Si nous n'avons pas connu de situation d'effondrement des prix du vin en Europe, alors que la consommation a baissé depuis plusieurs décennies, si nous n'avons pas connu de situation structurelle de surproduction de vin alors même que la consommation domestique déclinait, nous le devons certainement au système des droits de plantation, qui a permis la mise en oeuvre d'une stratégie de montée en gamme.
Or, dans le cadre de la reforme de l'Organisation commune de marché (OCM) vitivinicole de 2008, la suppression de ce dispositif a été programmée pour 2015, avec possibilité pour les États membres de l'Union européenne de reculer l'échéance de trois ans.
Nous ne connaissons que trop bien les motifs idéologiques d'une telle décision. En matière agricole, l'approche de la Commission européenne et de certains États membres est marquée par l'ultralibéralisme.
La volonté de supprimer toute régulation et de livrer les acteurs économiques aux divagations des marchés a déjà fait beaucoup de dégâts ... et continuera à en faire si nous restons passifs. C'est pourquoi professionnels de la filière viticole et élus ont mené la bataille sans faiblir, depuis 2008, pour sauvegarder les droits de plantation de la vigne. Nous n'avons jamais été aussi près d'aboutir, mais il ne faut pas relâcher notre vigilance. C'est l'objet de la proposition de résolution européenne qui est présentée à notre commission : exiger qu'une solution complète et pérenne soit apportée au niveau communautaire pour maintenir un système de droits de plantation, qui régule les capacités de production de vin en Europe.
J'aborderai dans mon rapport quatre points. Tout d'abord, le dispositif actuel des droits de plantation ainsi que les risques liés à leur disparition totale. Ensuite, le rappel de la bataille menée contre la Commission européenne et ses services pour remettre sur la table le dossier des droits de plantation. Puis, le résumé de la proposition du groupe de haut niveau de décembre dernier, qui constitue une réelle avancée, mais sur laquelle des clarifications doivent encore être apportées. Enfin, la présentation de la proposition de résolution européenne de nos collègues Simon Sutour et Gérard César, adoptée par la commission des affaires européennes, que je propose à la commission des affaires économiques d'adopter, sous réserve de quelques modifications mineures.
Les droits de plantation que nous connaissons aujourd'hui sont le fruit d'une longue histoire. La France a été pionnière avec le décret de 1953, qui a instauré une stricte discipline d'encépagement. L'objectif était à la fois quantitatif, visant à éviter la surproduction, et qualitatif : planter de meilleures vignes pour faire du meilleur vin.
Le dispositif français de contingentement de la capacité de production est apparu suffisamment efficace pour inspirer l'Europe, qui s'est dotée en 1976 d'un dispositif commun à l'ensemble de ses États membres, prévoyant de soumettre à autorisation administrative toute plantation nouvelle de vigne destinée à produire du raisin de cuve.
Système éprouvé, les droits de plantation présentent en particulier un avantage : contrairement aux solutions de gestion des surplus de production - aide au stockage public ou privé, distillation de crise - ils ne coûtent rien aux finances européennes.
La décision de les supprimer lors de la réforme de l'OCM vitivinicole de 2008 est donc pour le moins surprenante. Certes, la Commission européenne nourrissait ainsi l'espoir que la production européenne de vin pourrait s'accroître afin de conquérir les marchés extérieurs, mais sur lesquels les vins européens sont déjà présents, en particulier les vins italiens, espagnols et français, puisque l'Union européenne couvre près de 70 % du volume des exportations mondiales de vin.
Fallait-il pour autant supprimer un dispositif qui permettait d'éviter l'anarchie dans la production de vin européenne ?
La suppression des droits de plantation fait en effet peser de lourds risques sur l'équilibre de la filière vitivinicole :
- un risque de déplacement des zones de production, notamment vers les zones de plaine où les contraintes sont moins fortes que dans les zones traditionnelles de production de vin : meilleure irrigation, terrain plus plat et donc facilité de mécanisation ;
- un risque d'extension des superficies actuelles ou du nombre de producteurs, qui pourrait se faire au détriment de la qualité, avec une industrialisation de la viticulture ;
- un risque de détournement de notoriété, avec la possibilité pour les vins sans indication géographique d'être produits dans la zone géographique d'une appellation d'origine, créant ainsi la confusion dans l'esprit du consommateur.
Toutes ces raisons expliquent que les professionnels et les élus, en particulier ceux de l'association nationale des élus du vin (ANEV), se soient mobilisés pour remettre en cause la libéralisation des droits de plantation, avant qu'arrive l'échéance de sa mise en oeuvre, fixée à 2015.
