Intervention de Christiane Taubira

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 février 2013 : 1ère réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Audition de Mme Christiane Taubira garde des sceaux ministre de la justice et Mme Dominique Bertinotti ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé chargée de la famille

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier de votre présence et de l'intérêt que vous portez au projet de loi. Au demeurant, cet intérêt n'est pas récent puisque je sais que de nombreux membres de la Haute Assemblée ont déjà travaillé sur le sujet ou sur des questions voisines.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je présume, connaissant les habitudes du Sénat, que vous avez suivi les travaux de l'Assemblée nationale et pris connaissance de la version du texte adoptée par les députés.

Je rappelle que le projet de loi est marqué du sceau de l'égalité, comme l'ont très clairement souligné le président de la République et le Premier ministre. Les dispositions qu'il renferme ne suppriment rien de l'institution du mariage telle qu'elle existe dans notre pays, et qui a été récemment modifiée par plusieurs textes de loi, améliorant l'égalité au sein du mariage et l'égalité de traitement des enfants. Au contraire, certaines dispositions introduites dans ce texte bénéficieront aux couples hétérosexuels.

Les travaux de l'Assemblée nationale ont débuté par les interventions en discussion générale, qui ont permis aux uns et aux autres d'exprimer leur appréciation globale concernant le projet de loi. Par la suite, la discussion des articles s'est poursuivie durant presque deux semaines, avec l'examen de 4 999 amendements. Seuls 17 d'entre eux ont été adoptés. En effet, la plupart des amendements n'étaient que de simples supports à la discussion, dans la mesure où ils ne tendaient qu'à supprimer tout ou partie d'un article ou d'une application de dispositions interprétatives sur des articles du code civil.

J'apporte cette précision non pour dévaloriser les amendements déposés, mais simplement pour expliquer le ratio entre le nombre des amendements défendus et celui des amendements adoptés : plus de 90 % des amendements n'avaient pas vocation à être adoptés, pas même pour leurs propres auteurs.

Les dispositions retenues au titre de ce texte s'inscrivent dans le périmètre que le projet de loi gouvernemental avait déjà déterminé, à savoir l'ouverture du mariage et de l'adoption à droit constant aux couples de même sexe, c'est-à-dire dans les mêmes conditions de consentement et d'âge, et avec les mêmes prohibitions.

Ces interdictions concernaient l'inceste et les mariages consanguins. Elles ont été étendues aux couples de même sexe. Ainsi, la prohibition du mariage entre oncle et nièce se double désormais d'une interdiction du mariage entre oncle et neveu.

Les conditions de sécurité juridique et de protection sont les mêmes pour les conjoints, particulièrement pour le conjoint ou la conjointe le ou la plus vulnérable, ainsi que pour les enfants.

La disposition essentielle, l'épine dorsale de ce texte, c'est l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe. La commission des lois de l'Assemblée nationale a apporté des modifications, et je vais indiquer en substance lesquelles.

Le texte prévoit une disposition de droit international privé qui permet de déroger à la loi personnelle. Le projet de loi précisait « sous réserve des engagements internationaux de la France », mais la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité supprimer ce membre de phrase. Cela ne change rien dans la mesure où, de toute façon, les conventions internationales s'imposent à nous et sont supérieures, dans la hiérarchie des normes, à notre droit interne. Il revient donc absolument au même de les mentionner ou pas.

La dérogation à la loi personnelle permet que le mariage entre un Français et un étranger ou une Française et une étrangère puisse être célébré même si le pays d'origine de l'étranger ou de l'étrangère ne prévoit pas la possibilité du mariage pour des couples de même sexe.

En ce qui concerne le nom patronymique, le projet de loi initial ne visait que les couples homosexuels, mais la commission des lois de l'Assemblée nationale a préféré instaurer une disposition à caractère général. Vous le savez, ce sujet a été discuté en séance publique, et il est probable que le Sénat souhaitera approfondir cette discussion lorsqu'il abordera les conditions d'attribution du nom patronymique en cas d'absence de déclaration par les parents.

