En effet, mon cher collègue.
Il y a donc très peu de chances, en réalité, qu’un référendum soit organisé sur cette base : il y aura toujours un groupe, dans chaque assemblée, pour inscrire le sujet à l’ordre du jour, et le Gouvernement pourra tout aussi bien le faire, le cas échéant. Il s’agit, en somme, d’une procédure assez compliquée pour faire en sorte que le Parlement traite d’un sujet.
Nous sommes donc, je le répète, en présence d’un dispositif en trompe-l’œil. En inscrivant son examen à l’ordre du jour au moment même où l’on débat du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, nos collègues du groupe UMP appliquent finalement ce trompe-l’œil à un faux-semblant ! En effet, certaines personnes penseront que si les textes qui nous sont soumis aujourd’hui sont adoptés – ce que je proposerai au Sénat de faire –, alors un référendum sur la question du mariage pour tous pourra être organisé. Or nous savons très bien qu’il n’en est rien : bien des gardes des sceaux ou premiers ministres, bien des constitutionnalistes et le Conseil constitutionnel lui-même l’ont dit et répété, ce type de sujet n’entre pas dans le champ défini par l’article 11 de la Constitution.
Pour ne pas être trop long, je me bornerai à citer, à cet égard, M. Jacques Toubon. Alors qu’il était garde des sceaux, il a déclaré que, « en limitant l’extension du champ référendaire aux matières économiques et sociales, le Gouvernement a choisi d’exclure les sujets touchant à la souveraineté, comme la défense et la justice, ou ce qu’il est convenu d’appeler les questions de société ». Cela est très clair !
Nous allons pourtant examiner ces deux textes, car, quels que soient les sentiments que nous inspirent cette disposition de la Constitution et l’effet tout relatif de sa mise en œuvre, nous avons le devoir républicain de respecter la Constitution et d’élaborer la loi organique.
La plupart des amendements que j’ai proposés ont été adoptés par la commission et sont par conséquent intégrés dans les textes en discussion. Je remercie mes collègues d’avoir très largement suivi mes suggestions.
Quelles sont les modifications que j’ai proposé d’introduire dans le texte adopté par l’Assemblée nationale ?
Premièrement, j’ai recommandé de prendre à la lettre la Constitution, selon laquelle il s’agit d’une initiative prise par un cinquième des parlementaires qui « prend la forme d'une proposition de loi ». Cela nous conduit à prévoir l’instauration d’un nouveau type de proposition de loi, la proposition de loi référendaire, qui présentera la particularité de pouvoir être signée à la fois par des sénateurs et des députés. Il est impossible de faire autrement ; le dispositif élaboré naguère par l’Assemblée nationale n’était pas conforme à la Constitution : l’initiative prenant la forme d’une proposition de loi, ce texte unique doit pouvoir être signé à la fois par des députés et des sénateurs.
Toutefois, nous demandons que les signataires précisent sur le bureau de quelle assemblée ils choisissent de déposer leur proposition de loi, de sorte que le contrôle de sa recevabilité au regard des articles 40 et 41 de la Constitution puisse s’exercer sous la responsabilité du bureau de l’une des assemblées.
Deuxièmement, j’ai proposé de revoir les phases de la procédure.
Il a souvent été indiqué, lors des débats à l’Assemblée nationale, que, pour recueillir les 4, 5 millions de signatures, trois mois ne suffiraient pas. La commission suggère donc de porter ce délai à six mois. Mais afin de ne pas allonger les délais, elle prévoit de réduire la période durant laquelle le Parlement doit examiner le sujet – cela relève de la compétence du législateur organique en vertu de la Constitution – de douze mois à neuf mois.
De l’avis de la commission des lois, les deux assemblées peuvent tout à fait procéder en neuf mois à un examen du texte.
Je vous proposerai ensuite de supprimer le délai de quatre mois, instauré à tort par les députés, pour l’organisation par le Président de la République du référendum à l’issue du temps réservé à l’examen parlementaire. Un tel délai n’est aucunement prévu par la Constitution, et, en décidant cela, les députés ont excédé les pouvoirs du législateur organique.
Si vous suivez la commission des lois, mes chers collègues, le Président de la République, dans le cas où les deux assemblées du Parlement n’auront pas étudié le texte, pourra soumettre ce dernier au référendum dès le lendemain des neuf mois prévus pour l’examen parlementaire. Bien entendu, ce qui est inscrit dans la Constitution sera strictement respecté : une fois que le référendum aura eu lieu, le Président de la République disposera de quinze jours pour promulguer la loi ainsi adoptée par le peuple.
