Intervention de Gérard Proust

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 février 2013 : 3ème réunion
Distribution de la presse — Audition de M. Gérard Proust président de l'union nationale des diffuseurs de presse undp

Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP) :

Je suis honoré par votre invitation et flatté de pouvoir m'exprimer devant vous au nom des marchands de journaux de France. L'UNDP représente les marchands de journaux indépendants, kiosquiers ou en boutique, c'est-à-dire à l'exclusion des rayons intégrés et des magasins du groupe Relay, qui relèvent d'un tout autre statut.

Davantage que troisième et dernier, nous sommes le premier maillon de la chaîne, car sans les réseaux de vente, il n'y a pas de réforme valable de l'appareil de distribution.

La diffusion de la presse s'est, certes, partiellement déplacée sur le portage et le postage à la suite des États généraux de la presse écrite en 2008-2009. Les aides publiques affectées au portage avaient alors été considérablement augmentées - jusqu'à 70 millions d'euros. Les quotidiens nationaux et surtout régionaux en ont largement profité. Cela étant, la vente au numéro reste majoritaire.

Les chiffres de diffusion des journaux sont accablants. En 2012, la baisse des ventes a atteint 7 % en volume et 5 % en valeur. Ces chiffres proviennent de la filière de distribution elle-même, et non des réseaux de vente - distinction capitale car c'est ce chiffre qui fonde l'analyse de la situation. Or la diffusion de la presse est principalement affectée, non par Internet comme on l'entend souvent, mais par le phénomène inquiétant des fermetures des points de vente, qui éloigne les produits du consommateur. En 2012, année de tous les records - mais ils sont battus chaque année - 1 800 fermetures ont ainsi été recensées. La hausse est significative, tandis que le nombre de créations de points de vente ne cesse de baisser : elles étaient 710 l'an passé. En outre, la moitié de ces créations ont eu lieu dans la grande distribution. Sans en faire une obsession, il faut savoir que si la part de la grande distribution devait dépasser, selon les études réalisées sur ce sujet, les 25 % du marché, notre système perdrait l'originalité qui fait son efficacité : sa capacité à assurer aux éditeurs, en vertu de la loi Bichet, la maîtrise de la distribution de leurs titres jusqu'à l'acte final d'achat.

Les 400 créations restantes se sont essentiellement faites dans des points de vente de dépannage, aussi appelés supplétifs - dans les bars, épiceries, stations services, etc. Autrement dit, la profession remplace des points de vente exclusifs au chiffre d'affaires hebdomadaire moyen de 3 000 euros par des points de vente palliatifs réalisant difficilement, pour la part de leur activité relative à la presse, 420 euros par mois ! Ce changement de nature du réseau explique largement la dégringolade des chiffres de la diffusion. Vous le voyez : le papier n'est guère en cause : même les internautes en consomment, dans une logique de diversification des usages.

Les causes de l'hémorragie sont multiples. D'abord, certains points de vente ont disparu pour des raisons objectives, sociologiques ou urbanistiques, liées à l'appauvrissement de certains quartiers par exemple. D'autres ont pâti de la dégradation de la conjoncture économique. Mais la majorité des fermetures ont été le fait d'un renoncement à l'activité de diffuseur de presse, à une forme de démission. Les diffuseurs - ou pour employer un terme moins logistique, les commerçants de presse - ont pour mission de présenter une offre de presse correspondant le mieux aux besoins de sa clientèle potentielle. Tous les métiers du commerce s'emploient à cette tâche, dans les meilleures conditions possibles.

Or le système actuel de diffusion contraint les commerçants à faire l'inverse : la presse est distribuée « à la fourche » ! Deux indicateurs illustrent ce propos : d'une part, celui des invendus rendus à la filière de distribution. A l'exclusion de la presse féminine, de la presse télévisuelle et d'information, la moitié des exemplaires proposés à la vente ne trouvent pas d'acheteurs. C'est autant d'espace et de temps gâché pour les déballer, les présenter et les remballer. D'autre part, le taux de rupture : un client sur cinq repart sans avoir rien acheté. Ce peut être dû à la confusion de l'offre, en raison de linéaires encombrés par exemple, mais aussi à une distribution de papier aléatoire qui ne prend pas en compte la demande exprimée. J'ai ainsi un confrère qui se plaint de recevoir, au centre d'Aix-en-Provence, onze exemplaires de Tracteur magazine, et un autre, au coeur de la Sarthe, qui en demande en vain un exemplaire depuis des mois ! En vérité, certains éditeurs, trop chanceux d'accéder à un système de distribution efficace et généreux, en ont abusé, et se sont opposés aux réformes que nous soutenions pour continuer à satisfaire les clients.

Certains commerçants de presse démissionnent car ils trouvent plus avantageux de vendre leur emplacement que leur fonds de commerce, dont la valeur est inférieure. Or celle-ci dépend de leur rémunération. Pour un diffuseur de base, hors Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux, elle équivaut à 13 % du montant de ses ventes, et peut grimper jusqu'à 15 % en vertu d'accords conclus en 1994, lorsque certains éléments additionnels de qualité de service sont respectés. En cas de prestation de services au public ou aux éditeurs, la rémunération peut dépasser 16 %. Les spécialistes de presse, selon l'expression consacrée, sont rémunérés en moyenne à hauteur de 17,7 % des ventes réalisées. Ce chiffre est bien loin de la moyenne européenne, supérieure à 20 %. Ces éléments de comparaison internationaux ont toutefois peu d'intérêt, puisque c'est aux autres métiers du commerce susceptibles de reprendre l'emplacement qu'il convient de rapporter ces éléments : leur rémunération est également supérieure à 20 %. Amélioration la rémunération moyenne de trois points, c'était déjà un objectif des États généraux de la presse. Il n'a pas été atteint. La crise n'y est pas pour rien, qui a affecté la diffusion autant que le marché publicitaire.

J'en viens à la réforme de Presstalis. Presstalis a été frappé de plein fouet par la crise. Or ni ses coûts fixes, ni son organisation, ni son modèle social n'ont été revus. Malgré les tentatives, aucune réforme n'a abouti, car l'entreprise et la collectivité des éditeurs ont affaire à un syndicat du livre qui détient tout pouvoir. Aujourd'hui, il n'est plus possible de reculer. A avoir trop attendu, les réformes à opérer sont devenues considérables : on parle d'un emploi menacé sur deux. A défaut de les conduire toutefois, Presstalis s'effondrera, et avec lui toute la filière : la majorité des éditeurs, l'autre messagerie de presse, l'ensemble des réseaux de distribution de niveau 2, c'est-à-dire les grossistes dont c'est l'activité quasi exclusive, ainsi que les diffuseurs, qui souffriront de l'interruption prolongée de l'approvisionnement et de la perte de leur coeur de métier.

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