Intervention de René-Paul Savary

Réunion du 28 février 2013 à 15h00
Maisons de naissance — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « vivre la naissance d’un enfant est notre chance la plus accessible de saisir le sens du mot miracle », selon l’écrivain Paul Carvel.

Ce « miracle », de très nombreuses femmes le connaissent chaque année dans notre pays. La France possède en effet, après l’Irlande, le taux de natalité le plus élevé d’Europe : 2, 01 enfants par femme en moyenne contre 1, 06 pour la moyenne européenne.

Pour autant, nous ne pouvons pleinement nous réjouir de cette forte natalité puisque la mortalité infantile – comme la mortalité maternelle – est malheureusement une réalité sur notre territoire. Certes, la mortalité infantile stagne depuis 2005 avec un taux de mortalité d’environ 3, 8 pour mille. Mais cette stagnation ne saurait cacher une forte régression puisque la France est passée du septième rang européen en 1999 au vingtième, sur trente pays, en 2009.

Il existe par ailleurs de fortes disparités démographiques à l’intérieur même de notre pays. Le rapport de la Cour des comptes de février 2012 indique qu’en lissant les données sur cinq ans les écarts métropolitains vont de 1 à 3 : 5, 5 en Ariège contre 1, 9 dans les Hautes-Alpes pour un nombre équivalent de naissances. Cependant, ces écarts restent inexpliqués, « ne faisant pas d’avantage l’objet d’analyses approfondies alors même que de mauvais résultats peuvent résulter de causes différentes ». Il conviendrait donc d’analyser les causes de la mortalité infantile conformément aux recommandations des magistrats de la rue Cambon.

S’agissant de la mortalité maternelle, le même rapport est assez consternant : sur la période 2000-2006, 46 % des décès maternels ont été considérés comme « évitables ».

Toujours selon ce rapport, la problématique de la sécurité pendant l’accouchement n’est ni réglée partout, ni abordée de façon identique.

Pour autant, l’expérimentation des maisons de naissance ne doit pas être écartée.

Le précédent gouvernement avait souhaité expérimenter les maisons de naissance afin de répondre au désir de certaines femmes d’avoir un accouchement moins médicalisé, comme cela se pratique dans différents pays. Après tout, la grossesse est un état physiologique, et non pas pathologique, mais il peut le devenir.

Le Sénat avait rejeté cette proposition dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, un certain nombre de sénateurs s’y étant opposés en raison de l’absence de garanties de nature à préserver le haut niveau de sécurité des soins prodigués aux parturientes.

La proposition de loi de notre collègue Muguette Dini reprend l’essentiel du texte débattu à l’époque.

Il s’agit toujours d’une expérimentation. Les maisons de naissance fonctionneront pour une durée de cinq ans au maximum. À l’issue de la période d’expérimentation, il sera possible, si les résultats ne sont pas concluants, de mettre fin à leur existence. Moins de dix structures seront ouvertes sur l’ensemble de notre territoire.

Le point le plus important est que ces maisons seront attenantes à une structure comportant un service de gynécologie-obstétrique et seront obligatoirement liées à ces structures par une convention.

L’exigence de sécurité est donc remplie, ce qui évitera que ne se reproduisent certaines situations que l’on constate à l’étranger. Aux Pays-Bas, par exemple, la maison de naissance peut se trouver jusqu’à vingt minutes d’une maternité.

Dans d’autres pays, la maison de naissance doit obligatoirement se trouver dans l’enceinte de l’hôpital.

Cette condition géographique est fondamentale en termes de sécurité sanitaire et de liberté de choix de la femme : elle peut aller à la maternité attenante ou à la maison de naissance, et une équipe médicale peut intervenir rapidement en cas de problème durant l’accouchement.

Je souhaite par ailleurs à ce sujet insister sur deux points qui ont déjà été évoqués, notamment en commission.

À l’échelle départementale, si une maternité ferme ses portes, il sera effectivement difficile d’envisager parallèlement l’ouverture d’une maison de naissance, en tout cas, de l’expliquer à la population !

Par ailleurs, on peut s’interroger sur la manière dont la responsabilité des professionnels de santé se déclinera. Mais, là aussi, la solution de la convention paraît adaptée.

Expérimentation et proximité sont donc prévues par le texte, qui impose en outre le strict respect d’un cahier des charges, défini par la Haute Autorité de santé, puisqu’il y aura l’établissement d’une liste.

L’inscription sur la liste ne signifiera pas pour autant que la maison de naissance pourra fonctionner durant cinq années, puisque le directeur de l’agence régionale de santé sera habilité à suspendre l’expérimentation « en cas de manquement grave et immédiat à la sécurité ou lorsqu’il n’a pas été remédié aux manquements ayant motivé la suspension ».

