Intervention de Jacques-Bernard Magner

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 février 2013 : 1ère réunion
Enseignement français à l'étranger — Table ronde

Photo de Jacques-Bernard MagnerJacques-Bernard Magner :

Permettez-moi de rappeler que notre groupe de travail s'est créé à la suite de la mission d'information sur le métier d'enseignant qui a achevé ses travaux en juin 2012. Brigitte Gonthier-Maurin, notre rapporteure, avait suggéré que soient mis en place des prérecrutements à partir de la licence, afin de réparer les dégâts causés par la mastérisation. Beaucoup d'entre nous, passés par les écoles normales ou les instituts préparatoires à l'enseignement du second degré (IPES), regrettaient l'extinction de dispositifs de formation qui avaient su donner leur chance à des enfants de milieu populaire.

C'est pourquoi le groupe de travail dont vous m'avez confié la responsabilité avait pour mission d'examiner plus avant l'opportunité de reconstituer des voies de prérecrutement des enseignants du premier et du second degré.

Nous pouvons nous accorder sur le constat des lacunes du système français de formation des professeurs. C'est la nécessité de corriger ces défauts qui, d'emblée, rend le projet de prérecrutement légitime et intellectuellement séduisant, à la condition qu'il aille de pair avec un accompagnement et une professionnalisation accrus des futurs enseignants.

Devant le groupe de travail, François Dubet a parfaitement résumé le problème. Comment se fait-il que dans notre pays, avec sa tradition intellectuelle, ses moyens financiers, un environnement social qui n'est pas défavorable, un quart des élèves à la fin du primaire ne soient pas cognitivement armés pour entrer en 6e ? Ces mauvais résultats doivent être interprétés à la lumière de l'« effet maître » nettement plus déterminant que l'« effet établissement ». Comme la qualité du système de santé dépend de la formation des médecins, la qualité du système éducatif tient à la qualité de la formation des enseignants. Mais, à la différence des ingénieurs, des médecins, des infirmières, les enseignants ne sont pas formés comme des professionnels rompus à la technique de leur métier. C'est une singularité française très forte à l'échelle européenne, et plus largement parmi les pays développés.

La mastérisation a aggravé les problèmes tous azimuts en asséchant les viviers, en réduisant la préparation au métier comme peau de chagrin et en décourageant des jeunes de milieux populaires. Fort de ce constat, les membres du groupe de travail se sont accordés sur trois objectifs à fixer à toute réforme du recrutement. D'abord, assurer la pérennité du vivier en fonction des besoins du système éducatif ; ensuite, permettre la professionnalisation progressive des futurs enseignants avant la prise en charge de classes en pleine et entière responsabilité ; enfin, garantir la mixité d'origine sociale du corps enseignant en combattant l'éviction des milieux populaires.

Au cours des auditions et des déplacements du groupe de travail, l'accent de notre réflexion s'est progressivement déplacé de la question stricte du prérecrutement vers les problématiques plus larges mais essentielles de la préprofessionnalisation et de l'ouverture de multiples voies d'accès au métier.

En effet, l'organisation d'un prérecrutement nécessiterait de résoudre les problèmes posés par le choix d'une procédure de sélection, la définition des flux d'étudiants, la fixation du statut, l'articulation avec les concours et la gestion des échecs aux concours finaux. Il ne faut pas sous-estimer le risque d'enfermer les élèves dans un parcours univoque. Si l'on met en place un prérecrutement, assurer la réussite des prérecrutés aux concours finaux devient impératif, sous peine de rendre le dispositif illégitime, inefficace, dispendieux et générateur de frustrations. Ces questions sont techniquement très complexes à résoudre, et encore davantage dans un contexte budgétaire très contraint.

Même s'ils ne constituent pas un prérecrutement au sens strict d'un statut de droit public d'élève enseignant, les emplois d'avenir professeur constituent aujourd'hui la réponse la plus adaptée et la plus cohérente avec l'ensemble des réformes éducatives lancées par le gouvernement. Il ne faut pas négliger l'effort financier important qu'ils représentent, ni oublier l'opportunité qu'ils offrent à de jeunes boursiers. Avant d'aller éventuellement plus loin et de proposer des bourses spécifiques, sur le modèle des anciennes allocations d'IUFM, il conviendra d'évaluer attentivement ce dispositif.

