Intervention de Muguette Dini

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 février 2013 : 1ère réunion
Expérimentation des maisons de naissance — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Muguette DiniMuguette Dini, rapporteure :

En décembre 2010, l'Assemblée nationale et le Sénat adoptaient le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 dont l'article 67 entendait ouvrir une expérimentation relative aux maisons de naissance. Vous vous en souvenez, nos débats sur cette question ont été animés, tant dans cette salle qu'en séance et en commission mixte paritaire.

Nous avions abouti à une rédaction de compromis, assez largement approuvée dans chacun de nos groupes, mais qui a malheureusement été censurée par le Conseil constitutionnel pour une raison de forme, celui-ci estimant en effet que cette expérimentation avait « un effet trop indirect sur les dépenses » de l'assurance maladie.

Convaincue de l'intérêt de ce projet, j'ai déposé en mai 2011 la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui et qui reprend très largement la rédaction que nous avions adoptée dans la loi de financement.

Que prévoit ce texte ?

A titre expérimental, le Gouvernement pourra autoriser le fonctionnement de « maisons de naissance », qui sont des structures où des sages-femmes réalisent l'accouchement des femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse. Les maisons de naissance permettent donc un suivi global de la grossesse, de l'accouchement et des suites de couches par une même sage-femme ou un binôme de sages-femmes.

Ces structures sont destinées à accueillir des femmes qui souhaitent accoucher dans des conditions moins médicalisées que dans une unité d'obstétrique classique.

Comme il est déjà prévu à l'article L. 4151-3 du code de la santé publique auquel renvoie explicitement l'article 1er de la proposition de loi, la sage-femme doit faire appel à un médecin en cas de pathologie maternelle, foetale ou néonatale ou en cas d'accouchement difficile. De ce fait, les femmes concernées sont celles dont la grossesse et l'accouchement se déroulent de manière physiologique, c'est-à-dire normalement, sans pathologie particulière.

Pour autant, nous savons très bien que peuvent survenir des complications durant le travail. La proposition de loi pose donc deux éléments essentiels en termes de sécurité :

- les maisons de naissance devront être « attenantes à une structure autorisée pour l'activité de gynéco-obstétrique » ;

- elles devront conclure une convention avec cette maternité qui organisera notamment les conditions des transferts des parturientes en cas de complication.

En outre, l'ensemble des modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation, notamment les conditions spécifiques de fonctionnement des maisons, seront définies par décret en Conseil d'Etat. Le Gouvernement pourra donc affiner encore l'encadrement de l'expérimentation, notamment en termes de sécurité de la prise en charge.

Dans le même temps, la Haute Autorité de santé rédigera un cahier des charges et, durant les deux années suivant la promulgation de la loi, les ministres en charge de la santé de la sécurité sociale arrêteront, après avis conforme de la HAS, la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner à titre expérimental.

Les maisons de naissance autorisées pourront alors fonctionner durant un maximum de cinq années et, un an avant la fin de l'expérimentation, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport d'évaluation. L'autorisation de fonctionnement pourra être suspendue à tout moment par l'ARS en cas de manquement à la sécurité.

Pourquoi examiner ce texte aujourd'hui ?

Tout d'abord, le contexte a évolué. Le collège national des gynécologues-obstétriciens, que nous avons auditionné, a changé d'avis par rapport à 2010 et il est maintenant complètement favorable à l'expérimentation, dans les conditions prévues ici : il l'a formalisé officiellement dans un document publié en décembre dernier. Ce point est évidemment essentiel.

Plus généralement, un débat est né en France, depuis plusieurs années, sur la « technicisation » de l'accouchement.

Le plan Périnatalité 2005-2007 en fait le constat dès 2004 et le rapport préparatoire à ce plan, rédigé par un épidémiologiste, un gynécologue-obstétricien et un pédiatre, est explicite : « si la nécessité de soins intensifs ne fait aucun doute dans les situations à haut risque, le débat est beaucoup plus ouvert dans les situations à faible risque. Dans ces situations, il a été montré que l'excès de surveillance pouvait être iatrogène. Les données disponibles laissent à penser qu'il faudrait à la fois faire plus et mieux dans les situations à haut risque et moins (et mieux) dans les situations à faible risque ».

Le taux de césarienne (20 %) et le taux de déclenchement des accouchements (environ 20 % aussi) est supérieur en France à ce qui est observé dans la plupart des pays européens ; le nombre d'échographies est également élevé. En outre, environ 80 % des femmes bénéficient aujourd'hui d'une péridurale.

Il est évident que la meilleure prise en charge des grossesses, notamment sur le plan médical, a permis de diminuer fortement les taux de mortalité infantile et maternelle. Rappelons-nous que le taux de mortalité infantile s'élevait à 151 décès pour 1 000 naissances vivantes il y a un siècle, qu'il se situait autour de 50 pour 1 000 dans les années 1950, 10 pour 1 000 dans les années 1980 et qu'il est de 3,4 pour 1 000 en 2011.