Madame la ministre, vous aviez dit, en 2010, alors que vous étiez député, que votre groupe pourrait accepter les maisons de naissance à deux conditions.

D’une part, leur activité doit être comptabilisée au titre de celles de la maternité, ce que prévoit le présent texte, afin que les maternités de proximité ne ferment pas.

D’autre part, leur adossement aux maternités est impératif pour éviter de faire une distinction a priori entre les grossesses à risque et les autres, une équipe médicale pouvant intervenir en urgence si besoin est.

À cet égard, la proposition de loi précise que les sages-femmes réalisent l’accouchement des femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse, disposition particulièrement intéressante.

Madame la ministre, vos suggestions de l’époque ont donc bien été prises en compte.

Notons qu’en France neuf enfants sur dix viennent au monde sous assistance médicale et que 30 % d’entre eux naissent par césarienne. De plus en plus de nouveau-nés ont besoin de soins médicaux à la naissance. Aussi, moins de 10 % des naissances seraient concernées par l’expérimentation.

En Allemagne, les sages-femmes des maisons de naissance pratiquent en plus des accouchements à domicile, et assurent la prévention et les examens de suivi. Elles n’utilisent des appareillages médicaux qu’en cas de véritable nécessité. Pour l’accouchement, elles s’attachent à rendre l’atmosphère détendue et sereine. Auparavant, elles auront appris aux femmes enceintes à développer leur perception d’elles-mêmes et à ressentir ce qui se passe dans leur ventre.

L’obstétrique française mise quant à elle avant tout sur la technicité et la sécurité. Aujourd’hui, les femmes n’ont pas vraiment de choix : elles accouchent dans un département d’obstétrique.

Dans un reportage diffusé sur Arte le 19 février 2013 et intitulé Grossesse high-tech ou accouchement naturel, quel choix ?, le professeur Cabrol disait qu’il était capital d’être attentif à la prise en charge humaine et psychologique des parturientes si l’on ne voulait pas médicaliser outre mesure la surveillance de la grossesse et l’accouchement, mais qu’il fallait dans le même temps être capable d’assurer la sécurité.

Il faut donc faire attention à ne pas trop privilégier l’environnement au détriment de la sécurité, mais, du fait de la condition de proximité entre la maison de naissance et la maternité qu’elle impose, la proposition de loi ne me semble pas aller dans ce sens.

Le cas évoqué dans le reportage d’une femme qui avait commencé son travail dans l’eau et qui avait dû finalement, à la suite d’un problème, être accouchée par césarienne démontre d’ailleurs qu’il s’agit d’une nécessité : le transfert avait ainsi pu être effectué en quelques secondes, et tout s’était bien passé.

Pour accoucher dans une maison de naissance, la mère doit avoir eu une grossesse sans risque et donc ne pas être une primipare ; le bébé doit également être bien portant. L’objectif est donc de détecter les risques de plus en plus tôt ; sur ce point, la recherche avance.

Accoucher n’est pas une mince affaire. De moins en moins de femmes osent affronter cette performance physique sans assistance médicale. Aujourd’hui, 20 % des accouchements sont déclenchés artificiellement, ce qui est stressant pour l’enfant et souvent plus douloureux pour la femme. De plus en plus de femmes demandent une péridurale en cours de travail.

Le processus naturel ou physiologique de l’accouchement ne semble plus avoir sa place dans notre monde moderne, car de nombreuses femmes ne voient plus l’intérêt de s’imposer ces souffrances. On peut légitimement les comprendre !

Selon le professeur Cabrol, il y a, « phénomène relativement nouveau », « une demande des femmes qui redoutent l’accouchement par les voies naturelles, et c’est parfois très difficile de les convaincre que l’accouchement par les voies naturelles, a priori, est beaucoup mieux pour elles, en termes de mortalité ou de morbidité, que la césarienne ».

Lors d’un accouchement naturel et serein, le corps libère de grandes quantités d’ocytocine. Cette hormone favoriserait l’attachement de la mère au bébé ; elle serait une barrière contre la dépression post-partum et un atout pour faire ses premiers pas dans la vie dans de bonnes conditions. Lors d’une césarienne, ce processus ne serait pas aussi systématique.

Quant au docteur Michel Odent, il précise qu’il n’est pas utopique qu’au XXIe siècle on puisse redécouvrir les besoins de base de la femme qui accouche, et donc réduire le besoin d’assistance médicale. L’expérimentation qui nous est proposée est donc tout à fait dans l’air du temps.

La proposition de loi qui nous est soumise a le mérite de nous rappeler que l’accouchement est avant tout un acte naturel, nécessitant un accueil professionnalisé pour être réalisé dans des conditions sereines, mais qu’il doit être rapidement médicalisé s’il devient pathologique.

C'est pourquoi mon groupe la soutiendra. §

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