Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 21 février 2013 à 10h00
Débat d'étape sur les travaux du conseil national du débat sur la transition énergétique

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Bien sûr, ces nouvelles énergies, dites aussi décentralisées, sont adaptées aux besoins de consommateurs isolés, mais elles ne le sont pas, ou pas encore, à ceux d’une production de masse. Peut-être, un jour, des panneaux solaires plus durables permettront-ils des gains de productivité considérables ? Je l’espère ! Mais à quelle échéance : dix ans ? Vingt ans ? En tout état de cause, le solaire comme l’éolien sont des énergies intermittentes : la production d’électricité cesse quand le soleil se couche ou quand le vent tombe ! Ces énergies dites renouvelables, parées de toutes les vertus, impliquent que soit maintenue par ailleurs une production de base, fournie par des centrales thermiques fonctionnant au charbon, au gaz ou à l’énergie nucléaire. Cet inconvénient n’existe pas avec la biomasse, le bois par exemple.

L’éolien et le solaire supposent aussi un investissement considérable dans les réseaux de transport de l’électricité : il en est ainsi en Allemagne, pour amener en Bavière l’électricité produite par les éoliennes installées en Mer du Nord. Il faut inclure cet investissement dans le calcul des coûts.

Le coût de l’énergie, madame la ministre, a une incidence décisive sur la compétitivité des entreprises, et donc sur la croissance. On ne peut pas faire l’impasse sur le coût de la facture énergétique pour les entreprises, pas plus que pour les particuliers. Je vois d’ailleurs une contradiction entre, d’une part, la fixation de prix de l’énergie élevés pour permettre d’accélérer les mesures prises en faveur des économies d’énergie et, d’autre part, l’exigence de compétitivité qui suppose de maintenir des tarifs extrêmement bas. Ce constat s’applique aussi aux particuliers, si l’on veut éviter d’aggraver la fracture sociale, car l’investissement dans l’isolation thermique demeure assez cher.

Toutes les prévisions de consommation finale d’énergie sont affectées d’un fort coefficient d’incertitude, pour toutes sortes de raisons que je ne vais pas détailler mais que chacun connaît.

S’agissant des gaz conventionnels qu’utilisent les États-Unis, j’aimerais savoir s’ils leur permettent vraiment, comme je l’ai lu, de rétablir leur compétitivité industrielle. Existe-t-il des études chiffrées sur ce sujet ?

Dès maintenant, on observe une chute du prix de la houille en Europe ; il semble qu’une certaine désindexation du prix du gaz naturel par rapport au prix du pétrole soit également en voie de s’opérer, bien que les réserves de gaz naturel, à l’horizon de 2025, ne paraissent pas appelées à se développer. Ainsi, un certain flou existe sur l’horizon à moyen terme. Pouvez-vous nous éclairer, madame la ministre, sur votre appréhension de cet avenir proche ?

Les grands pays émergents développent une croissance énergivore et il me paraît assez clair qu’ils n’accepteront pas de souscrire rapidement à des obligations en matière d’émissions de gaz à effet de serre qui handicaperaient leur croissance. Un vrai conflit se dessine donc entre l’Europe et l’ensemble des pays émergents, la position des États-Unis restant, à bien des égards, ambivalente.

Est-il raisonnable, dans ces conditions, de gâcher l’atout nucléaire de la France en réduisant notre production et en n’investissant pas sur notre territoire, y compris pour exporter davantage d’électricité ? Est-il raisonnable, pour l’Europe, de justifier le choix de la récession par celui de la sobriété énergétique ? Il me semble que l’on doit au contraire nourrir la croissance, une croissance de qualité, moins gaspilleuse, moins énergivore, car tel est le sens de la transition énergétique. Pour cela, il faut des financements publics, soustraits au calcul de rentabilité à court terme des investisseurs privés.

Telle n’est malheureusement pas la voie vers laquelle l’Europe des Vingt-Sept semble avoir choisi de s’orienter, malgré les efforts louables du Président de la République. La consommation finale d’énergie, en Europe et en France, stagne, voire diminue ou va diminuer dans les prochaines années, plutôt sous l’effet de la récession que de politiques vertueuses – je rappelle que le PIB de la zone euro a diminué de 0, 6 % au dernier trimestre de 2012. L’Allemagne pourra-t-elle soutenir son effort actuel, d’environ 20 milliards d’euros par an, en faveur des énergies renouvelables, qu’il s’agisse de l’éolien et du solaire ? J’entends déjà des critiques s’élever outre-Rhin, où des tarifs préférentiels sont accordés à l’industrie avec, en contrepartie, le renchérissement considérable des tarifs résidentiels.

En conclusion, une politique énergétique rationnelle ne peut répondre à une vision essentiellement idéologique. Je souhaite que le Gouvernement définisse pour la France une politique pragmatique, cohérente avec le choix de compétitivité industrielle effectué sur la base du rapport Gallois. La France ne doit pas renoncer à l’atout d’une électricité bon marché qui compense une partie seulement, hélas ! de ses handicaps. Il n’y a pas d’argent à gaspiller dans le subventionnement d’énergies dites renouvelables, mais n’ayant pas atteint le niveau de maturité qui les rendrait économiquement rentables. Mieux vaut subventionner la recherche en matière d’énergie solaire que la production. La France bénéficie d’un grand atout, la production d’électricité nucléaire ; elle ne doit pas le négliger ni, encore moins, le sacrifier.

Le Premier ministre a fixé comme objectif de supprimer le déficit commercial hors énergie à l’horizon de 2017 : j’approuve cet objectif d’intérêt national, mais comment y parvenir si, entre autres efforts, nous ne valorisons pas la filière nucléaire ? Comment ne pas percevoir l’étonnement que suscite, chez nos partenaires, le spectacle de nos hésitations ?

Donnez des signes clairs, madame la ministre, s’agissant du lancement de nouveaux types de réacteurs, peut-être moins puissants que l’EPR, mais davantage adaptés à des marchés de taille réduite ! Je pourrais vous entretenir de plusieurs projets dans ce domaine. Des alliances internationales doivent être nouées, mais il faut d’abord une volonté politique ! Il faut pousser les feux de la recherche, s’agissant du réacteur de quatrième génération, ainsi qu’en matière de sécurité nucléaire. En même temps, il faut prendre une décision claire sur le laboratoire d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure, dans la Meuse.

Oui, madame la ministre, la France doit montrer qu’elle a confiance dans sa recherche et dans sa technologie, et, pour tout dire, qu’elle a confiance en elle-même !

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