Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur la situation à mayotte

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès le lendemain de mon élection au Sénat en septembre 2011, j’ai adressé un courrier au président Jean-Pierre Bel, dans lequel je demandais qu’une délégation parlementaire puisse se rendre dans mon département, à Mayotte, afin de constater sur place une situation sociale extrêmement difficile.

L’île tout entière était alors en proie à un mouvement de grève générale sans précédent.

Le 15 novembre suivant, le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, décidait d’y envoyer une mission. À l’issue de très nombreuses visites et rencontres sur place, celle-ci a remis un rapport d’une grande qualité, en date du 18 juillet dernier.

Depuis quelques mois, le regard sur ce département semble changer. L’organisation d’un débat lui étant exclusivement consacré est l’un des signes forts et encourageants d’une prise de conscience de la situation spécifique et particulièrement délicate de Mayotte. Je tiens, à ce titre, à remercier le président de la commission des lois, ainsi que tous ceux qui ont bien voulu y prendre part.

Je salue également le groupe socialiste, auquel j’appartiens, pour la solidarité qu’il a su témoigner. Merci, chers collègues, de ne pas avoir laissé entre mes seules mains la « patate chaude » de Mayotte ! §

Il est vrai que de nombreux rapports ont été commandés ces dernières années. Cependant, le temps de l’action est venu, et je souhaite que le débat d’aujourd’hui pose les bases d’un engagement réel et concret de la force publique dans le devenir du 101e département. Car à Mayotte, il n’est pas un seul secteur qui ne soit une priorité !

L’imbrication des problématiques provoque une situation apparemment inextricable et si nous ne voulons pas établir un énième cahier de doléances impossible à satisfaire, il convient d’analyser les causes premières des difficultés afin de déterminer la nature des actions à mener et de les prioriser.

J’identifie deux aspects majeurs, qui préfigurent les enjeux programmatiques de notre débat.

Le premier est lié au fait que Mayotte est un tout jeune département, et que son accession à ce statut le 31 mars 2011 n’a pas été accompagnée des moyens suffisants pour que ce territoire se développe normalement, à l’instar d’autres départements d’outre-mer plus anciens, structurellement mieux équipés et plus expérimentés.

En somme, beaucoup – presque tout, serait-il plus judicieux de dire – reste à faire à Mayotte pour que le statut dont l’île vient d’hériter ne soit pas une « coquille vide » dépourvue de moyens, d’outils et de compétences au service des citoyens.

Le Gouvernement a récemment assuré que la mise en place de la fiscalité propre serait effective au 1er janvier 2014. La réussite du passage de Mayotte dans la fiscalité de droit commun repose, en grande partie, sur le succès de la fiabilisation du cadastre.

Or ce chantier n’est toujours pas bouclé, et la loi de finances pour l’année 2013 ne prévoit aucun crédit pour résoudre le problème.

Nous appelons tous de nos vœux l’instauration de cette fiscalité locale, mais il faut impérativement expliquer en amont aux Mahorais les conséquences que celle-ci aura sur le pouvoir d’achat de ceux qui seront effectivement imposables. Car, je le rappelle, le revenu moyen à Mayotte est inférieur à 1 000 euros par mois !

Par ailleurs, cet état de fait appelle une question simple : si les communes ne peuvent compter que sur un nombre réduit de contribuables, de quoi vivront-elles ?

Aujourd’hui, alors même qu’elles bénéficient de dotations de l’État, onze communes sur dix-sept sont placées sous tutelle de la chambre régionale des comptes...

Une compensation budgétaire sera donc incontournable. À combien s’élèvera-t-elle ?

Il me paraît opportun de formuler, ici, une proposition globale, dont je souhaite que nous puissions débattre sérieusement tant sur le fond que sur les modalités de son éventuelle mise en œuvre.

Aussi, pour répondre à toutes ces difficultés, et instaurer les bases d’une véritable départementalisation, des dispositifs spécifiques ne pourraient-ils pas être créés, à l’instar de ce qui avait été fait pour l’état civil ?

Malgré un bilan en demi-teinte, la Commission de révision de l’état civil, la CREC, a abattu un travail, certes incomplet, mais indispensable. Il lui avait été, notamment, reproché l’absence de campagne d’information et de sensibilisation à destination de la population concernant les enjeux de cette réforme.

