Intervention de Christian Cambon

Réunion du 21 février 2013 à 15h00
Débat sur le développement dans les relations nord-sud

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une histoire brève du développement économique de la planète comporterait trois récits : celui de son incroyable accélération au Nord, à partir du XIXe siècle, avec la révolution industrielle ; celui de son basculement du Nord vers le Sud à la fin du XXe siècle, avec la crise économique au Nord et l’essor des pays émergents au Sud ; enfin, celui de la remise en cause de nos modèles de croissance au début du XXIe siècle, avec la diminution des ressources naturelles et les défis climatiques.

Dans ce contexte, les relations entre le Nord et le Sud de la planète subissent actuellement quatre mutations majeures.

L’inversion des pôles de croissance entre le Nord et le Sud, qui a débuté après le premier choc pétrolier, est la première d’entre elles.

En 2011, pour la première fois dans l’histoire, les économies du sud de la planète auront contribué plus que le Nord à la croissance mondiale.

La bonne nouvelle, c’est que la pauvreté recule ; la mauvaise nouvelle, c’est que nous reculons aussi. À ce rythme, l’Asie représentera, d’ici 25 ans, 60 % de l’économie mondiale. La part de l’Europe diminuera de moitié, pour descendre à 7 % du PIB mondial, quand celle de l’Afrique atteindra 12 %. Voilà le monde nouveau qui nous attend.

C’est la revanche du Sud, la fin du monopole occidental sur l’Histoire. C’est aussi un bouleversement qui a permis à des centaines de millions d’habitants du sud de la planète de sortir de la pauvreté. Pensez que, de 1980 à 2005, la proportion de la population mondiale vivant avec moins de 1 dollar a diminué de moitié dans le monde. La santé, elle aussi, a progressé de façon spectaculaire. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a diminué de plus de 80 %. L’aide au développement a bien évidemment joué un rôle essentiel dans ce résultat.

Hélas, ces progrès ont des limites : un milliard d’êtres humains vivent encore aujourd’hui avec moins de 1 dollar par jour ; un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau ; 900 millions de personnes souffrent de malnutrition. Ces limites se trouvent encore aujourd’hui essentiellement dans une Afrique qui comprend trente et un des trente-cinq pays les plus pauvres de la planète.

L’écart entre ces pays et le reste du monde se creuse, c’est là le deuxième phénomène majeur de ce début de siècle.

Il est vrai que l’Afrique au XXIe siècle est l’un des principaux réservoirs de croissance économique, avec la plus importante réserve de ressources naturelles et le plus grand marché en devenir. Il y a certes une Afrique, notamment anglophone, qui décolle, mais cette Afrique-là côtoie un continent de la misère et de l’inégalité, une Afrique sans eau courante, ni électricité, à l’agriculture soumise aux aléas du climat et des cours des matières premières, des territoires immenses qui, à l’image du Sahel, ont été désertés par des administrations impuissantes à en assurer le développement.

Le Mali, où nos militaires conduisent de façon exemplaire une opération périlleuse, nous montre que le terrorisme prospère dans des pays que le développement a déserté, où les structures étatiques sont exsangues et la jeunesse désespérée, livrée au fanatisme et aux trafics de toutes sortes. Cette dérive menace nos sociétés, mais détruit plus de vies encore au Sud, au Mali, en Somalie, en Afghanistan et en Irak.

C’est pour cette raison que la lutte contre le sous-développement constitue un instrument stratégique, une contribution majeure, avec notre diplomatie et notre défense, à un monde plus sûr.

La politique de développement est un outil de prévention des conflits qui se révèle en définitive peu coûteux par comparaison avec une intervention militaire. Nous en faisons l’expérience en ce moment même : alors que, en dix ans, nous avons dépensé moins de 200 millions d’euros de subventions pour le développement du Mali, l’opération militaire que nous conduisons actuellement dans ce pays coûtera, selon toute probabilité, 400 millions d’euros environ.

Le troisième phénomène est tout aussi inquiétant : c’est la délocalisation des emplois industriels du Nord vers les pays du Sud. On assiste depuis dix ans à une évolution dont on n’a pas encore mesuré les conséquences : le doublement de la population active à l’échelle mondiale.

La population active représente désormais 64 % de l’humanité, une proportion qu’elle n’a jamais connue et qu’elle ne connaîtra probablement plus jamais, contrainte par le vieillissement de la planète.

Cette croissance démographique, alliée à la mondialisation, à l’ouverture des marchés et à la montée en puissance des pays émergents, a conduit à la multiplication par deux de la population active sur le marché international du travail, et cela en une seule décennie.

