissiper une partie des fantasmes circulant dans l'opinion publique.

La mise en place de cet enseignement suppose qu'un temps spécifique soit dégagé dans les programmes. Il implique aussi la formation des enseignants. Cela est possible dans les futures écoles supérieures de formation prévues dans la future loi sur l'Education.

Comme l'ont souligné les chercheurs que nous avons auditionnés, il importe non seulement d'agir sur la formation du public mais aussi, spécifiquement, sur celle des professionnels de santé, au premier rang desquels les médecins et infirmières qui sont appelés à pratiquer la vaccination. Au cours des études médicales et d'infirmière, la part faite à la vaccination semble devenue trop peu importante pour susciter l'adhésion des étudiants puis des jeunes professionnels qui, spécialement chez les infirmières, se font très peu vacciner et ont dès lors tendance à peu vacciner eux-mêmes.

En complément du rapport de la Cour des comptes, j'ai souhaité me pencher sur l'état de la recherche dans le domaine des vaccins.

Il s'agit là d'un domaine stratégique pour la recherche française en raison de son savoir-faire historique et de nos capacités industrielles. Les industriels du secteur s'inquiètent pourtant de ce que la France serait devenue « une puissance du vaccin sans direction » en perte de vitesse par rapport aux pays émergeants et aux anglo-saxons. Cette crainte est aussi celle de chercheurs. Les instituts de recherche publics ont ainsi décidé de mutualiser leurs efforts au sein du réseau Corevac (Consortium de recherches vaccinales) qui vise notamment à fixer des axes de recherche fédérant les travaux des différentes équipes.

Cette initiative paraît d'autant plus importante que l'innovation en matière vaccinale se poursuit tant pour lutter contre les maladies endémiques dans les pays émergents comme la dengue, que pour des maladies présentes dans les pays développés comme le Sida. Une nouvelle perspective est également ouverte par la recherche sur la possibilité de vaccins curatifs, susceptibles d'être utilisés sur des maladies dont la prévalence augmente comme Alzheimer.

Développer la recherche française dans un contexte de plus forte concurrence mais aussi de plus grande émulation internationale est un enjeu commercial mais d'abord de santé publique qui démontre l'importance d'une politique vaccinale tournée vers l'avenir.

En conclusion, voici les propositions complémentaires que je vous soumets :

- développer l'accès des populations en situation de précarité au vaccin ;

- simplifier le paysage institutionnel en matière de détermination de la politique vaccinale afin d'éviter les décisions contradictoires ;

- assurer rapidement la mise en place d'un carnet de vaccination électronique appuyé sur une base experte permettant l'individualisation des recommandations vaccinales et du suivi ;

- mettre en place l'enseignement de la prévention en matière de santé à l'école et développer celui de la vaccination dans le cursus des professions de santé ;

- renforcer la recherche publique sur les vaccins et notamment sur leur sécurité ;

- assurer les conditions d'une solidarité efficace pour l'accès aux vaccins des pays en développement.

Il me semble, Madame la Présidente, avec votre accord, qu'un débat en séance publique pourrait utilement être organisé sur ce thème lors d'une semaine de contrôle. Ce serait également là l'occasion de traiter la question de la sécurité du vaccin qui inquiète tant l'opinion publique. Ce serait l'occasion de parler de la présence de l'aluminium dans les adjuvants...

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