Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si les dispositions que reprend la présente proposition de loi ont été censurées, en 2010, par le Conseil constitutionnel pour des raisons – j’en conviens – de forme, elles n’en soulèvent pas moins plus d’interrogations qu’elles n’apportent de réponses concrètes.
La raison en est sans doute le renvoi au pouvoir réglementaire de tout ce qui relève de l’application concrète de l’expérimentation des maisons de naissance. La proposition de loi prévoit en effet un décret en Conseil d’État dont le champ est tellement vaste que cela revient presque à légiférer – de manière temporaire, certes, mais pour cinq ans tout de même – par voie d’ordonnance.
Le dessaisissement des législateurs naturels que sont les parlementaires est ainsi assez important ; c’est notre première réserve.
Cette dernière, nous tenons à le dire, ne traduit pas une opposition à l’accouchement physiologique. Que des femmes, fussent-elles minoritaires, veuillent pouvoir bénéficier d’une prise en charge globale par une même sage-femme, ainsi que d’un accouchement réalisé par celle-ci de manière plus « naturelle », est une réalité. Cependant, ne devrions-nous pas plutôt légiférer sur les conditions qui donneraient à toutes les femmes qui accouchent les moyens de choisir, avec leurs compagnons ou leurs compagnes, leur mode d’accouchement ?
Ces conditions sont loin d’être réunies aujourd'hui, et elles le sont d’autant plus que la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, a entraîné la fermeture de nombreuses maternités de proximité et n’a épargné presque aucun territoire.
Dans ce contexte, est-il opportun d’expérimenter des maisons de naissance, alors qu’il faudrait stopper l’hémorragie des fermetures de maternités – je suis d'ailleurs heureuse que Mme la ministre ait plutôt abondé dans ce sens – et donner à ces dernières des moyens financiers et humains suffisants pour fonctionner en toute sécurité ?
Cette proposition de loi vise également à mieux reconnaître la profession de sage-femme, objectif auquel nous sommes sensibles. Nous avions d’ailleurs contribué à la reconnaissance des sages-femmes en votant en faveur de la faculté qui leur est désormais ouverte de prescrire des pilules contraceptives. Nous n’ignorons pas que ce sont elles qui réalisent 80 % des accouchements par voie basse à l’hôpital public, ce qui atteste de leurs compétences.
Ce n’est donc pas sur ce plan que se fondent nos réserves. Nous serions d’ailleurs tout disposés à accepter le principe d’une activité autonome des sages-femmes, qui ne seraient donc plus placées sous la direction ou l’encadrement d’un médecin, si d’autres questions ne se posaient pas.
Afin de démontrer la pertinence d’une prise en charge par les sages-femmes, vous vous recommandez, madame Dini, d’un rapport de la Cour des comptes concluant « à des bénéfices importants pour ce qui concerne la réduction du nombre de péridurales, d’extractions instrumentales, d’hospitalisation des nouveau-nés et en termes de mise en place de l’allaitement » – comprenez l’allaitement au sein, comme il est précisé un peu plus loin.
Je ne suis pas certaine qu’il soit pertinent, pour justifier le recours aux maisons de naissance, de s’appuyer sur l’augmentation du nombre de femmes optant pour l’allaitement maternel. Ce sujet, qui nourrit des débats souvent houleux, relève et doit continuer à relever – sauf contre-indications médicales – d’un choix personnel.
Nous sommes encore plus sceptiques pour ne pas dire opposés aux dispositions concernant la nature juridique des maisons de naissance, leur financement et les tarifs qui y seront pratiqués. Sur ce sujet, les interrogations sont d’autant plus grandes que le rapport ne précise à aucun moment la nature juridique des maisons de naissance qui existent, dans d’autres pays, certes, mais cela nous aurait apporté un éclairage bien nécessaire.
À titre d’exemple, le rapport envisage le cas où les maisons de naissance seraient intégrées à des établissements de santé, sans pour autant définir avec plus de précision la nature juridique de ces maisons. Il pourrait donc s’agir, notamment dans les établissements de santé privés, d’une société d’exercice libéral de la profession de sage-femme, puisque les SEL sont ouvertes à toutes les professions médicales et que la profession de sage-femme est une profession médicale.
Nous avons eu lors de l’examen de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale un débat très nourri sur l’appropriation des SEL de ce secteur par les financiers. Alors que nous venons de tenter de réduire cette financiarisation, pourquoi prendre aujourd'hui le risque de financer avec des fonds publics des sociétés qui pourraient demain faire l’objet d’une même spéculation ?
À l’inverse, les sages-femmes pourraient intervenir à titre libéral dans les hôpitaux publics. Or je me souviens que, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, plusieurs de nos collègues, au-delà du groupe CRC, avaient voté en faveur de notre amendement tendant à limiter considérablement la place du secteur privé à l’hôpital. La multiplication de l’exercice libéral dans le service public constitue le cheval de Troie de la privatisation hospitalière, à laquelle nous sommes évidemment défavorables.
Enfin, alors que l’hôpital public connaît une crise de financement particulièrement aiguë qui pourrait conduire, selon la Fédération hospitalière de France, à la suppression de quelque 35 000 postes, il nous est ni plus ni moins proposé de mobiliser des fonds publics pour des structures à la forme juridique non définie qui pourraient être commerciales, voire pratiquer des dépassements d’honoraires !
En effet, il n’aura échappé à personne que la présente proposition de loi prévoit de financer les maisons de naissance via les dotations dites MIG. Or ces crédits sont destinés aux missions d’intérêt général qui ne sont pas financées ou le sont insuffisamment par la tarification à l’activité, la T2A. Au total, ces dotations représentent plus de 20 % du budget des hôpitaux publics.
Pour notre part, nous refusons, comme nous l’avons toujours fait, que des financements publics aussi importants puissent bénéficier à des structures qui ne sont ni des établissements publics ni des organismes poursuivant un intérêt collectif.
Notre position est claire : sans minorer les aspirations légitimes de certaines femmes à bénéficier d’un accouchement moins médicalisé, sans écarter la revendication, que l’on peut comprendre, des sages-femmes de voir leur métier reconnu et revalorisé, y compris financièrement, nous considérons que cette proposition de loi ne répond pas aux urgences et aux besoins de toutes et tous.
Alors que des maternités de proximité ferment au prétexte qu’elles ne réalisent pas suffisamment d’accouchements, cette proposition de loi prévoit d’ouvrir de nouvelles structures aux contours incertains. Je ne pense pas que les couples et les femmes enceintes de Vire ou de Marie-Galante qui voient leurs maternités fermer se réjouissent en apprenant que la dotation nationale destinée à financer les missions d’intérêt général est utilisée pour répondre à des besoins qui concernent une extrême minorité de femmes.
C’est pourquoi nous proposons que le service public hospitalier, que le Gouvernement dit vouloir renforcer, puisse non pas accueillir mais intégrer des services où les femmes pourraient bénéficier de la prise en charge que prévoit cette proposition de loi.
Nous avons déposé six amendements allant dans ce sens. De l’adoption ou du rejet de ces derniers dépendra le vote de notre groupe, étant précisé que nous ne sommes pas favorables à cette proposition de loi en l’état. §