Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les radicaux que nous sommes ont toujours pensé le plus grand mal de la Constitution de la Ve République. Elle existe, il faut l’appliquer, et nous voterons les textes de la commission, ainsi que les excellents amendements élaborés sur l’initiative de M. Jean-Pierre Sueur.
« Un référendum, c’est une excitation nationale où on met tout dans le pot. §
Cette citation de Michel Rocard résume parfaitement l’évolution de la nature du référendum sous la Ve République.
Ici, il s’agit d’un référendum d’initiative partagée : c’est déjà la définition d’un problème et une mauvaise réponse à une question biaisée.
D’une consultation réellement plébiscitaire, voulue par le général de Gaulle lorsqu’il rétablit la pratique référendaire en 1958, le référendum, qui s’est peu à peu délité, est devenu un outil de consultation électorale dont les gouvernants ne se servent que s’ils pensent connaître le résultat à l’avance. Il leur arrive d’ailleurs de se tromper lourdement. Je pense ainsi au référendum de 2005. §
La question posée n’a pas au final tellement d’importance puisque l’essentiel réside dans l’association apparente du peuple à des décisions toutes faites.
L’article 11, tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, devait être une innovation majeure, un progrès démocratique – nous avons failli y croire, en tout cas certains d’entre nous, heureusement pas tous ! – : il s’agissait de mieux associer le peuple aux prises de décision.
Comme l’expliquait le député centriste Bertrand Pancher lors de la discussion de la révision constitutionnelle à l’Assemblée nationale, ce nouveau type de référendum a pour but de « combler le fossé infranchissable qui sépare une opinion publique de plus en plus éclairée et les décideurs, notamment le législateur, [pour] l’associer et la responsabiliser, donc l’amener à participer. »
Définir le prétendu fossé de cette manière-là pose un véritable problème.
Ces réflexions synthétisent en tout cas très bien la problématique que soulève en filigrane l’institution d’une initiative référendaire échappant aux seuls parlementaires : de qui relève in fine la légitimité de la décision politique ?
L’article 3 de la Constitution répond clairement à cette question en posant le principe selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». En d’autres termes, il n’appartient pas aux mouvements associatifs et autres groupes de pression de jouer un rôle d’entraînement de l’opinion publique pour défendre des intérêts particuliers en instrumentalisant l’initiative populaire.
Et puis, mes chers collègues, qu’est-ce que l’opinion publique ? Depuis les travaux d’éminents sociologues, on sait, grâce à Pierre Bourdieu, que « l’opinion publique n’existe pas », mais – et je vous renvoie à cet égard aux travaux de Patrick Champagne – qu’elle se fabrique.
Selon nous, le référendum d’initiative populaire est potentiellement un trompe-l’œil dangereux, susceptible d’être instrumentalisé à des seules fins politiciennes adaptées à la médiatisation sans frein de la société moderne. Il faut dire que nous avons d’excellents spécialistes dans ce domaine, même si l’Italie vient encore de démontrer que nous n’étions toutefois pas les meilleurs en la matière.
« Agiter le peuple avant de s’en servir », disait Talleyrand. §
Pour autant, le référendum conserve naturellement toute son utilité dans notre République, à condition qu’il réponde à ce qui devrait être son objectif premier : l’approbation ultime par le peuple, et non par l’opinion publique, des grandes décisions affectant l’avenir de la Nation. En dehors de cette hypothèse, remettons-nous-en à la logique éprouvée – elle a fait ses preuves – de la démocratie représentative, même si elle appelle nécessairement des évolutions et des améliorations. Les citoyens électeurs sont d’ores et déjà en mesure de donner leur avis à chaque scrutin, en renouvelant – ou non ! – leur confiance aux élus. Entre les différents scrutins, les occasions de conforter ou de sanctionner ne manquent guère. Cela, nous le savons tous, quelles que soient nos sensibilités politiques.
Évitons également, mes chers collègues, de trop modifier les modes de scrutin. En la matière, le changement n’est pas toujours synonyme de progrès ! §