Après l'Allemagne en mars 2010, la France a demandé en janvier 2011 le maintien des droits de plantation. En avril 2011, 9 États membres ont écrit à la Commission européenne pour demander une réforme de la réforme, rejoints bientôt par la quasi-totalité des États membres producteurs de vin. Allemagne, France, mais aussi Italie, Espagne, Portugal, Autriche, Hongrie, Slovénie, République Tchèque, Bulgarie, Roumanie, Luxembourg, Grèce et Chypre se sont ainsi prononcés pour la remise en cause du choix fait en 2008.
Le Sénat a joué son rôle dans la mobilisation contre la libéralisation des droits de plantation : en février 2011, la Commission des affaires européennes avait adopté une proposition de résolution, devenue résolution du Sénat, demandant le maintien d'un régime d'encadrement des droits de plantation après 2018. Plus récemment, des communiqués de presse ont été publiés à la suite de réunions du groupe d'études Vigne et Vin présidé par notre collègue Gérard César, pour rappeler sur ce point la position unanime des sénateurs, tous groupes politiques confondus.
Le Parlement européen, enfin, est un allié précieux dans cette bataille. Il était hostile à la libéralisation lors de la réforme de l'OCM vitivinicole de 2008, mais il n'y avait pas alors la codécision. Appelé à se prononcer, cette fois en codécision, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC), le Parlement européen confirme sa position favorable au maintien des droits de plantation. Sur proposition de son rapporteur, Michel Dantin, la commission Agriculture et développement rural a demandé leur prolongation jusqu'en 2030. Le sujet sera donc immanquablement débattu dans le cadre des réunions du trilogue entre Commission, Conseil et Parlement européen, destinées à aboutir à un accord sur le paquet de réforme de la PAC.
Devant la pression des opinions publiques et des États, le commissaire européen à l'agriculture, M. Dacian Ciolos, a mis en place début 2012 un groupe d'experts de haut niveau (GHN), associant représentants des États membres et des professionnels. Le but de ce groupe était de dresser le bilan du fonctionnement du système actuel de droits de plantation et de faire des propositions. Le peu d'avancées enregistrées lors des premières réunions du GHN ont laissé craindre une manoeuvre dilatoire. La pression a cependant été maintenue et le groupe a finalement présenté des conclusions lors de sa réunion du 14 décembre 2012, qui vont dans le sens d'un maintien d'un système de régulation des droits de plantation au-delà de 2015.
Les propositions du GHN constituent le socle de base de nouvelles propositions législatives en cours de rédaction, qui devront être intégrées à la réforme en cours de la PAC.
Le GHN suggère non pas la reconduction à l'identique du dispositif des droits de plantation, mais la mise en place d'un nouveau système d'encadrement des plantations, qui en serait proche. Il reposerait sur des autorisations administratives non cessibles, qui s'appliqueraient dans tous les États membres à l'exception des États membres n'ayant qu'une production résiduelle de vin, et pour tous les types de vins, y compris ceux sans indication géographique. Ce point est très important car il permet une régulation globale du marché vitivinicole.
Le GHN prévoit la fixation d'un taux plafond annuel d'augmentation des plantations au niveau communautaire, qu'aucun État-membre ne pourra dépasser, afin de limiter la croissance de la capacité de production. Chaque État membre serait libre de choisir un taux plus bas en fonction « de critères objectifs et non-discriminatoires », en prenant en compte les recommandations des organisations professionnelles reconnues et représentatives.
Si la somme des demandes annuelles de plantations nouvelles était inférieure au taux national, elles seraient automatiquement accordées. Dans le cas contraire, les États membres devraient appliquer les critères de priorité définis au niveau communautaire, comme par exemple une priorité aux jeunes agriculteurs, complétés éventuellement de critères nationaux.
Le GHN prévoit que le nouveau dispositif entrerait en application à la date de fin du dispositif des droits de plantation, c'est-à-dire au 1er janvier 2016 pour les États membres qui choisiraient de ne pas opter pour leur prolongement permis jusqu'au 31 décembre 2018. Il serait instauré pour une durée de six ans.
Le chemin fait par le GHN est donc très important. Il n'est plus question aujourd'hui de libéraliser totalement les droits de plantation, mais de moderniser le dispositif, en accordant certaines souplesses.