En tout état de cause, le modèle des IPES ne pourra pas être reproduit, comme nous l'ont dit tant la direction générale des ressources humaines (DGRH) que les rapporteurs de la concertation sur la refondation de l'école et Antoine Prost. Lorsque le ministère de l'éducation repousse ce type de dispositif, c'est en insistant sur son coût insoutenable pour les finances publiques et surtout sur les effets d'aubaine, c'est-à-dire que l'on risquerait de financer des projets professionnels qui de toute façon se seraient réalisés. Plus gravement, les IPES n'étaient pas le siège d'une vraie formation professionnelle. Antoine Prost y voit la cause de leur très mauvais rendement, mesuré par le faible taux de réussite au CAPES des prérecrutés. D'après ses recherches, en 1974, par exemple, 2/3 d'entre eux ont échoués dans les CAPES littéraires et 55 % dans les CAPES scientifiques. Il y eut donc beaucoup de financement à perte, sans compter les difficultés entraînées par la gestion du cas des recalés. Pour toutes ces raisons, le groupe de travail a orienté ses travaux vers la question plus large de la préprofessionnalisation et de l'ouverture des voies d'accès aux métiers d'enseignants, en gardant le souci d'intégrer ses recommandations dans la refondation de l'école.

Avant toute chose, il faut encore et toujours affirmer clairement et fortement qu'être enseignant, c'est exercer un métier qui demande l'acquisition de techniques spécifiques grâce à une formation professionnelle adaptée. Le débat ne peut plus se poser dans les termes d'un choix entre le modèle du « savant » et celui du « pédagogue ». Comme le rappellent François Dubet et Patrick Rayou, il ne faut pas opposer la « vulgarité » de la technique pédagogique à la « noblesse » de la science académique. La faible attention portée par le monde universitaire à la didactique et à la pédagogie, la déconnection de la recherche avec l'exercice concret dans les classes, la faible place laissée à la pratique professionnelle dans le concours et le diplôme pénalisent l'émergence de professionnels de l'enseignement. C'est encore plus vrai pour le second degré où la discipline surdétermine l'identité professionnelle.

La formation des enseignants demande du temps et de la continuité. Il faut donc commencer le processus en licence en prenant garde d'articuler dès l'origine l'académique et le professionnel. La L1 peut servir d'année de découverte et d'orientation. En L2 et L3, il faut viser une sensibilisation par l'observation et une préprofessionnalisation progressive grâce à de la pratique accompagnée. Les années de Master complèteront et parachèveront la professionnalisation par l'approfondissement des savoirs et des compétences et par l'élargissement des terrains de stages.

Quelques exemples de ce type de parcours continus de formation pensés sur cinq ans existent déjà. Il faudrait tirer profit de ces expériences et généraliser ces dispositifs avec l'appui des futures écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). Pour compenser les effets pervers d'une trop grande autonomie des universités, il conviendra que les ESPE intègrent les préoccupations du futur employeur, à savoir l'éducation nationale. Leur cahier des charges devrait garantir à tous les futurs étudiants une architecture de formation réellement professionnalisante appuyée sur une alternance de pratiques de terrain et de cours universitaires.

J'aimerais citer en exemple le travail réalisé par le rectorat de Clermont et l'IUFM d'Auvergne abrité par l'Université Blaise Pascal. Les deux partenaires ont conjointement mis en place un dispositif d'aide à l'orientation des lycéens et étudiants de licence vers les métiers de l'enseignement. Piloté par le Conseil des études et de la vie universitaire (CEVU), ce dispositif propose dès le lycée une information sur les métiers de l'enseignement et sur l'offre de formation correspondante. Le but est de réduire l'écart entre le secondaire et le supérieur en suscitant précocement des vocations.

En L2 et L3, des parcours complets de sensibilisation et de préprofessionnalisation au métier d'enseignant sont proposés aux étudiants. L'idée est de bâtir dès la licence un continuum de formation se poursuivant jusqu'au concours et au M2. Progressivement, les étudiants découvrent la complexité et la richesse du métier d'enseignant et entrent dans un parcours préprofessionnalisant fondé sur l'alternance entre l'université et le terrain.

