Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, amnistier n’est pas gracier. Tradition pluriséculaire dont on retrouve des traces dès l’Antiquité, l’amnistie apaise, pacifie. Elle autorise et même prescrit l’oubli qui réconcilie. Elle se présente périodiquement comme le moyen d’assurer la cohésion d’une société parcourue de tensions et comme l’expression ultime d’une aspiration commune à cette cohésion. Rien n’illustre mieux cette fonction essentielle de l’amnistie que ce décret du 14 septembre 1791 qui instaura une amnistie générale pour tous – révolutionnaires, contre-révolutionnaires ainsi que pour le roi lui-même – dans le but de préserver la Constitution de 1791.
Il n’est pas sûr que la tradition qui s’est imposée au fil du temps pour chaque nouveau Président de la Ve République, à savoir faire voter une loi d’amnistie après son élection, soit réellement en accord avec le véritable esprit de l’amnistie. De fait, depuis une dizaine d’années, de nombreuses voix ont remis en cause ces lois.
Par ailleurs, depuis 2002, aucune loi d’amnistie n’a été votée et chaque candidat à l’élection présidentielle s’est engagé à ne pas en faire adopter.
La proposition de loi dont nous débattons, si elle semble bien s’inscrire dans cette tradition de la Ve République, en diffère pourtant à plusieurs égards. D’une part, elle ne vient pas d’en haut, elle ne résulte pas d’un engagement présidentiel, mais émane directement de notre représentation parlementaire. D’autre part, son champ d’application est circonscrit.
Ainsi que le rappelle notre collègue Éliane Assassi, rapporteur du texte, cette proposition de loi « ne concerne que les infractions commises lors de conflits du travail, à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives ou encore à l’occasion de mouvements collectifs ».
Les débats riches et nombreux auxquels le présent texte a donné lieu au sein de la commission des lois montrent bien que, en dépit du nombre restreint des infractions effectivement visées, cette proposition de loi d’amnistie n’est pas perçue comme anodine. Bien au contraire !
Nous, femmes et hommes de gauche, mais aussi nombre d’autres, attachés aux valeurs de la démocratie, sommes naturellement portés vers une pratique pacifique et non violente de la contestation sociale. Nulle situation, si dure soit-elle, ne peut justifier à nos yeux la violence, particulièrement lorsqu’elle vise les personnes.
Reste que, dans un contexte de profonde crise économique, sociale et écologique, les citoyennes et citoyens sont confrontés à des difficultés majeures, comme le chômage, la précarité, l’absence d’accès au logement, sans oublier les risques environnementaux.
L’action collective est un droit inhérent à toute démocratie, explicitement reconnu par les alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946. Nombreux, pourtant, ont été et sont nos concitoyens qui, s’engageant légitimement dans de telles actions collectives, ont subi des sanctions injustifiées pour avoir osé la contestation : lutte pour l’emploi, opposition à l’EPR et aux lignes à très haute tension, dénonciation des conditions de travail, défense des droits des migrants, refus de prélèvement d’ADN, etc.
Conscient de l’importance de ces combats, le groupe écologiste votera donc le texte dont nous débattons aujourd’hui.
Pour les mêmes raisons, il s’opposera à tout amendement visant à exclure du champ de la présente loi d’amnistie les faucheurs d’OGM ou, par exemple, les personnes libérant les animaux de laboratoire ou s’opposant à certains travaux de recherche, parce que ceux-ci vont à l’encontre de l’intérêt général ou relèvent de la manipulation scientifique.