Troisièmement, la commission des lois considère que le recueil des soutiens, soit les 4, 5 millions de signatures, doit se faire non par voie électronique, comme l’ont prévu les députés, mais au moyen d’un formulaire écrit sur lequel les électeurs doivent apposer leur signature. Sera-ce auprès de la mairie, ce qui serait le plus simple, ou auprès de la sous-préfecture ? Nous ne sommes pas entrés dans les détails, laissant au décret le soin de fixer les modalités concrètes. En tout cas, il nous paraît exorbitant d’obliger les Français dans leur totalité à s’exprimer par voie électronique.
En conséquence, nous supprimons l’obligation qui avait été créée par l’Assemblée nationale d’installer une borne électronique dans chaque chef-lieu de canton, et ce pour deux raisons : d’abord, ce serait un coût que nous pouvons éviter ; ensuite, il est possible qu’à la suite de quelque autre texte dont nous avons le bonheur de délibérer la notion de chef-lieu de canton puisse donner lieu à quelques discussions…
Par conséquent, mes chers collègues, si vous suivez la commission, nos concitoyens pourront s’exprimer par écrit.
Quatrièmement, il est indiqué dans le texte adopté par l’Assemblée nationale que le contrôle du dispositif, qu’il s’agisse de la signature de la proposition de loi référendaire par le cinquième des parlementaires en fonction ou du contrôle des 4, 5 millions de signatures, est exercé par le Conseil constitutionnel. Les députés ont créé une commission ad hoc, mais je ne vois pas quel en est le fondement. Là encore, ils ont excédé les prérogatives du législateur organique que nous sommes.
Par conséquent, nous vous proposons tout simplement de maintenir la totalité des prérogatives du Conseil constitutionnel. Celui-ci pourra tout à fait s’adjoindre des rapporteurs, des rapporteurs-adjoints, des personnels de toute nature de manière à assumer sa tâche. Cependant, l’idée de créer une commission qui serait sous le contrôle du Conseil constitutionnel – où d’ailleurs le ministère de l’intérieur interviendrait on ne sait pas très bien pourquoi alors qu’il s’agit de la prérogative exclusive dudit Conseil – est une fabrication qui n’a rien à voir ni avec la lettre ni avec l’esprit de la Constitution.
Cinquièmement, nous vous proposons de clarifier et de mieux codifier les dispositions pénales qui doivent être prévues afin de sanctionner toute fraude relative au recueil des signatures et à l’usage qui pourrait en être fait. À cet égard, nous avons rencontré Mme la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dont je tiens à souligner le concours très précieux.
Sixièmement, la commission des lois a décidé de tirer toutes les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel datant de l’an 2000 : le Conseil constitutionnel a fait à juste titre remarquer que les dispositions mises en œuvre pour organiser un référendum étaient à chaque fois fixées par décret. Nous vous proposons donc, conformément à la suggestion du Conseil constitutionnel en 2000, d’instaurer un titre nouveau dans le code électoral s’agissant des référendums et de leur organisation.
Telles sont les six modifications substantielles que la commission des lois présente.
Pour être tout à fait complet, je dois évoquer la question du financement de la campagne visant à recueillir les signatures, sur laquelle j’ai interrogé la commission. Certains avaient émis l’idée que diverses instances – partenaires sociaux, associations, etc. – puissent intervenir, voire apporter des financements. Il est apparu à la commission, dans sa grande majorité, qu’il était sage de s’en tenir aux dispositions existantes, c’est-à-dire au plafonnement des apports financiers des personnes physiques et à l’intervention des partis politiques selon la loi commune. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, considérant qu’il pouvait se produire des détournements, voire des opérations de lobbying, et qu’il fallait respecter tout simplement le bénévolat citoyen. Après tout, les citoyens qui seraient attachés à la cause pourraient tout à fait se mobiliser pour recueillir les signatures.
Mes chers collègues, notre philosophie est claire, elle est républicaine : le texte de la Constitution est ce qu’il est, et nous le respectons. Par ces amendements, nous changeons profondément le texte adopté par l’Assemblée nationale de telle manière qu’il soit le plus possible fidèle à la lettre et à l’esprit de la Constitution.