En même temps, c’est un débouché pour nos propres entreprises, pour notre propre technologie. C’est du gagnant-gagnant, et sur un terme assez court.
Dans un tel contexte, quel rôle doit jouer l’aide au développement ? Dans une vision globale et en apparence, l’Afrique, avec un taux de croissance de l’ordre de 7 % par an, n’en a pas besoin. En réalité, il faut y regarder de très près. Le développement économique s’accompagne de ruptures sociales et territoriales telles qu’une explosion pourrait intervenir, qui risquerait de compromettre ou de freiner gravement le processus de progression.
Intervenir dans ces domaines pour corriger les effets dévastateurs d’une croissance à marche forcée doit être l’un des champs privilégiés de l’aide au développement, du moins de la partie composée de subventions, la part composée de prêts étant plutôt consacrée aux territoires les plus dynamiques.
Au demeurant, les défis du Sud et les nôtres sont largement les mêmes, à des degrés divers.
C’est le défi d’un développement compatible avec des ressources naturelles que chacun sait désormais épuisables. C’est le défi de la lutte contre les épidémies qui, telle celle du sida, se moquent bien des frontières. C’est le défi de la lutte contre le terrorisme, qui déstabilise les sociétés du Nord et du Sud, avec le risque, comme en Afghanistan ou, à nos portes, au Mali, de la constitution d’un État terroriste. C’est le défi de combattre la part la plus regrettable de la mondialisation, celle de l’accroissement exponentiel des inégalités.
Dans une vision globalisante, c’est ce défi-là qui est le plus grave. Il aboutit à une marginalisation d’une part considérable de l’humanité. Il aboutit à une rupture qui constitue l’un des premiers enjeux sociaux de notre planète. Il est générateur, et pourrait l’être de plus en plus, d’une polarisation sociale entre perdants et gagnants de la mondialisation, évidemment source de conflits de plus en plus violents.
Le sens même d’une politique d’aide au développement se trouve dans l’effort réalisé pour réduire ces inégalités. La France doit s’honorer d’être le fer de lance de cette lutte contre ce sous-développement-là.
C’est un combat généreux, humaniste, moral. Néanmoins, en même temps, c’est le combat de notre intérêt bien compris. Lutter contre une libéralisation orientée uniquement vers l’alignement vers le moins-disant environnemental et social, c’est notre intérêt et celui de nos enfants, car c’est le moyen de lutter pour protéger notre planète dans le futur.
La colère des foules soulevées sur la rive sud de la Méditerranée fait écho à la révolte des Touaregs du Nord-Mali et aussi, toutes choses égales, aux révoltes des Indignés de Madrid ou d’Athènes. Confusément, chacun exprime son rejet de la soumission de la société aux intérêts financiers.
Le combat du Sud est le nôtre. En tout cas, il nous concerne. Moralement, humainement, on ne peut accepter que des foules d’immigrants s’empalent sur les grillages de Ceuta ou se noient au large de Lampedusa.
Au-delà de la morale, notre propre développement sera toujours menacé si nous ne mettons pas en place des mécanismes d’enrichissement durable pour tous.
La coopération française doit promouvoir la convergence économique des pays les moins avancés. Elle doit poursuivre sa lutte pour le droit de tout homme, de toute femme, de tout enfant à l’accès aux services essentiels : éducation, santé, sécurité. Elle doit protéger les biens publics mondiaux, qu’il s’agisse de la santé publique internationale, du climat, de la biodiversité terrestre et marine. Elle doit prendre sa part à la gestion des crises de ce monde et essayer de prévenir leur survenue. Car c’est le sous-développement qui constitue le terreau de l’extrémisme. Ces missions n’ont rien de marginal : leur succès conditionne la poursuite de notre prospérité.
Dire que nous partageons la même planète, que nous sommes confrontés aux mêmes défis, ne signifie pas que nous partageons nécessairement, avec les pays du Sud, la même vision du monde, ni les mêmes intérêts. Il ne faut pas être naïf ! La mondialisation, c’est aussi une confrontation, des rapports de force, une mise en concurrence de nos économies, de nos modèles de société. Il y a une compétition internationale, dans laquelle nous voulons rehausser la place de la France.