Le parcours est pour l'instant bien mis en place dans le premier degré, mais il reste à parachever dans le second degré. Grâce à un partenariat solide avec le rectorat, les étudiants qui s'engagent dans ce dispositif peuvent bénéficier de plusieurs stages de plusieurs semaines sur deux ans et ainsi se confronter très tôt à la réalité de la classe dans des cadres très divers. En dehors des stages, les étudiants apprennent à connaître les processus d'apprentissage et de socialisation des élèves, la pédagogie et les gestes professionnels des enseignants, l'institution scolaire, son histoire et son fonctionnement. Il est également pris soin de leur faire développer leurs compétences en langues vivantes, en français et en mathématiques.

Il me semble que ce type de parcours de formation mériterait d'être développé et enrichi. En effet, le métier d'enseignant évolue rapidement et ne peut pas se résumer uniquement à de l'enseignement frontal en classe. Les enseignants seront de plus en plus amenés à :

- développer une vision éducative globale de la personne qu'est l'enfant ou l'adolescent, d'une part ;

- collaborer avec les collectivités locales dans le cadre de projets éducatifs territoriaux, d'autre part.

Pour appréhender la diversité des voies et des rythmes de développement des enfants et des adolescents, il est important d'aller dans d'autres lieux que les classes. C'est pourquoi, notamment dans les années de licence, des stages dans des structures périéducatives seraient utiles aux étudiants qui se destinent au professorat.

De même, il serait judicieux de renouer les liens distendus depuis quelque temps entre l'éducation populaire et l'éducation nationale. Des stages en association seraient sans doute fructueux pour les étudiants et faciliteraient dans l'avenir la mise en oeuvre de projets complémentaires des cours scolaires. En outre, il me semblerait intéressant de faire davantage participer les associations et l'éducation populaire à la définition et à l'application des réformes. Comme les collectivités territoriales, elles constituent des partenaires incontournables de l'éducation nationale. Peut-être pourrait-on envisager de les intégrer au fonctionnement des ESPE, par exemple en leur accordant un siège au conseil d'administration. C'est une piste que nous avons évoquée.

L'ouverture de nouveaux terrains de stages en licence aura l'avantage de desserrer l'étau qui contraint les capacités d'accueil en établissement. Le problème ne se pose pas tant dans les académies les plus urbaines et dotées d'un réseau de transport dense, que dans les académies plus rurales. On peut prendre l'exemple de l'académie de Reims. Elle couvre quatre départements très ruraux (Ardennes, Marne, Aube et Haute-Marne) où le rectorat peut localiser des berceaux de stages adéquats mais dispersés. Les étudiants, eux, sont concentrés dans l'agglomération rémoise où se situe l'Université et il leur est difficile de se déplacer dans les autres départements, encore plus de s'y installer pour quelques semaines. Du coup, certains berceaux de stages potentiels ne sont pas exploités et certains étudiants peuvent se retrouver contraints de renoncer à un stage trop éloigné. En ouvrant de nouvelles possibilités de stages en collectivités, en structures périéducatives, en associations ou dans l'éducation populaire, on diminuera la pression sur les stages qui pénalisent les académies rurales.

Si l'on veut rendre au métier d'enseignant une attractivité qu'il n'a plus, il faut le faire découvrir très tôt aux étudiants qui n'en ont souvent qu'une image médiocre et dévalorisée. Si l'on veut garantir des viviers de recrutement suffisamment pérennes et profonds, il convient aussi de multiplier les voies d'accès. La Conférence des directeurs d'instituts universitaires de formation des maîtres (CDIUFM) y est particulièrement sensible. Il nous faut attirer vers le métier d'enseignant des publics aux parcours et aux besoins différents. Nous aurons besoin d'étudiants en licence disciplinaire ou transversale, d'étudiants en DUT ou BTS, mais aussi de jeunes sortis de classes préparatoires et notamment pour les lycées professionnels, des salariés en reconversion. Nous ne pouvons donc pas nous contenter de définir une maquette rigide de formation sur cinq ans. Il faut se garder la possibilité d'intégrer souplement d'autres étudiants ou d'autres publics dans le parcours de formation. Il sera donc crucial de réfléchir à des passerelles et à des embranchements tout au long du parcours jusqu'au concours.

Voici les principaux enseignements que je souhaitais porter à votre connaissance.

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