Intervention de Christiane Taubira

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 février 2013 : 1ère réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Audition de Mme Christiane Taubira garde des sceaux ministre de la justice et Mme Dominique Bertinotti ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé chargée de la famille

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Vous m'attendiez, monsieur Gélard ! (Sourires.)

Dans ces pays, c'est l'Etat qui a délégué à l'autorité religieuse la compétence, l'autorité pour célébrer les mariages, qui produisent des conséquences à caractère civil. C'est déjà le cas pour des mariages hétérosexuels ; ce sera le cas pour les mariages homosexuels.

Comme vous, législateurs sérieux, nous pensons que deux précautions valent mieux qu'une. C'est pourquoi nous avons procédé à des vérifications, dont nous attendons les retours. Les premières vérifications que nous avions faites m'ont permis de tenir les propos que je vous ai adressés à l'instant, mais, avant l'examen du projet de loi en séance publique par le Sénat, nous aurons confirmation ou infirmation de ces éléments. Dans le second cas, nous vous le ferons savoir, parce qu'il est hors de question que nous introduisions dans notre code civil des dispositions qui seraient sujettes à caution et qui ne respecteraient pas strictement le droit en vigueur.

Monsieur Darniche, l'égalité est-elle un piège ? Non, parce que la définition que vous avez donnée tout à l'heure est celle de la discrimination ou de la non-discrimination. L'égalité consiste à considérer que tout citoyen, quels que soient son apparence, ses origines, ses croyances, son sexe - on y pense de moins en moins - et son orientation sexuelle reste un citoyen. C'est cela, l'égalité. Elle consiste à ne pas créer des zones de non-accès à des droits sur la base de l'une de ces particularités, qu'il s'agisse de l'apparence, de la croyance ou, dans le cas présent, de l'orientation sexuelle.

Telle est en tout cas notre conviction. Et c'est sur le fondement de cette idée, selon laquelle l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe est un acte d'égalité, que nous avons rédigé ce projet de loi. Toutefois, j'entends qu'il puisse y avoir d'autres appréciations.

Madame Benbassa, puisque vous vous êtes adressée directement à Mme la ministre déléguée chargée de la famille, c'est elle qui vous répondra.

Monsieur Lecerf, vous avez cité les professeurs Daniel Borrillo et Jean Hauser, en précisant bien que le premier était très clairement favorable à la PMA et à la GPA, dans lesquelles il voit un enchaînement logique, et que le second, s'il y est plus réticent, y voit néanmoins le même enchaînement logique.

Surtout, vous nous demandez quelles dispositions nous pourrions envisager de prendre pour éviter cet engrenage. S'agissant de l'assistance médicale à la procréation, Mme la ministre déléguée chargée de la famille vous répondra sur la façon dont le projet de loi consacré à la famille abordera ce sujet, mais il est indéniable que ce dernier sera traité, parce qu'il est lié effectivement à une forme de filiation sur laquelle on peut s'interroger.

L'assistance médicale à la procréation est aujourd'hui réservée aux couples hétérosexuels stables, mariés ou non, sous deux conditions médicales non cumulatives : l'infertilité médicalement constatée ou le risque de transmission d'une maladie héréditaire grave. Il faut s'interroger effectivement sur l'extension éventuelle de cette assistance médicale à la procréation à des couples homosexuels et, éventuellement, aux femmes célibataires, puisque tous les pays qui ont ouvert l'AMP aux couples de femmes homosexuelles l'ont autorisée également aux femmes célibataires. Ce sujet fera débat et sera traité par le Comité consultatif national d'éthique, qui s'est autosaisi et qui a annoncé son rapport pour le mois d'octobre prochain. Mme la ministre déléguée chargée de la famille en dira plus.

Pour ce qui concerne la gestation pour autrui, vous savez que notre droit pose le principe de l'indisponibilité du corps humain : c'est l'article 16-1 du code civil. C'est un principe d'ordre public, ce qui signifie qu'il est absolu et ne souffre aucune exception.

Pour répondre à votre question sur l'engrenage, l'assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui sont traitées de manière différenciée. A partir du moment où la gestation pour autrui - c'est la position très claire et très ferme du Gouvernement - est soumise à ce principe d'ordre public d'indisponibilité du corps humain, tout engrenage est impossible.

Je me permets simplement de rappeler que, dans cette honorable maison, deux propositions de loi, dont une qui émane du groupe UMP - je pense donc que ses membres ont commencé à débattre du sujet -, ont été déposées en faveur de la gestation pour autrui.

Selon moi, de toute façon, les sujets de société doivent faire l'objet de débats, même s'ils suscitent beaucoup de passions. Nous devons avoir le courage de les affronter. Il n'existe pas de sujets de société qui doivent être considérés comme absolument inaccessibles à notre intelligence collective. Notre droit pose des principes, qui doivent être respectés, mais cela n'interdit pas les discussions.

Pour ce qui concerne la position du Gouvernement sur la GPA, je vous le dis très clairement, l'indisponibilité du corps humain est un principe absolu d'ordre public et le Gouvernement n'envisage pas du tout d'ouvrir l'accès à cette pratique.