Tenant compte des critiques qui ont été formulées, des commissions ad hoc pourraient permettre de structurer et de former durablement les services des collectivités mahoraises.

La ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu, dont la venue à Mayotte semble être annoncée à la fin du mois, précisera, je l’espère, le calendrier et les modalités de la fiscalité propre, ainsi que l’avenir institutionnel de ce territoire.

Le second point névralgique, c’est l’immigration clandestine massive et incontrôlée à laquelle le département doit faire face, et qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec le statut de département dont Mayotte a voulu se doter.

Cette pression migratoire exceptionnelle affecte lourdement tous les pans de la société. Sur 30 000 reconduites à la frontière par an au niveau national, 20 000 à 25 000 migrants clandestins sont reconduits par an de Mayotte vers les Comores, pour un coût estimé – vous l’avez souligné, monsieur le président Sueur – entre 50 millions et 70 millions d’euros.

Les immigrés clandestins retentent inlassablement leur chance, au péril de leur vie. Le dernier recensement faisait état de 212 600 habitants sur notre territoire, auxquels il convient d’ajouter quelque 85 000 immigrés clandestins, soit 40 % de la population totale !

Lorsqu’ils sont arrêtés, beaucoup font le choix d’abandonner leurs enfants dans un eldorado factice, pensant ainsi leur offrir une vie meilleure. Mais quelle vie ? Une vie d’errance, de misère, de délinquance, de prostitution...

Nous revient alors la lourde responsabilité de nous occuper de ces enfants, dont le nombre oscille entre 6 000 et 8 000, alors même que le département ne dispose pas des moyens d’accueillir et de scolariser ses propres enfants dans des conditions décentes.

Les solutions que nous inventons pour remédier à cette difficulté, telles que le système de rotation, les redoublements injustifiés, sont tout bonnement intolérables et sont en partie à l’origine d’un chiffre inacceptable : 73 % des jeunes ont de grandes difficultés pour la lecture et l’écriture ! Je vous laisse imaginer le ressenti des parents mahorais devant les initiatives, souvent louables, qui sont prises en faveur des étrangers.

Le Défenseur des droits, présent aujourd’hui dans nos tribunes et que je tiens à saluer, a chargé Mme Yvette Mathieu, préfète à l’égalité des chances, d’examiner le dossier relatif à ces mineurs isolés. Un rapport devrait être remis au Gouvernement début mars. Il faudrait, monsieur le ministre, que vous puissiez nous éclairer sur les principales préconisations contenues dans ce rapport, dont vous avez sans doute eu la primeur.

D’autres secteurs, comme celui de la santé, sont également touchés par cette pression migratoire insensée.

Avec une activité record de 8 000 naissances par an, le centre hospitalier de Mamoudzou est la première maternité de France. Sept femmes sur dix qui y accouchent sont des clandestines.

L’hôpital de Mayotte doit également faire face à de nombreux cas d’étrangers en situation irrégulière présentant des maladies graves et nécessitant des soins urgents – certains d’entre eux étant amenés en kwassa kwassa, ces embarcations de fortune, depuis Anjouan dans un état dramatique, d’autres effectuant des allers-retours réguliers pour prendre un traitement mensuel, afin de soigner une maladie chronique.

Cette charge sanitaire induite par l’immigration clandestine est lourde pour les infrastructures médicales déjà fragiles de Mayotte.

Malgré le dévouement des personnels médicaux, cette situation conduit à réduire la disponibilité des équipements pour le reste de la population, augmentant de ce fait le ressentiment des Mahorais envers les étrangers.

Pas plus tard qu’hier, dans une commune du Sud, des mères de famille excédées sont allées dans une école retirer des enfants étrangers, en réaction à un problème de délinquance.

Vous voyez combien le problème de l’immigration se déploie immédiatement dans les champs où une action est nécessaire.

Nous devons donc considérer la résolution de ce problème dans sa globalité, et comme une condition sine qua non à l’efficacité de tout projet de développement.

C’est à ce titre qu’il a été confié, en août dernier, à Alain Christnacht, conseiller d’État, la mission d’évaluer la situation globale des flux migratoires sur ce territoire et de préconiser des solutions à long terme afin d’endiguer cette pression excessive.

Les orientations retenues, à savoir la modernisation des moyens maritimes et aériens de la police ainsi que la coopération avec l’Union des Comores, notamment, vont dans le bon sens.