Pour autant, l'ensemble des pays occidentaux a évolué dans le même sens avec des modèles de prise en charge variés et la France se situe aujourd'hui dans la moyenne des pays européens, mais à un taux qui reste supérieur d'un point à ceux de la Suède ou de la Finlande.

Or, il n'y a pas un lien automatique et direct entre les modalités de prise en charge et le taux de mortalité ; de très nombreux facteurs interviennent. Une illustration en est la situation particulière de la Guyane, où malgré des maternités organisées sur le même modèle qu'en métropole, le taux de mortalité infantile atteint 11,8 pour 1 000, soit presque quatre fois le taux constaté en métropole !

En outre, l'approche française de l'accouchement, très technique on l'a vu, ne correspond pas à celle de la plupart de nos partenaires. Aux Pays-Bas, qui se situent certainement à l'exact opposé de la France de ce point de vue, moins de 10 % des femmes bénéficient d'une analgésie péridurale !

De nombreux pays ont ainsi mis en place des structures du type « maisons de naissance » : il en existe en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Suède, en Australie, aux Etats-Unis, au Québec... Le taux de mortalité infantile est quasiment identique en Allemagne, en Belgique et en France, alors qu'en Allemagne existent 150 maisons de naissance et 12 en Belgique. Au Québec, les trois quarts des accouchements ont lieu en maison de naissance.

Ces maisons ont été mises en place, selon des modèles divers, pour organiser au mieux le système de santé et pour répondre à la volonté d'un certain nombre de femmes de bénéficier d'un accompagnement global de leur maternité dans des conditions sanitaires satisfaisantes mais qui ne soient pas invasives.

On assiste au même phénomène en France : certaines femmes et certains couples souhaitent vivre la grossesse de manière différente, sans se focaliser d'abord sur la douleur et en se réappropriant le caractère foncièrement naturel de la maternité. Sans nécessairement le partager, je ne crois pas que nous soyons légitimes à critiquer ce choix, qui relève de l'intime, mais nous devons l'accompagner pour que les conditions de sécurité soient maximales.

Les accouchements à domicile restent marginaux dans notre pays mais la demande n'est pas négligeable et elle croît. L'ordre des sages-femmes a réalisé une enquête en 2008 : parmi l'échantillon des 1 615 sages-femmes ayant répondu, on dénombre 1 052 accouchements réalisés à domicile, mais 4 500 demandes non satisfaites. Les maisons de naissance peuvent offrir une alternative satisfaisante et sûre à ce type d'accouchement, dont on doit se prémunir contre le développement.

Face à cette demande réelle des femmes, plusieurs projets pilotes se sont mis en place malgré l'absence de cadre juridique défini. Pour préparer ce rapport, j'ai visité deux maisons de naissance, une à Pontoise avec notre collègue Dominique Gillot qui soutient cette initiative, et une à Paris. Je voudrais prendre quelques instants pour expliquer la manière dont les choses s'y déroulent.

Je dois d'abord dire que j'ai été marqué par la grande sérénité qui y règne, ainsi que par l'engagement des parents et des professionnelles. Les projets sont en effet soutenus à la fois par une maternité, des sages-femmes et une association dynamique de parents. Ce « triptyque » est essentiel à l'émergence d'un projet viable.

Un projet a démarré à Pontoise en 2006, dans un cadre strictement hospitalier et sous l'impulsion du chef de service de la maternité : la maison de naissance se situe à un étage du bâtiment femme-enfant de l'hôpital de la ville, elle est inscrite dans le Sros Ile-de-France et les deux sages-femmes qui l'animent sont salariées de l'hôpital.

Chaque sage-femme assure le suivi global et personnalisé de ses patientes : le premier entretien, les consultations prénatales, les séances de préparation à la naissance et à la parentalité, l'accouchement physiologique et la consultation postnatale.

Les statistiques parlent d'elles-mêmes :

- depuis 2007, une centaine de femmes sont suivies chaque année et autant d'accouchements sont pratiqués. Depuis 2010, la maison de naissance est obligée de refuser environ 150 femmes chaque année par manque de place.

La maternité, qui est de type III, a réalisé au total 4 200 accouchements en 2010. La maison de naissance constitue donc, du point de vue de la maternité, un moyen de mieux répartir la prise en charge de l'accouchement et d'alléger quelque peu le travail de l'équipe dédiée au plateau technique ;

- environ 20 % des femmes sont transférées vers l'unité classique d'obstétrique, située dans le même bâtiment. La moitié de ces transferts ont lieu « pré-partum » (c'est-à-dire durant la grossesse), en raison d'une complication ou par choix personnel de la parturiente, et l'autre moitié « per-partum ». Seules 10 % des femmes sont donc transférées en maternité durant le travail.