Monsieur Daudigny, nous avons effectivement observé ce qui s'est passé en Belgique et en Espagne depuis, respectivement, dix ans et sept ans, me semble-t-il. Les mariages entre personnes de même sexe représentent entre 2 % et 2,5 % de la totalité des mariages. Nos sociétés étant culturellement et sociologiquement proches, nous estimons que nous devrions nous situer dans cette fourchette. Le Gouvernement s'interdit néanmoins toute projection ; c'est juste un repère, un ordre de grandeur.

En Belgique, des couples de même sexe ont pu recourir à des adoptions, y compris à des adoptions internationales, mais leur nombre n'est pas très élevé. Je n'ai pas le chiffre en tête, mais je pourrai vous le communiquer.

Madame Tasca, l'adoption, et cela se conçoit aisément, suscite des interrogations. Toutefois, je rappelle que notre droit civil est conçu de telle façon que le mariage emporte l'adoption.

Conformément à l'engagement, qu'il a tenu à ne pas réduire, pris par le président de la République, le Gouvernement n'a pas voulu concevoir un régime matrimonial réservé aux couples de même sexe. Il a souhaité ouvrir le mariage avec toutes ses conséquences, dont l'adoption. Cela suscite des interrogations, nous l'entendons bien, mais nous disons simplement qu'il existe déjà des familles homoparentales, parce que l'un des partenaires du couple est le parent biologique d'un enfant ou parce qu'il a adopté un enfant en qualité de célibataire.

Ces enfants existent, ces familles existent, et ce qui nous importe en priorité, c'est de leur apporter la sécurité juridique qui est due à tous les enfants de France. Le mariage apporte cette sécurité juridique, y compris en cas de divorce.

Je partage en effet votre avis : aucun élément statistique, scientifique ou empirique ne nous permet de penser que les couples homosexuels seront plus raisonnables, notamment en cas de séparation et de divorce, que les couples hétérosexuels, qui ont une propension assez forte à se déchirer à ce moment-là. L'intervention du juge protégera les enfants qui sont déjà issus de ces familles, lesquels bénéficieront d'un régime préservant leurs intérêts affectifs et matériels, aussi bien par le maintien éventuel des relations avec le parent qui n'aurait pas la garde que par le partage des responsabilités.

Je rappelle par ailleurs que l'adoption est ouverte aux couples de même sexe dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. Aussi bien notre droit que nos procédures sont extrêmement rigoureux, voire restrictifs et contraignants - cela vaut d'ailleurs plus encore pour la procédure. Je rappelle que l'article 353 du code civil indique très clairement que l'adoption doit être prononcée selon l'intérêt de l'enfant.

Non seulement les dispositions de la convention internationale des droits de l'enfant s'imposent à nous, mais encore notre droit civil lui-même précise bien que c'est le juge qui prononce l'adoption après avoir vérifié qu'elle a lieu dans l'intérêt de l'enfant - la procédure d'adoption débute par la délivrance d'un agrément par le conseil général, après une enquête que certains considèrent comme étant particulièrement intrusive.

C'est dans ces conditions que des enfants sont adoptés par des couples homosexuels et mariés ; en la matière, il existe des sécurités, même si, bien entendu, cela n'assèche pas complètement les interrogations, qui sont d'un autre ordre.

J'ai entendu les observations qui ont été formulées sur le droit de propriété. Je ne sais pas s'il y a une trace ou une empreinte quelconque du droit de propriété sur l'adoption plénière, mais je considère que cette dernière présente une certaine sécurité. Certes, et c'est un point sur lequel on peut s'interroger, elle efface la filiation d'origine pour la remplacer par la filiation adoptive, mais, dans la mesure où elle est irrévocable, elle protège les enfants.

La démarche de l'adoption, de par sa nature même et compte tenu des difficultés qui lui sont inhérentes, ne relève ni de l'égoïsme ni du caprice : elle est nourrie par un projet parental.

Je ne suis pas en train d'idéaliser la situation, mais je considère que la demande d'adoption relève d'une démarche volontariste, qu'elle émane de couples hétérosexuels - ils constituent la majorité des couples adoptants - ou homosexuels. Pour adopter un enfant, il faut faire preuve de patience, se soumettre à des investigations, accepter toutes les procédures. Dans ces conditions, une telle démarche est l'expression d'un projet parental.

Certes, on ne peut exclure l'égoïsme ou le caprice, mais on ne peut soutenir pour autant que l'adoption réponde, d'une façon générale, à une démarche d'appropriation, de propriété, presque de confiscation, du moins je veux l'espérer. Elever un enfant au quotidien, c'est donner de l'amour, mais aussi affronter les difficultés, se contraindre, réorganiser sa vie. Si l'on tient la distance, c'est qu'il doit y avoir quelques belles raisons, et pas seulement un souhait de propriété. En tout cas, je veux le croire.

Telles sont, monsieur le président, les précisions que je souhaitais apporter, en vous priant de m'excuser d'avoir répondu un peu longuement.

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