Je rappelle cependant que, en dépit du contentieux entretenu par l’Union des Comores, il n’est pas question de revenir sur le choix exprimé par les Mahorais, qui ont affirmé à trois reprises, à une très large majorité, leur volonté de rester Français, tandis que les trois autres îles de l’archipel des Comores accédaient à l’indépendance.

Cette coopération ne se fera qu’à cette condition.

La démarche engagée est bonne, car il est primordial que nous puissions disposer d’une meilleure visibilité sur la gestion des flux migratoires, pour envisager plus sereinement la question des infrastructures propres au département.

Mais, au risque de me montrer impatient, je souhaiterais savoir si un échéancier a été arrêté pour la mise en œuvre des préconisations de M. Christnacht en matière d’immigration.

Enfin, je me permets d’alerter le Gouvernement sur un autre des problèmes majeurs de Mayotte : le logement.

L’INSEE a relevé lors de son dernier recensement que les logements augmentaient moins vite que la population, et pour cause, nous venons de le voir !

Madame la ministre des affaires sociales et de la santé a récemment présenté en conseil des ministres une ordonnance créant, en plus de l’allocation de logement familiale qui existait déjà, l’allocation de logement sociale, et prévoyant de l’aligner progressivement sur le droit commun des DOM afin de ne pas bouleverser l’économie mahoraise.

De telles dispositions vont dans la bonne direction mais restent insuffisantes. Le taux arrêté est trop bas, les ménages mahorais ne peuvent assumer les loyers.

Au bout du compte, les logements sociaux existants restent vides et les logements en programmation ne trouveront jamais preneur.

Ce tableau sombre de la situation qui vient d’être dépeinte par mes collègues et moi-même ne doit pas empêcher d’entrevoir un avenir lumineux.

Car Mayotte, c’est avant tout une île au potentiel considérable, une île aux richesses naturelles exceptionnelles.

Son lagon, entouré d’une double barrière de corail, est l’un des plus beaux et des plus grands lagons fermés du monde.

Sa faune diversifiée et sa flore luxuriante lui confèrent des allures de carte postale et devraient en faire une destination touristique prisée ; la jeunesse de sa population devrait lui permettre de devenir une région dynamique.

C’est la raison pour laquelle il est unanimement admis que le tourisme constitue l’un des secteurs d’activités au grand potentiel de création de valeur ajoutée et d’emploi.

Pourtant, le tourisme à Mayotte demeure modeste : la concurrence des îles voisines est rude, les hôtels manquent, le prix du billet d’avion est dissuasif et le projet de construction d’une piste longue autorisant des liaisons attractives est sans cesse retardé.

Une aide de l’État dans la mise en place d’une véritable identité touristique mahoraise, respectueuse de l’environnement, permettrait de lancer cette économie porteuse.

Il me paraît également indispensable de sensibiliser et de mobiliser la population, notamment les jeunes générations, sur la problématique de la préservation de cet environnement exceptionnel mais fragile.

Il faudrait d’ores et déjà mettre en place de nouvelles sources de production qui répondraient à la croissance démographique et économique actuelle et à venir.

Les énergies renouvelables sont peu coûteuses et non polluantes.

Le photovoltaïque, par exemple, est une technique intéressante, car la capacité solaire de l’île est immense. Sa proximité avec l’équateur lui confère 200 heures d’ensoleillement de plus que la Réunion.

Mayotte pourrait ainsi servir de laboratoire et d’exemple à suivre.

Le développement de l’aquaculture, qui connaît des débuts prometteurs, doit également être encouragé.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, l’aspiration des mahorais à l’amélioration de leurs conditions de vie apparaît plus que légitime.

J’ai conscience de l’investissement important que représente l’ensemble de ces missions de rattrapage, mais il est incontournable pour réussir à relever le défi de la départementalisation.

Les nombreuses mesures prises depuis son arrivée au pouvoir démontrent la volonté de ce gouvernement de consolider ce processus de départementalisation et de faire bénéficier les Mahorais de l’ensemble des droits garantis par la Constitution. Je tenais à le préciser en votre présence, monsieur le ministre.

Prises en concertation avec les élus et les acteurs sociaux locaux, les réponses aux difficultés seront sans aucun doute plus efficaces. §

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