En 2009, un autre projet a vu le jour, à Paris, au rez-de-chaussée de la maternité des Bluets. Il est porté par une association de parents très active (le CALM) et les sages-femmes y exercent en libéral.

Contrairement à Pontoise où tout l'accouchement se déroule dans une salle de la maison de naissance, le travail commence ici dans les locaux de l'association mais la femme et la sage-femme se déplacent dans une salle de la maternité un peu avant l'accouchement pour des raisons d'assurance de la professionnelle. Ce déplacement n'entraîne pas de mobilisation du personnel de la maternité ; c'est la sage-femme du CALM qui continue l'accompagnement et l'équipe médicale de la maternité n'intervient qu'en cas de complication.

Dans ces deux maisons de naissance, le profil des femmes et des couples accueillis est très divers. Contrairement à ce que certains pourraient imaginer, l'envie d'un accouchement médicalisé de manière raisonnable ne signifie pas être « baba-cool » ou « bobo ». Les sages-femmes de Pontoise, qui ont cette pratique depuis plus de cinq ans maintenant, ont insisté auprès de nous sur cet aspect.

Les sages-femmes ne peuvent évidemment pas pratiquer de péridurale, mais elles disposent de l'équipement médical standard pour assurer le monitoring ou des perfusions. Si la femme souhaite une péridurale, elle est transférée en obstétrique ; grâce à un accompagnement permanent par une sage-femme connue de la femme et avec laquelle s'est nouée une relation de confiance et grâce à une préparation à l'accouchement adaptée, très peu de transferts sont effectués pour cette raison (2 en six ans à Pontoise).

Ces projets pilotes n'existent que par la bonne volonté des individus, notamment les chefs d'établissement et de service de ces maternités. Un cadre juridique leur assurerait donc une pérennité et un mode de fonctionnement plus clair. Il permettrait également aux sages-femmes libérales de contracter une responsabilité civile professionnelle adaptée permettant effectivement de pratiquer les accouchements dans la maison de naissance.

Je voudrais conclure cette présentation sur trois points qui me semblent essentiels.

Tout d'abord, le réseau des maternités a profondément changé depuis une vingtaine d'années : elles sont moins nombreuses, de taille plus importante et mieux équipées. La restructuration hospitalière et la classification des maternités en trois niveaux ont eu des conséquences que je crois indispensable d'évaluer ; je soutiens d'ailleurs la demande que notre présidente a faite auprès de la Cour des comptes allant dans ce sens.

Pour autant, il serait injuste de faire un lien entre la fermeture des « petites » maternités et la création de maisons de naissance : elles n'existent pas aujourd'hui ; surtout elles seront nécessairement attenantes à une maternité. S'il n'y a plus de maternité, il ne peut pas y avoir de maison de naissance !

En outre, par essence même, ces maisons resteront des petites structures, autour de 200, voire au maximum 300 naissances. Elles ne pourront, en pratique, être créées que dans des zones urbaines pour deux raisons : les femmes volontaires et susceptibles de pouvoir y entrer, c'est-à-dire qui remplissent les conditions d'absence de pathologie, et les sages-femmes prêtes à s'engager dans un tel projet doivent être suffisamment nombreuses pour que le projet soit viable. Cependant, afin d'éviter tout effet de seuil pour les maternités proches des 300 accouchements annuels, la proposition de loi prévoit explicitement que l'activité de la maison de naissance est comptabilisée avec celle de la maternité.

Ensuite, les conditions de sécurité, qui ont été améliorées lors du débat parlementaire de 2010, sont en définitive exactement les mêmes que la femme soit prise en charge en maternité ou en maison de naissance, puisque celles-ci sont attenantes à une unité d'obstétrique et concluront une convention organisant leur travail en commun, notamment les transferts de patientes.

Enfin, est-il nécessaire de rappeler que la maternité et l'accouchement touchent à l'intime et à la conviction personnelle des femmes et des couples ? Ouvrir des maisons de naissance à côté des maternités permet d'élargir l'offre de prise en charge par une approche complémentaire, pour celles qui le souhaitent et qui sont en état de conduire une grossesse physiologique.

Lors de mes déplacements, les parents m'ont beaucoup parlé de la notion d'accompagnement global, c'est-à-dire au fond de la relation de confiance qui s'établit au fil des mois entre la femme et sa sage-femme. Cette approche permet une prise en charge personnalisée, sur mesure en quelque sorte, qui n'est guère possible dans une structure telle qu'une maternité, où les sages-femmes enchainent des gardes de douze ou vingt-quatre heures.

C'est au nom de cette démarche, au nom de toutes ces femmes et de tous ces couples, que je vous demande d'approuver l'expérimentation en France des maisons de naissance.

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