Intervention de Gilbert Roger

Réunion du 21 février 2013 à 15h00
Débat sur le développement dans les relations nord-sud

Photo de Gilbert RogerGilbert Roger :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un autre monde est possible ; pourtant, un quart de la population mondiale doit encore compter sur la solidarité internationale pour sortir des conditions d’extrême pauvreté dans lesquelles elle vit.

Les pays membres de l’OCDE allouent 90 % de l’aide publique au développement. Or, dans le rapport public thématique qu’elle a rendu en juin 2012 sur la politique française d’aide au développement, la Cour des comptes rappelait en introduction que, parmi les pays membres du comité d’aide au développement de l’OCDE, la France occupe, depuis 2010, la quatrième place, derrière les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni, pour le montant de l’aide accordée. Sa contribution nette déclarée s’est élevée à 9, 35 milliards d’euros en 2011, soit près de 10 % du montant total. Cette aide représente, pour la France, un effort important et en progression : entre 2001 et 2011, son montant est passé de 0, 30 % à 0, 46 % du revenu national brut.

En dépit de l’importance de l’effort consenti, la politique française d’aide au développement connaît des problèmes d’efficacité. Je souhaiterais mettre en avant deux difficultés.

Tout d’abord, la politique d’aide au développement de très nombreux acteurs manque de cohérence et souffre d’une absence de coordination. Les politiques publiques sont donc parfois inadaptées et se caractérisent par un empilement institutionnel. De plus, ces différentes actions échappent pour la plupart à une véritable évaluation, comme l’ont déjà rappelé plusieurs de nos collègues.

Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que je ne cautionne pas un certain discours affirmant que des milliards de dollars d’aide étrangère ont été gaspillés depuis les années soixante. Nous ne devons pas perdre de vue que certaines formes d’aides ont considérablement contribué au développement de nombreux pays du Sud. Aussi l’utilité de cette aide n’est-elle pas à remettre en cause, bien au contraire.

Cela dit, le manque de cohérence et de coordination des politiques de développement, du fait du très grand nombre d’acteurs, existe bien. Cette situation pourrait être améliorée par une meilleure gouvernance. En effet, ces dernières décennies, les politiques d’aide au développement ont connu une double tendance à la prolifération et à la fragmentation.

Si l’on peut se réjouir de l’énergie et des ressources supplémentaires induites par ces évolutions, il en a également découlé une importante perte d’efficacité. Aussi l’enjeu de la gouvernance des politiques de développement réside-t-il aujourd’hui dans des processus incitant à la convergence d’actions engagées de façon décentralisée par de très nombreux intervenants.

Durant la plus grande partie de son existence, l’aide internationale au développement ressortissait aux États bailleurs. Ce modèle a été rendu caduc par l’intrusion de divers acteurs, publics et privés. En sus des agences, des fonds multi-bailleurs et des actions bilatérales des bailleurs traditionnels, des réseaux de collectivités locales prospèrent partout dans le monde et engagent leurs propres projets bilatéraux.

Ces programmes de coopération décentralisée lient une cité ou une région administrative dans un pays du Nord et son homologue dans un pays du Sud à travers des projets afférents à l’eau et l’hygiène publique, à l’éducation, à l’écologie ou à la santé.

Près de 3 800 collectivités territoriales en France déclarent être engagées dans des programmes de coopération décentralisée. Il faut y ajouter une myriade d’acteurs privés. La fin du monopole des États dans le domaine de l’aide au développement a en effet provoqué un essor de donations privées, activement encouragées par les gouvernements des pays riches au moyen de généreuses incitations fiscales.

Ainsi, toute une variété d’ONG a éclos dans les pays industrialisés et suscite désormais une part importante de transferts financiers Nord-Sud. Actuellement, ces bailleurs privés fournissent environ un tiers de l’aide internationale programmable. En deux décennies, les ONG internationales du monde entier sont devenues des acteurs centraux de l’aide au développement.

Par ailleurs, les fondations philanthropiques et les entreprises du secteur privé ont aussi vu leur importance croître dans le champ de la solidarité internationale. Cette montée sans précédent du nombre d’intervenants dans la gestion des défis globaux change fondamentalement la donne dans la sphère de la coopération internationale.

Cette masse d’acteurs, sans orientation clairement définie, entraîne deux difficultés qui font obstacle à l’efficacité de l’aide au développement : l’inadaptation des politiques et l’empilement institutionnel.

La première difficulté réside dans la disparité entre les interventions des bailleurs et les priorités du développement local. Ce paradoxe découle souvent de la concentration excessive du soutien public international : la tendance croissante à exiger une affectation des fonds offerts selon les priorités des bailleurs a rendu les flux financiers plus difficilement adaptables aux besoins fondamentaux des pays bénéficiaires. La lutte globale contre le VIH-sida et son empiètement sur le financement des programmes nationaux de santé, par exemple, en est une illustration.

La seconde difficulté est à trouver dans l’allocation inadaptée de l’aide internationale par secteur et par zone géographique. Dans cet univers de politiques morcelées et de plus en plus décentralisées, la majeure partie de l’aide est dirigée vers des sujets et des pays « à la mode ». Les apports de fonds vers certaines causes ou pays excèdent les besoins réels, tandis que d’autres politiques publiques cruciales et d’autres régions restent orphelines de l’aide internationale. Ces modes de fonctionnement génèrent de la duplication, des chevauchements et donc un gaspillage de ressources précieuses.

Enfin, je souhaitais pointer une dernière difficulté : la défaillance de l’évaluation, dont il a déjà été question au cours de ce débat. Aujourd’hui, les études et évaluations indépendantes font cruellement défaut. Trop peu est fait pour évaluer les performances des bailleurs sur la base de la qualité de l’aide fournie. De ce fait, des ONG fantômes errent dans les pays du Sud au nom du développement ou de l’aide humanitaire. Elles ajoutent à la charge de travail des autorités locales pour de piètres résultats en matière de développement.

Au vu de ces différents dysfonctionnements, il semble nécessaire de fournir un cadre d’action pour orienter les efforts de tous les acteurs de l’aide au développement et pour une plus grande efficacité. Les instances publiques ont un rôle fondamental à jouer pour remédier à cette complexité.

Une des meilleures façons d’éviter les choix de financement incohérents consisterait, selon moi, à œuvrer à la convergence des préférences des parties prenantes en communiquant plus activement avec les forces politiques intérieures sur les objectifs finaux de l’aide concernée, en donnant la parole à ses bénéficiaires, en bâtissant enfin de vrais indicateurs des contributions de l’aide à ces objectifs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion