Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier l’ensemble des groupes politiques d’avoir participé à ce débat, avec une mention particulière pour le groupe écologiste, qui en a pris l’initiative.
La politique de développement est, certes, l’une des plus belles que l’on puisse mener. Nombre d’entre vous ont rappelé les chiffres qui attestent la dure réalité du monde : plus de 800 millions de personnes souffrent de malnutrition et 2 milliards vivent avec moins de 2 dollars par jour. Notre politique de développement vise précisément à essayer d’alléger cette grande pauvreté.
Ce débat a permis aux différents orateurs, pendant une heure et demie, d’aborder de manière assez complète diverses questions. Ne disposant pour ma part que d’un temps plus restreint, je vais tenter de répondre brièvement à quelques interrogations.
Le premier des enjeux qui ont été évoqués est d’ordre financier. Ce n’est pas très romantique, mais l’argent étant le nerf de la guerre, il faut bien en parler !
Certains intervenants ont soutenu que le budget affecté au développement avait diminué. Je ne peux que contester cette affirmation. En effet, l’effort financier que ce gouvernement a consacré au développement dans la loi de finances pour 2013 est parfaitement stable par rapport au budget antérieur si l’on prend en compte, comme l’impose la raison, l’affectation de 10 % de la taxe sur les transactions financières à ce poste. Si cette taxe est, pour des raisons techniques, dite « extrabudgétaire », c’est justement pour que son affectation soit fléchée sur le développement. En d’autres termes, le fait qu’elle ne soit pas, techniquement, intégrée au budget n’affecte nullement l’effort budgétaire véritablement fourni.
Sans doute d’autres pays font-ils mieux que nous, notamment la Grande-Bretagne, mais beaucoup font aussi moins bien : l’aide a diminué de 80 % en Espagne, de 25 % aux Pays-Bas, par exemple. C’est donc un choix volontariste du Gouvernement que de maintenir l’effort budgétaire accompli au service du développement.
Plusieurs d’entre vous ont parlé des financements innovants. Maintenant que la taxe française est en place, un grand débat est ouvert sur la taxe européenne, et notre pays est en pointe sur ce dossier. Ma responsabilité est de convaincre les autres gouvernements – les ministres chargés du développement, mais aussi les ministres des finances – d’affecter au développement une partie de la future taxe européenne sur les transactions financières.
Afin de vous donner une idée des chiffres qui sont en jeu, je citerai les 35 milliards d’euros mentionnés dans l’étude de la Commission européenne parue voilà une dizaine de jours sur une taxe à douze États membres, dans le cadre de la coopération renforcée. Si nous n’affections ne serait-ce que 10 % de ce montant au développement, nous pourrions presque doubler le fameux Fonds européen de développement.
Vous le constatez, les enjeux financiers sont extraordinairement importants. Ils vont faire l’objet d’une négociation déterminante cette année et constituent un élément clé de mon action.
Plusieurs parmi vous m’ont demandé d’apporter des précisions sur le Fonds européen de développement. Il est stabilisé en volume, et je crois pouvoir dire que nous n’y sommes pas pour rien. Ainsi, l’augmentation de la capacité d’engagement de ce fonds est à peu près équivalente à l’inflation anticipée ; cela signifie que, sur les sept prochaines années, nous allons sanctuariser la capacité d’aide publique au développement de l’Union européen dans les cent pays les plus pauvres au monde.
Lorsqu’on étudie les conclusions du débat budgétaire européen, on doit bien constater que le FED est, de fait, plutôt privilégié par rapport à d’autres politiques. Nous ne pouvons que nous en féliciter tous ensemble.
Cet après-midi, au-delà des enjeux financiers, d’autres grands sujets ont bien sûr été abordés, qui méritent effectivement, même s’ils ne sont pas nouveaux, de retenir l’attention.
En matière de pauvreté, des progrès ont été réalisés, mais il reste encore beaucoup à faire. Il existe une nouvelle équation du développement qui permet de prendre également en compte l’exigence d’un développement soutenable.
De ce point de vue, on peut mentionner de très nombreux sujets de tension : la ressource en eau, les ressources halieutiques, la biodiversité, etc. En cet instant, je me contenterai d’évoquer le climat, me référant au dernier rapport de la Banque mondiale, qui portait sur le changement climatique. La Banque mondiale emploie le mot « cataclysme » pour qualifier l’impact du changement climatique sur les pays les plus vulnérables, qui sont aussi les plus pauvres. Je ne suis pas sûr que cette institution utilise ce mot sur beaucoup de sujets…
Nous devons absolument être conscients de la convergence qui existe entre les politiques de développement et de développement soutenable, faute de quoi les 2 milliards d’habitants de la planète qui vivent avec moins de 2 dollars par jour ne pourront pas connaître quelque développement que ce soit en raison des conséquences du changement climatique qu’ils subiront.
Selon la Banque mondiale, tous les gains obtenus depuis une décennie en matière de lutte contre la mortalité infantile seraient annihilés par les sécheresses, par l’insécurité alimentaire et sanitaire liée aux chocs climatiques.