Par ailleurs, quelques dispositions symboliques mais fortes ont été introduites. L'une rappelle le rôle de contrôle, et de surveillance en général, du procureur de la République ; une autre rappelle que l'institution du mariage est une cérémonie républicaine et que c'est en cette qualité que les officiers d'état civil la célèbrent en mairie.

Des dispositions ont également été introduites concernant l'autorité parentale et l'adoption.

Le texte vise à protéger les enfants qui vivent déjà au sein de familles homoparentales, à leur apporter une véritable sécurité juridique. Il permet, par l'adoption, l'exercice conjoint de l'autorité parentale. Jusqu'à présent, seule était possible la délégation de l'autorité parentale, dite délégation partage. En cas de décès, le conjoint survivant pourra donc continuer à exercer l'autorité parentale. Jusqu'alors, cette possibilité dépendait d'une décision du conseil de famille et le conjoint survivant pouvait éventuellement être désigné en qualité de tuteur. Le texte permet également à l'enfant, ou aux enfants, d'hériter des deux parents. Enfin, il permet au juge d'intervenir en cas de divorce et de prendre des décisions qui protègent l'intérêt des enfants.

La petite loi introduit également la possibilité pour le juge de décider du maintien des liens d'un enfant, ou des enfants, avec des parents, en cas de séparation intervenue avant l'entrée en vigueur de la loi. Alertés, notamment par des parlementaires, nous avons souhaité couvrir la situation d'une séparation ayant déjà eu lieu. Compte tenu du fait que la sécurité juridique que je viens d'évoquer n'était pas assurée à ces couples, le juge pourra décider le maintien des relations, s'il l'estime nécessaire à l'intérêt de l'enfant ou des enfants.

Des dispositions concernant la reconnaissance d'un mariage célébré dans un pays qui reconnaît déjà le mariage pour les couples de même sexe ont également été introduites. Les effets de ce mariage sont reconnus d'emblée à partir de la promulgation de la loi, si le Parlement l'adopte. Les effets vis-à-vis des époux, des enfants et des tiers ne seront reconnus qu'après transcription de ce mariage dans le registre d'état civil français. Il est entendu qu'aussi bien la validation du mariage - les conditions d'âge, de consentement, de prohibition - que sa transcription sont soumises aux dispositions du code civil.

Par ailleurs, les dispositions du texte sont étendues aux collectivités d'outre-mer. Celles qui relèvent de l'identité législative savent que la loi s'appliquera directement ; pour les collectivités qui relèvent de la spécialité législative, il était nécessaire de préciser que la loi sera également applicable.

D'une façon générale, ce qui a le plus longuement fait débat, vous le savez, c'est la disposition interprétative que la commission des lois a introduite dans le texte et qui inscrit au début du livre Ier que, lorsqu'il s'agit de couples de même sexe, toutes les occurrences des mots père et mère, grand-père et grand-mère doivent être interprétées comme époux, conjoint ou parents.

Le Gouvernement avait fait un autre choix d'écriture, celui de relever de façon exhaustive les modifications nécessaires au sein du code civil et les dispositions de coordination indispensables dans les autres codes, lois et ordonnances. Cela avait abouti à introduire des modifications dans le titre IX, qui contenait déjà d'ailleurs la notion de parents et les notions d'époux et de conjoints, par les dispositions de coordination que le Gouvernement avait décidé de recenser. Le titre VII, qui concerne la filiation légalement établie, celle des familles hétéroparentales, restait donc inchangé.

Ces modifications ont été envisagées dans un souci d'efficacité : il faut que toutes les mesures relatives au mariage et à l'adoption puissent être appliquées à partir du moment où cette institution sera ouverte aux couples de même sexe. Le Gouvernement a eu le souci de recenser de façon exhaustive les modifications nécessaires pour que la loi soit applicable et ne devienne pas une source de complication pour les citoyens.

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