Or, justement, la puissance et le rayonnement d’une nation tiennent, au-delà de son poids propre, à la somme des liens qu’elle tisse, au fil de son histoire, avec le reste du monde : liens d’affaires, liens culturels, liens scientifiques et d’innovation et, évidemment, liens humains, de partage et de métissage. Son audience tient aussi au respect qu’elle inspire, par sa capacité tant à mobiliser la force lorsque c’est nécessaire – on l’a vu récemment – qu’à défendre la solidarité et la justice, même lorsque c’est difficile. C’est tout le sens de notre politique de coopération internationale.
Cette politique de coopération, il faut en priorité la développer avec les pays de la rive sud de la Méditerranée et l’Afrique au sud du Sahara. En effet, nous avons avec ces pays une intimité liée à la géographie, et plus encore à notre histoire commune.
Comment ne pas comprendre que, dans un monde dont le centre de gravité est en train de se déplacer vers l’Asie, la stabilité du Maghreb et de l’Afrique peut être un élément essentiel de notre propre prospérité ?
Comment ne pas comprendre que, avec le doublement de la population africaine d’ici à 2050, un point sur lequel Henri de Raincourt a insisté, le développement de l’emploi sur ce continent est un enjeu majeur pour l’avenir de l’Europe ?
Pourtant, les ambitions de la France en matière d’aide au développement ces dix dernières années ont significativement faibli.
Nous étions fiers de déclarer à l’OCDE quelque 10 milliards d’euros d’aide publique au développement. Or nous savons tous ici que ce chiffre ne correspond aucunement à la réalité des financements véritablement disponibles pour des projets de coopération sur le terrain au Tchad, au Mali ou ailleurs. Tout cela est connu : nous avons mesuré notre générosité à l’aune d’un thermomètre largement faussé.
Je crois que les autorités françaises, toutes majorités confondues, ont fini par croire elles-mêmes à ces chiffres, alors que, en réalité, depuis dix ans, il y a une diminution de nos moyens d’intervention en subvention dans les zones dites « prioritaires » de la coopération française, en particulier au Sahel.
La réalité, c’est que notre coopération sous la majorité précédente au cours des vingt, et surtout des dix dernières années, s’est écartée, sans qu’on le dise, de son cœur de métier, de l’Afrique subsaharienne, de l’éducation et de la santé, de la construction de l’État et des services publics.
Entendons-nous, je me félicite que notre coopération se soit émancipée des pays qui composaient ce qu’on appelait « le champ », pour ne pas dire « les ex-colonies ». Il est important de tisser des partenariats durables avec de nouveaux pays émergents ou avec l’Afrique anglophone. L’Agence française de développement le fait avec professionnalisme et à un coût budgétaire très limité. Elle pratique là une coopération d’intérêts mutuels efficace mais qui, finalement, n’a pas grand-chose à voir avec l’aide au développement telle que nous la concevons.
Ce qui nous inquiète, c’est évidemment la diminution de nos capacités à intervenir dans les pays les plus pauvres, et notamment au Sahel. Derrière les grands discours, la politique de coopération est marquée depuis dix ans par un fossé entre les ambitions affichées et les moyens réellement disponibles pour agir sur le terrain auprès de nos partenaires.
Dans le contexte actuel, il serait nécessaire de redresser la barre, même si c’est difficile. Chacun connaît en effet les difficultés de nos finances publiques.
Il y a certes l’Europe. Un quart de notre aide passe par des instruments communautaires, mais nous avons bien du mal à sensibiliser nos partenaires européens aux enjeux du développement. Nous sommes d’ailleurs très préoccupées par l’avenir du Fonds européen de développement, le FED, puisque la proposition d’Herman Van Rompuy correspond, par rapport au FED en cours, à une quasi-stagnation. Il s'agit d’une baisse de 11 % par rapport à la proposition initiale de la Commission, là où le budget européen dans son ensemble subit quant à lui une coupe de 7, 5 %. J’aimerais sur ce point, monsieur le ministre, avoir des précisions sur la position défendue par la France et sur les espoirs d’une éventuelle inflexion positive qui s’appuierait par exemple, si c’est encore possible, sur la position critique du Parlement européen que, par ailleurs, vous connaissez bien.
Il y a les financements innovants. Le Président de la République a pris devant les Français l’engagement de mettre en place une taxe sur les transactions financières. Cet engagement a été tenu. Nous aurions souhaité davantage, mais c’est une contribution au financement du développement et à la lutte contre le changement climatique qui contribue à restaurer les marges de manœuvre de notre aide bilatérale, aujourd’hui exsangue.
Il nous faudrait également réévaluer nos contributions multilatérales pour voir dans quelle mesure toutes nos contributions sont bien en cohérence avec nos priorités. Nous ne devons pas nous faire d’illusions : il sera difficile de trouver des marges de manœuvre. Il faudrait en vérité entrer dans l’examen détaillé de chaque volet de notre coopération pour mieux évaluer les performances de chaque instrument.
L’évaluation, que nous réclamons depuis longtemps, doit jouer à cet égard un rôle central. Il nous faut un budget de la coopération suffisamment souple pour pouvoir être redéployé dans le temps, en fonction des priorités, sur la base d’éléments d’évaluation.
Pour que cette politique constitue un levier efficace d’action sur la mondialisation, son organisation politique et administrative doit être précisée et son pilotage renforcé.
Le Président de la République s’était engagé à lancer dans la première année de son mandat des Assises du développement et de la solidarité internationale.
Ces assises, qui se sont tenues et dont le bilan doit être présenté la semaine prochaine, ont réuni l’ensemble des acteurs de la coopération et, au premier chef, les ONG, pour débattre des orientations de cette politique et des conditions de sa mise en œuvre.
Un certain consensus s’est dégagé pour qu’un dialogue régulier réunisse l’ensemble des acteurs de la coopération dans une structure appropriée, en s’appuyant sur l’expérience du Haut Conseil de la coopération internationale. Je m’en félicite.
Le Président de la République s’était aussi engagé à ce que la part de l’aide bilatérale transitant par les ONG soit doublée en cinq ans, tant il est vrai que la France est l’un des pays européens qui sollicite le moins les organisations non gouvernementales pour mettre en œuvre les crédits de son aide. Cela a été fait.
Il est nécessaire de soutenir ces acteurs innovants, réactifs et efficaces, en particulier dans des secteurs, dans des pays ou dans des situations où les bailleurs publics connaissent davantage de difficultés. Il faudrait également œuvrer pour que, au niveau européen, les fonds à destination des pays partenaires soient davantage délégués aux organisations non gouvernementales.
Les collectivités territoriales sur le terrain sont également des acteurs essentiels de la politique de coopération. Quand on examine les errements récents de notre diplomatie dans les pays du Maghreb avant les printemps arabes, on se rend compte que nous avions perdu le fil du dialogue avec les sociétés civiles et les collectivités de ces pays, parce que nous ne coopérions qu’avec des États. Or l’une des qualités essentielles de l’action des collectivités territoriales comme des ONG est d’être en prise directe avec les sociétés civiles de nos partenaires.
Il nous faut aider les collectivités à poursuivre leurs actions dans ce domaine. J’ai formulé des propositions en ce sens au sein de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales ; elles ont été largement reprises par mon ami André Laignel dans son rapport remis récemment au ministre des affaires étrangères. Je crois que sur ce point, monsieur le ministre, le temps de l’action est venu.
Notre politique de coopération doit aussi disposer d’un cadre stratégique clair et d’instruments de gestion modernisés. Elle est trop longtemps restée l’apanage de l’exécutif et, en son sein, de l’Élysée.
Le Président de la République s’était engagé à soumettre une loi de programmation et d’orientation au Parlement, afin que celui-ci définisse les priorités de notre politique de coopération et fixe le cadre de l’effort budgétaire national en faveur du développement. Nous attendons ce projet de loi avec impatience et espoir. C’est une exigence forte du Parlement, et singulièrement de la commission des affaires étrangères, qui l’exprime depuis longtemps.
Il faut en effet que cette politique soit davantage débattue au sein des assemblées, comme c’est le cas chez nombre de nos partenaires.
L’adoption de cette loi et son évaluation périodique permettront un travail d’explication, de transparence et d’accessibilité de l’information sur les stratégies et les moyens de notre coopération, aussi bien en direction des citoyens et des contribuables que des pays partenaires. Elle contribuera à renforcer la cohésion de l’action en faveur du développement, aujourd’hui trop fragmentée entre différentes administrations et opérateurs. Elle devra être accompagnée d’indicateurs permettant de mesurer les moyens, mais aussi les résultats obtenus dans les pays et les secteurs prioritaires de la coopération française.
C’est une étape nécessaire dans la construction d’une politique de la coopération adulte, conçue comme un instrument de dialogue avec les pays du Sud, une politique rénovée, émancipée de notre histoire coloniale et tout entière tournée vers une mondialisation maîtrisée, plus juste et plus équilibrée, ainsi que vers un dialogue avec les pays du Sud, condition essentielle d’un monde plus sûr. §