Il reste encore cependant quelques incertitudes qu'il faudra lever dans les prochaines semaines. La première est procédurale et finalement assez simple à résoudre : les propositions du GHN doivent désormais être traduites en droit européen. Passer par une nouvelle initiative de la Commission européenne, soumise à codécision, prendrait trop de temps. La meilleure formule, vers laquelle nous nous dirigeons, est donc celle d'une proposition de la présidence irlandaise de l'Union européenne, tendant à modifier le texte de l'OCM actuellement en discussion dans le cadre de la réforme de la PAC. Cette proposition est attendue pour la mi-mars.
La deuxième difficulté concerne les équilibres du nouveau régime lui-même. D'abord, il ne s'agit pas que les taux soient fixés à un niveau trop élevé : de ce point de vue, une définition du taux plafond à travers les actes délégués serait plus sûre que si elle était fixée par la Commission seule, sans possibilité d'opposition du Conseil et du Parlement européen. Ensuite, les États membres doivent pouvoir disposer de réelles possibilités de modulation du taux, et ne pas être forcés de s'aligner sur le taux plafond.
La troisième difficulté est celle de la transition. Il est difficilement praticable de maintenir l'ancien système prolongé au choix des États membres jusqu'à la fin 2018, tandis que les autres seraient passés au nouveau système dès le 1er janvier 2016. Une date de mise en oeuvre harmonisée paraît plus pertinente. Un autre problème tient à l'utilisation de la réserve de droits actuellement constituée, qui correspond en France à environ 7 à 8 % de la surface plantée. Ces droits, nés des précédentes campagnes d'arrachage, disparaîtraient avec le nouveau système. Il conviendrait de permettre à leurs actuels titulaires de les exercer avant le basculement dans le nouveau régime, qui pourrait dans ces conditions être fixé au 1er janvier 2019 pour tout le monde.
Enfin, une durée limitée à six ans pour le nouveau système est trop courte. Certes, des obstacles juridiques s'opposent à ce qu'il soit instauré pour une durée totalement indéterminée. Mais il doit au moins y avoir une pérennité sur l'ensemble de la période d'application des textes relatifs à la PAC actuellement en discussion. Cette solution aurait l'avantage de donner une visibilité aux acteurs économiques de la filière vitivinicole.
Je terminerai mon rapport en exprimant mon soutien plein et entier à la proposition de résolution européenne sur le régime des autorisations de plantation de vigne, adoptée le mois dernier par la commission des affaires européennes. Cette proposition de résolution, courte et percutante, salue les avancées en faveur d'un encadrement des plantations de vigne, à rebours de l'option libérale qui avait été retenue jusqu'à présent.
J'en profite pour saluer le travail de notre ministre de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, qui a su nouer les bonnes alliances et fait preuve d'efficacité pour permettre de sortir du statu quo.
Mais la proposition de résolution rappelle aussi que nous sommes au milieu du chemin et elle vise à maintenir la pression sur les partenaires de la France dans la négociation sur le futur système d'encadrement des plantations, dont les détails sont encore à définir.
En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat donne une arme supplémentaire de négociation au Gouvernement français pour rappeler les exigences de notre pays en matière de régulation du marché vitivinicole.
Je vous propose d'apporter quelques retouches au texte initial de la commission des affaires européennes :
- pour rappeler que le nouveau régime doit s'appliquer à l'ensemble des États membres ayant une production de vin significative, et pour l'ensemble des catégories de vin ;
- pour exiger que le nouveau dispositif soit pérenne, ce qui constitue une formule plus positive qu'une simple opposition à une durée de six ans. En conséquence, il n'y a plus de sens à demander un rapport à mi-parcours, qui pourrait d'ailleurs être quelque peu dangereux s'il amenait à devoir renégocier le dispositif à peine mis en oeuvre ;
- pour fusionner les alinéas 7 et 9, qui sont redondants, et préciser que l'équilibre des marchés peut être l'un des critères de définition du taux national d'augmentation des plantations.
Les conclusions du GHN rendues le 14 décembre dernier ont constitué un immense soulagement pour le monde viticole, qui voit s'éloigner la perspective d'une libéralisation totale. Tout danger n'est cependant pas définitivement écarté. En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat rappelle son hostilité à l'orientation libérale dont les agriculteurs sont les premières victimes, et dont les viticulteurs auraient pu pâtir durement. Nous rappelons également que nous serons vigilants, car le diable est dans les détails, et tant que les négociations n'auront pas abouti sur l'ensemble du dispositif de la future PAC, des « mauvais coups » seront encore possibles.