D’environ 1, 3 milliard d’actifs à la fin des années quatre-vingt, l’humanité a dépassé les trois milliards d’actifs dans les années deux mille.

Les conséquences sont extrêmement lourdes. Dans un marché unifié, nous assistons à une mise en concurrence des systèmes sociaux, dont les industries des pays occidentaux sont les grandes perdantes. Nous le constatons tous les jours. Les Américains ont perdu, depuis 1995, quelque 25 % de leurs emplois industriels. En Europe, nous en avons perdu 8 %, mais ce n’est, hélas, qu’un début. Tant que le niveau des salaires et des systèmes sociaux du Sud ne rejoindra pas le niveau des pays développés, nous connaîtrons des vagues successives de délocalisations.

Or l’abondance de la main-d’œuvre au Sud va rendre le processus lent et sans doute douloureux. C’est l’enjeu de la question sociale globale qui est posé à notre planète, mais aussi celui de la survie de notre propre modèle social.

Face à cette explosion démographique, les ressources naturelles s’épuisent : c’est notre quatrième défi.

L’ère de l’infini touche à sa fin. Les 5 milliards d’habitants des pays du Sud arrivent au grand banquet de l’humanité à l’heure de la pénurie. Le modèle économique dominant, fondé sur les hydrocarbures, est non plus la solution, mais bien le problème.

L’urgence, la gravité, la complexité des crises et des menaces nous obligent à trouver au Nord comme au Sud des modes de développement soutenables, compatibles avec des ressources naturelles plus rares et la préservation de la planète.

En définitive, la question n’est donc pas celle du Nord et du Sud, quoique le présent débat nous invite à y réfléchir, mais celle de la cohabitation de trois types de populations, auxquels sont associées trois interrogations majeures.

D’un côté, les 4 milliards d’habitants du Sud émergent, qui aspirent légitimement à rattraper notre niveau de vie : comment peuvent-ils tirer la croissance mondiale sans épuiser les ressources naturelles de la planète ?

De l’autre, le milliard d’êtres humains qui vivent encore dans la misère, en Afrique et ailleurs : comment les aider à en sortir, alors qu’ils sont plus que jamais soumis aux aléas climatiques et aux variations subites des marchés mondiaux ?

Entre les deux, le milliard de personnes qui vivent dans les pays développés, dont nous sommes, et dont les économies, à l’image de celle de la France, sont aujourd’hui en difficulté : comment enrayer la crise et préserver leur modèle social dans un marché mondialisé ?

Voilà, me semble-t-il, les trois défis d’une politique de coopération internationale ambitieuse.

Il ne s’agit plus seulement de construire des puits dans le désert. Il s’agit de contribuer, avec nos partenaires du Sud et du Nord, à une mondialisation maîtrisée. C’est tout le sens d’une politique de coopération rénovée.

Somme-nous à la hauteur de ces enjeux, monsieur le ministre ? Pour ma part, je vous le concède, ceux-ci ne sont plus à la mesure d’un État, fût-il la France.

Pour lutter contre le réchauffement climatique, promouvoir un filet de sécurité sociale minimal et œuvrer en faveur de la sécurité alimentaire, il nous faut trouver des soutiens, constituer des coalitions d’acteurs au G 20, aux Nations unies, à la Banque mondiale et dans toutes les instances internationales pertinentes.

Le président Nicolas Sarkozy, avec l’aide de notre collègue Henri de Raincourt, dont je tiens ici à saluer l’action à la tête du ministère de la coopération, avait, au sommet de Cannes, fait émerger ces thèmes en haut de l’agenda international. Je n’ai pas toujours l’impression que nous connaissions à l’heure actuelle le même succès.

Il nous faut aussi, bien sûr, prioritairement mobiliser l’Europe. C’est en effet l’échelon de coopération le plus pertinent, et vous le savez. Il nous faut une politique européenne ambitieuse, coordonnée, volontariste. Or nous investissons des sommes considérables dans les instruments communautaires sans avoir toujours l’impression qu’elles soient bien utilisées.

Je sais que des expérimentations en matière de programmation conjointe sont en cours à l’échelon européen, mais tout cela progresse trop lentement par rapport aux enjeux. Le Sahel sera à cet égard un test pour savoir si l’Europe viendra enfin relayer la coopération française.

Les plus fervents soutiens de l’idée européenne se lassent de ne pas voir émerger au Sahel, comme ailleurs, une Europe du développement, une Europe de la défense, une Europe tout court !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion