Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 février 2013 : 1ère réunion
Séparation et régulation des activités bancaires — Audition de M. Pierre Moscovici ministre de l'économie et des finances

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

L'ambition de ce projet emblématique est de reprendre la main face aux dérives de la finance, de répondre aux causes profondes de la crise financière, de renforcer le contrôle politique et démocratique d'un secteur qui fait depuis l'objet d'une défiance certaine : voilà un effort assumé de régulation, de moralisation et de contrôle. L'Assemblée nationale l'a voté la semaine dernière à la confortable majorité de 315 pour et 161 contre, les groupes communiste et UDI s'abstenant, tandis qu'une quinzaine de voix UMP se joignaient à celles des socialistes, des radicaux et des écologistes. Ce résultat traduit la qualité d'un débat, serein et constructif ; une cinquantaine d'amendements, de tous les groupes, ont été adoptés, les échanges ont été exemplaires. Je souhaite qu'ils soient de la même qualité au Sénat.

Notre devoir collectif est de tout faire pour éviter que les errances qui ont entraîné la crise de 2008 se reproduisent, que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

C'est la conjonction de trois facteurs qui a provoqué la déflagration de 2008 : une mauvaise compréhension et une mauvaise gestion des risques ; des incitations perverses pour les acteurs de la finance, liées à l'aléa moral qui voit in fine les Etats garantir sans contrepartie les risques excessifs pris par les banques, et les déresponsabilise ; une approche de la régulation trop axée sur les comportements individuels et pas assez sur les déséquilibres globaux et systémiques.

Parce que nous ne pouvons nous résoudre à l'impuissance, le projet s'attaque aux activités spéculatives des banques, notamment en matérialisant la promesse de campagne de François Hollande de séparer les activités des banques utiles à l'investissement et à l'emploi de leurs opérations spéculatives. La réforme protège les épargnants, mais aussi les contribuables, qui ne doivent plus être les premiers sollicités pour sauver un établissement en faillite. Elle instaure un contrôle efficace et préventif des risques. Enfin, elle renforce la protection des clients, à commencer par les plus fragiles.

Cette réforme s'inscrit dans une dynamique européenne : l'Allemagne a déjà légiféré, la Grande-Bretagne le fera courant 2013 et le rapport Liikanen est actuellement soumis à l'examen du commissaire Michel Barnier.

Ce projet de loi met en oeuvre l'engagement du président de la République de séparer les activités utiles au financement de l'économie et à l'emploi des activités spéculatives des banques, en changeant à la fois les structures et les comportements. « Cantonnement », « filialisation », « séparation » sont synonymes de « mise en quarantaine » des activités spéculatives menées pour compte propre. Les banques devront à l'avenir créer une filiale ad hoc, soumise à une règlementation prudentielle stricte, et y isoler ces activités. Cette filiale sera capitalisée et financée de manière autonome : la banque ne pourra pas utiliser les dépôts des épargnants pour financer - ou même sauver - sa filiale, quitte à la condamner. L'Assemblée nationale a en outre étanchéifié la filialisation ; les Anglais parlent, eux, d'électrifier la clôture - ring-fence - qu'ils élèvent entre les activités. Cette filiale n'aura ni le même nom ni la même gouvernance que la maison-mère et l'Etat ne pourra pas recapitaliser une filiale en résolution. Les dispositions sur la filialisation sont, à présent, solides.

Seront ainsi isolées les activités qui ont concentré le gros des pertes des banques françaises pendant la crise. Les autres feront l'objet d'un encadrement très précis et d'une surveillance étroite de la part de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Durant le débat parlementaire, le Gouvernement a expliqué de manière convaincante ses choix quant à la structure des banques. Certains auraient voulu séparer les banques d'investissement des banques commerciales, par un Glass-Steagall Act à la française. Les consultations que j'ai opérées ont débouché sur une quasi-unanimité. Nous n'avons pas voulu fragiliser le modèle français, qui mêle banque d'investissement et banque de dépôt. Je ne suis pas sûr que créer ex nihilo des Goldman Sachs ou des Morgan Stanley à la française soit de bonne politique...

Il y avait un curseur à placer sur la tenue de marché. Certains députés, certains responsables de la Fédération bancaire française (FBF) redoutaient que les filiales cantonnées soient trop petites, ce qui leur ferait perdre de la crédibilité. Le débat a été éclairé à l'échelle européenne, le commissaire Michel Barnier expliquant que cette activité de tenue de marché ne pouvait être considérée comme purement spéculative. L'Assemblée nationale a adopté un texte très équilibré, définissant l'activité de tenue de marché et donnant au ministre des finances le pouvoir de fixer un seuil à partir duquel les activités de tenue de marché pourront être filialisées. La spéculation a diminué dans nos banques depuis 2008, les filiales seront donc plus petites ; si elle reprenait demain, le ministre aurait le pouvoir de créer des filiales plus importantes. Bref, c'est un mécanisme adaptable qui me paraît tout à fait pertinent.

Le projet de loi vise à changer les structures mais aussi les comportements. Les dispositions relatives à la résolution des banques en difficulté sont un complément indispensable du volet séparation ; elles ont été jugées solides par tous les députés.

Le texte s'attaque à l'aléa moral, qui est l'une des causes de la crise, les contribuables venant secourir des banques même fautives. Le volet résolution se résume par la formule : qui faute paye, en ajoutant que qui faute ne doit plus pouvoir décider.

Le projet de loi dote l'ACPR de vrais pouvoirs d'intervention dans la banque même : le superviseur pourra transférer ou céder d'office tout ou partie de ses actifs, nommer un administrateur provisoire ou créer une banque-relais en vue d'une cession. L'objectif est de protéger les déposants et les contribuables en autorisant les autorités publiques à prendre la main lorsque c'est nécessaire.

Afin de réaligner les responsabilités et les pertes, l'ACPR pourra faire peser les pertes d'une banque d'abord sur ses actionnaires et sur ses créanciers plutôt que sur les épargnants ou les contribuables. L'aléa moral étant aussi celui des dirigeants, l'ACPR pourra les révoquer. Le président de la commission des finances a évoqué Dexia ; il y a d'autres exemples plus récents, comme le Crédit Immobilier de France (CIF) auquel les parlementaires et moi-même sommes sensibles. Si j'avais eu, ou mes prédécesseurs, de tels outils à travers l'ACPR, nous aurions pu davantage mettre en cause les responsabilités effectives et éviter une fuite en avant.

Dernier rempart, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution sera porté de 2 à 10 milliards d'euros d'ici 2020. Ces dispositions vont considérablement accroître la régulation du système financier.

Autre apport majeur de l'Assemblée nationale : l'instauration d'une obligation de transparence des activités des banques, pays par pays, paradis fiscaux inclus. Nous aurons une législation de pointe, unique au monde. Les banques devront ainsi publier, dès l'exercice 2013, une liste de leurs filiales et des activités qu'elles mènent dans chaque pays du monde ainsi que, de manière agrégée, le produit net bancaire et les effectifs en personnel. La mesure était attendue et certains auraient voulu aller plus loin encore. Je souhaite pour ma part que l'on en reste là : on risquerait de fragiliser nos banques en les contraignant à mettre sur la place publique des informations sensibles qui profiteraient avant tout à leurs concurrents.

Troisième axe : le contrôle efficace et préventif des risques. Les dispositions contre le risque systémique ont été approuvées sur tous les bancs. L'ACPR voit ses structures et ses compétences renforcées. Ainsi, chaque établissement bancaire devra préparer un plan préventif de résolution, un testament bancaire qui sera validé par l'ACPR.

Le projet de loi créé une nouvelle autorité, le Conseil de stabilité financière (CSF), chargé de la prévention et de la surveillance des risques systémiques et doté de vrais pouvoirs d'intervention, juridiquement contraignants, que n'avait pas le Conseil de régulation financière et du risque systémique (COREFRIS). Il pourra imposer aux banques des exigences de fonds propres supplémentaires, encadrer la politique d'octroi de crédit des banques pour éviter les bulles spéculatives. L'Assemblée a en outre enrichi la gouvernance du CSF, avec l'instauration d'un objectif de parité et un contrôle accru par le Parlement.

L'ACPR pourra interdire à un établissement des activités présentant des risques excessifs - mesure qui aurait été bien utile dans le cadre de tel ou tel sinistre bancaire... Sur ce point, le débat à l'Assemblée nationale a été constructif, exhaustif, consensuel.

Dernier axe de ce projet de loi, la protection des clients et en particulier des plus fragiles. J'ai tenu à ce que la loi intègre cette dimension « consommateur et citoyen » pour éviter qu'elle apparaisse éloignée des préoccupations de nos concitoyens.

Le texte plafonne les commissions d'intervention que les banques prélèvent par exemple en cas de chèque sans provision. Le montant moyen de ces commissions est de 8 euros, mais parfois bien supérieur : elles peuvent atteindre 200 à 300 euros par mois pour les plus précaires. Le projet proposait un plafonnement pour les populations qui connaissent des difficultés financières. L'Assemblée nationale l'a étendu à l'ensemble des clients avec un double plafond, mensuel et par opération. Préservons cet équilibre et veillons à ne pas pénaliser les banques dont le réseau maille nos territoires face à des banques dématérialisées. Je n'ai pas voulu un texte qui fait mal aux banques pour le plaisir, mais un texte qui préserve le financement de notre économie et en même temps moralise et contrôle.

Le texte comporte des dispositions concernant l'assurance emprunteur, facilite le recours à la procédure du droit au compte pour ceux qui n'ont pas accès à un compte bancaire et simplifie la procédure en matière de surendettement. L'Assemblée nationale a souhaité qu'il mette en oeuvre des mesures du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, avec notamment la création d'un Observatoire de l'inclusion bancaire. Les banques devront se doter de mécanisme de détection précoce des difficultés financières de leurs clients.

Dernier apport de l'Assemblée nationale, le projet de loi interdit pour l'avenir aux collectivités locales de recourir aux emprunts structurés, du type de ceux qui sont devenus toxiques.

Le texte a été bien construit, en liaison avec les professionnels et les syndicats, puis enrichi par l'Assemblée nationale. Je suis ouvert à vos amendements, car il reste des espaces d'amélioration, notamment sur le trading haute fréquence ou les produits dérivés sur matières premières agricoles. Nous pourrons aussi reparler des paradis fiscaux ou des frais bancaires.

Ce projet de loi s'inscrit dans une perspective européenne. Précurseur, il est très proche du rapport Liikanen et du texte allemand et pas si éloigné du texte britannique. C'est un texte solide, constructif, résultant d'un travail parlementaire de qualité que je souhaite poursuivre au Sénat.

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