Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 28 février 2013 à 9h00
Application de l'article 11 de la constitution — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

… j’ai suivi son enseignement sur Jean-Jacques Rousseau, qu’il vénérait.

Sachez que, avec une telle disposition, nous sommes très loin de la démocratie directe.

Cela étant, lorsque Jean-Jacques Rousseau lui-même a fait œuvre de constituant, en élaborant une loi fondamentale pour la Pologne, il a soigneusement rangé Du contrat social dans sa poche ; son projet de constitution n’avait en effet pas non plus, loin s’en faut, grand-chose à voir avec la démocratie directe.

La loi organique vise donc à faire appliquer la Constitution. Comme vous l’avez souligné à juste titre, il a fallu attendre près de cinq ans pour donner une traduction législative organique à une disposition constitutionnelle. C’est bien évidemment trop long. Il n’est pas normal que nous ayons dû attendre aussi longtemps.

Cela dit, on peut faire encore mieux : la révision constitutionnelle relative à la responsabilité du chef de l’État, adoptée en février 2007, ne s’applique toujours pas ! C’est d’autant plus scandaleux que la seule disposition en vigueur aujourd'hui concerne l’immunité du Président de la République, qui est d’applicabilité directe, quand les dispositions relatives à sa responsabilité n’ont toujours pas de traduction concrète. Je regrette pour ma part que, pendant toutes ces années, nous n’ayons jamais trouvé le temps d’examiner une loi organique sur le sujet !

Pourtant, un projet de loi organique avait été rédigé dès 2007. Il n’a été examiné à l’Assemblée nationale qu’en 2011. À ce propos, monsieur Sueur, le Sénat pourrait me semble-t-il examiner le texte voté au sein de la chambre basse et l’amender substantiellement, car la version adoptée par nos collègues députés ne me paraît pas vraiment satisfaisante.

Les lois organiques sont faites pour être examinées et votées dans des délais raisonnables après modification de la Constitution. En l’occurrence, tel n’a pas été le cas.

J’en viens au contenu du projet de loi organique. Comme nous l’avons indiqué en commission, nous souscrivons aux modifications qui ont été proposées par M. le rapporteur ; d’ailleurs, nous les avons toutes votées. Le débat porte donc sur les modalités de mise en œuvre.

D’abord, la loi référendaire sera, il est vrai, d’initiative parlementaire. Elle devra être signée par de très nombreux parlementaires. Autrement dit, les groupes réellement « minoritaires » ne pourront pas faire usage d’une telle disposition, qui sera de facto réservée aux grands partis politiques fortement représentés au Parlement. C’est dommageable.

Ensuite, le contrôle du Conseil constitutionnel est, à mon avis, doublement intéressant.

D’une part, il est important que le juge constitutionnel puisse vérifier le contenu matériel de la loi organique, et pas seulement les signatures ; à cet égard, la suppression de la commission de contrôle est une excellente initiative.

D’autre part, l’article 11 ne se limite pas aux dispositions auxquelles nous allons, je l’espère, donner une traduction législative organique aujourd'hui. D’autres alinéas de l’article s’appliquent déjà. Et, comme vous le savez, le débat sur le contenu de l’article 11 dure depuis 1962.

Concrètement, qu’est-ce que « l’organisation des pouvoirs publics » ? En 1962, lorsque le président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, avait demandé aux Sages de vérifier la conformité à la Constitution du projet de loi que le général de Gaulle voulait soumettre à référendum, le Conseil constitutionnel s’était déclaré incompétent, déclarant qu’il ne pouvait se prononcer que sur « les lois votées par le Parlement ».

Désormais, s’il venait à l’idée de parlementaires de déposer une proposition de loi référendaire organique portant sur l’organisation des pouvoirs publics, le Conseil constitutionnel serait obligé de se prononcer et de préciser, cinquante ans après le référendum de 1962, ce qui relève de ce domaine et ce qui n’en relève pas.

Lors de la révision constitutionnelle de 1995, la notion de « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation » a été bien précisée. La définition est assez claire. Mais il manque encore la pratique. Depuis 1995, on n’a pas trouvé une seule occasion de soumettre à référendum des réformes à caractère économique ou social. Pourtant, entre la durée du temps de travail et les retraites, ce ne sont pas les sujets qui manquaient !

Il est un autre sujet d’importance : les signatures. Une proposition de loi référendaire devra être soutenue par 4, 5 millions de citoyennes et de citoyens. M. le rapporteur a eu raison de proposer à la commission des lois d’allonger la période de recueil des soutiens. D’ailleurs, je me demande si cela sera encore suffisant : six mois pour réunir 4, 5 millions de signatures, même sous forme papier, ce n’est pas évident.

Les signatures seront évidemment un moyen de conditionner, dans une certaine mesure, les parlementaires. Si une proposition de loi obtient le soutien de 4, 5 millions de signataires, les parlementaires chargés de l’examiner ne pourront pas faire comme si cela n’existait pas. Ils ne pourront pas mettre de chausse-trappes pour empêcher le référendum.

Dès lors, le risque est à mon avis qu’aucune proposition de loi référendaire ne soit déposée, les parlementaires craignant de voir l’épée de Damoclès des 4, 5 millions de signatures citoyennes planer au-dessus de leur tête.

Quoi qu’il en soit, l’idée d’associer travail parlementaire et initiative citoyenne peut se révéler très intéressante.

La commission des lois a amendé le texte. J’aimerais évoquer une modification qui a été apportée et une qui ne l’a pas été…

La commission a changé l’intitulé du texte soumis à référendum, qui sera désormais une « proposition de loi référendaire ». J’ai voté en ce sens, comme tous mes collègues. Toutefois, après coup, je suis saisi d’un doute, et ce pour une raison simple.

Imaginons que des parlementaires déposent une proposition de loi référendaire, que le Conseil constitutionnel la valide et qu’elle recueille 4, 5 millions de signatures. Si le texte est examiné par le Parlement et que ce dernier l’adopte – cela peut se produire –, il s’agira d’une loi ordinaire. Elle ne sera donc pas plus référendaire que les lois prévues dans le reste de l’article 11 !

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