Cet important élément de réflexion doit orienter notre stratégie dans le domaine de l’aide publique. Nous avons d’ailleurs commencé à en tenir compte. Nous avons ainsi réorienté notre action en matière énergétique ; nous sommes en train de faire de même en matière alimentaire.
Le 1er mars, le Président de la République clôturera les Assises du développement et de la solidarité internationale et le discours qu’il prononcera à cette occasion lui permettra certainement de tracer de nouvelles perspectives. Cependant, une certaine prudence institutionnelle m’incitant à ne pas faire d’annonces avant lui, j’attendrai quelques jours avant de dérouler la nouvelle feuille de route relative au développement pour les quatre ans à venir, c'est-à-dire jusqu’à la fin du quinquennat. Aucun d’entre vous, j’imagine, ne songera à me le reprocher. §
La question de la légitimité de cette aide a également été soulevée. C’est bien parce qu’elle se doit d’être légitime qu’il faut qu’elle soit plus transparente et que l’on s’assure en permanence de son efficacité.
Le dernier sondage réalisé pour l’Agence française de développement sur l’opinion des Français quant à l’aide publique au développement fait apparaître que, pour 72 % d’entre eux, il faut soit maintenir, soit augmenter l’effort en faveur de la solidarité internationale. Et nous n’avions pas orienté la question en la formulant par exemple ainsi : « Tant d’enfants meurent encore de faim. Faut-il augmenter notre effort de solidarité ? » Nous avions même posé la question en sens inverse : « Dans un contexte budgétaire contraint, faut-il maintenir, baisser ou augmenter l’aide publique au développement ? » Eh bien, malgré cette formulation, je le répète, 72 % des Français répondent qu’il faut la maintenir ou l’augmenter.
Par conséquent, quels que soient les efforts qu’il reste à réaliser en matière de transparence et d’efficacité – ce à quoi je m’emploie –, nous bénéficions d’un soutien dans la société. C’est important, car il s’agit d’une des politiques qui permettent de tirer la mondialisation vers le haut, d’affirmer l’interdépendance entre les États et de donner l’image d’une société française ouverte sur le monde et non pas repliée sur elle-même.
J’en viens aux questions de genre qui, sachez-le, constituent l’une de mes priorités. Si une évaluation de la stratégie « genre » a été dressée, c’est parce que quelqu’un l’a demandé : mon prédécesseur, M. de Raincourt, que je tiens à saluer. Cette démarche nous permettra de faire un pas supplémentaire dans les prochains mois. Après l’évaluation rendue publique en janvier, nous en sommes donc à la construction d’une nouvelle stratégie renforcée qui, elle, sera dévoilée au mois de juin.
J’ai rencontré des militants de la cause LGBTI – lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués. La France est un des rares pays au monde à avoir mis en place, en faveur de la défense des droits des personnes intéressées, un fonds LGBTI, que j’ai relancé et renforcé, y compris sur le plan budgétaire.
Les militants que j’ai rencontrés venaient aussi bien d’Afrique noire, de Chine que d’Amérique latine. Partout dans le monde, ils sont reconnaissants à la France de l’effort que nous faisons pour promouvoir la lutte contre toutes les formes de discrimination.
Vous avez également évoqué à plusieurs reprises la question des nouvelles relations économiques et du pillage. Monsieur Robert Hue, je retiens l’expression de « triple pillage : fiscal, minier et des terres » : si vous n’exigez pas des droits d’auteur, je la reprendrai volontiers à mon compte dans mes prochains discours ! §
Qu’avons-nous fait concernant la fiscalité ? L’aide publique au développement représente 10 % de la totalité des flux financiers qui remontent du Sud vers le Nord et qui passent en partie par les paradis fiscaux. La France est le premier pays au monde à avoir soutenu des initiatives à cet égard.
Par exemple, en partenariat avec la Norvège, nous finançons le projet lancé par l’OCDE d’« inspecteurs des impôts sans frontières » ; je ne sais pas si cette appellation perdurera jusqu’au bout. Quoi qu'il en soit, l’objectif est précisément de mettre les compétences d’inspecteurs des impôts, soit actifs, soit retraités, en provenance des pays du Nord, au service des administrations fiscales des pays du Sud pour des cas concrets de montage fiscal opaque à l’origine de l’évasion de recettes fiscales que les États ne peuvent donc pas utiliser pour mener des politiques publiques en matière de santé ou d’éducation. Ce n’est qu’un exemple, mais je pourrais en citer d’autres qui témoignent de l’importance que nous accordons à ce sujet.
S’agissant des terres, nous sommes tout à fait conscients de l’importance qu’il y a à lutter contre leur accaparement. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à l’Agence française de développement – ce sera aussi valable pour sa filiale PROPARCO, qui traite les projets d’investissements privés – de n’accorder aucun prêt dans le domaine agricole pour des investissements qui ne respecteraient pas les principes de la FAO sur lesquels la communauté internationale s’est mise d’accord voilà quelques mois.
Il ne peut y avoir, d’un côté, une diplomatie française qui, quelle que soit la couleur du gouvernement, lutte contre l’accaparement des terres et, de l’autre, un outil public, l’AFD et sa filiale PROPARCO, qui ferait le contraire !